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  • Le mensonge sous toutes ses formes (Corneille)

    Bac : dans la thématique mensonge et comédie, il faut définir et considérer les différents types d'altérations de la vérité figurant dans cette pièce au regard du dévoilement de la vérité qui se fait progressivement jour.  Page de garde du livret du menteur de Corneille Le mensonge, comme un moyen Nous allons étudier le mensonge vu comme un moyen dans la série d'articles à suivre. Cela signifie qu'il nous faut analyser la comédie qui est axée sur les différents mensonges du personnage principal, leur mise en œuvre et leur réussite avant d’examiner la personnalité même du  Menteur,  personnage masculin au singulier, comme le présuppose le titre de la comédie. Or, la lecture approfondie de la pièce souligne le rôle important et l’intervention ...d’autres menteurs dans cette comédie. Définitions Pour examiner les ressorts qui sont à l'œuvre dans cette comédie, il faut définir les termes pour que nous soyons à même de repérer la nature du mensonge.  a) Altération de la vérité Notons l'évidence, mais c'est toujours utile de le préciser :   le mensonge ne se comprend que par rapport à la vérité. Cette dernière se définit comme la conformité à la réalité (Larousse) . Nous verrons la place de la vérité dans les paroles échangées. Venons-en au mensonge, si vous le voulez bien. Le mensonge se conçoit comme l’altération de la vérité ; il a pour synonyme l’illusion, la tromperie. La tromperie résulte des paroles, mais également d'actes (manœuvres). On exclut la mythomanie qui est une maladie mentale alors que le héros est aux prises avec un tout autre problème dans son rapport à la vérité comme nous le verrons ultérieurement. (Larousse) b) Quiproquo À côté du mensonge proprement dit, nous voyons d'autres altérations de la vérité avec le quiproquo  (latin quid pro quod, une chose pour une autre), il se définit comme la m éprise d’une personne par une autre. (Larousse) c) Artifice Reste l'artifice qui entre dans la stratégie du menteur. Il se définit comme un  moyen habile visant à cacher la vérité, à tromper sur la réalité, un tour. (Larousse)  Application à la pièce Dans la thématique "mensonge et comédie", il faut donc considérer les différents types d'altérations de la vérité figurant dans cette pièce au regard du dévoilement de la vérité qui se fait progressivement jour.  On notera ainsi les mensonges résultants des paroles échangées par les personnages, les feintes c'est-à-dire les ruses projetées par les différents intervenants, puis nous verrons les deux quiproquos et le lien entre ces deux méprise avant enfin de considérer le rôle des silences dans la stratégie comique. C'est ainsi n ous avons identifié les procédés mensongers utilisés par Corneille dans sa comédie.   Dans les articles suivants, il vous sera suggéré une relecture approfondie des cinq actes. Il vous sera proposé de retrouver le schéma théâtral décomposé par actes en un tableau synthétique, seul moyen de se repérer dans tous ces mensonges (!)... repère à suivre :  compréhension de l'acte I

  • "Le Menteur" (Corneille)

    Bac : Le Menteur de Corneille (1643) s'inscrit dans un contexte bien précis et se présente comme une adaptation d'une comédie espagnole remise au goût français. Retour sur le contexte, l'origine et la nature de cette pièce... Frontispice du "Menteur", édition 1660 Le Menteur, Corneille La pièce, Le Menteur Corneille , a été jouée en 1643, date de sa première représentation (ou possiblement dès la saison précédente). Elle est imprimée par la suite en 1644 comme toute pièce dont le texte est fixé après coup, selon le "rodage " effectué devant le public : cela donne lieu souvent à des amendements par rapport à la pièce initiale notamment dans le jeu de scène. Le Menteur connaît un succès retentissant. À cette date, la France est dirigée par Anne d'Autriche, régente du futur Louis XIV, et par Mazarin, Premier ministre. L'auteur est avant tout un auteur de comédies, avant de passer à la postérité pour la seule qualité de ses tragédies : c'est oublier qu'il doit sa célébrité à la création de cinq comédies à succès jouées entre 1625 et 1634. C'est paradoxalement le triomphe de  ses tragédies et surtout de sa tragi-comédie du Cid (1637) qui va éclipser cette réputation de grand auteur de comédies, place occupée depuis par Molière... Le Menteur constitue l’avant-dernière pièce comique baroque de Corneille qui, devant l'engouement du public, crée immédiatement une suite qui sera jouée en 1645 reprenant quasiment la figure de son héros dont la particularité est de ...ne plus mentir. Il lui choisit un titre simple : la Suite du Menteur. Mais le succès du menteur finalement assagi n'est pas au rendez-vous. C'est ainsi que son œuvre se poursuit désormais avec les seules tragédies. Origine de la pièce Il est intéressant de relever qu'il s'agit d'une adaptation (a) qui a donné lieu à une erreur d'attribution (b). Nous verrons aussi les deux courants de comédie en Europe au XVIIe siècle (c). a) Adaptation L’argument de cette pièce est expressément tiré du répertoire espagnol. Corneille ne l’a donc pas inventé. Corneille ne le cache donc pas, il le revendique même. Il faut se replacer dans le contexte :  depuis la Renaissance avec la redécouverte du patrimoine littéraire grec et latin dont la qualité est jugée par certains indépassable (cf querelle des Anciens et des Modernes), s’inspirer d’autres œuvres est une pratique courante de l'époque. Ce serait un contresens de parler de plagiat qui ne se conçoit pas. Le travail de création puisqu'il en existe un consiste à adapter des pièces étrangères au goût français. Par le passé, Corneille a déjà puisé dans le même répertoire pour son chef-d'œuvre  le Cid.    b) Erreur d’attribution Dans l'épître et l’avis au lecteur de 1648, il attribue la pièce d’origine à Lope de Vega. Mais il s’agit d’une erreur, car Alarcón , le véritable dramaturge, se fait connaître après la représentation et l’impression de sa pièce soit en 1634. Curieusement, cette information n’est pas parvenue aux oreilles de Corneille : il faut, en effet, attendre l'Examen de 1660 pour qu’il accorde au véritable auteur la paternité de la pièce d'origine : Juan Ruiz de Alarcón, la Vérité suspecte, sous-titrée, le Menteur. c) Espagne vs Italie Avec cette pièce, nous devons évoquer l’influence de deux pays européens dans la comédie française au XVIIe siècle ; on évoque le théâtre italien et le théâtre espagnol avant de les opposer : précisons que la question du mariage  est le thème central de toute comédie quelle que soit son origine. Il existe pourtant des différences notables : la Commedia dell’arte italienne : cette comédie repose essentiellement sur le jeu de ses acteurs qui improvisent dans la rue, sur des tréteaux, à partir de canevas brossé d’avance. La pièce met en scène des personnages caricaturaux forçant lourdement le trait à l’aide d’un comique de mots assortis de grimaces, de gestes (bâton du maître) et de situation avec le rôle de la farce. Les personnages stéréotypés sont facilement reconnaissables à leurs masques et aux éléments de leur costume. Molière a largement puisé dans ce répertoire. La comédie du valet est issu de ce théâtre. la Comedia espagnole : il s'agit d'une nouvelle forme de divertissement en quête d’un rire moins grossier qui a refondu le genre comique en proposant des personnages moins stéréotypés et moins ridicules que ceux de la comédie italienne. La pièce s’ancre dans un décor réaliste planté en milieu urbain. Elle propose une intrigue plus aristocratique et donc beaucoup plus romanesque. L’action se résout du fait de l’initiative pleine d’esprit du héros. Nature de la pièce Il faut s'intéresser au genre de la pièce voulu par l'auteur (a), considérer l’appartenance de la pièce à un courant littéraire (b) avant d’envisager enfin les règles applicables à la comédie (c). a) Comédie L'auteur dans son épître rédigée au printemps 1644 indique :  “Je vous présente une pièce de théâtre d'un style si éloigné de ma dernière qu'on aura de la peine à croire qu'elle soit partie toutes deux de la même main dans le même hiver.”  (cf. édition GF p 50 et suiv.) Cette œuvre est, pour l'heure, qualifiée de manière vague avec la périphrase “une pièce de théâtre”. Le terme « comédie » est employé dans la suite de son épître à partir de son genre littéraire : “ Et d'ailleurs, étant obligé au genre comique de ma première réputation, je ne pouvais l'abandonner tout à fait sans quelle espèce d'ingratitude.” (cf.édition GF p 50 et suiv)  Cependant il faut noter l'originalité du comique selon la propre conception de Corneille ; il s'agit pour lui de détacher le rire de la comédie pour en faire une œuvre «toute spirituelle et ses incidents si justes et si gracieux ». (Au lecteur, GF, p 54). La comédie n'est donc plus associée au seul rire. Pour lui, c’est avant tout le plaisir apporté aux spectateurs qui forme la comédie.  b) Courant littéraire Le théâtre de Corneille appartient au théâtre baroque. Le terme « baroque» vient du portugais barroco qui signifie « perle irrégulière ». A posteriori, il sert à qualifier le courant artistique des XVI e et XVII e siècles qui s'écarte de la régularité et promeut le mouvement.  c) Respect des règles Quelles sont les règles applicables en matière de comédie ? On rappelle la règle des trois unités et la vraisemblance.  Rappelons que la querelle du Cid (1637) a porté notamment sur le non-respect des règles d'unité de temps : un de ses détracteurs,  Scudéry, pointant le trop grand nombre d’actions dans la pièce déclare : « ce qui loin d’être bon dans les vingt-quatre heures, ne serait pas supportable dans les vingt-quatre ans ». De son point de vue, la vraisemblance par rapport à la réalité fait défaut.  Vérifions leur respect par l’auteur dans sa pièce écrite postérieurement : - unité de lieu : une seule ville, en l’occurrence Paris et deux lieux déterminés, les Tuileries et la place Royale (la place des Vosges actuelle) : respect. - unité de temps : 24 heures : on note que l’action se déroule dans l’après-midi et s’achève le lendemain en fin de matinée : respect. - unité d’action figurant dans la scène d’exposition : à la différence du théâtre italien, il ne s’agit pas d’un projet de mariage forcée imaginé par le père, l’action réside dans la personnalité du héros et non sur le sujet de son mariage qui n’est évoqué qu’à partir de l'acte II.   - la vraisemblance : l’action doit être rendu e plausible. sources :  Marc Escola, présentation, Le Menteur, Corneille GF, p.12, p.14, dossier p202 Bnf, Molière et la commedia dell’arte Hautcœur, Guiomar. « La Comedia espagnole et l’évolution du roman français au XVIIe siècle ». Le théâtre espagnol du Siècle d’Or en France, édité par Christophe Couderc, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2012  Jean-Marc Civardi , Quelques critiques adressées au Cid de Corneille en 1637-1638 et les réponses apportées   https://shs.cairn.info/revue-l-information-litteraire-2002-1-page-12?lang=fr repère à suivre : l e mensonge sous toutes ses formes

  • "La Rage de l'expression" (Ponge)

    Bac : Les programmes officiels nous invitent à analyser le sens et la portée du recueil de Francis Ponge la Rage de l'expression . Le cadre proposé s'inscrit dans un parcours intitulé : dans l'atelier du poète. Analysons ensemble le choix du titre,   le contenu du recueil, la démarche poétique entreprise, l'inventaire de l’atelier de Ponge avant de voir la portée de son œuvre. La palette de litteratus la rage de l'expression Les programmes officiels nous invitent à analyser le sens et la portée du recueil de Francis Ponge la Rage de l'expression . La formulation proposée implique de définir les termes choisis. Ainsi l'atelier renvoie au travail de l'artisan, du peintre, de l'artiste en général. L'association de l'atelier au poète est donc au cœur du sujet. Il nous est demandé d’analyser la poésie dans sa “fabrication”. Pourquoi une telle orientation ? C’est que Ponge a choisi lui-même, avec cette œuvre, de mettre en lumière les travaux préparatoires à sa poésie : il a mis en lumière ce qui nous est habituellement caché et en a fait la matière pure de son recueil.  Pour reprendre la métaphore de l’atelier, on aurait ainsi accès aux études (esquisses, détails, croquis etc.) et pas seulement au résultat final, la peinture elle-même. Plan Nous allons donc nous saisir de cette singularité en vous proposant la problématique suivante : Comment Francis Ponge conçoit-il l’art poétique ? Nous verrons les protestations de Ponge sur son propre statut de poète.Il convient de procéder à la présentation du recueil avant toute analyse : Brève biographie de Ponge Voici quelques éléments-clefs de la biographie de Francis Ponge (1899-1988). L’auteur, qui a reçu une formation en philosophie, s’est tourné, après deux échecs académiques, vers la poésie. Il écrit dès ses 20 ans dans des revues sans que cela ne lui permette d’en vivre. Ponge occupe, dès lors, des emplois alimentaires, et durant ses heures libres, il se lie aux poètes surréalistes dans les années 1930 avant d'adhérer au parti communiste en 1937.  Après la déclaration de la Seconde Guerre mondiale en 1939, Ponge est mobilisé jusqu'à l'armistice de juin 1940. Il entre en 1943 dans la Résistance en devenant agent de liaison. Parallèlement à la guerre, il poursuit son œuvre poétique ;  il publie en 1942 le Parti pris des choses qui lui apporte un vif succès. Il fait la rencontre de Camus. Comme lui, il s’éloigne du parti communiste.  Ponge publie la Rage de l'expression en 1952 : il s'agit d'un recueil de textes écrits entre 1938 et 1944. Il donne des conférences, enseigne aux Etats-Unis : il est un auteur reconnu ; il meurt en 1988. Le titre du recueil En 1942, Ponge obtient de faire publier, après bien des péripéties, son recueil composé de pièces écrites avant la guerre, le Parti pris des choses : ce titre renvoie à l’examen d’objets humbles du quotidien (bougie, cageot, cigarette) au travers de textes travaillés pour montrer à la fois la singularité de la chose en elle-même et la vision variable de l’homme sur ce même objet. En d’autres mots, on peut dire qu’il a adopté le parti pris de décrire des choses.  Avec cette terminologie, Ponge ne parle finalement pas de l’objet, mais d’abord de lui-même. Notons la difficulté de Ponge à se qualifier de « poète » comme nous le verrons dans l’analyse de l’œillet.   S’il s’agit de lui, c’est pour évoquer essentiellement son travail et la direction qu’il entend lui donner : un engagement objectif avec une cause à soutenir. Il se situe au niveau de la matière et non de l’esprit ou des sentiments. Il reprend ce positionnement philosophique et poétique dans son deuxième recueil lorsqu’en 1952, Ponge publie la Rage de l’expression.  Ce titre comporte de surcroît une tonalité plus violente comme le suggèrent l’étymologie et l’analyse des mots. Étymologie et analyse Ce mot provient du latin « rabies » pour évoquer le virus rabique donnant la « rage » ; cette maladie contagieuse transmise par le chien notamment à l’homme est restée longtemps inguérissable (NB : vaccin contre la rage par Pasteur mis au point en 1885). Elle entraînait des manifestations physiques effrayantes : agitation, confusion, hallucination, coma et mort. Par extension, la rage est devenue au sens figuré une colère violente, une fureur, une frénésie donnant lieu à des actes excessifs.  On emploie enfin ce terme pour signifier une envie, un désir que rien ni personne ne peut arrêter : ex : la rage de vivre. On est dans le domaine subjectif. Analysons maintenant la nature et la fonction des termes  :  - la rage et l’expression : deux noms communs,  - de : une préposition. Dans ce groupe nominal, la rage de l’expression, il ne s’agit pas de n’importe quelle rage, puisque ce terme est complété par le complément du nom de l’expression.  