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Analyse-Livres & Auteurs-Culture & Éducation par la littérature

Gazette littéraire

Les coulisses du théâtre du monde courtisan ("Les Caractères", La Bruyère)

Parcours Comédie sociale : Dans les Caractères, La Bruyère interpelle le courtisan, il cherche à le persuader et non à la convaincre dans sa démonstration pratique qui se fait en trois temps : l’expérimentation, la révélation, la chute. (les Biens de fortune, 25 [V])

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repère : la comédie sociale : l’étude

Il vous est proposé dans le cadre du baccalauréat d’étudier les livres V à XI des Caractères de La Bruyère au vu du parcours proposé par les programmes officiels. Il sera, en effet, question d’aborder cette immense œuvre en soulignant le sens et la portée de la comédie sociale qu’elle sous-tend. 

Dans cette seconde partie de notre dossier, nous vous proposerons une étude consacrée à la théâtralisation de la société du XVIIe siècle telle qu’elle est vue par La Bruyère. Pour ce faire, nous analyserons les points suivants :

Dans l’article précédent, nous avons examiné la vision que l’auteur se fait de la cour de Versailles. Entrons aujourd’hui dans les coulisses de cet univers. C’est l’occasion d’évoquer le dessous du « spectacle » offert par le jeu des courtisans. Comment le décrire en quelques mots ? Rien de reluisant comme l’indique La Bruyère dans un passage significatif (Des biens de fortune, 25 [V])

Biens de fortune

L’appétence pour l’argent est un vice dénoncé par La Bruyère. Le moraliste pose de ce fait un regard sans complaisance sur ses contemporains. Il dévoile les intrigues déployées pour obtenir faveurs et richesses. Il n’a pas assez de mots assez forts pour souligner leur cupidité. Il se moque, en outre, des ridicules lorsqu’apparaît le moment de briller en société. Il n’y a que la plume de La Bruyère pour souligner le fait que certain ferait mieux d’apprendre à se taire…

Le fragment dont nous ne verrons qu’un extrait débute par la métaphore de la cuisine pour illustrer ce qui se trame en secret. L’auteur souligne ainsi la manière répugnante (« de mains en mains ») avec laquelle les richesses sont acquises.

Dans la deuxième partie du même texte, La Bruyère reprend le parallèle, mais cette fois, avec les coulisses d’un théâtre. Et c’est évidemment cette partie du fragment qui nous intéresse eu égard à la problématique choisie.

Nous allons étudier le texte de manière linéaire à l’aide la méthode des GROSSES CLEFS © : il s’agit de lire le texte en soulignant les points importants à l’aide de codes couleur.

Gr : grammaire                               C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SE : les 5 sens                            FS : figures de style

 Lecture linéaire

«  25

 (…) Si vous allez derrière un théâtre, et si vous nombrez les poids, les roues, les cordages, qui font les vols et les machines ; si vous considérez combien de gens entrent dans l’exécution de ces mouvements, quelle force de bras, et quelle extension de nerfs ils y emploient, vous direz : "Sont-ce là les principes et les ressorts de ce spectacle si beau, si naturel, qui paraît animé et agir de soi-même ? " Vous vous récrierez : "Quels efforts ! quelle violence ! " De même n’approfondissez pas la fortune des partisans. »

La Bruyère, les Caractères, les Biens de fortune, 25 [V]

Analyse linéaire

L’auteur interpelle le courtisan à plusieurs reprises avec le pronom personnel « vous ». C’est un moyen pour lui de chercher à le persuader en l’impliquant dans sa démonstration qui se fait en trois temps : l’expérimentation, la révélation, la chute.

1.L’expérimentation

Ce passage reprend les idées de la philosophie du XVIIe siècle qui propose une représentation mécanique du monde. Cette thématique est développée par deux moyens : l’effet d’optique la prépondérance de la machinerie et le parallèle avec l’homme. Reprenons ces trois points, si vous le voulez bien :

a) l’effet d’optique

En premier lieu, La Bruyère convie le courtisan à une visite en le mettant en situation par l’emploi du verbe de mouvement « aller ». Ce verbe s’oppose aux verbes statiques qui convoquent le sens de la vue : le premier suggérer le calcul «  nombrez » et le second ayant un effet redondant « considérez ».

Jouant encore sur les contrastes, La Bruyère emploie la synecdoque généralisant « derrière un théâtre » pour évoquer ce qui n’en constitue en réalité qu’une partie, c’est-à-dire les coulisses. C’est un effet d’optique recherché et voulu. À côté de ce premier effet surgit le thème de la mécanique qui est récurrent chez l’auteur.

b) l’effet mécanique

Évidemment, il ne s’agit que d’une visite fictive  ainsi que l’indique la conjonction de subordination «  si » répétée à trois reprises donnant un rythme ternaire, plein de solennité. La Bruyère a choisi, en outre, de placer les longues subordonnées, « si vous allez » « et si vous nombrez », « si vous considérez » en apposition, preuve de leur importance soulignée, avant la principale particulièrement brève : « vous direz » qui produit un effet de contraste, lapidaire.

