Analyse-Livres & Culture pour tous
16 Janvier 2014
Repères : thèmes des mythes : présentation
Il a été indiqué dans l’article précédent l’origine du mythe de Don Juan. Découvrons, si vous le voulez bien, la version française émanant de Molière. L’extrait proposé se situe dans le cadre d’une conversation entre Dom Juan et son serviteur, Sganarelle. Ce dernier est encouragé par son maître à faire état des reproches qu’il formule à son égard. C’est l’inconstance qui est l’argument relevé par le domestique. Voici donc la réponse de Don Dom Juan. On note que l'on met un m à l'œuvre de Molière.
Dom Juan justifie sa position en faisant une métaphore liant la mort et la fidélité. Il montre le caractère irrésistible des appâts féminins lequel le pousse chaque fois vers une nouvelle femme. Il emploie des procédés stylistiques tels que les antithèses « douce violence » « faux honneur», les oppositions entre la femme aimée et les autres cœurs à prendre. Dom Juan finit par dévoiler le jeu de séduction qui consiste dans la seule recherche de l’objet d’amour et non dans la poursuite du lien aussitôt rompu. Nous sommes bien dans le registre de la conquête militaire. Le héros se donne le beau rôle avec une absence de scrupules qui est le propre du héros de Molière. Cette inconstance est hautement assumée !
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« Quoi ? tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d’aimable ; et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête à faire. Enfin il n’est rien de si doux que de triompher de la résistance d’une belle personne, et j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. »
Don Juan ou le festin de Pierre, Molière (acte 1 scène 2)
http://fr.wikisource.org/wiki/Dom_Juan_ou_le_Festin_de_pierre_%28Imprimerie_nationale%29
Repères à suivre : le don Juan d’E.T.A Hoffmann