25 Juin 2022
Dans “juste la fin du monde”, Jean-Luc Lagarce truffe son texte de deux sortes de procédés de forme qui constituent des obstacles à la communication intrafamiliale : les répétitions (cf. partie 1, scène 1,) et les interventions intempestives (cf. partie 1, scène 4), ce qui a pour effet de créer un effet de malaise et d'étrangeté.
repère : JL Lagarce : analyse
Dans l’article précédent, nous nous sommes intéressés à la crise du langage tout en rappelant la problématique choisie : en quoi ce drame est-il placé sous le signe de l’étrangeté ?
Aujourd’hui, nous allons nous intéresser aux procédés de forme qui constituent des obstacles à la communication intrafamiliales :
L’effet recherché consiste à créer un effet de malaise dans ce huis clos familial : la discussion est lente, laborieuse. Mais l’auteur ajoute à cette difficulté à dire des interventions des personnages qui se coupent la parole. Là encore, l’effet escompté est d’instaurer un climat de violence larvée. Reprenons ces points si vous le voulez bien.
Il vous est proposé d’analyser le texte en vous fondant sur la méthode des 6 GROSSES CLEFS ©qui se décompose comme suit :
Gr : grammaire C : Conjugaison
OS : oppositions le : champ lexical
SE : les 5 sens FS : figures de style
Dès la scène 1 de la première partie, les membres de la famille se retrouvent dans un exercice de présentation de Catherine, l’épouse du frère cadet, à Louis. Et c’est la jeune Suzanne qui s’en charge.
L’auteur utilise le procédé de la répétition qui donne un rythme lent et lourd. Le ton est pesant.
“SUZANNE. C’est Catherine.
Elle est Catherine.
Catherine, c’est Louis.
Voilà Louis.
Catherine.
(Partie 1, Scène 1, lignes 1 à 5)
Ces premiers mots révèlent la gêne perceptible dans ces retrouvailles familiales. L’auteur a ainsi choisi de placer cette scène, de manière décalée, dans le cadre de la bienséance et du savoir-vivre. Cela donne un effet particulièrement superficiel.
Mais en creux, on peut chercher une autre signification : cette façon protocolaire d’agir est une manière d’évoquer la durée de l’absence de Louis puisque ce dernier découvre sa belle-sœur, entrée pourtant dans la famille depuis plus de huit ans. On voit donc que les répétitions servent à dire autre chose que ce qui est dit vraiment.
À côté de cette figure de style, on trouve aussi des perturbations du discours s’effectuant par le choix de l’auteur de recourir à des interventions intempestives.
Le texte comprend, en effet, des dialogues qui s'immiscent dans le propos principal. Ils sont intempestifs, car ils sont inopportuns : ils ne visent pas à apporter des informations nécessaires. Au contraire, le ton est déplacé, familier.
À la différence des répétitions donnant un rythme lent, les interventions sont, à l’image des stichomythies, rapides. Voyons un exemple, si vous le voulez bien. Reprenons la scène première des retrouvailles :
“LA MERE. ─ Le dimanche...
ANTOINE. ─ Maman !
LA MERE. ─ Je n’ai rien dit,
je racontais à Catherine.
Le dimanche...
ANTOINE. ─ Elle connaît ça par cœur.
CATHERINE. ─ Laisse-la parler,
tu ne veux laisser parler personne.
Elle allait parler. (...)”
(Partie 1, Scène 4, lignes 1-9)
Dans ce passage, Antoine intervient pour ajouter de l’embarras à la situation déjà tendue. Pour cela, le recours à la ponctuation avec les points de suspension et d’exclamation témoigne de cette entreprise de confiscation de la parole.
Il faut l'intervention de Catherine pour faire taire son mari. Cette dernière obtient laborieusement le silence d’abord par la répétition du mot “parler”, puis l’alternance de modes (impératif/indicatif) outre de temps (présent/imparfait) et enfin par l’alternance entre phrase affirmative et négative. Antoine ne peut donc que se taire ;
On comprend que les interventions intempestives des personnages interviennent à la seule fin d'empêcher les autres de s’exprimer. Quel effet cela produit-il ? Cela conduit à créer ou entretenir le malaise perceptible tout le long de cette pièce.
Ce sentiment est précisément exprimé par Louis, au début de la pièce. Il l'exprime après que son frère Antoine a coupé la parole de sa femme lors de l’évocation de leurs enfants.
“LOUIS. ─ C’est pénible, ce n’est pas bien.
Je suis mal à l’aise,
excuse-moi,
excusez-moi,
je ne t’en veux pas, mais tu m’as mis mal à l’aise et là,
maintenant,
je suis mal à l’aise.”
(partie 1, scène 2)
On retrouve les procédés évoqués précédemment, répétitions, phrases négatives qui disent le malaise créé par les interruptions d’un des protagonistes. Mais cette manière de s’exprimer ajoute un surplus d’inconfort pour le lecteur. Louis entre dans le même schéma de fonctionnement que sa famille ; ils s’expriment comme eux…
On trouve aussi dans la pièce des éléments de fond pour nourrir le dialogue entre les membres de la famille.
repères à suivre : l’insignifiance apparente des paroles échangées dans “juste la fin du monde” (Lagarce)