Analyse-Livres & Auteurs-Culture
Le thème du mouvement dans la littérature nous conduit à examiner la question de la rencontre de deux corps : c'est le choc comme le décrit François Coppée dans cet accident de chemin de fer.
Repères : thème du Mouvement : présentation
Précédemment, nous avons mesuré la portée du terme de la descente en compagnie de Dante. Aujourd'hui, intéressons-nous au choc brutal qui implique la rencontre de deux corps en mouvement.
La Gazette vous propose de lire un texte de François Coppée.
Précisons l'intrigue : Marc Lefort, cheminot mécanicien devenu veuf s'est mis à boire et se pique de politique. Il croit à la lutte des classes et en appelle avec d'autres à l'insurrection, cela suffit pour qu'il se fasse révoquer de son poste. Il doit conduire pour la dernière fois un train transportant les nantis qu'il exècre.
L'extrait qui vous est proposé se situe au moment où le train de notre cheminot va entrer en collision avec un autre...
Que doit-il faire ?
Un choix terrible l'étreint dans la folie du moment...
Qui peut nier encore que la poésie ne vit pas dans des seules contrées éthérées ?
" Le coup
(...) Mais tout à coup, il a frémi, Marc l’intrépide !
Son cœur se crispe ; il sent un frisson le saisir ?
Là ! devant lui... Cet œil de feu qu’il voit grossir,
Grossir !... et ce tuyau qui grandit et se montre !...
Tonnerre ! C’est un train qui vient à sa rencontre !...
Le chauffeur, dont les yeux soudain deviennent fous,
Se jette dans le vide en criant : « Sauvons-nous ! »
― Et le choc aura lieu dans quatre ou cinq secondes...
Le hasard t’interroge ; il faut que tu répondes,
Marc Lefort ! Les patrons, les exploiteurs, ― ces gueux ! ―
Voilà l’occasion de sauter avec eux !
Tu voulais bien, tantôt ? Satisfais ton envie.
Bien plus, tu peux sans doute encor sauver ta vie.
N’es-tu pas leste ? Fais comme ton compagnon.
Tu ne vas pas rester solide au poste ? Non.
Discipline, devoir, honneur ! C’est de la phrase.
Tu les hais, ces bourgeois. Que le train les écrase !
Mais toi, défends ta peau !... Vite !... La mort accourt !
C’est bien court, quatre ou cinq secondes, c’est bien court ;
Mais pendant cet instant, ― cet éclair ! ― la pensée
De Marc par ce désir affreux fut traversée.
Oh ! quel choc ! Les wagons heurtés violemment
Font entendre un sinistre et profond craquement.
Les deux machines ont une lutte effrayante ;
Et, crachant la vapeur, la flamme et l’eau bouillante,
Par leurs flancs où rugit un monstrueux travail,
Les deux dragons de fer se mordent au poitrail.
Comme toujours, dans ces terribles aventures,
Les voyageurs se sont jetés hors des voitures
Et courent en poussant des hurlements d’effroi.
Mais la gare est très proche et se met en émoi.
Par ici !... Du secours !... Enfin, de la lumière !...
Chacun se calme un peu de sa frayeur première.
On s’empresse aux wagons ! Ah ! fort heureusement,
Plus de peur que de mal ! Deux blessés seulement.
Aucun mort. Si, pourtant. Un seul, ― c’est pitoyable ! ―
Le mécanicien de l’express, pauvre diable,
Qu’on trouve, brûlé vif, horrible, agonisant,
Sur les débris de sa machine, dans son sang !
Comme a fait son chauffeur, il pouvait fuir en lâche.
Non ! martyr du devoir, victime de sa tâche,
Jusqu’au dernier moment, ― sûr de mourir, sans peur, ―
Il a serré le frein, arrêté la vapeur ;
Et sans lui, l’accident serait cent fois plus grave.
Certes, autour du mort, on dit : « C’était un brave ! »
Mais elle est brève, hélas ! la pitié des heureux.
Vite, on jette un manteau sur ce cadavre affreux
Dont l’aspect épouvante et dégoûte les dames.
Et nul ne peut savoir que le pire des drames
S’est passé dans cet homme avant qu’il expirât,
Que ce héros fut près d’agir en scélérat,
Qu’un instinct généreux triompha de sa haine,
Que son âme vainquit en lui la bête humaine,
Et qu’entre deux partis à prendre ayant le choix,
Marc l’anarchiste est mort pour sauver les bourgeois !
Le coup de tampon, Les paroles sincères, François Coppée
https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Coup_de_tampon
repère à suivre : le duel (Féval)