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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Le jeu de scène : le cas d’Artémon (La Bruyère)

Parcours Comédie sociale : La Bruyère dans les Caractères, fait le compte de toutes les manœuvres d’un courtisan, d'Artémon, pour obtenir une faveur sans que cela apparaisse... [de la cour, 43 (V)]

caractère, la Bruyère, jeu de scène, tromperie, dissimulation

repère : la comédie sociale : l’étude

Il vous est proposé dans le cadre du baccalauréat d’étudier les livres V à XI des Caractères de La Bruyère au vu du parcours proposé par les programmes officiels. Il sera, en effet, question d’aborder cette immense œuvre en soulignant le sens et la portée de la comédie sociale qu’elle sous-tend. 

Dans cette seconde partie de notre dossier, nous vous proposerons une étude consacrée à la théâtralisation de la société du XVIIe siècle telle qu’elle est vue par La Bruyère. Pour ce faire, nous analyserons les points suivants :

Dans l’article précédent, nous avons évoqué le rôle d’automate conféré aux courtisans par La Bruyère conformément au thème mécanique du Grand siècle. Aujourd’hui, nous achevons notre étude par le jeu de scène dans ce théâtre que constitue la cour.

Nous allons analyser le texte de manière linéaire à l’aide la méthode des GROSSES CLEFS © : il s’agit de le lire en soulignant les points importants à l’aide de codes couleur.

Gr : grammaire                               C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SE : les 5 sens                            FS : figures de style

 Lecture et analyse linéaires

« On fait sa brigue pour parvenir à un grand poste, on prépare toutes ses machines, toutes les mesures sont bien prises, et l’on doit être servi selon ses souhaits ; les uns doivent entamer, les autres appuyer ; l’amorce est déjà conduite, et la mine prête à jouer : alors on s’éloigne de la cour/. Qui oserait soupçonner dArtémon qu’il ait pensé à se mettre dans une si belle place, lorsquon le tire de sa terre ou de son gouvernement pour l’y faire asseoir ?/ Artifice grossier, finesses usées, et dont le courtisan s’est servi tant de fois, que, si je voulais donner le change à tout le public et lui dérober mon ambition, je me trouverais sous l’œil et sous la main du prince, pour recevoir de lui la grâce que j’aurais recherchée avec le plus d’emportement. »

La Bruyère, les Caractères, de la cour

Le mouvement du texte se décompose ainsi :

  • Les préparatifs d’une ambition,
  • L’obtention de la faveur
  • Dévoilement de la manœuvre

Les préparatifs d’une ambition

La Bruyère recourt à une phrase complexe pour faire le compte de toutes les manœuvres d’un courtisan. Une seule phrase pour dire beaucoup comme l’auteur nous y a habitués désormais. Pour cela, il joue sur les procédés stylistiques suivants :

  • la succession de propositions indépendantes juxtaposées qui donnent un rythme saccadé, voire martial, à une épreuve qui se prépare dans le détail,
  • la répétition du pronom impersonnel « on » évoque le courtisan dont on tait encore le nom qui cherche à obtenir une faveur indiquée avec la périphrase « un grand poste ».
  • le courtisan n’agit pas seul  comme on le voit avec l’opposition les « uns, les autres », manière de désigner d’autres courtisans,
  • l’ambitieux s’appuie sur l’aide qu’il exige de ceux qui sont dans une position d’infériorité vis-à-vis de lui : ils ne sont que dans sa sujétion avec le verbe devoir répété deux fois : « doit »« doivent ». Il existe des relations de domination et de pouvoir entre eux comme le montre le nom « souhait »,
  • on est, en effet, dans le cadre du champ lexical de la manœuvre, de la dissimulation : « faire sa brigue » « machine », « prête à jouer » :
  • tous les moyens sont bons pour réussir comme l’indique la répétition « toutes »
  • l’emploi du présent de l’indicatif a ici la valeur de vérité générale,
  • l’opposition entre la voix active/voix passive « On fait » « on prépare »/« sont bien prises » « être servi », « les uns doivent entamer, appuyer »/ « est déjà conduite », : l’impression recherchée vise à montrer que le plan d’action consiste alternativement à faire soi-même et à faire faire par d’autres toutes sortes de bassesses. La dernière expression « on s’éloigne » rend au sujet l’action dont il attend de tirer profit,
  • On trouve des verbes de mouvement dans ce plan d’attaque « fait» « prépare »« sont prises » « être servi », « entamer, appuyer » « jouer » « s’éloigner » : on note entre ces verbes des oppositions « entamer/appuyer » et qui ont pour objet de montrer l’étendue de la manœuvre qui est en deux temps.
  • Le plan est finement organisé et aboutit à sa phase initiale avec le terme « l’amorce »
  • Ce plan nécessite enfin de la dissimulation du courtisan avec la périphrase « la mine prête à jouer » : on est donc encore sur le champ lexical du théâtre.
  • La Bruyère joue sur l’opposition entre l’objectif attendu « parvenir » et le résultat obtenu caractérisé « s’éloigner »  : loin de le voir former une demande, le courtisan exécute le plan en.. partant. L’effet de contraste est recherché.

