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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Combat avec une pieuvre (Hugo)

 

Grotte (oct 2010) Combat avec une pieuvre (Hugo)

 (Grotte, Litteratus) 

Une lutte au couteau

Repères : thème de la mer : présentation

 

Après avoir vu dans l'article précédent, la quête obsessionnelle du capitaine Achab pour retrouver Moby Dick, restons, si vous le voulez bien, avec les monstres marins.

 

Il vous est proposé aujourd'hui de découvrir un texte d'anthologie où l'homme combat contre une pieuvre.

 

Dans les travailleurs de la mer de Victor Hugo, le marin Gilliatt se trouve être la proie de cette bête tentaculaire. Il n'a en sa possession qu'un couteau et son courage pour en venir à bout.

 

C'est un combat à mort où les deux protagonistes s'observent  : « Il regardait la pieuvre, qui le regardait. ».

 

Tout est dit..

***

"Gilliatt avait enfoncé son bras dans le trou ; la pieuvre l’avait happé.

Elle le tenait.

Il était la mouche de cette araignée.

Gilliatt était dans l’eau jusqu’à la ceinture, les pieds crispés sur la rondeur des galets glissants, le bras droit étreint et assujetti par les enroulements plats des courroies de la pieuvre, et le torse disparaissant presque sous les replis et les croisements de ce bandage horrible.

Des huit bras de la pieuvre, trois adhéraient à la roche, cinq adhéraient à Gilliatt. De cette façon, cramponnée d’un côté au granit, de l’autre à l’homme, elle enchaînait Gilliatt au rocher. Gilliatt avait sur lui deux cent cinquante suçoirs. Complication d’angoisse et de dégoût. Être serré dans un poing démesuré dont les doigts élastiques, longs de près d’un mètre, sont intérieurement pleins de pustules vivantes qui vous fouillent la chair.

Nous l’avons dit, on ne s’arrache pas à la pieuvre. Si on l’essaie, on est plus sûrement lié. Elle ne fait que se resserrer davantage. Son effort croît en raison du vôtre. Plus de secousse produit plus de constriction.

Gilliatt n’avait qu’une ressource, son couteau.

Il n’avait de libre que la main gauche, mais on sait qu’il en usait puissamment. On aurait pu dire de lui qu’il avait deux mains droites.

Son couteau, ouvert, était dans cette main.On ne coupe pas les antennes de la pieuvre ; c’est un cuir impossible à trancher, il glisse sous la lame ; d’ailleurs la superposition est telle qu’une entaille à ces lanières entamerait votre chair.

Le poulpe est formidable ; pourtant il y a une manière de s’en servir. Les pêcheurs de Serk la connaissent ; qui les a vus exécuter en mer de certains mouvements brusques, le sait. Les marsouins la connaissent aussi ; ils ont une façon de mordre la sèche qui lui coupe la tête. De là tous ces calmars, toutes ces sèches et tous ces poulpes sans tête qu’on rencontre au large.

Le poulpe, en effet, n’est vulnérable qu’à la tête.

Gilliatt ne l’ignorait point.

Il n’avait jamais vu de pieuvre de cette dimension. Du premier coup, il se trouvait pris par la grande espèce. Un autre se fût troublé.

Pour la pieuvre comme pour le taureau il y a un moment qu’il faut saisir ; c’est l’instant où le taureau baisse le cou, c’est l’instant où la pieuvre avance la tête ; instant rapide. Qui manque ce joint est perdu.

Tout ce que nous venons de dire n’avait duré que quelques minutes. Gilliatt pourtant sentait croître la succion des deux cent cinquante ventouses.

La pieuvre est traître. Elle tâche de stupéfier d’abord sa proie. Elle saisit, puis attend le plus qu’elle peut.

Gilliatt tenait son couteau. Les succions augmentaient.

Il regardait la pieuvre, qui le regardait.

En même temps elle avança vivement la tête. Une seconde de plus, sa bouche anus s’appliquait sur la poitrine de Gilliatt. Gilliatt, saigné au flanc, et les deux bras garrottés, était mort.

Mais Gilliatt veillait. Guetté, il guettait.

Il évita l’antenne, et, au moment où la bête allait mordre sa poitrine, son poing armé s’abattit sur la bête.

Il y eut deux convulsions en sens inverse, celle de la pieuvre et celle de Gilliatt.

Ce fut comme la lutte de deux éclairs.

Gilliatt plongea la pointe de son couteau dans la viscosité plate, et, d’un mouvement giratoire pareil à la torsion d’un coup de fouet, faisant un cercle autour des deux yeux, il arracha la tête comme on arrache une dent.

Ce fut fini.

Toute la bête tomba.

Tout à coup la bête détacha du rocher sa sixième antenne, et, la lançant sur Gilliatt, tâcha de lui saisir le bras gauche."

Les travailleurs de la mer, Hugo

http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Hugo_-_Les_Travailleurs_de_la_mer_Tome_II_%281892%29.djvu/225

 

repères à suivre : présentation : la furie des flots (Defoë)

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