Analyse-Livres & Culture pour tous
22 Juillet 2009
Différentes conceptions de l'amitié seront étudiées au travers de deux livres, Vagabonds de Knut Hamsun publié en 1927 et Narcisse et Goldmund d'Hermann Hesse publié en 1930. Deux formes d'amitié distinctes mais qui ont en commun un esprit de liberté.
(L'amitié Picasso, 1908, l'Ermitage, Saint-Petersbourg)
Repères : thème de l'amitié : l'étude
Selon la tradition classique, l'amitié qui met en scène la relation que l'on entretient avec autrui peut être classée en trois grandes catégories en fonction de l'utilité, du plaisir et de la vertu.
La première amitié portant sur l'intérêt constitue un attachement précaire et matériel. La deuxième qui se fonde sur le divertissement revêt aussi un caractère fragile. Enfin, l'amitié comprise comme une vertu est le sentiment noble et durable par excellence.
Ces différentes conceptions de l'amitié seront étudiées au travers de deux livres :
Voici deux formes d'amitié distinctes, mais qui ont en commun un esprit de liberté.
Débutons par Vagabonds de Knut Hamsun
Dans un village pauvre de Norvège près des îles Lofoten, August, homme d'un âge mûr, aventurier, musicien et mythomane, se lie d'amitié avec Edevart, jeune garçon naïf mais ingénieux. August est un enfant du village parti depuis de nombreuses années sur toutes les mers avec en tête des récits merveilleux. Edevart tombe littéralement sous le charme de cet homme atypique qui lui ouvre l'esprit et lui offre enfin la perspective de mener une existence libre. Il est fasciné par l'apparence physique du nouveau-venu :
« Ayant été blessé à la bouche, August avait eu quelques dents cassées. Il avait réparé tant bien que mal cet accident en laissant pousser sa moustache, en se faisant poser une série de dents en or : un bridge. Edevart n'avait jamais vu de dents aussi magnifiques; il méditait de s'en acheter de pareilles quand il aurait fait assez d'économies. August lui raconta où il s'était procuré les siennes et lui en cita le prix. Ce n'était pas une bagatelle ; il lui avait fallu des mois et des années pour réunir la somme. » (1ère partie, chapitre 1, page 15)
Les deux hommes décident d'unir leur destinée en montant un commerce itinérant de peaux. lls connaissent ensemble une vie de vagabonds, incertaine sur le plan matériel mais riche en évènements. La vie d'errance use néanmoins l'amitié entre les deux personnages. Cette amitié va les conduire à une séparation douloureuse mais nécessaire :
« Le départ d'August laissait un vide à son côté. En deux années d'existence commune avec son camarade, il avait beaucoup appris ; ses vues s'étaient élargies. Son village natal ne représentait plus le monde pour lui. Il avait observé beaucoup de gens, des bateaux, des villes, des pays. August avait été un compagnon affable et singulier. Bon voyage pour lui !
Un peu désorienté, Edevart se promenait sur le pont du bateau ; il se sentait triste et abandonné. » (1ère partie, chapitre 4, page 105)
Les deux amis mènent alors parallèlement une vie de vagabonds sur les routes et sur les mers vivant de petits trafics et d'autres expédients. Ils partagent séparément la même destinée d'errant. S'ils se retrouvent avec plaisir d'année en année au gré du calendrier des foires locales, cette amitié a néanmoins évolué. Ils ne s'agit plus de partager que des moments d'agrément. Les revers de fortune et les difficultés financières vont conduire les amis à mettre en commun leurs maigres ressources pour relancer leurs affaires respectives. Ils deviennent à cet égard utiles l'un à l'autre.
Ils partagent parfois même leur mauvais sort dans des circonstances particulièrement téméraires:
« Les deux camarades ne devaient pas oublier cette nuit, quoiqu'il ne leur fût rien arrivé de fâcheux. Il était clair pour eux désormais qu'ils étaient engagés dans la voie de la perdition. August lui-même, qui faisait le brave, eut pendant longtemps des nuits agitées. Il n'avait aucune expérience du métier de violateur de sépultures et il était très ému. Il savait qu'il devait travailler vite et en silence, se garder de parler haut, de peur de faire vibrer les vitraux de l'église, s'abstenir de jurer s'il s'égratignait à un clou, avoir une volonté ferme de ne pas se laisser arrêter par les objections de son camarade. » (2ème partie, chapitre 8, page 431)
Cependant, cette amitié fondée sur l'utilité ne les rend pas plus proches l'un de l'autre. La vie de vagabondage qu'ils ont menée conduit en effet les personnages à vivre des expériences si singulières qu'elles ne peuvent être nullement partagées. Il reste des êtres solitaires. Leur amitié n'est pas de nature à briser leurs rêves fous : les deux hommes suivront ainsi leur propre destinée dans des lieux lointains.
Ce sont des personnages déracinés terriblement attachants. A la lecture de Vagabonds, on comprend aisément que la liberté ne supporte aucune contrainte même celle de l'amitié.
Dans l'article suivant, nous découvrirons une autre forme d'amitié entre Narcisse et Goldmund, roman de Herman Hesse.
repère à suivre : Narcisse et Goldmund de Herman Hesse.
* les cahiers rouges, Grasset édition 1985
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