Qu’est-ce qu’on peut déduire ? Une originalité reposant sur deux points. Objet L’originalité du recueil repose comme dans le précédent sur l’auteur et sur le monde, avec deux orientations plus précises : l’attitude de l’auteur plus subjective avec son obsession irrépressible, l’objet de sa création est déplacé de la chose au travail de la langue. On obtient le rapport entre l’auteur et la langue française. Ce sont donc les deux axes centraux de ce recueil dont nous verrons en détail le contenu. Sources Madeline Pampel, Francis Ponge et Eugène de Kermadec, chapitre 5 : Ponge et la Seconde Guerre mondiale. dictionnaire Larousse  La composition du recueil Précisons le contexte de l’écriture de ce recueil, si vous le voulez bien. Contexte Ayant tenu durant la période 1938 et 1944 un carnet de poèmes, Ponge les réunit dans le recueil, la Rage de l'expression, publié en 1952.  Comme beaucoup d’auteurs d’autrefois, le poème est d’abord proposé à la publication dans des revues avant d’être regroupé en un recueil. Le livre n'intervient qu’à la fin du projet littéraire.  Certains des poèmes, objets de notre étude, ont suivi le même processus, sachant qu’ils ont été publiés dans des revues clandestines durant la guerre. Le Mimosa, Fontaine (mai 1942) Notes pour "La Guêpe”, Domaine français (décembre 1943).  Composition Ouvrons le recueil. Nous comptons  7 parties principales  : Berges de la Loire : un bref texte en prose (24 mai 1941) La Guêpe : un long texte en prose, composé en fragments avec ou sans sous-titres (août 1943) Notes prises pour un oiseau : fragments et variations de poèmes en vers (mars-septembre 1938) L’Œillet : un long texte en prose, composé en fragments avec des numérotations et des variations poétiques, (1941-1944)  Le Mimosa : un long texte en prose, composé de fragments datés, comprenant des notes et des variations poétiques ( 1941)  Le Carnet du Bois de pins : un carnet de bord comprenant un schéma, des textes en prose datés, des variations poétiques, des suites de chiffres, des notes, de la correspondance (22 juillet 1941) et 5 sous-parties : leur assemblée, le plaisir des bois de pins, formation d’un abcès poétique, tout cela n’est pas sérieux, Appendice   la Mounine ou note après coup sur un ciel de Provence : un carnet de bord, avec des variations poétiques, des notes. (mai-août 1941) Pour appréhender l’objectif de Ponge, il convient de relever, tout d’abord, l’unité de composition avant de voir ses différences. Unité  On note une unité dans le fait que l’auteur ait choisi comme cadre la nature comprise comme flore et faune : on décompte cependant plus de poèmes consacrés au règne végétal qu'au règne animal. Ensuite, on retrouve chaque fois le caractère hybride du recueil avec de la prose et des vers : on voit là encore plus de textes en prose qu'en vers. Nous verrons plus loin la raison de cela. Mais ce qui frappe le plus, c’est l’insertion dans le champ poétique de notes préparatoires, de carnets de bord, de définitions, de poèmes écrits et réécrits. Tout cela figure comme des esquisses jamais achevées. Voyons les différences, si vous le voulez bien. Différences Si la présentation des textes n’est pas classée de manière chronologique, elle ne doit rien au hasard : on décèle, en effet, une progression poétique. De quelle nature ? La progression se mesure par la longueur croissante des parties. Ces dernières sont enrichies de matériaux préparatoires, eux-mêmes plus nombreux et de nature plus variée (correspondance, schéma, suites de nombres, notes). Les fragments et autres carnets se voient ajouter eux-mêmes des annexes (Le Carnet du Bois de pins et la Mounine ou note après coup sur un ciel de Provence).  On se trouve dans l’atelier du poète avec l’intégralité de sa documentation et des essais. La démarche de Ponge Demandons-nous la nature de l’objectif poursuivi par Ponge qui passe par une démarche scientifique, un réel projet littéraire sans égard pour son propre statut de poète. Démarche On a vu dans un précédent article que le titre du recueil, “la Rage”, mettait en lumière l’obsession irrépressible de Ponge pour la langue.  Il accorde une importance majeure à l’écriture qu’il braque sur le monde (bois, guêpe, mimosas, etc…).  Il ne veut pas “faire un poème” (Berge de la Loire), il veut “rendre compte d’une chose” (Berge de la Loire).  Ponge entend ainsi décloisonner l’univers poétique, souvent relié à des aspirations jugées lointaines, du monde réel. On assiste à un mouvement descendant de l’auteur qui s'empare exclusivement du monde d’ici-bas pour en faire un sujet poétique.  Cette volonté repose sur une fureur du mot : il le dit expressément : “Quant à moi, le moindre soupçon de ronron poétique m'avertit  seulement que je rentre dans le manège, et provoque mon coup de reins pour en sortir. ”(Berge de la Loire). On est loin de l’image du poète avec sa lyre se promenant en déclamant ses vers… Ponge devient alors le poète “des choses”, dans une intention délibérément matérialiste. Il adopte une méthode pleine de rigueur, fondée sur une démarche scientifique que l’on peut voir ainsi :  - il observe la nature qui l’entoure, - il définit et redéfinit les termes, - il prend des notes, ébauche des sujets, fait des essais,  - il reprend ses expériences pour les travailler à nouveau sous un autre aspect On mesure l’importance de ce cheminement intellectuel chez Ponge, ce qui en fait une entreprise poétique singulière. Entreprise poétique L’originalité de cette œuvre repose sur la nature des poèmes et sur le caractère inabouti de l’entreprise créatrice. Sur le premier point, on a mis en évidence l’aspect hétéroclite du recueil : pour Ponge, le travail de recherche entre dans l’expression langagière qu’elle soit vue comme poétique ou non par les autres. Il dit ainsi : “Est-ce de la poésie? Je n'en sais rien, et peu importe. Pour moi c'est un besoin, un engagement, une colère, une affaire d'amour-propre et voilà tout.”  (L’Œillet p.47 Folio Lycée) On comprend le sens de la “rage” qui l’anime. L’originalité concerne aussi le deuxième point : le sujet de son écriture n’est jamais clos. Ponge explore alors différents modes d’expression dans une quête d’exactitude toujours à recommencer. Ainsi on observe dans son recueil des renvois à des précisions à apporter : “Somme toute il reste encore : 1.les bandes épars indisciplinés, 2. l'oiseau comme robinet de bois qui grince et crisse, pépie, piaille…” (Notes prises pour un oiseau (p.45 Folio Lycée) Il note aussi à la toute fin de son recueil : “Un jour, dans quelques mois ou quelques années, cette vérité aux profondeurs de notre esprit étant devenue habituelle, évidente peut-être, à l’occasion de la relecture des pages malhabiles et efforcées qui précèdent ou bien à l’occasion d’une nouvelle contemplation d’un ciel de Provence.” ( la Mounine ou note après coup sur un ciel de Provence p.141 Folio Lycée ) . Son travail de la langue se conçoit comme un chantier jamais achevé. Tout reste ouvert sur une autre interprétation. Il fait donc entrer la poésie dans une perspective de perméabilité au monde.  L'inventaire de l'atelier Objets Il est temps de faire l'inventaire de l’atelier de Francis Ponge. Que trouve-t-on de si singulier  ? Comme un peintre, le poète se consacre aux choses (mimosa, œillet). Elles constituent l’objet même de son travail qui n’est pas figé : il implique un rapport intérieur/extérieur, car cet atelier n’est pas un lieu clos. Comme un impressionniste, il crée en effet, en plein air (forêt, berges de la  Loire, oiseaux) au contact direct avec le réel.  En dehors des choses croquées, on trouve aussi un dictionnaire, mais pas n'importe lequel, le Littré. C’est en fait une véritable encyclopédie qui comporte un volet étymologique, grammatical et historique outre de nombreuses citations littéraires. Cette dimension multiple ne pouvait qu’accompagner Ponge dans son entreprise. Mais l’œuvre, en elle-même, peut être considérée comme un objet d’art. Recueil Le recueil  peut figurer comme un tableau, une œuvre d'art. Ponge lui-même établit ce rapprochement, il dit expressément : « Mais, si je m’ausculte un peu plus attentivement : ce n'est pas seulement de lecture que je me trouve avoir envie ou besoin; aussi de peinture aussi de musique (moins). Il me faut donc écrire de façon à satisfaire ce complexe de besoins. » (le Carnet du bois de pins, 6 août 1940 page 107). Il fait référence notamment à Vinci (page 139). La singularité tient à la forme de cette composition : il s'agit d'un journal poétique avec des écrits épars, qui sont autant d'expressions jamais achevées.  