Analyse-Livres & Culture pour tous
14 Juin 2012
Repères : thème du divertissement :
présentation générale
Manon Lescaut et le vol de bijoux
Après avoir évoqué l'affaire du vol de la Joconde à l'initiative d'un seul protagoniste, voyons aujourd'hui le vol en bande. Nul besoin de recourir à des faits
divers sordides. La littérature nous offre des illustrations nombreuses de vols comme éléments déclencheurs de l'action.
La Gazette Littéraire vous propose dans une œuvre célèbre d'assister à la mise en scène élaborée par le frère de Manon Lescaut. Cette dernière qui aime de Grieux a
réussi à se faire entretenir par un aristocrate fortuné. Au cours d'un repas, ce dernier offre à sa maîtresse la moitié de sa pension outre des bijoux. Les protagonistes de l'action jouent tous
un rôle de composition avant de s'échapper avec le précieux butin...
***
"L’heure du souper étant venue, M. de G… M… ne se fit pas attendre longtemps. Lescaut était avec sa sœur dans la salle. Le premier compliment du
vieillard fut d’offrir à sa belle un collier des bracelets et des pendants de perles, qui valaient au moins mille écus. Il lui compta ensuite, en beaux louis d’or la somme de deux mille quatre
cents livres, qui faisaient la moitié de la pension. Il assaisonna son présent de quantité de douceurs dans le goût de la vieille Cour Manon ne put lui refuser quelques baisers ; c’était
autant de droits qu’elle acquérait sur l’argent qu’il lui mettait entre les mains. J’étais à la porte, où je prêtais l’oreille, en attendant que Lescaut m’avertît d’entrer. Il vint me prendre par
la main, lorsque Manon eut serré l’argent et les bijoux, et me conduisant vers M. de G… M…, il m’ordonna de lui faire la révérence. J’en fis deux ou trois des plus profondes.
Excusez, monsieur lui dit Lescaut, c’est un enfant fort neuf. Il est bien éloigné, comme vous voyez, d’avoir les airs de Paris ; mais nous espérons qu’un peu d’usage le façonnera. Vous aurez
l’honneur de voir ici souvent monsieur ajouta-t-il, en se tournant vers moi ; faites bien votre profit d’un si bon modèle. Le vieil amant parut prendre plaisir à me voir Il me donna deux ou
trois petits coups sur la joue, en me disant que j’étais un joli garçon, mais qu’il fallait être sur mes gardes à Paris, où les jeunes gens se laissent aller facilement à la débauche.
Lescaut l’assura que j’étais naturellement si sage, que je ne parlais que de me faire prêtre, et que tout mon plaisir était à faire de petites chapelles. Je lui trouve de l’air
de Manon, reprit le vieillard en me haussant le menton avec la main. Je répondis d’un air niais : Monsieur, c’est que nos deux chairs se touchent de bien proche ; aussi, j’aime ma sœur
Manon comme un autre moi-même. L’entendez-vous ? dit-il à Lescaut, il a de l’esprit. C’est dommage que cet enfant-là n’ait pas un peu plus de monde. Oh ! monsieur, repris-je, j’en ai vu
beaucoup chez nous dans les églises, et je crois bien que j’en trouverai, à Paris, de plus sots que moi. Voyez, ajouta-t-il, cela est admirable pour un enfant de province. Toute notre
conversation fut à peu près du même goût, pendant le souper Manon, qui était badine, fut sur le point, plusieurs fois, de gâter tout par ses éclats de rire. Je trouvai l’occasion, en soupant, de
lui raconter sa propre histoire, et le mauvais sort lui le menaçait. Lescaut et Manon tremblaient pendant mon récit, surtout lorsque je faisais son portrait au naturel ; mais l’amour-propre
l’empêcha de s’y reconnaître, et je l’achevai si adroitement, qu’il fut le premier à le trouver fort risible. Vous verrez que ce n’est pas sans raison que je me suis étendu sur cette ridicule
scène.
Enfin, l’heure du sommeil étant arrivée, il parla d’amour et d’impatience. Nous nous retirâmes, Lescaut et moi ; on le conduisit à sa chambre, et
Manon, étant sortie sous prétexte d’un besoin, nous vint joindre à la porte. Le carrosse, qui nous attendait trois ou quatre maisons plus bas, s’avança pour nous recevoir. Nous nous éloignâmes en
un instant du quartier."
Manon Lescaut, Prévost (1ère partie)
http://fr.wikisource.org/wiki/Manon_Lescaut
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