L’obtention de la faveur

C’est par la voie interrogative que l’on voit l’obtention de la faveur. Et cette interrogation, à la différence de la première phrase, est faite de subordonnées pour produire un effet complexe.

La dissimulation est en effet indécelable comme le suggère l’auteur avec la proposition principale « Qui oserait soupçonner d’Artémon » : on est encore dans l’impersonnel avec le pronom interrogatif « qui » et cette interrogation est partielle puisque la réponse attendue est totalement ouverte : l’auteur va donc s’employer à démontrer que personne ne peut détecter la supercherie.

Son auteur a cette fois un nom, « d’Artémon », mais celui-ci restera dans l’ombre, car les deux subordonnées sont formulées de telles manières qu’il est impossible de dévoiler la manœuvre. Les deux verbes opposés tirer/ asseoir donnent un sens passif : dans les deux cas, le courtisan feint de ne pas être informé de sa promotion :  le vocable change pour l’évoquer « une si belle place » qui fait naître une gradation avec l’adverbe de quantité « si » marquant l’intensité de la promotion par rapport à « grand poste ». On voit aussi l’enjeu de la faveur qui se situe à la cour et qui s’oppose à la vie en province avec le terme « la terre ».

Dévoilement de la manœuvre

Le dévoilement est  en fait manifeste. Pas de phrase allusive, ni de sous-entendu, l’auteur se fait percutant avec la mise en apposition des deux critiques qu’il forme à l’égard de ce comportement : « Artifice grossier, finesses usées, ». Il décompose la feinte avec l’emploi du mot artifice utilisé au singulier qui inclut des manœuvres dont le pluriel nous est proposé avec « finesses ». Dans les deux cas, les adjectifs épithètes sont péjoratifs « grossier » « usées ». La condamnation de La Bruyère est implacable.

Pour démontrer l’évidence de la supercherie, il se fonde sur son caractère éculé avec les locutions de temps « tant de fois » et l’usage du passé composé qui part du passé pour se poursuivre au présent. C’est une manœuvre très à la mode dans la comédie sociale qui se joue à Versailles. Personne n’est dupe, mais tout le monde feint la surprise…

L’auteur entend démonter le système en prenant le contrepied des premiers procédés utilisés :

  • En se mettant en scène avec le pronom personnel « je » qui s’oppose au pronom impersonnel « on » : on retrouve l’opposition entre le courtisan et l’auteur puis celle entre ce dernier et le public : on est en face de personnes déterminées dont le jeu est révélé au grand jour,
  • en nommant les choses : 
    • la faveur est appelée « grâce » et le vice du courtisan « l’ambition »
    • le moyen pour l’obtenir porte un nom : « donner le change »
    • deux verbes clefs réciproques sont utilisés pour la manœuvre : recevoir/rechercher
    • le nom du dispensateur est donné : « le prince »
    • la relation d’infériorité est cette fois en la défaveur  de celui qui attend la faveur avec la redondance «  sous l’œil et sous la main du prince » 
    • la violence de la manœuvre est nommée avec l’adverbe d’intensité «  avec le plus d’emportement. »
  • en changeant de mode avec le conditionnel, celui de l’hypothèse improbable dans laquelle il se met en situation de faire le courtisan : « si je voulais, je me trouverais » «  j’aurais recherchée » : ce mode permet aussi de mettre toute la distance entre La Bruyère et les courtisans agissant de manière aussi répréhensible.
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