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Analyse-Livres & Auteurs-Culture

Les plaisirs de la table : de l'art de recevoir sans dépenser beaucoup (l'avare, Molière)

Dans l'Avare de Molière, relisons la scène savoureuse et d'anthologie où Harpagon, le maître des lieux convoque son cuisinier, Maître Jacques, pour l'organisation d'un repas, prémices à son propre mariage avec Marianne : le budget est plus que serré...

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litteratus

 

repères : thème de la nourriture : présentation

Plan

Il vous est proposé au cours des articles qui vont être publiés durant cette première quinzaine de vous intéresser aux plaisirs de la table avec une série d'articles divers :

Avare de Molière

Voyons aujourd'hui -sans tabou- le coût de la dépense à effectuer.

Harpagon (nom emprunté au latin harpago « harpon », au figuré « rapace »*), le bien nommé, se trouve dans cette même situation.

Assistons à la savoureuse scène où le maître des lieux convoque son cuisinier, Maître Jacques, pour l'organisation d'un repas, prémices à son propre mariage avec Marianne.

Vient la discussion sur les mets.  Harpagon n'aime pas à dépenser ; mais Maître Jacques connaît, lui, le prix des choses...

Prenant le parti de Harpagon qu'il cherche à flatter pour obtenir la main de sa fille, Elise, les mots de Valère donnent à cette scène une tournure mordante.

De l'art de recevoir lorsqu'on est mesquin : une scène d'anthologie à relire...

Acte 3 scène V

"(...)

Harpagon
Je me suis engagé, maître Jacques, à donner ce soir à souper.

Maître Jacques à part.
Grande merveille !

Harpagon
Dis-moi un peu : nous feras-tu bonne chère ?

Maître Jacques
Oui, Si vous me donnez bien de l’argent.

Harpagon
Que diable, toujours de l’argent ! Il semble qu’ils n’aient autre chose à dire : De l’argent, de l’argent, de l’argent ! Ah ! ils n’ont que ce mot à la bouche, de l’argent ! toujours parler d’argent ! Voilà leur épée de chevet, de l’argent !

Valère
Je n’ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà une belle merveille que de faire bonne chère avec bien de l’argent ! C’est une chose la plus aisée du monde, et il n’y a si pauvre esprit qui n’en fît bien autant ; mais, pour agir en habile homme, il faut parler de faire bonne chère avec peu d’argent.

Maître Jacques
Bonne chère avec peu d’argent !

Valère
Oui.

Maître Jacques à Valère.
Par ma foi, Monsieur l’intendant, vous nous obligerez de nous faire voir ce secret, et de prendre mon office de cuisinier ; aussi bien vous mêlez-vous céans d’être le factotum.

Harpagon
Taisez-vous. Qu’est-ce qu’il nous faudra ?

Maître Jacques
Voilà monsieur votre intendant qui vous fera bonne chère pour peu d’argent.

Harpagon
Haye ! Je veux que tu me répondes.

Maître Jacques
Combien serez-vous de gens à table ?

Harpagon
Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit : quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.

Valère
Cela s’entend.

Maître Jacques
Eh bien ! il faudra quatre grands potages et cinq assiettes… Potages… Entrées.

Harpagon
Que diable ! voilà pour traiter toute une ville entière.

Maître Jacques
Rôt…

Harpagon mettant la main sur la bouche de maître Jacques.
Ah ! traître, tu manges tout mon bien.

Maître Jacques
Entremets…

Harpagon mettant encore la main sur la bouche de maître Jacques.
Encore ?

Valère à maître Jacques.

Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? et Monsieur a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ? Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux médecins s’il y a rien de plus préjudiciable à l’homme que de manger avec excès.

Harpagon
Il a raison.

Valère
Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c’est un coupe-gorge qu’une table remplie de trop de viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l’on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu’on donne ; et que, suivant le dire d’un ancien, "il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger" .

Harpagon
Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t’embrasse pour ce mot. Voilà la plus belle sentence que j’aie entendue de ma vie : « Il faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi… » Non, ce n’est pas cela. Comment est-ce que tu dis ?

Valère
Qu’« il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. »

Harpagon à maître Jacques.
Oui. Entends-tu ? (À Valère.) Qui est le grand homme qui a dit cela ?

Valère
Je ne me souviens pas maintenant de son nom.

Harpagon
Souviens-toi de m’écrire ces mots : je les veux faire graver en lettres d’or sur la cheminée de ma salle.

Valère
Je n’y manquerai pas. Et, pour votre souper, vous n’avez qu’à me laisser faire : je réglerai tout cela comme il faut.

Harpagon
Fais donc.

Maître Jacques
Tant mieux ! j’en aurai moins de peine.

Harpagon à Valère.
Il faudra de ces choses dont on ne mange guère, et qui rassasient d’abord : quelque bon haricot bien gras, avec quelque pâté en pot bien garni de marrons.

Valère
Reposez-vous sur moi.(...)3

L'avare, Molière , acte 3 scène V

http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Avare_%28Imprimerie_nationale%29#Sc.C3.A8ne_2_3

*http://www.cnrtl.fr/etymologie/harpagon

 

 

 

 

 

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L
<br /> <br /> "Il faut manger pour vivre  et non pas vivre pour manger ": c'est la devise de tous les diététiciens et autres faiseurs de régimes ...<br /> <br /> <br /> http://maisondeliza.over-blog.fr<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
L
<br /> <br />  la même scène à voir : http://www.youtube.com/watch?v=Cr_BXOqUz9Y<br /> <br /> <br /> <br />