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Analyse-Livres & Auteurs-Culture & Éducation par la littérature

Gazette littéraire

Les risques juridiques de l'éditeur

 

Les risques juridiques de l'éditeur
repères : thème de la diffusion : présentation

Le délit d'outrage aux bonnes mœurs

Après avoir vu les rapports étroits qui unissent l'éditeur et son auteur, sur le plan des risques financiers, il s'avère que ces derniers se voient en outre liés sur le plan de la responsabilité pénale. Nous verrons deux célèbres affaires jugées en 1857 sur le fondement du délit d'outrage aux bonnes mœurs.
L'affaire Madame Bovary

La Gazette Littéraire a déjà mis en ligne le jugement de l'affaire Bovary qui a vu les prévénus, Pichat, l'éditeur, Pillet, l'imprimeur et Gustave Flaubert, l'auteur, cités devant le tribunal Correctionnel de la Seine du chef d'outrage aux bonnes mœurs. Ces mêmes prévenus se verront relaxés aux termes d'un jugement en date du 7 février 1857.

 

Le procès des "Fleurs du Mal"

Il vous est proposé de vous intéresser à un procès tout aussi retentissant survenu la même année dans l'affaire des Fleurs du Mal de Baudelaire. Ce dernier se voit poursuivi là encore avec ses éditeurs devant le même tribunal. Mais par jugement du 20 août 1857, les trois prévenus sont déclarés coupables d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs et condamnés à des amendes et les poèmes litigieux se voient interdits de publication.

 

Un recours en révision

Il reste que l'on méconnait la suite apportée à cette affaire avec notamment le recours en révision déposée en 1947 par la Société des Gens de Lettres visant à annuler cette décision. Il vous est proposé de prendre lecture de cette décision assez unique rendue le 31 mai 1949 en matière de liberté de création...

***
"Arrêt de la Cour de Cassation

Vu la requête du procureur général en date du 4 novembre 1947 ; — Vu l’article unique de la loi du 25 septembre 1946 ;

Sur la recevabilité : Attendu que la Cour est saisie par son Procureur général, en vertu d’un ordre exprès du ministre de la Justice, agissant à la requête du président de la Société des Gens de Lettres ; que la demande en révision entre dans les cas prévus par la loi du 25 septembre 1946 susvisée ; qu’elle a été introduite après la période de 20 années et dans les conditions fixées par la dite loi ; qu’enfin la décision dont la révision est sollicitée, a acquis l’autorité de la chose jugée ;

Déclare la demande recevable ;

Sur l’état de la procédure : Attendu que les pièces produites sont suffisantes pour permettre à la Cour de Cassation de statuer ; que, dès lors, il n’y a lieu d’ordonner ni enquête nouvelle, ni apport de pièces supplémentaires ;

Au fond : Attendu que Charles Baudelaire, Poulet-Malassis et de Broise ont été traduits devant le Tribunal correctionnel de la Seine, comme prévenus d’avoir commis des délits d’offense à la morale publique et aux bonnes mœurs, et d’offense à la morale religieuse, prévus et punis par les articles 1er et 8 de la loi du 17 mai 1819, Baudelaire en publiant, Poulet-Malassis et de Broise en publiant, vendant et mettant en vente l’ouvrage intitulé Les Fleurs du Mal ; — Que par jugement du 20 août 1857, le Tribunal a dit non établie la prévention d’offense à la morale religieuse et a renvoyé les prevenus des fins de la poursuite de ce chef, mais les a déclarés coupables d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, les a condamnés : Baudelaire à 300 francs d’amende, Poulet-Malassis et de Broise à 100 francs de la même peine, et a ordonné la suppression des pièces portant les numéros 20, 30, 39, 80, 81 et 87 du recueil ; — Que pour justifier cette condamnation, le jugement énonce que « l’erreur du poète dans le but qu’il voulait atteindre et dans la route qu’il a suivie, quelque effort de style qu’il ait pu faire, quel que soit le blâme qui précède ou suit ses peintures ; ne saurait détruire l’effet funeste des tableaux qu’il présente aux lecteurs et qui, dans les pièces incriminées, conduisent nécessairement à l’excitation des sens par un réalisme grossier offensant pour la pudeur » ;

Attendu qu’aux termes de la loi du 27 septembre 1946, la Cour de Cassation, saisie de la demande en révision, statue sur le fond comme juridiction de jugement, investie d’un pouvoir souverain d’appréciation ;

Attendu que le délit d’outrage aux bonnes mœurs se compose de trois éléments nécessaires : le fait de la publication, l’obscénité du livre et l’intention qui a dirigé son auteur ;

Attendu que le fait de la publication n’est pas contestable ; — Mais, en ce qui touche le second élément de l’infraction, attendu que les poèmes faisant l’objet de la prévention ne renferment aucun terme obscène ou même grossier et ne dépassent pas, en leur forme expressive, les libertés permises à l’artiste ; que si certaines peintures ont pu, par leur originalité, alarmer quelques esprits à l’époque de la première publication des « Fleurs du Mal » et apparaître aux permiers juges comme offensant les bonnes mœurs, une telle appréciation ne s’attachant qu’à l’interprétation réaliste de ces poèmes et négligeant leur sens symbolique, s’est révélée de caractère arbitraire ; qu’elle n’a été ratifiée ni par l’opinion publique, ni par le jugement des lettrés ;

Attendu, en ce qui concerne le troisième élément, que le jugement dont la révision est demandée a reconnu les efforts faits par le poète pour atténuer l’effet de ses descriptions ; que les poèmes incriminés, que n’entache, ainsi qu’il a été dit ci-dessus aucune expression obscène, sont manifestement d’inspiration probe ;

Attendu, dès lors, que le délit d’outrage aux bonnes mœurs relevé à la charge de l’auteur et des éditeurs des Fleurs du Mal n’est pas caractérisé ; qu’il échet de décharger la mémoire de Charles Baudelaire, de Poulet-Malassis et de de Broise, de la condamnation prononcée contre eux ;

Par ces motifs : Casse et annule le jugement rendu le 27 août 1857 par la 6ème Chambre du Tribunal correctionnel de la Seine, en ce qu’il a condamné Baudelaire, Poulet-Malassis et de Broise pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ; — Décharge leur mémoire de la condamnation prononcée ; — Ordonne que le présent arrêt sera affiché et publié conformément à la loi ; — Ordonne, en outre, son impression et sa transcription sur les registres du greffe du Tribunal correctionnel de la Seine.

M. Battestini, président ; Falco, rapporteur ; Dupuich, avocat général."

 

http://fr.wikisource.org/wiki/Arr%C3%AAt_de_la_Cour_de_Cassation_du_31_mai_1949

 

repères à suivre : présentation : démêlés de l'auteur avec ses éditeurs

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