Intéressons-nous désormais au contenu du recueil. On a dans un premier temps montré sa progression : on a considéré que l’œuvre devient de plus en plus compacte, avec la correspondance et les appendices. Regardons maintenant les pages, comme la toile du maître. Que constate-t-on ? a) typographie Ponge se soucie de la typographie, on décèle dans le texte un arrangement précis, rigoureux, s’apparentant aux traits du peintre. On a ainsi des titres en lettres capitales : « NOUVELLES NOTES POUR MON OISEAU » (p.44). D'autres sont en italique « Balle de fusil » (p.32).  Ponge insère également des mots en italique ou en lettres capitales dans le corps du poème (cf. La Guêpe,  dernier paragraphe, p.33).  On a vu que Ponge a choisi une forme éclatée : concrètement, on relève que les fragments sont donc séparés par un astérisque lorsqu'il n'y a pas de titre ou de date. Ainsi, on peut lire :  *  Un barbare essaim parcours la campagne le jardin en est parcouru. ( La Guêpe page 32)  *  b) ponctuation Le texte de Ponge est ultra ponctué : points d’exclamation, d'interrogation, de suspension, tirets, etc. Il s’agit de rendre compte de la réflexion prise sur le vif, du rapport direct entre ce qui est pensé et écrit : il n’y a pas de filtre. Le poète nous donne à voir l’élaboration de sa pensée  : colorions en bleu la ponctuation pour nous en rendre pleinement compte : " Non !  Décidément,  il faut que je revienne au plaisir du bois de pins.  De quoi est-il fait,  ce plaisir ? - Principalement de ceci : le bois de pins est une pièce de la nature, faite d'arbres tous d'une espèce nettement définie ; pièce bien délimitée, généralement assez déserte, où l'on trouve abri contre le soleil, contre le vent, contre la visibilité ; mais abri non absolu, non pas isolement. Non ! C'est un abri relatif, un abri non cachotier, un abri non mesquin, un abri noble."( Carnet du bois de pins p. 77) c) le lexique Sur le fond, Ponge travaille les mots :  il crée des combinaisons souvent à des fins caustiques faites des rapprochements de termes. Il invente un néologisme : "l'objeu", contraction de l'objet et du jeu. Il manipule le langage avec rigueur et créativité.  Dans son recueil, on peut souligner des éléments que l'on peut qualifier de "traditionnels" :  on met entre parenthèses ce terme, puisque Ponge ne relève pas à proprement parler du classicisme. "Tradition" Ponge est un poète qui s'oblige à une rigueur expressive :  il respecte ainsi la ponctuation, à la différence de bon nombre de surréalistes.  On peut insister, en outre,  sur l'intertextualité,  c'est-à-dire sur les références implicites à des auteurs précédents : La Fontaine notamment avec le recours à la prosopopée destinée en l'occurrence à faire parler un animal (cf. la Guêpe).  Mais il cite  explicitement ce moraliste avec l’étude de ses fables : " le Lion et le Rat, le Roi vieilli, Les animaux malades de la peste etc." ( La Mounine ou note après coup sur un ciel de Provence p.134). Loin de s’arrêter à ce seul auteur du XVIIe siècle, il évoque aussi d’Aubigné (p.69), Théophraste et ses caractères, auteur de l'Antiquité. On voit aussi des références à Rimbaud avec son sonnet intitulé "Voyelles": "le mot oiseau (...) contient toutes les voyelles" ( notes prises pour un oiseau p. 34). Le schéma figurant dans la 6e partie rappelle Apollinaire et ses calligrammes. Ponge s'exprime le plus souvent au présent en conférant à ce temps une valeur à la fois d’énonciation d'un discours en cours d'élaboration et également de vérité générale : "Les choses et les poèmes sont inconciliables”  ( Berges de la Loire p. 24). La portée du recueil Ponge renouvelle la poésie en lui accordant un nouvel espace de liberté, débarrassé des contraintes traditionnelles : thématiques "classiques" sur la souffrance, sur l'amour, la mort, sur la nature éthérée, etc.  Sa vision du monde est ramenée au réel, dans une démarche purement matérialiste.  Il s'inscrit pleinement dans la lignée des Lumières (XVIIIe siècle) avec cette lutte contre l'obscurantisme religieux et dans une démarche encyclopédique. Il s'oppose ainsi à toute dimension spiritualiste, comme on peut le voir à de nombreuses reprises dans le texte avec notamment la mention de “M.Dieu” (p.132).  “C'est en ce sens que je me prétends combattant dans les rangs du parti des Lumières comme on disait au Grand Siècle ( le  XVIIIe siècle).  il s'agit, une fois de plus, de cueillir le fruit défendu non déplaise aux puissances d'ombre, à Dieu l'ignoble en particulier.” ( le Carnet du bois de pins p. 115) Absurde Il suit Camus dans sa philosophie de l'absurde. L'homme est ainsi projeté dans le monde  sans que son existence n’ait d'autre terme que sa propre mort. Cette prise de conscience de l’absurdité de la vie le mène à une révolte. Cette dernière débouche sur un nouveau sens à rechercher, fondé sur un engagement dans les affaires d’ici-bas pour rendre celui-ci moins intenable. Un tel engagement de l'homme lui donne sa vraie dignité.  Poésie engagée La poésie de Ponge s'inscrit dans cette philosophie qui revêt pleinement un aspect politique : ” il s'agit de militer activement (modestement mais efficacement) pour les lumières et contre l'obscurantisme- cet obscurantisme qui risque à nouveau de nous submerger au 20e siècle du fait du retour à la barbarie voulue par la bourgeoisie comme le seul moyen de sauver ses privilèges” ( 19 juillet 1941, la Mounine ou note après un coup sur un ciel de Provence  p. 132) Son œuvre entre dans ce que l'on appelle de la poésie engagée, née à la suite de la Première Guerre mondiale. Ponge s’inscrit dans les pas d’autres auteurs (Eluard, Aragon…). La poésie joue la fonction d’éveilleuse de conscience :  elle incite à lutter contre les injustices.   La Rage de l'expression publié en 1952 renvoie à une période précise, au contexte compris entre  1937 et 1944, soit de la menace de guerre à l'occupation allemande. Il s'agit pour le poète de faire l'apologie de l'action, comme on peut le verra avec La guêpe . L’évocation de la résistance n'est pas loin quand il convoque “l’essaim” qui a plus de poids que la piqûre seule de l’insecte. Il prône le collectif sur l'individualisme : rappelons l’influence marxiste sur sa pensée. Morale Si “ La Rage de l'expression” s'oppose à l'esthétique traditionnelle de la poésie, ce recueil n'est pas dénué de valeurs morales, au contraire. Sa poésie est toute tournée vers l'homme, vers son bonheur par la meilleure connaissance du monde qui l'entoure.  Elle revêt un registre didactique, offrant les étendues infinies des ressources rendues possibles par l’observation humaine. C'est une œuvre profondément humaniste et donc classique de ce point de vue :  il s'agit d'une poésie pour l'homme,  pour sa perfection.  Le rôle de l’auteur consiste à être l'intermédiaire entre le monde et l'homme par le biais de son regard et de son écriture. La réconciliation entre eux est source de bonheur. Nous entrerons dans le prochain article dans l’analyse linéaire d’un extrait du recueil.   repère à suivre : analyse linéaire de la guêpe

  • "La Guêpe" de Ponge

