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"Pour un oui ou pour un non" (Sarraute)

  • Photo du rédacteur: Marie-Noëlle Parisot-Schmitt
    Marie-Noëlle Parisot-Schmitt
  • il y a 3 heures
  • 25 min de lecture

bac : la Gazette littéraire vous propose un dossier complet consacré à la pièce de théâtre de Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non dans le cadre du parcours : théâtre et dispute. Vous trouverez tous les éléments et les références nécessaires pour la composition de votre dissertation.


sur un fond noir et bleu on voit une  bannière portant la mention Pour un Oui ou pour un nonbannière portant

"Pour un oui ou pour un non" (Sarraute)


Les programmes officiels proposent avec la pièce de théâtre de Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non d’étudier le parcours : théâtre et dispute. Nous commencerons par une présentation de la pièce avant de préciser la problématique de notre étude.


  1. Introduction

Il convient, avant toute chose, de définir ce dernier terme. Ce mot dispute nous oblige aussi à un bref rappel historique ; enfin, nous aborderons l’origine de la pièce.


1.1 étymologie de dispute

L’étymologie provient d’un mot latin disputare qui se décompose ainsi dis/putare : 

·       dis équivaut à une séparation, 

·    putare* signifie, quant à lui, apurer,  mettre au net après examen et discussion [putare, puto]) « examiner ; discuter, raisonner ».


Si l’on considère la définition actuelle du Larousse ** : on voit que le premier sens « Discussion vive » conduit à un sens bien plus large « querelle, altercation, heurt. » Dans la pure tradition médiévale, cela revient à analyser oralement une question, à débattre de manière contradictoire (deux thèses opposées soutenues par des interlocuteurs) avant d’aboutir à une conclusion.

Il s’agit d’un examen d’éloquence où les arguments sont avancés à l'aide de procédés rhétoriques permettant d'exposer une pensée. C’est ainsi que s’effectue au Moyen-Âge la transmission du savoir.

La dispute s’apparente à une joute oratoire qui perdurera, au fil des siècles, mais en changeant de support : l'oral laissera la place à l’écrit ( traité, essais, etc.).

Voyons son application dans la perspective théâtrale.


1.2 bref rappel historique


Déjà au XVIIIe siècle, Marivaux avait écrit une comédie intitulée la Dispute (1744) qui pose la question de savoir qui a trompé l’autre en premier, l’homme ou la femme ? La pièce met en scène des jeunes des deux sexes qui aiment et trahissent tout à la fois, vidant la discussion philosophique laissée dès lors sans réponse…


Suivant cet auteur qu’elle admirait, Nathalie Sarraute entre à son tour dans cette même perspective intellectuelle, mais en adoptant un changement radical : cette pièce utilise la sémantique pour faire pivoter la dispute : nous assisterons en effet à une simple recherche d'explication à une lutte ouverte.


1.3 Origine de la pièce


Précisons l’originalité de cette pièce écrite pour la radio et diffusée en 1981 sur les ondes.


Cette circonstance éclaire bien des points relatifs notamment à l'identité des personnages, au choix de l'épure avec un cadre spatial flou, un jeu de scène réduit à l'extrême.


Notons qu’elle a été jouée d’abord en anglais, For no Good Reason, à New York en 1985 puis, enfin, en France en 1986.


Sources : 

Pour Un oui, pour un non, Sarraute, édition d’Arnaud Rykner, mise en scène p.65

 

  1. Problématique


La Gazette littéraire vous propose un dossier pour vous préparer spécifiquement à la dissertation. Cette pièce est assez complexe et vous devez disposer d’éléments précis.


Différentes problématiques sont possibles dans "Pour un oui ou pour un non" (Sarraute) :

– Comment le théâtre rend-il compte de l’impuissance de l’homme à communiquer valablement avec autrui?

– la pièce de théâtre Pour un oui ou pour un non peut-elle être considérée comme un dialogue de sourds?

– Nathalie Sarraute disait : «c’est ce qui échappe aux mots que les mots doivent dire».  En quoi la lecture de la pièce de théâtre Pour un oui ou pour un non éclaire-t-elle cette citation?


On voit donc que vous aurez à traiter d’un sujet portant sur le langage et sur l’enjeu de la pièce.


Nous avons justement choisi une problématique qui articule ces deux aspects : qu’est-ce que la dispute dans la pièce de Nathalie Sarraute met en scène?


Pour répondre à cette problématique, nous analyserons dans un premier temps le balancement dynamique entre le mot, ce qui est dit, et le sens, ce que cela veut dire. Dans un deuxième temps, on mettra en évidence l’intention de l’auteure visant à dépasser le sens des mots courants pour les questionner et les libérer. Il faut avoir en tête que cette pièce est un texte sur le langage, sur la difficulté intrinsèque des hommes à communiquer.


  1. Analyse

Cette pièce sera examinée sous l'angle de son dynamisme à travers le balancement entre ce qui est dit et ce qui est sous-jacent. Nous verrons ensuite les intentions de l'écrivaine.

3.1 Un balancement

Nous assistons à une double lecture : une lecture concrète, qui se comprend dans le réel et une lecture abstraite faisant appel à un raisonnement intellectuel, spéculatif.


Cette pièce nous invite, en effet à découvrir :

–  Ce qui est réellement dit,

–  Ce qui est sous-jacent.


En premier lieu, examinons le statut des personnages.


3.1.1 Les personnages

S’agissant du rôle des personnages, voyons la lecture de base que nous pouvons en faire avant de comprendre les enjeux souterrains.


a) une amitié remise en question

Nous avons d’un côté, deux personnages masculins (H1 et H2) qui entreprennent de questionner leur propre amitié nouée depuis des années.


