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Analyse-Livres & Auteurs-Culture

Conclusion de la "chaîne d'or" (T.Gautier)

Achevons la lecture de la nouvelle de Théophile Gautier, la chaîne d'or (1837). La belle Plangon a obtenu la chaîne d'or de sa rivale Bacchide. Son amant Ctésias espère bien qu'elle va lui rouvrir sa porte.

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repère : thème de la passion : la chaîne d'or (Gautier)

Durant ce mois, nous découvrons une nouvelle de Théophile Gautier, la Chaîne d'Or, qui nous fait entrer dans un trio amoureux à l'époque grecque.

RÉSUMÉ
  • Plangon, la magnifique, celle qui, à Athènes, est adulée par tous.
  • Ctésias, le bel éphèbe, amoureux de Plangon, mais qui a dissimulé un pan de sa vie. Il devra en payer le prix aux termes d'un voyage...
  • Bacchide, celle qui aurait des raisons d'être jalouse...

Dans l'article précédent, nous avons vu que Ctésias a obtenu de Bacchide sa seule richesse, sa chaîne d'or. Il revient à Athènes.

Le bonheur

Voici enfin le dénouement de l'histoire : Plangon ouvrira-t-elle sa porte à Ctésias ?

Le bonheur est-il à portée de mains ?

***

"Dès qu’il eut mis le pied sur le Pirée, il prit deux porteurs, et, sans se donner le temps de changer de vêtement, il courut chez l’hétaïre* Plangon.

En le voyant, les esclaves scythes firent le geste de délier les chaînes de leurs chiens monstrueux ; mais Ctésias les apaisa en leur assurant qu’il apportait avec lui la fameuse chaîne d’or de Bacchide de Samos.

« Menez-moi à votre maîtresse », dit Ctésias à une servante de Plangon.

La servante l’introduisit avec ses deux porteurs.

« Plangon, dit Ctésias du seuil de la porte en voyant que la Milésienne fronçait les sourcils, ne vous mettez pas en colère, ne faites pas le geste de me chasser ; j’ai rempli vos ordres, et je vous apporte la chaîne d’or de Bacchide Samienne. »

Il ouvrit le coffre et en tira avec effort la chaîne d’or qui était prodigieusement longue et lourde. « Me ferez-vous encore manger par vos chiens et battre par vos Scythes, ingrate et cruelle Plangon ? »

Plangon se leva, fut à lui, et, le serrant étroitement sur sa poitrine : « Ah ! j’ai été méchante, dure, impitoyable ; je t’ai fait souffrir, mon cher coeur. Je ne sais comment je me punirai de tant de cruautés. Tu aimais Bacchide, et tu avais raison, elle vaut mieux que moi. Ce qu’elle vient de faire, je n’aurais eu ni la force ni la générosité de le faire. C’est une grande âme, une grande âme dans un beau corps ! en effet, tu devais l’adorer ! » Et une légère rougeur, dernier éclair d’une jalousie qui s’éteignait, passa sur la figure de Plangon.

Dès ce jour, Ctésias, au comble de ses voeux, rentra en possession de ses privilèges, et continua à vivre avec Plangon, au grand désappointement de tous les merveilleux Athéniens.

Plangon était charmante pour lui, et semblait prendre à tâche d’effacer jusqu’au souvenir de ses précédentes rigueurs. Elle ne parlait pas de Bacchide ; cependant elle avait l’air plus rêveur qu’à l’ordinaire et paraissait agiter dans sa cervelle un projet important.

Un matin, elle prit de petites tablettes de sycomore enduites d’une légère couche de cire, écrivit quelques lignes avec la pointe d’un stylet, appela un messager, et lui remit les tablettes, en lui disant de les porter le plus promptement possible à Samos, chez Bacchide l’hétaïre.

À quelques jours de là, Bacchide reçut, des mains du fidèle messager qui avait fait diligence, les petites tablettes de sycomore dans une boîte de bois précieux, où étaient enfermées deux unions de perles parfaitement rondes et du plus bel orient.

Voici ce que contenait la lettre :

« Plangon de Milet à Bacchide de Samos, salut.

Tu as donné à Ctésias de Colophon la chaîne d’or qui est toute ta richesse, et cela pour satisfaire le caprice d’une rivale ; cette action m’a tellement touchée, qu’elle a changé en amitié la haine que j’éprouvais pour toi. Tu m’as fait un présent bien splendide, je veux t’en faire un plus précieux encore. Tu aimes Ctésias ; vends ta maison, viens à Athènes ; mon palais sera le tien, mes esclaves t’obéiront, nous partagerons tout, je n’en excepte même pas Ctésias. Il est à toi autant qu’à moi ; ni l’une ni l’autre nous ne pouvons vivre sans lui : vivons donc toutes deux avec lui. Porte-toi bien, et sois belle ; je t’attends. »

Un mois après, Bacchide de Samos entrait chez Plangon la Milésienne avec deux mulets chargés d’argent.

Plangon la baisa au front, la prit par la main et la mena à la chambre de Ctésias.

« Ctésias, dit-elle d’une voix douce comme un son de flûte, voilà une amie à vous que je vous amène. »

Ctésias se retourna ; le plus grand étonnement se peignit sur ses traits à la vue de Bacchide.

« Eh bien ! dit Plangon, c’est Bacchide de Samos ; ne la reconnaissez-vous pas ? Êtes-vous donc aussi oublieux que cela ? Embrasse-la donc ; on dirait que tu ne l’as jamais vue. » Et elle le poussa dans les bras de Bacchide avec un geste impérieux et mutin d’une grâce charmante.

On expliqua tout à Ctésias, qui fut ravi comme vous pensez, car il n’avait jamais cessé d’aimer Bacchide, et son souvenir l’empêchait d’être parfaitement heureux ; si belles que fussent ses amours présentes, il ne pouvait s’empêcher de regretter ses amours passées, et l’idée de faire le malheur d’une femme si accomplie le rendait quelquefois triste au-delà de toute expression.

Ctésias, Bacchide et Plangon vécurent ainsi dans l’union la plus parfaite, et menèrent dans leur palais une vie élyséenne digne d’être enviée par les dieux. Personne n’eût pu distinguer laquelle des deux amies préférait Ctésias, et il eût été aussi difficile de dire si Plangon l’aimait mieux que Bacchide, ou Bacchide que Plangon.

La statue d’Aphrodite fut replacée dans la chapelle du jardin, peinte et redorée à neuf. Les vingt génisses blanches à cornes dorées furent religieusement sacrifiées à Mercure, dieu de l’éloquence, et les cent couples de colombes à Vénus qui change les coeurs, selon le voeu fait par Ctésias.

Cette aventure fit du bruit, et les Grecs, émerveillés de la conduite de Plangon, joignirent à son nom celui de Pasiphile.

Voilà l’histoire de Plangon la Milésienne, comme on la contait dans les petits soupers d’Athènes au temps de Périclès. Excusez les fautes de l’auteur."

l’hétaïre*: courtisane, prostituée

La chaîne d'or ou l'amant partagé, Théophile Gautier, (1837), source :  http://beq.ebooksgratuits.com/vents/gautier-nouvelles-1.pdf

 

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C
merci pour cette sublime nouvelle !
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P
une nouvelle très riche qui gagne à être lue et sortie de l'oubli !
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