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Analyse-Livres & Auteurs-Culture

La Cour vue comme un théâtre (« Les Caractères », La Bruyère)

Parcours comédie sociale : Dans les Caractères, La Bruyère développe une métaphore filée du théâtre pour évoquer la vie de courtisan. Mais son analyse prend une ampleur plus vaste pour concerner en réalité toutes les époques. (De la Cour, 99 [V])

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repère : la comédie sociale : l’étude

Il vous est proposé dans le cadre du baccalauréat d’étudier les livres V à XI des Caractères de La Bruyère au vu du parcours proposé par les programmes officiels. Il sera, en effet, question d’aborder cette immense œuvre en soulignant le sens et la portée de la comédie sociale qu’elle sous-tend. 

Dans cette seconde partie de notre dossier, nous vous proposerons une étude consacrée à la théâtralisation de la société du XVIIe siècle telle qu’elle est vue par La Bruyère. Pour ce faire, nous analyserons les points suivants :

Dans l’article précédent, nous avons expliqué la vision pyramidale que l’auteur se fait du monde ; nous verrons aujourd’hui comment il nous dévoile la vie à la cour de Versailles.

Théâtre

Dans le chapitre intitulé la Cour, La Bruyère  développe une métaphore du théâtre pour évoquer la vie de courtisan à Versailles. Il le fait en se penchant sur ce qu’il a vu et entendu en sa qualité de témoin direct des mœurs de son temps. Mais son analyse prend une ampleur plus vaste pour concerner en réalité toutes les époques. Elle devient donc universelle ainsi que nous allons le montrer à l’aide la méthode des GROSSES CLEFS © : il s’agit de lire le texte en soulignant les points importants à l’aide de codes couleur.

Gr : grammaire                               C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SE : les 5 sens                            FS : figures de style

« 99.

Dans cent ans le monde subsistera encore en son entier : ce sera le même théâtre et les mêmes décorations, ce ne seront plus les mêmes acteurs./ Tout ce qui se réjouit sur une grâce reçue, ou ce qui s’attriste et se désespère sur un refus, tous auront disparu de dessus la scène./ Il s’avance déjà sur le théâtre d’autres hommes qui vont jouer dans une même pièce les mêmes rôles ; ils s’évanouiront à leur tour ; et ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront plus : de nouveaux acteurs ont pris leur place. Quel fond à faire sur un personnage de comédie ! /»

La Bruyère, les Caractères, De la Cour, 99 [V]

Découvrons les trois mouvements du texte :

  • Le monde est un théâtre,
  • La vanité de l’homme,
  • La comédie sociale

Reprenons ces trois points si vous le voulez bien.

Le monde est un théâtre

Dans ce fragment, La Bruyère se fonde sur la métaphore filée du « théâtre » pour illustrer le lien entre les hommes et la vie qu’ils mènent à la cour. Nous verrons que c’est loin d’être un parallèle flatteur : c’est au contraire extrêmement péjoratif. Pour ce faire, le champ lexical du spectacle apparaît immédiatement avec les noms « théâtre », « décorations », « acteurs ». Dans cette première phrase, on relève que c’est le cadre, c’est-à-dire l’aspect purement extérieur du lieu, qui est souligné avant d’aborder la question des hommes. En agissant ainsi, La Bruyère veut ainsi mettre en évidence le caractère superficiel de la vie de la cour.

Dans la suite de ce paragraphe, la métaphore filée se poursuit avec une succession de termes propres non plus au lieu, mais au jeu : « scène », « rôles », « personnages » et « comédie ». Il s’agit là encore de montrer les courtisans en perpétuelle représentation sociale.

Dans la première phrase, l’auteur procède avec trois propositions indépendantes connexes pour donner un rythme lent et solennel.

La première proposition, « le monde subsistera encore en son entier : » se veut la conclusion des deux suivantes. Il emploie des tournures impersonnelles « ce sera » pour exprimer la vérité générale de son propos.

Pour compléter cette impression, l’auteur recourt au futur qui est employé afin d’englober toute la condition humaine. Le verbe « subsistera » est attaché au sujet le monde pour évoquer la permanence qui s’oppose à la condition des hommes qui, elle, passe : « ils s’évanouiront ».

Cette idée est reprise sous une autre forme avec la répétition de l’adjectif « même » pour souligner cette opposition. On note donc l’opposition entre le monde et les hommes qui sera repris avec la métaphore du théâtre et des acteurs tout le long du fragment.