Ils vivent dans une certaine proximité partageant des souvenirs communs (l’épisode de la mère de H2, une excursion en montagne, une intimité familiale connue de l’un et de l’autre).


Au fil des mots, on apprend finalement peu de choses sur les personnages : ainsi le caractère flou enveloppe les protagonistes de l’action. On entraperçoit vaguement une opposition sociale entre les personnages : H1 qui aurait réussi, habitant dans une maison avec femme et enfant et H2, à l’inverse, serait vu comme « un marginal » (p.33) et demeurerait dans un simple appartement. Mais ces données ne sont pas au cœur de cette pièce.


D’un autre côté, nous avons deux personnages secondaires (H3 et F), des voisins de H2, appelés à les départager dans le conflit qui les divise. Quel conflit ? L’offense de H1 est-elle avérée ? Justifie-t-elle la rupture des liens ?

Découvrons ce qui est suggéré par l’autrice avec ses personnages.


b)  des archétypes

Nathalie Sarraute dépasse cette lecture concrète, nécessaire pour la mise en scène, pour faire advenir en creux une lecture sous-jacente. Nous notons trois singularités.


Nous sommes loin des personnages supposés réels représentés habituellement par un nom (Argante), une fonction sociale (valet, etc.), etc. Ici, les personnages sont dénués de toute identité.

L’auteur les distingue seulement à l’aide de lettres et de chiffres : nous avons H1 H2 H3 et F. Cette économie de moyens dans la détermination des personnages est une originalité de la pièce. Rappelons que cette pièce a été conçue pour être écoutée à la radio...


Par ailleurs, notons l’autre caractéristique : aucun des protagonistes ne s’appelle ou ne se nomme. On dialogue à l’aide de pronoms personnels à la 2e personne (tu) et (vous) : cette pièce met ainsi en scène ces pronoms pour rendre paradoxalement opaque l’identité des personnages.

Dans l’esprit de Nathalie Sarraute, ils constituent certainement des archétypes, mais surtout des prétextes à un enjeu dépassant une action conduite par des protagonistes comme dans le théâtre traditionnel.

L’autrice se focalise sur les dialogues, plus précisément sur le pouvoir des mots : seuls ces derniers mènent “l’intrigue”.

Il vous est proposé de parcourir le résumé de notre analyse dans ce premier tableau :

Théâtre/dispute

Concret

abstraction

rôle des personnages

vieux amis : 

 

« tu te souviens comme on attendrissant ta mère ? »/Elle t’aimait bien » (p.23-24)

Deux voisins

H2 : « un marginal » (p.33)

« Tournée de conférences… 3 (p.33)

archétypes : tu/vous

 

anonymes, 

 

identifiables (lettres et chiffres) :

 H1/H2 et — H3 — F



 3.1.2 l'action


Cette pièce ne comporte pas d’action éclatante, nous savons que ce sont les mots qui forment l’intrigue : nous sommes dans le domaine de l’intime.

Par ailleurs, vous aurez remarqué l’absence de scène d’exposition censée nous expliquer les données du problème. Au contraire, l’action se situe in média res, ce qui permet normalement au spectateur d’entrer de manière plus vivante dans l’histoire.

Or, ici, l’intrigue est délibérément floue et se veut un libre discours non préparé, un dialogue spontané.


Pour nous repérer précisément, la Gazette décompose les moments comme suit :

· L’enquête de H1,

· La révélation de H2,

· La discussion H1/H 2,

· L’intervention des voisins,

· La conclusion de la discussion,

· Le faux départ et la réconciliation,

· La lutte ouverte,

· La conclusion de la lutte.


Décomposition

Ainsi que nous l’avons dit dans l’introduction, l’auteure joue en réalité sur le terme de la dispute dans sa double définition, passant d’une discussion animée à une lutte ouverte. Il convient de reprendre les différentes étapes.


a)  l’enquête de H1

Ainsi c’est H1 qui est à l’origine de la discussion, c’est lui qui pousse son ami à la confession. Pour cela, il utilise des tournures déclaratives affirmatives ou négatives, des exclamatives et des interrogatives pour susciter par tous les moyens une confidence. Il faut noter la première parole :

« Écoute, je voulais te demander… ».

L’emploi du verbe écouter n’est pas neutre ; de manière sous-jacente, elle donne déjà un premier aperçu de la difficulté de communication à venir : il s’agit d’une stratégie destinée à capter l’attention de son interlocuteur. On verra toute l’âpreté de l’entreprise.

Il faut relever tout d’abord le caractère banal de la demande :

« qu’est-ce que tu as contre moi… » (p23)

qui est une autre façon d’annoncer plus globalement :

« que s’est-il passé ? » (p.32).

On est donc bien sur ce balancement entre le concret et l’abstrait. La stratégie est payante puisque H2 livre son secret.


b) la révélation de H2

À l’inverse de l’étape précédente, c’est par l’abstraction que la révélation s’effectue. H2 emploie en effet des phrases simples marquant des hésitations, des dénégations pour finir par aboutir à l’aveu d’un problème nommé :

« juste des mots » (p 25).

Poussé dans ses retranchements, il va même qualifier de manière négative :

« des mots qu’on n’a pas eus justement » (page 25).

La révélation se fait lente avec la terminologie « une réussite quelconque » (page 26) allant jusqu’à un souvenir à peine ébauché :

« quand je me suis vanté de je ne sais plus quoi » (page 26). 

On est donc sur un niveau d’imprécision qui présente un terreau nécessaire à un discours sous-jacent.