    Commentaire composé rédigé : nous chercherons à mettre en évidence la manière avec laquelle Ponge, au travers de son discours sur l’insecte, renouvelle l’art poétique. Nous travaillerons à partir des deux méthodes proposées par la Gazette littéraire, la méthode des 6 GR OS SES   C LE FS ©   et le plan CIIGARE : pour que la rédaction d'un commentaire ne soit plus une difficulté. la guêpe Il sera question d'analyser La Guêpe de Francis Ponge en appliquant les deux méthode de la Gazette : la méthode des 6 GR OS SES   C LE FS ©. la méthode du plan type CIIGARE. Analyse Commençons par l'analyse du texte qui permet de comprendre les intentions de l'auteurs. Rappelons la méthode des 6 GR OS SES   C LE FS ©. Il s’agit de colorier  le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant :          6           GR OS SES                                       C LE FS Gr  : grammaire                               C  : Conjugaison OS : oppositions                            le : champ lexical  SE  : les 5 sens                            FS : figures de style Cela donne le résultat suivant : Qu'est-ce qu 'on me dit ?   Qu ' elle   l aisse   son dard dans sa   victime  et qu 'elle en  meurt   ?  Ce serait   assez bonne image  pour la guerre qui ne paye   pas ./  /Il lui faut   donc  plutôt éviter tout contact .  Pourtant   lorsque  le contact   a lieu , la justice immanente est alors satisfaite   :  par la punition  des  deux parties.  Mais  la punition  paraît plus sévère pour la guêpe,  qui  meurt à coup sûr.  Pourquoi ? Parce qu'elle a eu  le tort de considérer le contact   comme  hostile,  et s'est aussitôt   mise en colère défensive,  qu' elle a   frappé.  Faisant preuve d'une susceptibilité exagérée (par suite de peur, de sensibilité excessive  sans doute …  mais pour les circonstances  atténuantes,  hélas !  Il est déjà trop tard ). Il est   donc  évident, répét ons-le,  que  la guêpe  n'a aucun intérêt à rencontrer un  adversaire ,  qu'elle  doit   plutôt éviter tout contact,  faire détours et zigzags nécessaires  pour cela./ /“   Je   me connais,   se dit-elle   :   si  je me laisse aller,  la moindre  dispute tournera  au tragique   : je ne   me connaîtrai plus.   J’entrerai en frénésie :  vous me dégoûtez  trop,  m’êtes trop étrangers ./ /“ Je ne connais   que les arguments  extrêmes ,  les injures, les coups - le coup d 'épée   fatal./ /“  J'aime mieux ne pas  discuter./ /“Nous  sommes trop loin du compte./ /“ Si jamais  j' acceptais  le moindre contact avec  le monde,  si j'étais un jour astreinte à la sincérité, s'il me fallait dire ce que je  pense   !...  j'y laisserais ma vie   en même temps  que  ma réponse  - mon dard ./ /“  Qu' on  me laisse donc  tranquille ;   je  vous en supplie :   ne discutons pas.   Laissez- moi à mon   train-train,  vous au vôtre . À mon activité somnambulique, à ma vie intérieure.   Retardons autant que  possible toute explication …” / Là-dessus ,   elle   r eç oit  une petite tape   - et   tombe   aussitôt   :  il n' y a plus q u'à l' écraser . Francis Ponge,  la rage de l’expression, la guêpe (page 28) Commentaire composé  Après cette analyse, il convient de s'en saisir pour remplir le plan CIIGARE qui se comprend ainsi : C adre spatio-temporel G enre : originalité du texte dans I ntérêt du texte A rgumentation de l’auteur I mpressions  R egistres Si l'on remplit le tableau, cela donne : Un discours sur un insecte  Un  engagement poétique original A. Un moment redouté A . Une fable argumentative B. Une guêpe bien humaine  B. Un engagement poétique C. Un combat à mort  C. Un registre ironique et tragique Grâce à nos deux axes, on en déduit la problématique suivante : Comment Francis Ponge au travers de son discours sur l’insecte renouvelle-t-il l’art poétique ? Il nous reste à rédiger notre développement. I. Un discours sur un insecte … Ce poème consacré à la guêpe se situe dans un temps déterminé, celui de la rencontre avec l’humain (1), avec le choix de personnaliser l’insecte (2) en lui prêtant les traits tellement humains avant de traiter de l’intensité du combat mortel (3) : tout ceci n’est que prétexte à un discours moins entomologique et plus humain. 1. Un moment redouté  Le poème se situe au moment de la mort de la guêpe sur un terrain indéterminé (a) et durant un laps de temps très court (b).  a) Le texte ne comporte pas de cadre spatial précis, ce qui est original pour une description entomologique : extérieur ou intérieur, nul ne le sait. On trouve seulement une opposition vague entre le “monde” qui s'oppose à “la vie intérieure”. Pourquoi cette indifférenciation entre les deux  ? Et pourquoi est-elle placée à la fin du poème ?  L'auteur cherche moins à évoquer un lieu que l’affrontement lui-même. Il concentre sa démonstration sur la piqûre de l’insecte suggérée par le point de ”contact”, qui est un euphémisme. Ponge emploie un terme relatif à un mouvement dynamique avec le même mot  répété trois fois pour en souligner toute l’importance.  b) La conjugaison invite aussi à préciser le contour du cadre poétique : on assiste à un déroulé extrêmement bref avec le présent d’énonciation figurant dans le texte du début “on me dit” jusqu'à la fin : “reçoit une petite tape - et tombe aussitôt”. Le temps récent est exprimé au passé composé “s’est mise en colère”/”a frappé” avant de voir le futur : “la moindre dispute tournera”. Ponge choisit de placer le cycle de la vie avec ces trois formes de conjugaison. Cet instant est court à l’image de l’existence de l’insecte. On assiste aussi à une personnification de la guêpe. Une guêpe bien humaine  La guêpe joue un rôle central à la différence de l’humain (a) et se voit douée de parole (b). a) prépondérance de la guêpe Notons tout d’abord que la guêpe est expressément nommée “elle”/”la guêpe” : le poète lui donne toute l’importance avec un effet mélioratif. Dans cette narration, elle est l’objet du discours poétique : tout converge vers elle avec cette affirmation contenant le comparatif de supériorité : “Mais la punition paraît plus sévère pour la guêpe, qui meurt à coup sûr. “  On ne précise pas à qui ou à quoi elle est comparée sinon de manière allusive. En effet, l’humain n’est pas nommé : il est simplement suggéré dans le pronom impersonnel “on”/, puis vaguement défini avec ”vous”/”le vôtre” : c’est pour souligner son insignifiance face à l’insecte qui se voit attribuer de surcroît des traits qui ne lui ressemblent pas. b) parole humaine Ponge crée une prosopopée, il permet à la guêpe de prendre la parole. Le langage lui est, en effet, avec l’utilisation du pronom personnel “je” dans la deuxième partie du poème écrit au discours direct. On assiste aussi à une personnification de la guêpe qui pense et qui s’exprime comme un humain “dit-elle”/”s'il me fallait dire ce que je pense !”/ “réponse”.  La ponctuation très importante dans cette deuxième partie du texte au style direct achève de donner de la nuance aux propos de l’insecte avec notamment les points de suspension qui sous-entendent, ”s'il me fallait dire ce que je pense !...” et les deux points qui se veulent explicatifs : "J’entrerai en frénésie”.  Les occupations de la guêpe sont purement humaines comme le suggèrent les termes “train-train”/”activité somnambulique"/“vie intérieure”. On voit que les traits humains servent à donner à l’insecte les contours d’une conscience. Ponge décrit enfin le caractère de la guêpe en le rapprochant de celui de l’être humain ; la violence est dans sa nature : “ les arguments extrêmes, les injures, les coups- “ on note une gradation descendante : ce discours belliqueux devient de la lassitude “laissez-moi” : cela montre la versatilité de l’être humain. Il reste que la lutte avec l’homme est pour l’insecte un combat mortel. 3.Un combat à mort  Ponge décrit donc la guêpe par rapport à l’homme avec le champ lexical (1) et l’utilisation de deux sens majeurs. a) le champ lexical du combat On relève curieusement le champ lexical du combat pour souligner l’opposition qui règne entre eux : il mêle des mots de nature différente, stratégique, psychologique, juridique afin de rendre compte de la complexité des liens: “guerre”/”justice”/”adversaire”/”punition”/”défensive”/”hostile/”colère”/ ”coups”/”épée”/”dard”.  Ponge insiste également sur l’hostilité entre l’homme et l'insecte avec, cette fois, le recours au vocabulaire familier, “si je me laisse aller”.  b) les sens Le poète utilise les verbes relatifs au sens du toucher ; ils sont marqués par la violence : “contact”/“frappé”/”tape”/”écraser” : il s’agit de verbes hyperboliques pour la guêpe évoquer une simple piqûre ; ils ne sont pas exagérés pour l'homme lorsqu'il tue l'insecte. Dans ce face à face, le goût est aussi à l’œuvre avec “vous me dégoûtez trop, m’êtes trop étrangers.” Là encore, l’exagération est manifeste du côté de l'insecte. La posture de la guêpe est humaine, un peu trop humaine dans ce poème. On voit donc que l’approche entomologique n’est que prétexte à un discours poétique. II….