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Analyse-Livres & Auteurs-Culture & Éducation par la littérature

Gazette littéraire

Analyse linéaire de “Sensation “de Rimbaud

Le poème se décompose en deux quatrains (strophe classique) isométriques de 12 pieds (alexandrins : syllabes idéales) qui soulignent le respect de la tradition classique par l’auteur. On peut décomposer logiquement le poème en 2 parties : le départ (strophe 1) et l’ailleurs  (strophe 2).

Sensation, Rimbaud, analyse, linéaire
Poème recopié par Rimbaud, British Library, Londres

 

repère : Rimbaud : analyse linéaire

Plan

Il convient de rappeler que notre dossier traite des points suivants : 

Découvrons l’analyse du poème intitulé, Sensation, au travers du contexte dans lequel il a été composé, puis en découvrant la méthode qui permet de comprendre en profondeur le texte.

Contexte

Ce poème appartient au premier cahier ; il porte la date de mars 1870.

On sait qu’il a été adressé le 24 mai 1870 par Rimbaud à un poète parnassien célèbre, Théodore de Banville, que le jeune poète révérait tout particulièrement.

C’est un texte qui comporte, en outre, des références à Baudelaire (cf. poème A bien loin d’ici de Baudelaire dans les Fleurs du mal).

Méthode

Il vous est proposé d’appliquer la méthode des 6 GROSSES CLEFS©. Il s’agit de colorier le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant : 

       6           GROSSES                                      CLEFS

Gr : grammaire                               C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SE : les 5 sens                            FS : figures de style

 

Sensation

 

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,      

Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :

Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue

 

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien

Mais l’amour infini me montera dans l’âme,  

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien

Par la Nature, — heureux comme avec une femme.  

A

B

A

B

 

C

D

C

D

12 syllabes : alexandrins
 

 

Par ailleurs, il s’agit d’un poème, il faut vous rappeler l’acronyme SPRR : Strophe-Pieds- Rime- rythme.

Ces 4 balises se décomposent en deux parties :

- La structure formelle du poème : strophes et pieds

- Les effets de la poésie : rimes et rythmes.

Analyse

Problématique : comment dans Sensation une esthétique du mouvement et d'errance se met-elle en place ? 

Le poème se décompose en deux quatrains (strophe classique) isométriques de 12 pieds (alexandrins : syllabes idéales) qui soulignent le respect de la tradition classique par l’auteur. 

On note que c’est un poème de 8 vers de 12 pieds donnant ainsi une forme horizontale, traduisant la durée, l’étendue sans fin d’un bonheur vécu.

Ce sont, en outre, des rimes pauvres avec un seul son en commun, mais qui respectent l’alternance des rimes masculines/féminines avec le caractère embrassé donnant, cette fois, un caractère lyrique au registre convoqué par l’auteur.

On peut décomposer logiquement le poème en 2 parties :

  • le départ (strophe 1)
  • l’errance  (strophe 2)
  1. Le départ

Le poète forme un rêve précis (A) qui convoque des sens particuliers (B) et un champ lexical précis (C).

A.un rêve

Ce souhait découle de l’expression subjective du poète, de l’emploi du futur simple qui est le seul temps utilisé tout au long du poème et enfin de la douceur des allitérations. 

  • la subjectivité

Le poète prend lui-même la parole par le recours au pronom personnel “je” et l’emploi des deux possessifs “mes pieds”/”ma tête”. 

Il se définit lui-même : il se voit ainsi comme un être sensible avec l’adjectif mis en apposition, “rêveur”.  

Mais le poète effectue en rêve un mouvement libre : il le fait au travers de la proposition infinitive “j’irai () fouler” qui présente une fonction de but. Cette subjectivité du poète s’appuie en outre sur la conjugaison.

 la conjugaison

La valeur du futur ”j’irai/je sentirai” concerne un projet encore inabouti ; c’est davantage un rêve détaché de toute contingence. Il expose la part secrète qu’il porte en lui avec ces deux verbes opposés l’un évoquant le mouvement, “j’irai”, et l’autre l'immobilisme avec l’évocation d’une impression “je sentirai”.

Le choix de la nuit “les soirs” indique bien le caractère irréel de l’entreprise tout comme la saison choisie, “l’été”. Rimbaud a donc choisi une temporalité douce propice à l’évasion de l’esprit. 

  • la douceur 

Cette douceur transparaît par l’utilisation des allitérations en l, m, s, p. Les deux premières donnent un sentiment de légèreté, “fouler l’herbe menue” , le s donne la fraîcheur “sentiers à laquelle l’allitération en p apporte un ton joueur “Picoté par”, cela donne donc une impression d’innocence.

B. Deux sens particuliers

Rimbaud convoque deux sens dans ce quatrain, la vue et le toucher. Ces deux sens sont d’inégale importance.

  • La vue

Le premier vers évoque la nuit avec le recours à une couleur “les soirs bleus”. Ce sens précis joue le rôle de déclencheur de l’activité onirique avec le déterminant défini pluriel “les” indiquant le caractère répétitif de l'expérience sensorielle. C’est le toucher qui est en fait le but recherché.

  • le toucher

Rimbaud recherche une sensation précise comme le suggère le titre de ce poème mis au singulier. Et c’est bien le toucher qui est exprimé.  Il l’est à plusieurs reprises :  le participe passé “picoté par les blés” donne un aspect tout à fait passif à l’action délibérément subie par le poète, lequel dans le vers 4 entend totalement lâcher prise avec la tournure “Je laisserai le vent baigner. Notons que cette sensation est un peu désagréable avec la petite piqûre “picoté”  qu’elle procure ; elle s’oppose clairement à la suivante. 