Mais la révélation va prendre une tournure plus concrète avec la fameuse expression : « c’est biiien… ça » avec la précision suivante :

« Un accent mis sur “bien”… un étirement sur “ça”  et un suspens avant que ça arrive… ce n’est pas sans importance » (p.27).

On a la justification des griefs en trois points fixant le différend entre les amis. Et c’est ainsi que nous avons les clés pour faire naître la dispute au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire la discussion animée sur une divergence de vues entre deux interlocuteurs.


c) Discussion H1/H2

À nouveau, la partie abstraite prend le pas, lorsque H2 justifie ainsi son attitude :

« un peu d’éloignement » (p. 27).

Avec l’adverbe, « un peu », on est sur du flou. Et c’est à H1 que revient l’entreprise de clarification. En effet, il cherche à préciser  le sentiment mal exprimé par son ami. Il dit :

« Ce que tu as senti dans cet accent mis sur bien… dans ce suspens, c’est qu’ils étaient ce qui se nomme condescendants » (p.30).

Le mot « condescendant » prend la place de la terminologie « c’est bien ça ». Mais loin de clarifier la dispute purement intellectuelle, elle enferme les parties. On voit donc que la discussion entre amis ne trouve pas d’issue autre que celle de s’ouvrir à la sagesse de personnes moins impliquées.

Il s’agit d’un couple de voisins.


d) l’intervention des voisins

Ces derniers sont en charge de départager les amis. Mais la mission est mal comprise, on y fait des jeux de mots : « une souricière d’occasion » (p.33). Au bout du compte, les voisins prennent le parti de H1 :

“ vous ne trouvez pas ça gentil ? Moi une proposition…” (p33).

H2 est prisonnier de ses mots, il recourt à des métaphores comme “la cage” pour s’en sortir (p. 34).

On se trouve alors une nouvelle fois dans une impasse avec le départ des voisins. Sur le plan du balancement, on se situe au bout de la logique de la dispute, perdu entre les événements exprimables donc de l’ordre du concret et les éléments inexprimables qui sont du domaine de l’abstraction. Cette dispute intellectuelle aboutit à une conclusion.


e) la conclusion de la discussion

Les deux amis se retrouvent seuls. La balance penche du côté de H 2. Le malaise est palpable. Et H2 trouve les mots pour les dire ; H2 est vu comme : « cinglé/persécuté « (p.35), il se sent pris au « piège » (p35). Mais la tentation de l’inexprimable revient :  

« Tu présentes tes étalages. »  / « Ça existe, c’est tout. Comme un lac. Comme une montagne « (p 36).

Et c’est encore à H1 d’essayer de clarifier la pensée de son ami. Et l’on arrive à un nouveau thème qui est celui du bonheur.

Ce concept constitue la 3e entreprise de discussion. Il s’avère que ce terme est parfaitement abstrait, car pour l’un il s’agit d’un « bonheur sans nom » alors que pour l’autre, il s’agit d’un bonheur refusé (page 39). Le débat va prendre de la clarté, mais aussi de l’intensité : loin d’apporter des considérations générales, le mot se focalise concrètement sur  la famille de H1. On est donc monté d’un niveau puisqu’à nouveau H1 a fait mouche : il a forcé son ami à avouer le malaise sous-jacent qui n’est autre que de la jalousie à son égard. Pour lui, la discussion a rempli son office et il est prêt à sortir :  

« Cette fois vraiment je crois qu’il vaut mieux que je parte. » (p.39)

f) le faux départ et la réconciliation

Mais on assiste à un faux départ. H1 reste comme on peut le voir la lecture de la didascalie page 39. Que signifie la non-exécution de son plan ? Pourquoi ne part-il pas ? Il s’agit du premier silence entre les amis, celui qui nécessite une action négative. Cette communication sous-jacente signifie une volonté de ne pas se séparer. Et justement, les personnages se retrouvent sur la même contemplation du monde. Cette action a un effet sur la dispute puisqu’elle provoque un apaisement. Et l’initiative en revient à H2. On assiste à une réconciliation entre eux. Là où les mots ont entraîné une impasse sur le plan de leur amitié, le faux-départ signe leur attachement. Est-ce pour autant la fin de la dispute ?

Il s’avère que H2 se sent tenu de justifier ses propos et cette entreprise le mène à un aveu  : 

« Voilà ce que c’est que de se lancer dans ces explications… on parle à tort et à travers… on se met à dire plus qu’on ne pense. Mais je t’aime bien, tu sais… (p 39-40) »

Mais l’homme est incorrigible et ne peut à nouveau s’empêcher de s’exprimer sans clarté :

“il y a chez toi parfois, comme un abandon, on dirait que tu te fonds avec ce que tu vois, que tu te perds dedans » (p 40).

Ce balancement entre le concret et l’abstrait alimente la dispute entre les amis. Mais, cette fois, la pièce prend un tour dramatique puisque l’on assiste à une mutation de la discussion qui se transforme en lutte ouverte.


g) la lutte ouverte

Il est intéressant de noter que cette lutte débute par un vers de Verlaine :

« la vie est là, simple et tranquille ».

Une querelle va s’installer entre eux, d’une part, sur la référence textuelle implicite, et, d’autre part, sur le positionnement des amis sur leur conception de la vie. On est encore sur l’abstrait qui remet à nouveau l’ouvrage sur le métier.

Les propos deviennent plus durs : on assiste à un véritable dialogue de sourds. Ils ne sont d’accord sur rien : c’est à ce moment-là que l’on voit l’opposition entre celui qui travaille et celui qui crée, opposition existentielle. Derrière cette question de la vraie vie qui fait référence cette fois à Rimbaud, il s’agit pour chacun des amis de se positionner sur le sujet de la réussite sociale. On mesure que pour l’un c’est important : 

« Je crois que si tu te révélais comme un vrai poète... il me semble que la chance serait plutôt pour toi » (p. 47)

alors que pour l’autre, ça ne l’est pas :

« Ou même du plomb n’est-ce pas ? Pourvu qu’on voie ce que c’est, pourvu qu’on puisse le classer, le coter… » (p. 47).