À un engagement poétique original On a vu que la description entomologique n’est qu’un prétexte manifeste à un discours poétique engagé. Ponge propose, en effet, un poème en prose d’un genre original (1) rejetant la forme traditionnelle. Son entreprise poétique repose, en effet, sur “la Rage de l’expression“, soit l’étirement infini du sujet. Il procède en définissant la guêpe de manière scientifique tout en procédant à une quête toute poétique. L’argumentation du poète se lit entre les lignes (2) et repose sur l’emploi de deux registres (3). 1 .Une fable argumentative  Ponge a fait naître dans ce poème à la fois une argumentation poétique (a) et une fable animalière (b) lui conférant une vraie singularité. a) une argumentation poétique Cette argumentation repose sur des modes de conjugaison a), une démarche précise b) et le champ lexical du procès c).  a) modes d’expression On relève, sur la forme, l’emploi des quatre modes d’expression destiné à montrer la brillance de l’argumentation. Ainsi le présent de l’indicatif introduit le débat par deux questions précises : “qu’est-ce qu’on me dit ?” Ce temps a une valeur d’énonciation immédiate que l’on retrouvera dans le passage écrit au style direct : “Je me connais”. Il est à noter que l'indicatif entraîne l'utilisation du conditionnel comme moyen d’évoquer des hypothèses : “Ce serait assez bonne image pour la guerre”/”j'y laisserais ma vie“. En outre, on trouve, l’impératif ayant une valeur de conseil : “Ne discutons pas/Laissez-moi/Retardons”. Enfin le subjonctif a pour vocation à exprimer le mode de la réflexion : “Qu'on me laisse donc tranquille”. On a donc quatre modes de pensée qui ont tous le même objectif, rendre compte d’un travail du poète sur la langue.  b) démarche argumentative Ponge adopte au fond une démarche argumentative avec le recours aux tournures impersonnelles au début et à la fin du deuxième paragraphe : “il lui faut”/”Il est donc évident”. Il utilise de nombreux connecteurs logiques : “donc”/”pourtant”/”alors/”mais/pourquoi/parce que”. Quelle est donc son argumentation ? Il part d’un constat, “Il lui faut donc plutôt éviter tout contact” pour aboutir au même résultat : “répétons-le, (...) qu'elle doit plutôt éviter tout contact,” : avec cette répétition, on a donc une argumentation à la fois conclusive et circulaire.  Le poète se fonde sur une problématique impossible : empêcher l’insecte de mourir. Les détails du combat sont précis dans le style naturaliste : “ Qu'elle laisse son dard dans sa victime et qu'elle en meurt” : on note la concomitance entre la piqûre et la mort de la guêpe.   c) le champ lexical du procès Le poète utilise le champ lexical du procès exprimé par le groupe nominal, “justice immanente” et les noms “punition”/circonstances atténuantes” /”intérêt”/”les deux parties”. On est sur une démonstration juridique tentant de rétablir l’équation au bénéfice de l’insecte. Ponge le fait en posant une question : “ Pourquoi ?”   Il donne immédiatement la réponse, ce qui montre que l’interrogation est purement rhétorique comme dans une plaidoirie : “parce qu’elle a eu le tort ”, qui est une locution conjonctive de cause. Il en examine les causes au dedans de l’insecte : “Faisant preuve d'une susceptibilité exagérée (par suite de peur, de sensibilité excessive sans doute…“) : on a affaire, cette fois, à une analyse psychologique avec cette gradation croissante “susceptibilité”/”peur” et cette redondance “susceptibilité exagérée”/”sensibilité excessive”. On voit l’effort du poète pour justifier l’attitude de la guêpe. b) une fable animalière Le poète se tait désormais pour laisser entendre la voix de l’insecte : on entre dans le genre de la fable animalière. Notons les différents paragraphes avec des propositions simples destinées à montrer six motifs d’évitement de l’homme par la guêpe.  On peut considérer l’aspect décroissant des raisons allant de la xénophobie “trop étrangers” à la lassitude “qu’on me laisse tranquille”. Entre les deux extrêmes, on a la violence avec “arguments extrêmes, les injures, les coups-le coup d'épée fatal” relevons sur ce point le rythme quaternaire avant enfin l’incompréhension : “J'aime mieux ne pas discuter./“Nous sommes trop loin du compte.” L’argumentation semble convaincante, mais la chute de l’histoire permet de déceler la position réelle du poète. 2. Un engagement poétique  L'argumentation et la fable font jusque-là la part belle à la guêpe dont les propos mettent en évidence sa supériorité intellectuelle. L’insecte, qui occupe la figure centrale du poème, domine l’humain. Le texte débouche pourtant sur une chute brutale (a) invitant à comprendre entre les lignes la nécessité d’un engagement dans la vie (b). a) chute brutale Ponge réalise un tour de force en une seule phrase. L’effet saisissant découle ainsi des trois propositions que l’on décompose en deux coordonnées “elle reçoit/et tombe” et une juxtaposée : “il n'y a plus qu'à l'écraser.” Les actions courtes s’enchaînent chronologiquement jusqu’à la mort.  Le connecteur logique “Là-dessus,” rompt brutalement avec le discours direct pour revenir à la narration. Le poète ne s’exprime plus. Un narrateur prend le relais. Le récit repose désormais sur un point de vue omniscient : le narrateur voit tout : “reçoit/tombe” et sait tout avec la tournure restrictive “il n’y a plus que”. On relève que la guêpe qui était un sujet actif précédemment perd de son prestige :  “elle reçoit …une tape” formulation à connotation péjorative et passive.  Ponge va plus loin avec la gradation descendante qui se poursuit : la guêpe s’annihile en devenant simple complément d’objet direct avec le pronom personnel l’:  “à l'écraser”. b) l’engagement La morale de la fable est cruelle pour la guêpe qui a imité les travers humains et notamment la vaine discussion : “dire”/penser”/”arguments/”injures”. De plus, son individualité et sa lâcheté sont aussi mises en exergue : “guerre qui ne paye pas”/“éviter le contact”/“Laissez-moi à mon train-train, vous au vôtre.” La confrontation au monde est incontournable, elle est le signe du vivant dans cette lutte dont le poète rend justement compte. Il faut remettre ce texte dans le contexte de son écriture durant l’année 1943. Il s’agit d’un appel à agir et non plus à esquiver. C’est un poème sur le combat par les actes ; il définit le but de la poésie qui se voit comme une expression engagée. La phrase de la guêpe au conditionnel avec ses trois conditions “si jamais” montre hélas toutes les compromissions humaines avec le réel :  “Si jamais j'acceptais le moindre contact avec le monde, si j'étais un jour astreinte à la sincérité, s'il me fallait dire ce que je pense !... j'y laisserais ma vie en même temps que ma réponse - mon dard”. La fable naturaliste rappelle certes la loi du plus fort, mais elle invite l’homme à lutter et à s’engager au péril de sa vie.  3.Un double registre  L’auteur recourt à deux registres : ironique et tragique. L’argumentation repose tout d’abord sur le registre ironique qui se sert de celui faussement didactique : le poète feint de délivrer un message auquel il croit. Il le fait avec des tournures affirmatives, certaines, péremptoires. Trop péremptoires pour être sincères comme l’impératif “répétons-le” le suggère ainsi que les répétitions/redondances évoquées précédemment et l’argumentation circulaire.   L'ironie perce aussi sur la façon  dont la guêpe s’exprime, de manière relâchée, dans un langage particulièrement familier : “Je me connais, se dit-elle : si je me laisse aller, (...) je ne me connaîtrai plus.” Les dernières paroles présentent graduellement un aspect, cette fois, larmoyant : “Qu'on me laisse donc tranquille ; je vous en supplie”. On voit des termes exagérés évoquant la lassitude :  “ Laissez-moi (...) À mon activité somnambulique, à ma vie intérieure”. Les paroles de la guêpe forment une pluralité d'expressions, un jeu du langage qu’aime particulièrement Ponge. Le registre tragique est le seul qui soit évoqué sans exagération : le thème de la mort est présent tout le long du poème “qu'elle en meurt “/ “au tragique“/”fatal”. C’est la commune destinée de la guêpe et de l’homme, l’invitation à agir dans ce monde d’ici-bas.

