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Analyse-Livres & Auteurs-Culture

L'art de distraire un héritage (Ursule Mirouët, Balzac)

 

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Repères : thème du divertissement : présentation générale


Qu'est-ce qu'une distraction d'héritage ?


La notion de divertissement nous ramène aussi à un autre vocabulaire, moins courant, plus juridique. Il s'agit de la distraction d'héritage.


Nous voici dans l'hypothèse courante où un héritier souhaite capter pour lui seul tout ou partie de l'héritage au détriment des autres ayants-droit.


La Littérature comprend ainsi des pages saisissantes de vol et de recel d'héritage. Il a fallu procéder à une habile sélection. Un auteur précis ne pouvait que nous conduire sur des pages d'anthologie.


Ursule Mirouët de Balzac


Balzac a traité dans la comédie humaine du thème de l'héritage qui fait naître beaucoup d'espoirs et de déceptions lorsque ce n'était pas des terribles jalousies.


Il n'y a que Balzac pour nous emmener dans les tréfonds de l'âme humaine.


Il vous est proposé de lire un extrait prodigieux qui traite de la captation d'héritage.  Précisons le maître de poste, co-héritier, dérobe des documents qui mettent en évidence la volonté du défunt de privilégier sa jeune pupille, Ursule Mirouët. Il parcourt ce texte en pestant contre le testeur. Il ne lui restera qu'une chose à faire : brûler ce testament.

L'art de divertir un héritage par la fumée...

 

***


" Pendant ces événements, le maître de poste était allé chez lui pour savoir ce que contenait le mystérieux paquet. Voici ce qu’il trouva.
A MA CHÈRE URSULE MIROUET, FILLE DE MON BEAU-FRÈRE NATUREL, JOSEPH MIROUET, ET DE DINAH GROLLMAN.
Nemours, 15 janvier 1830.
« Mon petit ange, mon affection paternelle, que tu as si bien justifiée, a eu pour principe non-seulement le serment que j’ai fait à ton pauvre père de le remplacer, mais encore ta ressemblance avec Ursule Mirouët, ma femme, de qui tu m’as sans cesse rappelé les grâces, l’esprit, la candeur et le charme. Ta qualité de fille du fils naturel de mon beau-père pourrait rendre des dispositions testamentaires faites en ta faveur sujettes à contestation… »
— Le vieux gueux ! cria le maître de poste.
« Ton adoption aurait été l’objet d’un procès. Enfin, j’ai toujours reculé devant l’idée de t’épouser pour te transmettre ma fortune ; car j’aurais pu vivre long-temps et déranger l’avenir de ton bonheur qui n’est retardé que par la vie de madame de Portenduère. Ces difficultés mûrement pesées, et voulant te laisser la fortune nécessaire à une belle existence… »
— Le scélérat, il a pensé à tout !
« Sans nuire en rien à mes héritiers… »
— Le jésuite ! comme s’il ne nous devait pas toute sa fortune !
« Je t’ai destiné le fruit des économies que j’ai faites pendant dix-huit années et que j’ai constamment fait valoir, par les soins de mon notaire, en vue de te rendre aussi heureuse qu’on peut l’être par la richesse. Sans argent, ton éducation et tes idées élevées feraient ton malheur. D’ailleurs, tu dois une belle dot au charmant jeune homme qui t’aime. Tu trouveras donc dans le milieu du troisième volume des Pandectes, in-folio, reliées en maroquin rouge, et qui est le dernier volume du premier rang, au-dessus de la tablette de la bibliothèque, dans le dernier corps, du côté du salon, trois inscriptions de rentes en trois pour cent, au porteur, de chacune douze mille francs… »
— Quelle profondeur de scélératesse ! s’écria le maître de poste. Ah ! Dieu ne permettra pas que je sois ainsi frustré.
« Prends-les aussitôt, ainsi que le peu d’arrérages économisés au moment de ma mort, et qui seront dans le volume précédent. Songe, mon enfant adoré, que tu dois obéir aveuglément à une pensée qui a fait le bonheur de toute ma vie, et qui m’obligerait à demander le secours de Dieu, si tu me désobéissais. Mais, en prévision d’un scrupule de ta chère conscience, que je sais ingénieuse à se tourmenter, tu trouveras ci-joint un testament en bonne forme de ces inscriptions au profit de monsieur Savinien de Portenduère. Ainsi, soit que tu les possèdes toi-même, soit qu’elles te viennent de celui que tu aimes, elles seront ta légitime propriété.
Ton parrain,
Denis Minoret. »
A cette lettre était jointe, sur un carré de papier timbré, la pièce suivante :
« CECI EST MON TESTAMENT.
Moi, Denis Minoret, docteur en médecine, domicilié à Nemours, sain d’esprit et de corps, ainsi que la date de ce testament le démontre, lègue mon âme à Dieu, le priant de me pardonner mes longues erreurs en faveur de mon sincère repentir. Puis, ayant reconnu en monsieur le vicomte Savinien de Portenduère une véritable affection pour moi, je lui lègue trente-six mille francs de rente perpétuelle trois pour cent, à prendre dans ma succession, par préférence à tous mes héritiers.
Fait et écrit en entier de ma main, à Nemours, le onze janvier mil huit cent trente et un.
Denis Minoret. »
Sans hésiter, le maître de poste, qui pour être bien seul s’était enfermé dans la chambre de sa femme, y chercha le briquet phosphorique et reçut deux avis du ciel par l’extinction de deux allumettes qui successivement ne voulurent pas s’allumer. La troisième prit feu. Il brûla dans la cheminée et la lettre et le testament."

 

Ursule Mirouët, Balzac (2ème partie)


http://fr.wikisource.org/wiki/Ursule_Mirou%C3%ABt/2

 

Repères à suivre : le thème du divertissement : l'étude sur le jeu

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