Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Analyse-Livres & Auteurs-Culture & Éducation par la littérature

Gazette littéraire

Le dialogue de sourds dans l’intermède de “Juste la fin du monde” (Lagarce)

Jean-Luc Lagarce instaure un intermède dans son drame, mais il ne cherche pas à en faire un élément proprement divertissant : on assiste  ainsi à un curieux changement de rythme, où les différents protagonistes se cherchent, se parlent, mais sans se s’entendre ou se comprendre  : on en arrive à l’instauration d’un véritable dialogue de sourds.

juste la fin du monde, Lagarce, dialogue de sourds, intermède, étude, analyse

repère : JL Lagarce : analyse

Dans l’article précédent, nous nous sommes intéressés à la crise du langage tout en rappelant la problématique choisie : en quoi ce drame est-il placé sous le signe de l’étrangeté ? 

Nous avons analysé les procédés de forme et de fond conduisant à la perturbation du discours. Aujourd'hui, nous nous intéresserons à l’intermède situé entre la 1ere et la 2eme parties qui fait surgir un dialogue de sourds.

Intermède

Jean-Luc Lagarce puise dans le répertoire classique pour créer un intermède. Au théâtre, un intermède se veut une interruption de l’illusion théâtrale au travers d’un moment de divertissement (opérette, carnaval, commedia dell'arte etc…). On en trouve notamment dans les comédies de Molière.  

Jean-Luc Lagarce renoue avec ce genre pour l’insérer dans son drame, mais il ne cherche pas à en faire un élément proprement divertissant. 

En effet, on assiste à un véritable changement de rythme, une sorte de danse désarticulée. De manière étourdissante, les différents protagonistes se cherchent, se parlent, mais sans se s’entendre ou se comprendre  : on arrive à l’instauration d’un véritable dialogue de sourds.

Rythme

On a vu dans la composition de la pièce que l’intermède comporte 9 scènes toutes brèves avec deux ou trois protagonistes en action. Durant cette séquence intermédiaire, les personnages se cherchent dans la maison.

Le mouvement dans l’espace est saturé de mots : « je vous cherchais », « Où est ce qu’ils sont ? » « Où est-ce que vous allez ? » « Reviens ». 

L’auteur joue avec l’absence/présence dans une frénésie baroque, pleine d’ironie.

Cela illustre le dialogue de sourds entre eux.

Nous reprenons quelques extraits avec la méthode des 6 GROSSES CLEFS ©qui se décompose comme suit : 

Gr : grammaire                               C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SE : les 5 sens                            FS : figures de style

La mère

Ainsi, la Mère appelle Louis dans les scènes 1 et 3 : on voit deux sens qui sont convoqués (l'ouïe et la vue), on n'a pas compris et on ne se voit pas. Cette incompréhension repose sur les deux interrogations qui enserrent une phrase négative : le dialogue de sourds ainsi visible est consommé par l'absence de réponse de Louis qui est pourtant interpelé.

LA MERE.—Qu’est-ce que tu as dit ?

Je n’ai pas entendu, répète,

est-ce que tu es ?

Louis !

(Intermède, scène 1)

Suzanne

De son côté, Suzanne cherche son frère Antoine et à la différence de la première scène, le trouve. On retrouve le sens de l'ouïe qui est ultra présent :  une scène est rapportée par  Suzanne, absente à ce moment là. Trois pronoms personnels s'alternent, le je (de Suzanne) et le tu (Antoine) pour aboutir à une conclusion du "vous" (les deux frères). La dernière phrase signifie que la dispute signe les retrouvailles entre les deux frères.

SUZANNE.—Je t’entendais, tu criais,

non, j’ai cru que tu criais,

je croyais t’entendre,

je te cherchais,

vous vous disputiez, vous vous êtes retrouvés.

(Intermède, scène 2)

Catherine

Elle cherche son mari et les autres membres de la famille : on retrouve les mêmes remarques que précédemment. On ajoute la ronde des pronoms personnels avec cette fois "ils", et le pronom impersonnel "on" outre la tournure "tout le monde" : on a l'impression de changer d'échelle avec ce grand nombre. Enfin, la notion de labyrinthe est restituée avec la tournure au subjonctif "que nous soyons perdus."

CATHERINE.— est-ce qu’ils sont ?

LOUIS.—Qui ?

CATHERINE.—Eux, les autres.

Je n’entends plus personne,

vous vous disputiez, Antoine et vous,

je ne me trompe pas,

on entendait Antoine s’énerver

et c’est maintenant comme si tout le monde était parti

et que nous soyons perdus.

(Intermède, scène 5)

Dialogue de sourds

Durant cet intermède, les personnages se parlent, mais ne s’entendent pas : 

"qu'est-ce que tu dis ? “ (scène 8). 

En fait, les protagonistes ne se comprennent pas. Durant ce temps, les mots perdent en effet tout leur sens. 

La dernière scène de l'intermède témoigne de cette impossibilité de communiquer. On s’appelle en somme pour ne rien dire : On rappelle que lors de la scène 1 de l'intermède, les deux protagonistes se cherchaient, à la dernière, ils se retrouvent enfin.

LA MERE.—Louis.

Tu ne m’entendais pas ? Jappelais.

LOUIS.—J’étais là. Qu’est-ce qu’il y a ?

LA MERE.—Je ne sais pas.

Ce n’est rien, je croyais que tu étais parti.

(Intermède, scène 9)

Ce dialogue de sourds repose les deux interrogations l’une négative qui donne une réponse affirmative "j'étais là” et l’autre affirmative qui débouche sur deux phrases négatives :  “Je ne sais pas. Ce n’est rien”.

Durant cet intermède, Louis reste le plus silencieux comme étranger à cette situation baroque :  il n’est pas vraiment sorti de son espace intérieur comme nous le verrons avec le recours aux monologues…

Dans l'article suivant, nous montrerons que la crise du langage aboutit à une forme de violence.

repère à suivre : la violence dans “juste la fin du monde” (Lagarce).

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article