Analyse-Livres & Culture pour tous
2 Décembre 2021
Parcours Comédie sociale : La Bruyère dans les Caractères, fait le compte de toutes les manœuvres d’un courtisan, d'Artémon, pour obtenir une faveur sans que cela apparaisse... [de la cour, 43 (V)]
repère : la comédie sociale : l’étude
Il vous est proposé dans le cadre du baccalauréat d’étudier les livres V à XI des Caractères de La Bruyère au vu du parcours proposé par les programmes officiels. Il sera, en effet, question d’aborder cette immense œuvre en soulignant le sens et la portée de la comédie sociale qu’elle sous-tend.
Dans cette seconde partie de notre dossier, nous vous proposerons une étude consacrée à la théâtralisation de la société du XVIIe siècle telle qu’elle est vue par La Bruyère. Pour ce faire, nous analyserons les points suivants :
Dans l’article précédent, nous avons évoqué le rôle d’automate conféré aux courtisans par La Bruyère conformément au thème mécanique du Grand siècle. Aujourd’hui, nous achevons notre étude par le jeu de scène dans ce théâtre que constitue la cour.
Nous allons analyser le texte de manière linéaire à l’aide la méthode des 6 GROSSES CLEFS © : il s’agit de le lire en soulignant les points importants à l’aide de codes couleur.
Gr : grammaire C : Conjugaison
OS : oppositions le : champ lexical
SE : les 5 sens FS : figures de style
« On fait sa brigue pour parvenir à un grand poste, on prépare toutes ses machines, toutes les mesures sont bien prises, et l’on doit être servi selon ses souhaits ; les uns doivent entamer, les autres appuyer ; l’amorce est déjà conduite, et la mine prête à jouer : alors on s’éloigne de la cour/. Qui oserait soupçonner d’Artémon qu’il ait pensé à se mettre dans une si belle place, lorsqu’on le tire de sa terre ou de son gouvernement pour l’y faire asseoir ?/ Artifice grossier, finesses usées, et dont le courtisan s’est servi tant de fois, que, si je voulais donner le change à tout le public et lui dérober mon ambition, je me trouverais sous l’œil et sous la main du prince, pour recevoir de lui la grâce que j’aurais recherchée avec le plus d’emportement. »
La Bruyère, les Caractères, de la cour
Le mouvement du texte se décompose ainsi :
La Bruyère recourt à une phrase complexe pour faire le compte de toutes les manœuvres d’un courtisan. Une seule phrase pour dire beaucoup comme l’auteur nous y a habitués désormais. Pour cela, il joue sur les procédés stylistiques suivants :
C’est par la voie interrogative que l’on voit l’obtention de la faveur. Et cette interrogation, à la différence de la première phrase, est faite de subordonnées pour produire un effet complexe.
La dissimulation est en effet indécelable comme le suggère l’auteur avec la proposition principale « Qui oserait soupçonner d’Artémon » : on est encore dans l’impersonnel avec le pronom interrogatif « qui » et cette interrogation est partielle puisque la réponse attendue est totalement ouverte : l’auteur va donc s’employer à démontrer que personne ne peut détecter la supercherie.
Son auteur a cette fois un nom, « d’Artémon », mais celui-ci restera dans l’ombre, car les deux subordonnées sont formulées de telles manières qu’il est impossible de dévoiler la manœuvre. Les deux verbes opposés tirer/ asseoir donnent un sens passif : dans les deux cas, le courtisan feint de ne pas être informé de sa promotion : le vocable change pour l’évoquer « une si belle place » qui fait naître une gradation avec l’adverbe de quantité « si » marquant l’intensité de la promotion par rapport à « grand poste ». On voit aussi l’enjeu de la faveur qui se situe à la cour et qui s’oppose à la vie en province avec le terme « la terre ».
Le dévoilement est en fait manifeste. Pas de phrase allusive, ni de sous-entendu, l’auteur se fait percutant avec la mise en apposition des deux critiques qu’il forme à l’égard de ce comportement : « Artifice grossier, finesses usées, ». Il décompose la feinte avec l’emploi du mot artifice utilisé au singulier qui inclut des manœuvres dont le pluriel nous est proposé avec « finesses ». Dans les deux cas, les adjectifs épithètes sont péjoratifs « grossier » « usées ». La condamnation de La Bruyère est implacable.
Pour démontrer l’évidence de la supercherie, il se fonde sur son caractère éculé avec les locutions de temps « tant de fois » et l’usage du passé composé qui part du passé pour se poursuivre au présent. C’est une manœuvre très à la mode dans la comédie sociale qui se joue à Versailles. Personne n’est dupe, mais tout le monde feint la surprise…
L’auteur entend démonter le système en prenant le contrepied des premiers procédés utilisés :