Il n’existe pas de solutions à ces différends qui puissent aboutir à une victoire de l’un ou de l’autre ; de même, nul n’éprouve le souhait de recourir à l’intervention d’une tierce partie. Il faut pourtant conclure la lutte.


h) conclusion de la querelle :

Elle reprend les codes abstraits précédents avec l’introduction d’une locution qui succède aux discussions sémantiques et c’est aussi celle du titre « pour un oui ou pour un non ».

Il s’avère que c’est H1 qui est le premier à indiquer :

« c’est vrai qu’auprès de toi j’éprouve parfois comme de l’appréhension… » (page 48).

On retrouve l’imprécision qui signe l’ambiguïté de leur amitié, entre amour/haine. C’est alors que la scène s’emballe.

Chacun est persuadé qu’il faut à ce stade des paroles échangées trouver une solution radicale. Cette solution passe par la rupture. On assiste au balancement entre les deux adverbes d’affirmation ou de négation, qui sont clairement des concepts abstraits tels qu’énoncés :

"H1 dit « Pour un oui.. ou pour un non ? »
H2  répond « oui ou non ?... » (p.50)

On arrive à l’acmé de l’abstrait.

Qui veut quoi ? 

La scène s’achève sur l’imprécision des choix des amis.

On sait juste que ce choix est opposé, mais on ne comprend pas ce qu’ils veulent dire en réalité. Le fait même de répondre laisse à penser que cette amitié n’est pas parvenue à son terme. Notons que la dispute, du départ jusqu’à sa fin, demeure dans l’imprécision.


Retrouvons en un tableau la synthèse de ce qui vient d’être dit.

action : pas de scène d’exposition : intrigue apparemment  floue et spontanée

concret

Abstrait

 

a) enquête de H1 :  phrases interrogatives, déclaratives affirmatives et  négatives, exclamatives

 

« Qu’est-ce que tu as contre moi « (p.23)

 

b) révélation de H2 : 

 

3 points du différend :

 

“c’est biiien… ça” Un accent mis sur “bien”… un étirement sur “ça”  et un suspens avant que ça arrive… ce n’est pas sans importance » (p.27)






 

 

 

 

 

c) Discussion H1/H2

 

« Ce que tu as senti dans cet accent mis sur bien… dans ce suspens,  c’est qu’ils étaient ceux qui se nomme condescendants » (p.30)

 

d) intervention des voisins :

« vous ne trouvez pas ça gentil ? Moi une proposition… « (p.33) (31 à 35)





e. conclusion de la discussion  : thème du bonheur

H2 vu comme : « cinglé/persécuté « (p.35)

pris au « piège » (p.35

« jaloux « (p. 37)

famille : “image de la paternité comblée” (p.37)

 

annonce du  départ de H1 :  page 39 : “Cette fois vraiment je crois qu’il vaut mieux que je parte.”

 

F.. Réconciliation : H2 dit “pardonne-moi” “Voilà ce que c’est que de se lancer dans ces explications… on parle à tort et à travers… on se met à dire plus qu’on ne pense. Mais je t’aime bien tu sais… (p 39-40)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

G. lutte : 

 

‘D’un côté le camp où je suis, celui où les hommes luttent, où il donne toutes leurs forces… ils créent la vie autour d’eux… Pas celle que tu contemples par la fenêtre, mais la ‘vraie’ celle que tous vivent.’p. 45 

H2 :” Un raté » (p. 46)

 

sur la qualité de poète : H1 dit : « Je crois que si tu te révélais comme un vrai poète il me semble que la chance serait plutôt pour toi » (p. 47)






 

 

 

 

 

 

 

H. conclusion de la querelle :

Réputation :

 « ils peuvent rompre pour un oui ou pour un non » (p.50)

 










 a) enquête  de H1 : flou : 

« écoute « ; 

« que s’est-il passé ? « (p.23)






b) révélation de H2 :  phrases simples, gêne

« juste des mots » (p.25) 

« Des mots qu’on n’a pas eus justement » p.25 

 

« une réussite quelconque  « (p.26)

 

« Quand je me suis « vanté de je ne sais plus quoi » (p.26)

 

« C’est bien ça » (p.26)

 

c) Discussion H1/H2

« un peu d’éloignement » (p. 27)

 

 




d)  intervention des voisins :

« une souricière d’occasion » (p.33)

H2 « une cage » (p.34)



e. conclusion  de la discussion : thème du bonheur

 

H2 dit : « Tu présentes tes étalages. »  Ça existe, c’est tout. Comme un lac. Comme une montagne « (p 36)

 

H1 dit « un bonheur sans nom ». /Refus du bonheur de H2

(p.39)

 

F.Réconciliation

 

Faux départ de H1 :  : didascalie « se dirige vers la porte s’arrête devant la fenêtre » p. 39 

 H2 dit : 

« Il y a chez toi parfois, comme un abandon, on dirait que tu te fonds avec ce que tu vois, que tu te perds dedans » (p 40)

 

 

 

G. lutte ouverte :

à propos de vers poétique : référence à Verlaine page 40 « la vie est là, simple et tranquille » et référence à Rimbaud : « vraie » vie (p.45)

 

H1 dit : « La vie ne vaut plus la peine d’être vécue (...) c’est exactement ce que je sens quand j’essaie de me mettre à ta place » p. 46