La Bruyère joue également sur les contrastes « ce sera »/ ce ne seront plus », c’est-à-dire sur une tournure affirmative qui s’oppose à la tournure négative « ne…plus ». On note que « plus » a un aspect plus restrictif que « pas ». Dans l’esprit de l’auteur, son raisonnement se veut universel.

Pour donner un effet des plus saisissant, il place en exergue le complément circonstanciel de temps « Dans cent ans » pour prendre comme critère de référence la durée d’un siècle. Il joue en outre sur la répétition avec l’adverbe « encore ». Cette notion de temps sera réutilisée dans la suite du fragment.

La vanité de l’homme

La vanité de l’homme est un thème cher aux moralistes au XVIIe siècle. La Bruyère accentue la superficialité de l’être humain soulignée par des tournures à la fois impersonnelles et indéfinies :  « Tout ce qui se réjouit/se désespère » et « tous ». C’est pour tendre à l’universel qu’aucune catégorie précise de personnes n’est mentionnée avec le pronom indéfini « tous ». L’auteur met donc tous les courtisans dans le même sac.

Cette vanité découle du sujet de leurs préoccupations comme on le voit avec l’opposition entre les termes « grâce » et « refus ». Avec ces mots, on entre de plain-pied dans le champ lexical de la cour dans laquelle l’on plait ou l’on déplait. C’est un rythme binaire qui est souligné ; il n’y a pas de juste milieu. On parle ainsi de faveur/défaveur et non de mérite personnel.

Ce point est corroboré par le participe passé du verbe recevoir, « reçue » : cela montre la parfaite soumission du courtisan ; il ne fait qu’attendre sa gratification. Il est donc passif. On note qu’il est plus difficile de plaire avec l’emploi d’un seul verbe « se réjouit » alors que deux verbes sont nécessaires pour évoquer la frustration du courtisan « s’attriste et se désespère ».

Pour démontrer cette vanité, le temps du présent est employé par La Bruyère « se réjouit », « s’attriste et se désespère ». La valeur du présent occupe ici la fonction de vérité générale. C’est une donnée qui se veut universelle.

Mais l’auteur bascule sur le futur antérieur «  auront disparu » : c’est l’idée que tout passe.  C’est alors que La Bruyère reprend le thème du théâtre qu’il va développer jusqu’à la fin.

La comédie sociale

On assiste alors à un basculement dans ce passage. On quitte pour un temps l’indéfini et le pluriel pour une focalisation sur un homme déterminé avec le pronom personnel « il ». Ce personnage tient le rôle principal dans une mise en scène très visuelle : on retrouve des verbes de mouvement qui s’enchaînent «  s’avance », « vont jouer », « s’évanouiront » «pris leur place ».

Le jeu de scène est en outre détaillé avec l’emploi des locutions de temporalité : « déjà », « à leur tour », « un jour », « pas encore ».

Pour autant, cette personne n’est pas nommée : il s’agit d’un courtisan qui s’oppose aux autres hommes, avec cette fois, le pronom personnel de la 3e personne du pluriel « ils ». L’homme entre en compétition avec les autres comme le suggèrent la reprise de la métaphore du théâtre, mais cette fois du « théâtre d’autres hommes ».

Ils se voient comme des rivaux comme le suggère La Bruyère avec la répétition de l’adjectif « même pièce » et « les mêmes rôles ». Cela montre l’impossibilité d’exister de manière originale et authentique à la cour. Cette situation n’est pas propre à certains hommes, mais au phénomène de courtisans qui sont tous les mêmes avec l’emploi du groupe nominal « nouveaux acteurs ».

Enfin la vanité humaine est aussi confrontée à la finitude de l’homme. On note ainsi la métaphore de la mort avec le recours à la gestuelle théâtrale, « s’évanouiront à leur tour » associée avec « ne seront plus » et « de nouveaux acteurs ont pris leur place ». Mais cette vanité du courtisan se mesure sur la durée de sa présence à la cour avec l’opposition entre le début « ceux qui ne sont pas encore, »  et la disparition « ne seront plus ». La Bruyère montre que le courtisan n’effectue aucune tâche irremplaçable.

Pour achever le portrait du courtisan-acteur, La Bruyère conclut avec une exclamation pour tourner en dérision l’attitude courtisane. Il accentue l’effet théâtral pour y voir une « comédie ». Ce terme est employé pour en montrer tout son ridicule. 

Dans l’article suivant, nous resterons dans la théâtralité de la cour en nous intéressant aux coulisses.

Repère à suivre : Les coulisses du théâtre du monde courtisan

 

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