Analyse-Livres & Culture pour tous
9 Mai 2019
Le thème du peuple nous conduit aussi à l'examen d'une thèse développée par La Boetie relative à la servitude volontaire du peuple à l'égard de son souverain. Il est intéressant de comprendre ce que signifie ce concept avant d'aborder l'incroyable destinée de cette théorie au fil des siècles.
Repères : thème du peuple : présentation
La Boétie fonde toute son argumentation sur la tyrannie, en se plongeant dans l’histoire de l’Antiquité. Il explique que la tyrannie n’existe que du fait du consentement des individus qui se laissent gouverner soit par habitude, soit par pur profit ou en étant enfin manipulés. L’auteur considère que «les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » L’image est évidemment marquante.
C’est le premier auteur à mettre ainsi en évidence les rapports de force en présence. D’un côté, le peuple, composé d’un nombre important de personnes et de l’autre, un homme unique. Le rapport de force penche ainsi vers le nombre. Le peuple n’est-il pas à même de refuser la tyrannie ? C’est la fameuse opposition entre la multitude qui est « contre l’un » (Montaigne).
« Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir ; non pas être gouvernés, mais tyrannisés ; n’ayant ni biens ni parents, femmes ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux ! souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d’une armée, non pas d’un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d’un seul ; »
Il suffit alors pour l’auteur de tirer toutes les conséquences utiles de ce rapport des forces. Le peuple par son nombre est plus fort que le Tyran. Il suffit de ne plus prêter le moindre concours.
« Encore ce seul tyran, il n’est pas besoin de le combattre, il n’est pas besoin de le défaire, il est de soi-même défait, mais que le pays ne consente à sa servitude ; il ne faut pas lui ôter rien, mais ne lui donner rien ; il n’est pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples mêmes qui se laissent ou plutôt se font gourmander, puisqu’en cessant de servir ils en seraient quittes ; c’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse. S’il lui coûtait quelque chose à recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais point, combien qu’est-ce que l’homme doit avoir plus cher que de se remettre en son droit naturel, et, par manière de dire, de bête revenir homme ; mais encore je ne désire pas en lui si grande hardiesse ; je lui permets qu’il aime mieux je ne sais quelle sûreté de vivre misérablement qu’une douteuse espérance de vivre à son aise. »
Il s’agit d’un texte finalement subversif. Il suffit en effet que le peuple cesse de servir le tyran, pour qu’il perde tout pouvoir. CQFD.
« Les nôtres semèrent en France je ne sais quoi de tel, des crapauds, des fleurs de lis, l’ampoule et l’oriflamme. Ce que de ma part, comment qu’il en soit, je ne veux pas mécroire, puisque nous ni nos ancêtres n’avons eu jusqu’ici aucune occasion de l’avoir mécru, ayant toujours eu des rois si bons en la paix et si vaillants en la guerre, qu’encore qu’ils naissent rois, il semble qu’ils ont été non pas faits comme les autres par la nature, mais choisis par le Dieu tout-puissant, avant que naître, pour le gouvernement et la conservation de ce royaume ; »
Le Discours sur la Servitude volontaire ou la libre destinée d’une œuvre…
Source : La Boétie, Discours sur la Servitude volontaire,
https://fr.wikisource.org/wiki/Discours_de_la_servitude_volontaire/Édition_1922/Discours
repère à suivre : le contrat social entre le peuple et l’État