 

sur la qualité de poète : H1 dit : « Dommage ça aurait pu être de l’or pur. Du diamant » p.47

« Ou même du plomb n’est-ce pas ? pourvu qu’on voie ce que c’est, pourvu qu’on puisse le classer, le coter… » (p. 47)

 

H conclusion de la querelle

H1 dit « C’est vrai qu’auprès de toi j’éprouve parfois comme de l’appréhension » (p. 48)

 

métaphore judiciaire (reprise) : 

autorisation conjointe de se séparer : « On aurait peut-être plus de chance » (p. 49)

 

« déboutés tous les deux « (p.49) « ils seront signalés « (p.49)

 

H1 dit « Pour un oui.. ou pour un non ? »

H2  répond « oui ou non ?... » (p.50)

 

Oui  à la rupture pour H1

Non pour H2 (p.50)

 





 Voyons dans un prochain paragraphe le dynamisme qui est à l’œuvre.


3.1.3 la dynamique

Après avoir examiné l’action, analysons la dynamique à l’œuvre dans cette pièce qui se mesure à l’aune des didascalies et des histoires rapportées. Il vous est proposé de vous reporter au tableau récapitulatif à la fin de l’article.

On vient de voir que cette dispute ne règle finalement pas le différend, elle l’aggrave même dans un sens indéterminé.

Il est intéressant de noter le paradoxe entre une pièce de théâtre où il ne se passe rien sur le plan de l’action et les nombreux mouvements qui sont à l’œuvre.


Les didascalies

L’essentiel des didascalies concerne H2 qui est en mouvement. Il vous suffit de vous reporter au tableau pour constater les gestes initiés par H2, celui qui ne veut pas dire.

Il est intéressant de comparer les mouvements corporels aux paroles tout en retenue ou abstraites.

Les premiers sont visibles, ne prêtent pas la discussion, alors que les secondes posent problème.

Cela monte la division de l’individu entre ce qu’il dit et ce qu’il pense vraiment.

À l’inverse, H1 ne se voit accorder qu’une seule didascalie : cf. le moment où il a le triomphe modeste après le départ des voisins ayant abondé dans son sens. L’unique mouvement qu’il entreprend, c’est celui de partir et encore c’est un faux départ.

Le jeu de scène des protagonistes est intéressant puisqu’il s’agit d’un autre langage, qui est sous-jacent, qui participe à la poursuite de la dispute.


Les récits

Cette pièce comprend différentes actions racontées. Elles vont toujours dans le sens d’un mouvement allant de pair avec les didascalies. Et l’essentiel du récit est mis dans la bouche de H2.

On a cette référence au champ lexical de la justice avec:

"la demande, l’autorisation, les jurés, le casier judiciaire, la condamnation aux dépens". /« C’est que ce n’est pas permis. Je n’ai pas eu l’autorisation. »/« J’ai fait quelques démarches… » /« Comme les jurés des cours d’assises, des citoyens dont on peut garantir la responsabilité”  (p28).

En parlant ainsi, H 2 entre dans le domaine de l’abstrait avec la métaphore filée. Cette autorisation qu’il demande d’un tribunal pour pouvoir rompre son amitié est quelque chose de tout à fait imagé. Cela signifie la difficulté de résoudre un conflit nécessitant la médiation d’un tiers judiciaire ou de voisinage. On retrouvera cette métaphore filée à la fin de la pièce lorsque les amis évoquent une demande conjointe, cette fois, pour obtenir la rupture de leur amitié.

On voit donc le mouvement incessant du conflit intérieur entre les deux amis. Dans tous les cas, jamais ce conflit n’est résolu.

Par ailleurs, H1 prend la main lui aussi pour se remémorer une action du passé (l’excursion en montagne). On voit à ce moment-là le mouvement encore à l’œuvre dans le récit avec cette volonté symbolique de s’entre-tuer.

Enfin, on trouve également une dynamique avec la métaphore de la lutte. Et c’est H 2 qui est encore à la manœuvre. Cette lutte toute symbolique est celle qui empêche le rapprochement des deux corps dans la réalité : les mots ont cette faculté de remplacer un vrai combat.

Nous avons également la métaphore des mythes sortant de la bouche de H2 avec le conte de Blanche-Neige : l’intertextualité rend compte de la difficulté de communication entre les amis. Plus on se parle, moins on se comprend. 

Les mots, les contes, tout bouge, tout sort de son contexte pour habiller un autre univers.

La dynamique qui est à l’œuvre est celle du pouvoir des mots.

Ces derniers sortent de leur utilisation habituelle pour incarner un autre imaginaire, libéré de toute emprise, ce qui ne facilite pas la communication entre les hommes.

 

dynami-sme

concret

abstrait

 

H2 en mouvement : 

 

« H2 dans un élan » (p.24) 

« piteusement », (p.25)

» soupire » (2 fois p.26)

« prenant courage » (p.26)

« gémit » (p.33)

 

H1 :  didascalies « doucement « (p.35)

 

« Il vaut mieux que je parte » (p. 39)

 

 H2 : action racontée 

 

champ lexical justice : 

« C’est que ce n’est pas permis. je n’ai pas eu l’autorisation. »

« j’ai fait quelques démarches… »  « Comme les jurés des cours d’assises, des citoyens dont on peut garantir la responsabilité » 

« condamnés aux dépens.  et même certains, comme moi poursuivis, « (page 27)

 j’ai appris que j’avais un casier judiciaire où j’étais désigné comme “celui qui rompt pour un oui ou pour un non” (p.28) 

 

H1 : action racontée

épisode montagnard (p.43 à 44) : “Nous étions là à attendre”/j’ai eu envie de te tuer »

 

symbolisme : 

 

métaphore de la lutte 

« Et tu m’as soulevé par la peau du cou, tu m’as tenu dans ta main, tu m’as tourné et retourné… et tu m’as laissé retomber » (p.29)

 

« Il a disposé une souricière » (p. 33)

 

métaphore des mythes Blanche-Neige  (p.38) : « Il y avait donc là-bas… caché au fond de la forêt, une petite princesse… »  « miroir », « reine »

 

 



3.2. Les intentions de l'autrice

 

Après avoir vu le balancement dans cette œuvre, il est temps de comprendre les intentions de l’autrice. Nous le ferons aujourd’hui au travers du rôle du temps et de l’espace.


