Analyse-Livres & Culture pour tous
1 Avril 2009
Refuser de vieillir en inversant le sens de la vie au travers de deux livres, objets de l'étude : Faust de Goethe publié en 1808 et le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde publié en 1891. Ces deux œuvres magistrales illustrent le fait que cette quête de la jeunesse éternelle n'est pas sans conséquences.
Repères : Thème de la jeunesse : l'étude
Rester éternellement jeune, voilà un rêve impossible ! C'est pourtant un vœu auquel beaucoup seraient prêts à consentir sur le champ pour fuir le « naufrage » que représente la vieillesse (de Gaulle) ! De nombreux auteurs intéressés par les possibilités qu'offre la fiction ont mis en œuvre les conditions pour repousser la fuite du temps.
Deux livres particuliers seront à l'étude : Faust de Goethe publié en 1808 et le Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde publié en 1891. Ces deux œuvres magistrales illustrent le fait que cette quête de la jeunesse éternelle n'est pas sans conséquences.
Le docteur Faust est un savant reconnu par ses pairs, couvert d'honneur mais conscient de la fragilité de ses connaissances. Il a passé l'essentiel de sa vie, de ses nuits, à travailler sans relâche à la recherche de la vérité, en vain. Sa jeunesse s'est évaporée dans son cabinet de travail au milieu de ses livres et de ses notes. Un soir, il prend conscience de l'inanité de son savoir et de l'impossibilité pour tout être humain de connaître le principe des choses. Il est désespéré à la suite de cet instant de lucidité. Il se reproche de s'être fourvoyé et d'avoir tenté de se mesurer à Dieu. Son orgueil blessé le pousse à rechercher la paix, c'est à dire la mort. Il ne supporte plus en effet sa vie qui le mène au néant :
« Je te salue, fiole solitaire que je saisis avec un pieux respect ! En toi, j'honore l'esprit de l'homme et son industrie. Remplie d'un extrait de sucs les plus doux, favorables au sommeil, tu contiens aussi toutes les forces qui donnent la mort ; accorde tes faveurs à celui qui te possède ! Je te vois, et ma douleur s'apaise ; je te saisis, et mon agitation diminue, et la tempête de mon esprit se calme peu à peu ! Je me sens entraîné dans le vaste Océan, le miroir des eaux marines se déroule silencieusement à mes pieds, un nouveau jour se lève au loin sur les plages inconnues. » (La Nuit)
Entre alors en scène Méphistophélès qui, au début de l'œuvre, a parié avec Dieu qu'il conduirait Faust à sa damnation éternelle. Le diable, tel un animal rodant autour de sa proie, propose au savant désespéré de mener une nouvelle existence pleine de jouissances. Faust consent à cette solution alternative, réticent malgré tout à passer à l'acte ultime. La perspective de cette destinée de plaisirs lui offre l'opportunité de goûter à la volupté pour la première fois de sa vie et de sortir de son cabinet de travail.
Faust veut néanmoins changer d'apparence physique, espérant qu'il pourra enfin "se plaire à lui-même". Le poids des années a en effet flétri considérablement le corps du savant. Ce dernier se trouve amené par Méphistophélès dans la cuisine d'une sorcière qui va lui préparer un élixir de jouvence. Mais encore pétri de sciences et parfaitement sceptique, Faust finit par subir un obscur sortilège.
Méphistophélès lui prédit alors la meilleure des vies :
« Viens vite, et laisse-toi conduire ; il est nécessaire que tu transpires, afin que la vertu de la liqueur agisse dedans et dehors. Je te ferai ensuite apprécier les charmes d'une noble oisiveté, et tu reconnaîtras bientôt, à des transports secrets, l'influence de Cupidon, qui voltige ça et là autour du monde dans les espaces d'azur. » (Cuisine de sorcière)
Grâce à l'aide du diable, il réussit à séduire une jeune fille dévote en attirant son attention sur des coffrets de bijoux magnifiques. Marguerite succombera en effet à cet homme qui l'attire malgré elle et acceptera de consentir à ce qu'elle considérait impensable jusqu'alors. La passion que les amants vivront causera son déshonneur complet. De son côté, Faust jouit enfin des plaisirs de la vie sans entraves. Il connaît les délices de la jouissance pour la première fois de sa vie et ne regrette en aucune façon sa vie passée.