  • "L’écorce" (H.Dorion)On voit dans ce poème, "L’écorce" (H.Dorion), un texte court de sept vers. L’auteure a choisi « l’écorce » pour faire écho à la première partie du recueil ; elle convoque ainsi l’

    détail du pastel, forêt, litteratus "L’écorce" (H.Dorion) On voit dans ce poème, "L’écorce" (H.Dorion), un texte court de sept vers. L’auteure a choisi « l’écorce » pour faire écho à la première partie du recueil ; elle convoque ainsi l’ouïe et le toucher, place l’homme dans la nature avant de montrer le pouvoir des forêts sur la nature humaine : on assiste ainsi à un triple mouvement poétique : extérieur/intérieur/extérieur. Débutons notre analyse par un premier texte du recueil situé dans la première partie, elle-même intitulée l’écorce incertaine , le poème consacré à  l’écorce . Nous utiliserons un outil basé sur  la méthode des 6 GR OS SES   C LE FS   de la Gazette. Il s’agit de colorier  le texte sous six angles à l’aide du moyen mnémotechnique suivant :      6           GR OS SES                                        C LE FS Gr : grammaire                               C : Conjugaison OS : oppositions                            le : champ lexical    SE : les 5 sens                              FS : figures de style   L’ écorce  un   b ruit  de  sc ie  b rouille  l e s i l en c e  per c e   l e  mur  de nos  frê l e s   i ll us i ons  les  forêts   g rin ce nt  et   ce  gémi sse ment  s ecoue nos   s olitudes Commentaire "L’écorce" (H.Dorion) est composé de sept vers qui sont libres, ce qui n’exclut pas des procédés classiques tels que les enjambements et le jeu de sonorités, les figures de style tout en présentant une originalité liée à un triple mouvement :  extérieur/intérieur/extérieur.   Il se décompose en deux parties inégales :  l’activité forestière : les 4 premiers vers, le pouvoir de la forêt : les 3 derniers vers La problématique choisie s’articule autour de la question de savoir comment le dérèglement du monde extérieur produit un effet sur l’intime.  La première partie de ce poème permet de mettre au jour une évocation complexe de la vie au travers d’une triple action extérieur/intérieur/extérieur. La seconde reprend ce schéma de manière plus concise.   Analyse linéaire  l’activité forestière On voit que l’auteure a choisi un titre faisant écho à la première partie du recueil, elle convoque deux sens particuliers avant de placer l’homme au cœur de la nature. a) Le titre On notera l’emploi de l’article défini « l’écorce » renvoyant à l’enveloppe du tronc ou des branches. Ce choix donne à ce poème un aspect universel.  La lecture de ce texte tranche avec le titre. Il traite davantage de l’abattage de l’arbre et moins de la destruction de son écorce. On est en présence d’une synecdoque qui évoque une partie pour parler d’un tout. L’auteure a voulu présenter l’écorce comme une barrière de protection. Elle reprend cette idée avec la métaphore du « mur » qui va dans le même sens comme nous le verrons ci-après. Mais comment cette écorce est-elle fragilisée ? b) Les deux sens La poétesse utilise un nom « un bruit » et deux verbes « brouille » et « perce » pour évoquer l’ouïe qui décrit donc une atmosphère désagréable.  On note l’allitération en b, qui est brutale et qui oppose la douceur du s de « silence »/ » perce »/« scie » avec l’aspect dérangeant du z « frêle s  illu si ons » : il y a un travail poétique sur les sonorités.   Elle emploie, en outre, la valeur du présent comme une vérité générale. L’action humaine joue ainsi un rôle dévastateur sur la nature.  Le sens de l’ouïe est utilisé avec « brouille » et « perce » selon un procédé d’enjambement avec un contre-rejet : l’idée est d’accentuer le poids des deux verbes.  Notons le double sens du terme « perce » qui fait surgir le toucher.  Ces deux sens sont donc convoqués comme des opérations extérieures et violentes. Notons que le premier verbe fait entrer de la confusion là où il y avait une unité verticale avec l’emploi du nom « le silence », le second suggère un acte de destruction qui est horizontal.  La nature est donc cernée de toute part par l’activité humaine. Elle est ainsi empêchée par la main de l’homme.  c) la présence de l’homme "L’écorce" (H.Dorion) met en scène deux représentations opposées de l’homme, le forestier et le genre humain. Si l’un n’est pas nommé pour contester sa force, l’autre l’est pour en souligner paradoxalement sa fragilité. Dans le vers 1, la poétesse évoque l’action du forestier sans jamais le nommer expressément. En effet, c’est l’outil qu’il tient dans sa main qui est le sujet de l’action « une scie ». Avec l’emploi du déterminant indéfini, c’est un objet de force menant à la destruction. Le procédé choisi est donc allusif, péjoratif en l’espèce, car il est destiné à critiquer. À l’opposé, on note le genre humain qui est nommé avec l’emploi de « nos frêles illusions « . C’est une volonté de l’auteure de le valoriser avec la répétition du déterminant possessif « nos ». Cet emploi de la première personne du pluriel permet d’établir une intimité entre la poétesse et les hommes en soulignant leur proximité.  Cette vision suggère non la force comme dans le vers 1, mais au contraire la fragilité au vers 4 avec l’emploi de "frêles" qui constitue un enjambement avec un contre-rejet, ayant une valeur de mise en valeur. Ce groupe nominal comporte une opposition : l’épithète « frêle » renvoie à une apparence physique alors que les « illusions » évoquent, à l’inverse, l’esprit. Hélène Dorion montre ainsi la confusion de la nature humaine et donc sa faiblesse. Mais cette faiblesse est cachée à l’homme lui-même qui s’est créé une protection avec le mot « mur » qu’il faut prendre au sens métaphorique.  « Le mur » suggère une structure dure et rigide faite pour se protéger. De quoi se protège-t-on ? L’auteure joue sur les termes « silence/illusions » : on note l’opposition entre le singulier qui est défini « le silence », c’est-à-dire l’unité et le pluriel, « nos illusions » pour signifier la confusion.  On comprend ainsi que l’homme se fuit lui-même, se coupe de son intériorité avec « le silence » pour vivre à l’extérieur de lui-même dans le mensonge « illusions ». On a une référence pascalienne dans ce passage (cf. le divertissement). On voit que c’est le vers le plus long du poème à l’image du rapport faussé que la nature humaine entretient avec la vérité.  Mais chez Hélène Dorion, tout est dualité : là où l’activité nous éloigne de nous-mêmes, «brouille l e silence “, elle nous permet aussi d’y revenir comme le dit "perce le mur/de nos frêles illusions" : on obtient un mouvement extérieur/intérieur/extérieur. Le registre se fait lyrique. On note ainsi la singularité poétique de l’auteure qui se fonde sur un équilibre impossible : cela figure la complexité de la vie.  Voyons le pouvoir de la forêt. 2. Le pouvoir de la forêt La suite du poème donne un effet de concision. Le centre de gravité quitte l’arbre pour englober, cette fois, les forêts.  Le schéma extérieur/intérieur/extérieur est repris.  a) la concision Ce qui frappe dans ces trois derniers vers, c’est la recherche de simplicité : si on relève deux propositions simples comme dans la première partie, l’absence d’adjectif permet d’obtenir un effet de concision. Pourquoi ? Hélène Dorion évoque, cette fois, la nature qui s’oppose aux faux-semblants des hommes. Cette nature nous est donnée à voir sans artifice. Qu’est-ce qu’elle a donc à nous apporter ? b) les forêts On est ainsi passé de l’écorce d’un arbre (une partie) à l’ensemble des arbres (le tout) : c’est encore une synecdoque. Cela donne au poème un angle plus large d’autant plus large qu’il ne s’agit pas de la forêt au singulier, mais du pluriel, "les forêts". Le déterminant défini nous situe donc sur une vaste échelle, le monde. Alors que dans la première partie, la nature était l’objet de l’action humaine, l’auteure en fait désormais le premier sujet de l’action "les forêts  g rin ce nt’"au vers 4. Au vers suivant, on passe au singulier avec "ce gémi sse ment" : l’auteure joue sur la dualité de la vie. Il s’agit de considérer le pouvoir des arbres sans l’homme, de redonner à la nature sa place. Quelle est donc sa place ? Loin de proposer une vision classique, contemplative, Hélène Dorion insiste sur un aspect désagréable de la nature : elle  reprend le sens de l’ouïe avec le verbe "grincent" et le nom "ce gémissement" qui est une personnification.  