3.2.1 Structure

Notons, en tout premier lieu, que cette pièce n’est pas découpée en actes ou en scènes, ce qui habituellement offre un cadre spatial (un ou plusieurs lieux au cours des actes, par exemple) et un axe temporel (une progression de l’action dans une journée au moins).

Ici il n’en est rien par la volonté même de l’autrice.


Le rôle du temps

On peut voir que cette pièce est dénuée de temporalité : on ne sait pas à quelle époque nous nous trouvons, ni le moment où cela se passe et nous n’avons par ailleurs aucune notion de durée : la durée de l’amitié ou même de leur éloignement initial, etc.

Nous ne sommes pas en présence de connecteurs de temps, si ce n’est pour évoquer le passé. Là encore l’imprécision est de mise : « l’autre jour » (p.24).

C’est, en outre, une pièce qui joue sur l'opposition passé/présent.

Relevons que la conjugaison dans cette pièce est essentiellement figée à l’indicatif avec l’imparfait, « je voulais te demander » (p 23), le passé composé, « que s’est-il passé ? » (p 23), ou le présent « non, je sens qu’il y a quelque chose » (p 23). La relation d’amitié est questionnée au présent à l’aune du passé.

Nulle référence au futur si ce n’est lors de l’épisode avec les voisins « cela ne vous prendra pas longtemps » (p. 31) puisque l’existence de cette relation est précisément sous caution.

Nous avons aussi du conditionnel qui permet d’échafauder des hypothèses : « il m’a dit que peut-être il pourrait demander à quelqu’un… » (p. 33). Enfin nous trouvons également du subjonctif qui est le temps de la pensée, de la résolution : « Cette fois vraiment je crois qu’il vaut mieux que je parte. »

Il s’agit d’une volonté claire de Nathalie Sarraute de décontextualiser totalement cette pièce qui vise l’épure. Seule la confrontation des mots compte. Pourquoi adopte-t-elle cette perspective ?

L’entreprise littéraire de l’auteure est attachée à une seule chose : la mise en évidence du caractère figé des mots à l’image des personnages figé dans une temporalité bouchée.

Et quoi de mieux que de les mettre en valeur en rendant abstrait tout ce qui peut faire écran, comme les références au temps et à la durée.


Le rôle de l’espace

S’agissant du cadre spatial, on note paradoxalement sa grande importance : là où le temps est escamoté, l’espace, lui, est omniprésent. Nous sommes ainsi à l’intérieur d’un lieu propice à la conversation. Mais c’est aussi un endroit où la tension se fait palpable. Nous sommes dans un huis clos propice à l’émergence d’une dispute théâtralisée.

Mais c’est par petites touches que l’auteure expose le cadre : on est encore dans l’entreprise d’imprécision déjà caractérisée : « là-bas » (p.33), « ici » (p.34), etc.

 Il faut attendre la page 40 pour que le cadre enfin se précise : H2 ne dit-il pas :

« tu comprends pourquoi je tiens tant à cet endroit ? » (p.40).

Mais ce qui intéresse en réalité Nathalie Sarraute, c’est moins l’espace concret que celui intérieur à l’homme. Elle nous brosse ainsi l’univers mental des deux amis : chacun vit dans son propre monde :

« Il n’y a aucune chance que je t’y trouve…/non ni là, ni ailleurs » (p. 39)
« Il faut absolument que tu viennes  (...) est-ce toujours là quelque part hors de nos frontières ?" (p. 39)

Le rôle de l’espace a pour fonction de signifier l’impossibilité pour les hommes de se comprendre dès lors qu’on se confronte aux mots. Battus en brèche, ces derniers conduisent à la solitude.

 

concret

abstrait

rôle du temps

Pas de durée exprimée,

brièveté de la pièce

conjugaison : opposition passé/présent

pas de futur

 

 connecteurs de temps flous : 

 

“depuis tant d’années” (p.23)

“toujours été très chic” (p.24)

“l’autre jour” (p.24)

 

 

 rôle du lieu

À l’intérieur d’un lieu : huis clos chez H2 : “‘tu comprends pourquoi je tiens tant à cet endroit ?’ (p. 40) 

didascalie : ‘Regarde dehors’ (p.39)

 

 H2 dit rien ne me fera quitter ‘mon trou, j’y suis trop bien’ (p.46)

 

H2 dit : ‘quand je suis chez toi c’est comme la claustrophobie/Du mal à reprendre vie.’ (p. 48)

 

cf. didascalies :

— ” sort et revient avec un couple » (p.31)

 - « se dirige vers la porte. S’arrête à la fenêtre ». 

 

 

connecteurs de lieu flous :

« tu étais à l’autre bout du monde » p.24

 

« là-bas, chez lui… » (p 33) 

 

« J’avais moi aussi une place ici chez eux » (p. 34)

 

deux univers intérieurs séparés : 

 

« Il n’y a aucune chance que je t’y trouve…/non ni là, ni ailleurs » (p. 39)

 

« Il faut absolument que tu viennes  (...) est-ce toujours là quelque part hors de nos frontières ? p. 39

 


 

3.2.2 Ultra ponctuation


Après l'examen du rôle du temps et de l’espace, il est temps de comprendre les intentions de l’auteure en nous intéressant à l'ultra ponctuation du texte.

