5 Février 2010
Le thème de la justice nous permet aussi de découvrir un drôle d'accusé, personnage de la pièce comique d'Aristophane intitulée Les Guêpes.
Repère : thème de la justice : présentation
Après avoir vu précédemment le cas limite du procédurier, il nous reste aujourd'hui à découvrir un accusé hors norme.
La Gazette vous propose d'assister au procès d'un accusé d'un genre particulier qui refuse d'assurer sa défense...
Un sourd, un désespéré, nullement !
Il s'agit d'un litige dirigé contre un chien ! Oui, vous avez bien lu !
Découvrez un extrait d'une pièce comique d'Aristophane intitulée Les Guêpes.*
Précisons brièvement l'intrigue : Bdélykléôn retient enfermé son père, Philokléôn, chez lui. Ce dernier, juge de son état, est atteint d'une maladie grave qui consiste à vouloir rendre la justice toute la journée...
En désespoir de cause, son fils lui propose de se pencher sur le cas d'un larcin commis par Labès, le chien de la maisonnée....
Un procès surréaliste !
Appréciez l'impartialité du juge et découvrez le témoin providentiel dans cette intéressante affaire...
***
« Bdélykléôn : Non pas, mais il me paraît être dans la même situation que jadis Thoukydidès accusé. Ses mâchoires furent tout à coup paralysées. Retire-toi; c'est moi qui présenterai ta défense. Il est difficile, citoyens, de faire l'apologie d'un chien calomnié; je parlerai cependant. C'est une bonne bête, et il chasse les loups.
Philokléôn : C'est un voleur et un conspirateur.
Bdélykléôn : Par Zeus! c'est le meilleur des chiens d'aujourd'hui, capable de garder de nombreux moutons.
Philokléôn : A quoi cela sert-il, s'il mange le fromage?
Bdélykléôn : Oui, mais il se bat pour toi, il garde la porte, et il excelle dans tout le reste. S'il a fait un larcin, pardonne-lui. Il est vrai qu'il ne sait pas jouer de la kithare**.
Philokléôn : Moi, je voudrais qu'il ne sût pas lire, pour ne pas nous faire l'apologie de son crime.
Bdélykléôn : Écoute, juge équitable, mes témoins. Monte, racloir à fromage, et parle à haute voix. Tu exerçais alors la charge de payeur : réponds clairement. N'as-tu pas raclé les parts que tu avais reçues pour les soldats? Elle répond qu'elle les a raclées.
Philokléôn : Mais, par Zeus! elle ment.
Bdélykléôn : Juge compatissant, prends pitié des malheureux. Notre Labès ne vit que de têtes et d'arêtes de poissons; jamais il ne demeure en place. L'autre n'est bon qu'à garder la maison : il reste là, attendant ce qu'on apporte et en demandant sa part; autrement, il mord.
Philokléôn : Ouf! quel mal me prend qui fait que je m'attendris? Le malaise dure, et je me sens convaincre.
Bdélykléôn : Ah! je t'en conjure, pitié pour lui, mon père ! Ne le sacrifiez point. Où sont les enfants? Montez, malheureux! jappez, priez, suppliez et pleurez! » (...)
Épilogue : Philokléôn se laissant attendrir va finir par acquitter le pauvre chien tout en conservant des scrupules : « Comment, en face de moi-même, supporterai-je l'idée d'avoir absous un accusé? Qu'adviendra-t-il de moi? O dieux vénérés, accordez-moi mon pardon : c'est malgré moi que je l'ai fait: ce n'est pas mon habitude... »
Les Guêpes, Aristophane (423 avant JC)
https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Gu%C3%AApes_(trad._Eug%C3%A8ne_Talbot)
*Cette pièce est une véritable satire de la corporation judiciaire.
Elle inspirera Racine sa pièce, Les plaideurs cf. La justice humaine (II) : les plaideurs (Racine)
** instrument à musique.
repère à suivre : l'heure de la plaidoirie