Analyse-Livres & Culture pour tous
1 Novembre 2019
L’adversaire d’Emmanuel Carrère constitue l’exact contre-pied au projet de roman non fictionnel initié par Capote. Il s’agit pour l’écrivain de ne pas se cacher derrière une objectivité, mais de narrer les faits en fonction de sa propre sensibilité clairement affichée.
Repères : fait divers : étude
Dans l’article précédent, il a été question des critiques exercées par Emmanuel Carrère sur le roman De sang froid de Truman Capote. Découvrons aujourd’hui L’adversaire, roman du même Emmanuel Carrère, qui choisit un positionnement précis pour aborder ce roman non fictionnel.
L’affaire Romand est ce fait divers qui a vu un homme renoncer à avouer à ses proches le mensonge d’une vie, celle d’une fausse carrière de médecin à l’OMS. Pour ce faire, Jean-Luc Romand a cherché à se suicider après avoir tué sa femme, ses deux enfants et ses propres parents outre la tentative de meurtre à l’endroit de sa maîtresse. Cette affaire a été suivie par Emmanuel Carrère qui a rencontré l’assassin avec lequel il a partagé des affinités. Pour l’écrivain, il y voit un matériau utile à une fiction.
Nous avions évoqué en son temps l’émergence du genre littéraire, l’autofiction, employée notamment par Emmanuel Carrère.
Il s’agit pour l’écrivain de se servir des éléments de sa propre vie pour créer une fiction. C’est un genre littéraire qui se situe à la croisée des chemins entre l’autobiographie et le roman. C’est dans cette même perspective qu’il ancre la narration de l’Adversaire, en partant de lui-même.
L’incipit nous plonge immédiatement dans ce choix singulier. Au moment du drame ayant eu lieu au domicile des Romand, l’auteur indique s’être rendu de son côté à la réunion des parents d’élèves de son fils. Au fil des pages, il s’implique tout entier dans cette fiction. Il décide que l’affaire ne sera restituée dès lors que de son point de vue.
Ce choix narratif lui permet de faire état de sa fascination pour l’homme, mais aussi de ses doutes, de sa méfiance. Le titre même de l’ouvrage montre toute la circonspection de l’auteur vis-à-vis de Romand qui, en détention, fait état de sa conversion religieuse. L’Adversaire, c’est-à-dire en langage biblique, celui du diable. Cette référence le situe dans l’espace de celui qui trompe, c’est-à-dire le Mal…
Dans l’article suivant, il sera question d’examiner les raisons et les conséquences d’une littérature fondée sur les faits divers.
Sources : le fait divers et ses fictions, Frédérique Toudoire-Surlapierre, Minuit (2019)