On rappelle que cette pièce a été d’abord créée pour la radio. Elle a donc été conçue pour être écoutée : on comprend alors l’importance de la ponctuation, qui s'analyse en une véritable partition musicale, pour percevoir les émotions exprimées par les personnages. Les intonations sont donc rendues essentielles à la compréhension du texte.

Il faut donc noter que l'ultra ponctuation fonde la cohérence même de la dispute :

  • Nombreux points d’interrogation pour marquer le questionnement des amis, et souvent en série pour montrer la véritable enquête, sans compromissions, mais aussi l’ironie,

  • Nombreux points d’exclamation pour faire apparaître les tensions et l’ironie,

  • Des points pour achever des phrases déclaratives : lorsque le dialogue n’est pas interrompu et que l’idée est close.

  • Les guillemets : pour insister sur une locution, sur un terme,

  • Omniprésence des points de suspension constituant la principale singularité en la matière. Chaque phrase se termine singulièrement ainsi. Le rythme est ainsi haché, toujours interrompu. On voit même que la personne qui parle s’interrompt. Pourquoi ? Il s’agit de montrer le caractère spontané de la réflexion en cours, mais également les hésitations, les non-dits, la gêne, la cruauté autant de sentiments éprouvés par les deux amis. Cela donne une véritable tension à la pièce ; ce malaise participe à la théâtralisation de la dispute. il s’agit donc d’un dialogue qui est à destination de son interlocuteur et du public, mais également à l’intention de celui qui parle. On est donc dans une double énonciation au carré.

Type

Sens premier

Sens second

Points d’interrogation

 

Questionnement, enquête

« Pourquoi ? dis-moi pourquoi ? » (p.24)

Ironie

« Quelle forêt ? Quelle princesse ? tu divagues » (p.38)

Points d’exclamation

Humeur, tension « Je n’étais pas jaloux ! » (p.37)

« Non ! » (p.50)

Ironie

 « Peur ? Peur ! » (p.46)

Guillemets

Locution mise en exergue : mot « condescendant » (p.30) « raté » (p.46)

« celui qui rompt pour un oui ou pour non » (p.28)

Discours direct : « suis-je la plus belle, dis-moi «  (p.38)

Ironie :

"malgré moi les guillemets arrivent" (p 43)

Points de suspension

 

Réflexion en cours, mais hésitations, non-dits, gêne, critique

"c’est biiien… ça…"(p27)

Ironie : "On en trouve partout… tiens ici tout près… mes voisins… des gens très serviables…  des gens très bien… tout à fait de ceux qu’on choisit pour les jurys… intègres." (p31)

Point

Phrase déclarative

"De Verlaine. C’est ça"(p 40)

Ironie :

"C’est dommage que tu ne m’aies pas consulté, j’aurais pu te conseiller sur la façon de rédiger ta demande." (p 29)

 

Silence

C’est également une pièce faite de silences comme l’indiquent les deux dernières didascalies à la fin de la pièce.

Le silence reste un langage au-delà des mots : c’est un desserrement des contraintes sémantiques. Il permet ainsi de prendre du recul, de faire baisser la tension :

"H2, l’observe un instant. S’approche de lui, lui met la main sur l’épaule : pardonne-moi…" (p. 39)

À l’inverse, le silence permet également de passer à l’action :

"H2 : oui je vois. Un silence. À quoi bon s’acharner ?" (p.48)

Mais cette action mûrie par le silence peut très bien aboutir à l’inaction comme à la fin de la pièce :

"Un silence
H2 : oui ou non ?...
H1 : Ce n’est pourtant pas la même chose…
H2 : En effet : Oui. Ou non.
H1 : Oui
H2 : Non ! (p. 50)"

 3.2.3 Argumentation

Il s’agit de montrer les constructions langagières des hommes. Au cœur de ces constructions, on trouve l’inauthenticité.


Caractère figé

L’inauthenticité résulte du caractère figé du terme qui perd tout son sens du fait de la norme sociale. Les préjugés sociaux sont la seule clé de lecture alors que le terme en lui-même est de l’ordre du subjectif et se prête ainsi à différentes interprétations. Tel est le cas si l’on regarde les quatre points d’achoppement de la dispute :

– c’est bien ça : il faut exclure toute idée psychanalytique avec le ‘ça’ dont l’auteur avait particulièrement horreur, sauf à considérer que cette enquête sur ce fameux ‘ça’, loin de régler le problème comme cherche à le faire la psychanalyse, l’aggrave. Cette tournure relève de l'appréciation subjective.

– la condescendance : le mépris des hommes ; il s'agit d'un critère subjectif.

– le bonheur : notion philosophique, là encore notons le critère subjectif,

– la vraie vie : notion philosophique, relevons le critère subjectif.


Dans tous les cas, il est question de concepts abstraits qui sont travaillés par les personnages dans cette dispute.

Sarraute entend redonner vie aux termes, débarrassés de leur tropisme, de leur donner un sens plus authentique.

On assiste alors à une sorte d’épurement du langage, au dévoilement de l’homme au travers de ses maladresses langagières. 


On a vu que H2 commet des abus de langage qui consistent pour lui à faire état de son propre univers. Chacun, en effet, habite un univers intérieur distinct :

"Il n’y a aucune chance que je t’y trouve…/non ni là, ni ailleurs" (p. 39).

L’auteur insiste finalement sur la solitude existentielle de l’homme.