«Sublime Esprit, tu m'as donné, tu m'as donné tout, dès que je t'en ai supplié. Tu n'as pas en vain tourné vers moi ton visage de feu. Tu m'as livré pour royaume la majestueuse nature, et la force de la sentir, d'en jouir." (Forêts et cavernes)
Cependant, la jeunesse retrouvée n'est pas sans risques. Faust pense avoir accepté en toute connaissance de cause la damnation éternelle, rejetant toute forme de religion et de grâce divine. Il consent à être réprouvé si cela lui permet de goûter aux plaisirs. Cependant le coût dépasse ce qui était manifestement convenu. Il s'apercevra un peu tard qu'il a souscrit à un pacte infernal qui n'engage plus sa simple personne. Des victimes innocentes vont ainsi payer le prix fort des agissements téméraires du savant : Marguerite, l'enfant qu'elle a tué, Valentin, le frère de la jeune fille ainsi que la mère de cette dernière. Tous ces personnages ont subi les méfaits de Faust et de Méphistophélès. Ce dernier dont la vue et les paroles effraient veut en effet davantage que la simple vie du séducteur ; Marguerite, même au seuil de l'échafaud et de la folie, dans un moment de lucidité dit en voyant le diable :
« C'est moi qu'il veut... » (le cachot)
La scène finale brillante conduira Marguerite à faire un choix terrible : entre la mort en pénitente qui lui permet d'obtenir le pardon divin d'une part, ou la liberté avec Faust et la damnation éternelle d'autre part.
Cruel dilemme !
Cette pièce de théâtre, unique en son genre, faisant appel à des sorcières, à des scènes étranges et mystérieuses, comprend également des moments d'humour un peu noir, de réparties senties, de la poésie pure... des instants de vérité.
Dorian Gray, jeune homme issu de l'aristocratie londonienne d'une rare beauté attire tous les regards. Tout dans son apparence confine à la perfection physique : son allure, ses traits, sa couleur de peau...
Il accepte de poser pour un peintre célèbre qui exécute de lui une peinture magnifique.
Le tableau est unique dans sa réalisation, un pur chef d'œuvre. Il fascine complètement l'artiste et son ami libertin, Lord Henry qui devant tant de grâce s'ingéniera à éveiller Dorian Gray aux plaisirs de la vie. Ce tableau provoquera aussi une autre réaction. Le jeune lui-même est en effet ébloui par la révélation de sa propre beauté couchée sur la toile terminée.
Soudain, l'extase du jeune homme est ternie par la prise de conscience de la brièveté de la jeunesse. Le cours de la vie révolte Dorian de tout son être. Il forme alors à haute voix un vœu particulier, celui de rester jeune tandis que le tableau souffrirait -lui- des morsures du temps.
«Que n'est-ce à moi de rester jeune, au portrait de vieillir ! Pour ce miracle, je donnerai tout. En vérité, il n'y a rien au monde que je ne fusse prêt à sacrifier ! Pour ce miracle, je donnerai mon âme. » (chapitre 2)
C'est ainsi que le tableau se chargera des altérations du temps subi par le corps de Dorian. Cette situation inédite paraît même à peine croyable au jeune homme ainsi qu'il l'exprime à la fin du chapitre 7. Alors que Dorian reste d'une insolente jeunesse, la peinture s'abîmera -elle- progressivement.
La peinture est rongée non par l'effet de l'écoulement du temps. Dorian comprend vite que le tableau reflète quelque chose d'indicible... son âme. Cette révélation l'enchante dans un premier temps car il est attiré par toutes les formes de désirs et de débauche. L'opération est ainsi avantageuse. Rien ne transparaît de ses turpitudes. Il est fasciné par le caractère extraordinaire de l'opération :
« Il se contenterait de l'observer avec un intense plaisir. Il pourrait ainsi pénétrer jusqu'aux derniers replis de son âme. Ce portrait serait pour lui le plus magique des miroirs. C'est à lui qu'il avait dû la révélation de son corps, il lui devrait de même la révélation de son âme. »(fin du chapitre 8)
Cependant cette situation, loin de contenter totalement le personnage le fait entrer dans une psychose intense. Dorian tente de limiter les effets de la décrépitude du tableau ; il le cache précieusement dans une pièce fermée soigneusement à clé. Mais il ne peut s'empêcher de contempler les reflets de son âme le soir à la bougie. Ce spectacle le fascine et l'effraie dans le même temps. Il cherchera toutes les échappatoires pour oublier le cours funeste de la décrépitude de la peinture. Mais rien ne pourra le détourner de lui-même. Il commettra des crimes odieux avant de se résoudre à détruire cette toile qui l'obsède jusqu'à la folie :
« Oui, le portrait constituait une sorte de preuve. Il le détruirait donc. Pourquoi même l'avait-il gardé si longtemps ? Il avait pris plaisir autrefois à en observer les changements, à le regarder vieillir. Mais depuis peu, c'en était bien fini de cette délectation .» (chapitre 20)
Dorian mettra en application cette résolution qui conduira à une issue imprévue...
Le portrait de Dorian Gray au delà des âges demeure un ouvrage fascinant et captivant.
repère à suivre : la synthèse