L’auteur emploie, en effet, une autre tournure avec les infinitifs  “fouler/”baigner” : les deux verbes offrent, cette fois, un sens agréable. Le plaisir qui en découle est immédiat l’un au sens propre “fouler l’herbe”, l’autre avec la métaphore évocatrice “le vent baigner ma tête “. Enfin l’emploi de la tournure conjuguée ”sentirai” exprime un ressenti simple.

C’est donc une sensation purement physique qui est recherchée par l’entremise du corps : pieds/tête. Notons l’opposition entre les deux extrémités et le choix de présenter le mouvement de bas “pieds” en haut “tête” : la sensation est d’abord éprouvée par le corps pour aboutir à la tête. Le dernier vers de la poésie amène à la gradation finale “l'âme” (vers 8). On accède par ailleurs à un champ lexical précis.

C. le champ lexical

Pour asseoir cette pure expérience sensorielle, le poète a choisi un cadre déterminé : la campagne On relève à cet égard l’emploi de termes “sentiers/blés/fraîcheur/herbe/vent”. Ce champ lexical sera rappelé dans le quatrain suivant avec au dernier vers “la Nature”.

On relève dans un autre domaine que les assonances ont pour effet de donner de la fraîcheur au poème avec l’opposition entre le son é et è, “d’été, j’irai” qui sont disséminés dans ce premier quatrain. Mais l’expérience corporelle mène à un autre état, l’errance.

  1. L’errance

L’expérience sensorielle cesse pour mener à un état de conscience particulier (A) conduisant à une ouverture au monde (B). 

  1. Un nouvel état de conscience

Deux conséquences s'imposent au poète, la contemplation et l’envahissement d’un sentiment de bien-être.

  • contemplation

Au vers 5, le poète parvient à ressentir un état de conscience tout à fait particulier. Pour cela, Rimbaud utilise deux tournures négatives “ne parlerai pas/ne penserai rien” : cela tranche avec les deux tournures affirmatives du premier quatrain. On a ainsi un être réduit au silence avec “ne parlerai pas” qui se livre ensuite au vide avec “ne penserai rien”. Relevons l’équilibre classique du vers avec la virgule à l’hémistiche.

On relève, en outre, une  gradation entre “pas/rien”, c’est-à-dire d’une perspective d’absence à une perspective du néant complet. Le poète entend donc vivre un instant tout en retenue avec l’opposition entre deux verbes “parler/penser” qui sont le propre de l’homme, mais pas du poète. 

Il entend désormais se situer en dehors de ces deux états. C’est à une expérience intérieure, de contemplation, qu’il se livre désormais. Les deux points de la ponctuation nous indiquent que c’est une étape qui mène à un but.

  • Un sentiment de béatitude

Cette aspiration à faire silence mène à un but précis comme l’indique la tournure de concession “mais” de la conjonction de coordination. La suite des vers présente désormais un sens positif.  

Il ressent désormais un sentiment de bien-être exprimé par le groupe nominal “l’amour infini” : le déterminant défini suggère qu’il s’agit d’un sentiment unique, le plus haut si l’on considère l’adjectif épithète “infini”. Si le silence et le vide signifiaient l’immobilisme, la béatitude nouvelle relève d’un mouvement. Ce dernier se révèle ascendant avec le verbe “montera”.  Et ce n’est plus le corps qui est convoqué, mais la partie intime, “l’âme”. On peut parler de gradation entre les pieds/la tête (1e quatrain) et l'âme. Mais ce sentiment de bonheur ne s’arrête pas là.

  1. une ouverture au monde 

C’est avec une nouvelle conjonction de coordination “Et” que les deux derniers vers sont introduits vers un ailleurs et vers le bonheur. 

  • l’ailleurs

Le poète se voit détaché des contingences terrestres : là, il s’imagine ailleurs dans un mouvement qui s’incarne avec le verbe aller “j’irai”. 

Ce mouvement se situe dans une ligne horizontale avec l’adverbe loin qui joue la fonction de complément circonstanciel de lieu. Cet ailleurs n’a pas besoin de localisation précise, il a juste besoin d’exister. L’errance est source de création et son importance a conduit le poète à amplifier son effet avec l’adjonction de l’adverbe “bien” qui accentue la répétition “loin”. Le respect de l’hémistiche donne une force lyrique au vers. 

L’ailleurs se veut ainsi sans limites, ce qui le conduit à ébaucher une comparaison éclairante avec “comme un bohémien” : à l’époque du poète, les gens du voyage étaient mal perçus par la population. La référence de Rimbaud est donc assez transgressive. Elle choque délibérément. Par comparaison, le poète accède ainsi à une liberté sans attache dans sa création, dans son art. Cet ailleurs poétique est source aussi de bonheur.

  • le bonheur

On a vu que le poète accède à un état de disposition de création, libre et sans contingence. C’est la source de son bonheur comme Rimbaud nous invite à le comprendre avec la deuxième comparaison heureux comme avec une femme “: on relève que cette écriture poétique se libère de la règle de la césure puisque la virgule et le tiret bouleversent l’équilibre du vers. 

On note également que les comparaisons s’opposent “un bohémien/une femme”, un homme vu de manière péjorative/une femme présentée de manière méliorative.

Rimbaud réduit les allitérations et les assonances qui perdent en intensité : dans ce deuxième quatrain, on gagne ainsi en simplicité avec moins d’effets recherchés. Une seule assonance en “ai” qui suffit à exprimer le bonheur obtenu. C’est enfin par le truchement de “la Nature”, devenue une allégorie comme le suggère la majuscule, que le poète peut parvenir à sa propre destinée. On note que le poème s’achève par ce même champ lexical que celui employé au début avec “les sentiers”/”les herbes”. 

repère à suivre : analyse linéaire : le Mal (Rimbaud)

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