On note avec intérêt que la seule chose qui n'est pas discutée entre les amis : c’est l’expression à l’origine du titre de la pièce : pour un oui ou pour un non.

Que signifie donc cette expression ?


Désinvolture

L'expression pour un oui ou pour un non présente un sens passablement péjoratif.

Elle a pour synonyme un caprice, une désinvolture : on peut dire que l’amitié ne serait pas une vertu durable puisqu’elle pourrait être rompue sans motif sérieux.

Dans la pièce, cette expression est employée, en outre, comme un préjugé : c’est une critique sociale :

"J'ai appris que j’avais un casier judiciaire où j’étais désigné même "celui qui rompt pour un oui ou pour un non" (p 28).

On retrouve ce même préjugé à la fin de la pièce où il est indiqué :

"chacun saura de quoi ils sont capables, de quoi ils peuvent se rendre coupables : ils peuvent rompre pour un oui ou pour un non" (p. 50).

Cette expression aurait pu être discutée entre les amis.

Mais elle ne l’est pas.

On note, en effet, le fait qu’ils s’accordent parfaitement sur la définition.

Pourquoi ?

Parce que cette locution est déjà binaire (oui/non) et ne peut logiquement engendrer une tierce notion.

Et pour autant, cette expression mériterait d’être discutée pour savoir si cette amitié peut être rompue avec ou sans motif.

Cependant, ils ne cherchent qu'une chose parfaitement futile : ils veulent seulement savoir s’ils seront condamnés à être vus comme des personnes rompant pour un oui ou pour un non : ils sont donc soumis à un impératif social.

C’est leur point commun, le seul dans toute cette dispute.

Ils ne peuvent pas échapper au regard de l'autre et de la société, c’est pour cela qu’ils cherchent paradoxalement à être d’accord pour ne plus se voir.

Et justement, ils n’y arrivent pas puisqu’à la fin de la pièce, ils sont incapables de s’entendre : la réponse est diamétralement opposée.

On assiste alors à une fragmentation de l’expression, à une libération de l’emprise sociale en quelque sorte.

C’est une liberté langagière.

Le titre de la pièce rend donc compte de cet éclatement, de cette vie…


3.2.4 Les principales figures de style et les registres

Ce sont essentiellement des figures de répétition qui figurent dans le texte.


Répétitions

On peut voir des répétitions au sens strict du terme :

"- H2 : Eh bien ?

– H1 : Eh bien…

– H2 : Eh bien ?"(p.45)

La répétition permet d’inviter l'autre à exprimer sa pensée.

Elle sert aussi à se confronter :

«  – H1 : Peur ? Peur !

- H2 : oui, peur. Ça te fait peur (…)" (p. 46)

Cette répétition fait partie de la stratégie théâtrale : elle souligne la tension entre les amis, leur difficulté à se comprendre. Cela forme un écho, une interpellation sur le sens et la portée du mot. 

On trouve, en outre, des antithèses : la plus importante est celle entre le je et le tu qui parcourent tout le texte et évidemment entre le oui/non.

"- H2 : (…) Tu n’auras pas cette chance.

- H1 : Moi ? Cette chance ? Je crois que si tu te révélais comme un vrai poète… il me semble que la chance serait plutôt pour toi."(p.47)

On relève également les oppositions entre le dit et le non dit : 

"(…) juste des mots"/"des mots qu’on n’a pas "eus" justement…"(p. 25) : cette figure de style entre pleinement dans le champ de la dispute reposant sur des interprétations opposées d’un même mot.

Par ailleurs, on note des métaphores : "tu doutes toujours, tu crains qu’il n’y ait là-bas, dans une petite cabane dans la forêt…’ (p. 46). "Dommage. Ça aurait pu être de l’or pur. Du diamant."(p 47).

Ces figures métaphoriques permettent aux termes de sortir de leur caractère figé et de revêtir un imaginaire, un espace de liberté, un nouvel esthétique, ainsi qu’on l’a vu précédemment.

Ce sont des stratégies stylistiques importantes pour la dispute.


Registres

On note enfin deux registres :

Cette pièce comprend un registre comique dans les dialogues faisant appel à des images inattendues :

"- H1 : c’est que tout à l’heure, tu m’as parlé pour ne rien dire… tu m’as énormément appris, figure-toi (…) cette fois-ci celui qui a placé le petit bout de lard, c’est toi.

- H2 : Quel bout de lard ?" (p. 41)


Excluons toute idée d’absurde.

En effet, si l’auteure joue sur l’abstraction du langage, son enfermement, elle n’a pas souhaité faire entrer sa pièce dans le champ l’absurde.

On a vu que les parties se répondent avec une forme de logique alors que ce n’est pas le cas dans le théâtre de l’absurde.


On n’oublie pas que c’est un texte sur la libération des mots trop souvent figés, c’est un marqueur puissant que de les délier par... l’humour.

Il reste qu’un autre registre est à l’œuvre.


Le registre tragique est également présent dans cette pièce : le thème de la mort est abordé par les protagonistes au sens premier du terme :

"- H2 : Ah oui. Je m’en souviens… j’ai eu envie de te tuer.

- H1 : et moi aussi. Tous les autres, s’ils avaient pu parler, ils auraient avoué qu’ils avaient envie de te pousser dans une crevasse…" (p. 44)

Mais il s’agit surtout de la mort d’une amitié, de cette faculté de rompre les liens.


Au-delà de cette amitié, Sarraute peint l’immense solitude de l’être humain, considère tragiquement l’incommunicabilité entre les hommes une fois les mots rendus plus sincères et donc plus libres…

Il s'agit d'une pièce présentant un fond pessimiste.

 


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