La Bruyère crée à cet égard un rapport cause/conséquence qui est comparable à un automatisme corroborant le champ lexical de la mécanique avec les termes : « machines », « mouvement », « les poids, les roues, les cordages » « force » « extension » « ressort » « principe », « animé ». On est clairement dans le domaine de la physique.

Ce thème mécanique est de surcroît précis et détaillé. L’auteur procède ainsi par énumération en partant des pièces  pour aboutir à la  machinerie : « les poids, les roues, les cordages, qui font les vols et les machines » : on notera le rythme ternaire des pièces et l’effet persistant du particulier au général. La Bruyère effectue ensuite un parallèle entre l’homme et la machine.

c) le parallèle entre la machine et l’homme 

L’auteur décrit les hommes comme de simples éléments d’un rouage : ils sont indéfinis tant par leur appellation avec le groupe nominal « des gens » que par leur nombre « combien ».

Vus des coulisses, l’homme et la machine ne font qu’un avec le verbe « entrent » : ils participent à la même mécanisation avec les termes : « exécution de ces mouvements, ». 

Par un parallélisme des formes, le rythme ternaire est repris pour évoquer les hommes : l’auteur procède par gradation de manière quantitative d’abord en s’intéressant à leur nombre « combien », puis de manière qualitative avec deux éléments redondants « quelle force de bras » suggérant la partie extérieure du corps et « quelle extension des nerfs » symbolisant l’intérieur. C’est par un déterminant exclamatif, qui a un effet laudateur, qu’ils sont présentés.

Nous relevons enfin le champ lexical du corps : « bras, nerfs, beau, efforts, violence » qui s’oppose aux éléments sans vie de la machine, «les poids, les roues, etc. » C’est ainsi que la partie expérimentation s’achève pour aboutir à la conclusion.

2. La révélation

a) la forme interrogative

On note la rupture qui passe du style indirect au style direct avec le verbe de parole «vous direz : » qui donne plus de vivacité au récit. La Bruyère a choisi une phrase interrogative «  Sont-ce là » comprenant des redondances et une proposition subordonnée « qui  paraît» donnant un effet précieux et superficiel.

b) les oppositions

D’ailleurs l’auteur construit ce passage en opposant deux verbes dire et se récrier, l’un affirmant, l’autre démentant. Ce sont deux verbes qui s’opposent aussi dans leur nature. Le verbe de parole induit nécessairement autrui, le verbe pronominal « se récrier » donne un aspect réflexif : on parle, cette fois, à soi-même. On est sur un rythme binaire erreur/vérité.  

Ce contraste est développé avec les oppositions entre être/paraître, beau/violent et naturel/efforts. La Bruyère révèle ainsi les sombres coulisses du théâtre de la cour.

Il stigmatise le côté superficiel des courtisans attachés à ce qui se voit « spectacle si beau, si naturel » et qui jamais ne se posent de questions « qui paraît ». En ajoutant de la redondance, La Bruyère met en relief leur désinvolture : « qui paraît animé et agir de soi-même ? » Mais c’est une phrase sans sens puisque « paraît animé » est une tournure passive  qui s’oppose à « agir de soi-même ». L’animation fait de surcroît référence à des marionnettes.

c) la voie exclamative

Cette affirmation est donc corrigée avec la prise de conscience de l’envers du décor par le procédé exclamatif : « Quels efforts ! quelle violence ! » Là encore notons le contraste dans le style entre le pluriel et le singulier pour singer le langage plein d’exagération du courtisan. Mais La Bruyère achève sa démonstration avec une chute saisissante.

La chute

La Bruyère, en deux mots, nous livre enfin la clef d’interprétation de cette longue métaphore avec la comparaison « De même ». Il agit en moraliste en choisissant de produire un effet de rupture, il recourt à l’impératif « approfondissez » et non plus l’indicatif. Il donne donc un conseil, mais il le fait de manière indirecte. L’auteur réutilise l’image du mouvement, cette fois dans un sens descendant « approfondissez ».

Si cette courte leçon est dispensée en une seule phrase comportant une proposition simple, loin des procédés stylistiques précédents, elle est aussi lacunaire. En effet, La Bruyère procède par le biais d’une tournure grammaticale négative « n’approfondissez pas » qui donne une impression de malaise : le moraliste ne nous dit pas les motifs sous-jacents. Il procède par allusion.

Pourquoi l’auteur enjoint-il précisément de ne pas aller au fond des choses ? Pourquoi invite-t-il au contraire à rester en surface ? Le sous-entendu est manifeste :  le moraliste insinue que derrière la façade, « la fortune des partisans », les courtisans ont commis de nombreux actes en réalité inavouables.

En procédant ainsi, on voit la force de l’argumentation de La Bruyère qui se veut tout en nuance pour mieux dénoncer le vice des hommes.

Repère à suivre : Les acteurs de cette comédie : le cas Narcisse

 

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