Notons la gradation entre le premier qui évoque du bruit indistinct et le second qui indique, cette fois, un bruit précis, une plainte : on est en effet passé d’un bruit de la nature à une récrimination comme le ferait un homme.  Les forêts ont ainsi un message triste et douloureux à délivrer. Cette note négative est contrebalancée par la reprise de l’allitération en s : la douce sonorité en s est amplifiée au dernier vers où il apparaît à deux reprises :  "grincent/gémissement/secoue/solitudes".  Cela donne au texte un effet lyrique. Par ailleurs, le toucher avec le verbe "secoue", verbe qui fait l’objet d’un enjambement avec contre-rejet pour exprimer une certaine violence, est encore présent : on est sur une continuité poétique comme l’indique la repétition du triple mouvement. c) reprise du mouvement  Le schéma extérieur/intérieur/extérieur est repris de manière condensée.  C’est l’extérieur, par l’intermédiaire de deux bruits, celui désagréable des arbres "grincent" et celui plaintif "ce gémissement", qui entre en résonance avec notre intériorité. Celle-ci est exprimée par le groupe nominal "nos solitudes" : là encore, le déterminant possessif renvoie au commun destin de l’humanité.  C’est alors que le dernier vers "secoue nos solitudes" prend la forme d’une invitation positive à sortir de nous-mêmes pour être en harmonie avec  l’extérieur.  Le rôle des forêts est donc d’offrir le meilleur rapport de soi au monde.  article à suivre : Il fait un temps de bourrasques”  (3e partie)

  • "Il fait un temps de bourrasques" (H.Dorion)

    Ce poème "Il fait un temps de bourrasques" (H.Dorion) débute par une anaphore "il fait un temps", reprise trois fois, comme une litanie plaintive. La poétesse se livre, en effet, à une description alarmante de la crise climatique que nous vivons, à une critique de l’ère technologique et enfin au rapport bousculé de l’homme avec la temporalité. Paysage, pastel, litteratus "Il fait un temps de bourrasques" (H.Dorion) Nous utiliserons un outil d’analyse basé sur  la méthode de la Gazette littéraire. Il s’agit de colorier  le texte sous six angles à l’aide du moyen mnémotechnique suivant :  Gr  :  grammaire                                 C : Conjugaison OS  :  oppositions                               le  : champ lexical  SES : les 5 sens                              FS  : figures de style   Il   fait   un temps de bourrasques   et   de cicatrices un temps  de séisme  et  de chute    les  promesses tombent  comme des vagues  sur  aucune rive  les oiseaux   deman dent refuge  à la terre   ravagée  nos jardins   éteints  entre  l’odeur de rose et de lavande/    /il fait un temps  de verre   éclaté  d’écrans morts    de nord perdu   un temps  de pourquoi    de comment    tout   un  siècle à défaire  l e paysage    mon   champ   soulève la poussière  de spectacle   muet  comme  un trou béant  dans la maison noire des  mots/    /il fait un temps   jamais   assez  un temps plus  encore     et encore  plus      encore   plus  on   ne   pourra pas   toujours  tout refaire   dans ce temps de bile et d’éboulis les forêts  tremblent sous nos pas la nuit  approche/ Commentaire linéaire "Il fait un temps de bourrasques" (H.Dorion) est situé dans la troisième partie, l’onde du chaos.  Il est composé de 27 vers libres, irréguliers tant sur le nombre de syllabes qu’en ce qui concerne les strophes. Il débute par une anaphore "Il fait un temps" reprise trois fois, comme une litanie plaintive, mais son analyse nous fait passer du temps météorologique à un rapport à une temporalité toute autre. La valeur du présent a pour objet de signifier l’actualité d’une situation qui se déroule sous nos yeux ; le poème se fait donc narratif. Plan Il se divise ainsi en trois parties :  la crise écologique, la crise technologique, la crise de la temporalité  La problématique choisie s’articule autour de la question de savoir comment le dérèglement du monde extérieur produit un effet sur l’intime. la crise écologique Ce poème débute par une anaphore "il fait un temps", reprise trois fois, comme une litanie plaintive. La poétesse se livre, en effet, à une description alarmante de la crise climatique que nous vivons : elle évoque le rôle des éléments (a), procède à la critique de l’inertie des hommes (b) et se fonde sur les perceptions  (c). a) le rôle des éléments Hélène Dorion emploie des termes évoquant la crise climatique avec deux noms "bourrasques" et "séisme": on note la différence entre les deux éléments, l’un lié au vent, l’autre à la terre avec la tectonique des plaques. Mais ces deux termes se rejoignent dans le même résultat, la désolation de la nature.  La poétesse choisit de montrer la première victime : "les oiseaux demandent refuge": l’oiseau est l’image biblique qui rappelle la fin du déluge : en l’occurrence, ici, l’oiseau ne trouve pas d’endroit où se poser… On le personnalise avec "demandent" qui est un verbe de parole… Tout l’ordre de la nature est donc bouleversé par la crise climatique. La nature est évoquée avec les noms "la terre"/”nos jardins » : on note l’emploi des déterminants singulier/pluriel passant du général au particulier, soit d’une situation globale à une perception concrète. Le terme "jardins" présente aussi un accent biblique avec l’Eden… Pour appuyer le désastre écologique, elle utilise deux participes passés qui la qualifie "ravagée"/éteints” : la valeur de cette forme verbale est de donner un sens passif à l’action qui est donc subie. La nature est donc victime de l’homme.  b) l’inertie humaine Le vers 3 s’analyse en une critique des hommes. Ces derniers sont jugés doublement d’une part au niveau de la nature de leurs actes, puis de la qualification de ces actes : l’action humaine est inerte. nature des actes Avec “les promesses”, Hélène Dorion ne nomme pas les auteurs, juste leurs actes, lesquels ne sont pas par nature des décisions, mais une simple parole donnée : c’est un procédé stylistique jouant sur une ellipse qui est une figure d’omission. Regardons le déterminant défini “les” devant “promesses” : il est au pluriel pour signifier à la fois l’importance du nombre et leurs précisions ; mais si les annonces orales sont déterminées, elles sont vaines.  qualification de ces actes Cette vacuité est à noter avec le verbe “tombent” qui indique un mouvement soudain allant de haut en bas : ce sont des engagements sans effets, ce qui est le contraire d’une promesse qui tend vers le haut, le futur… Hélène Dorion insiste sur le même caractère avec la comparaison marine. Cette dernière est proposée à l’aide des deux noms communs : “vagues” et “rives”. Il y a un effet saisissant produit par la tournure négative “aucune rive” du fait du déterminant indéfini “aucun” suggérant l’absence totale. Reprenant le vers, on peut se demander comment une vague peut-elle ne pas  gagner la berge ? C’est l’image pourtant choisie par la poétesse afin d’évoquer le caractère évanescent de la parole politique.  On note donc l’opposition entre les promesses “tomber” et les vagues sur “aucune rive” : l’inversion de l’ordre des choses. Cela équivaut à dire que ce sont de fausses promesses. La critique est acerbe comme le montre le double enjambement avec contre-rejet “comme des vagues”/ » sur aucune rive » : un effet d’insistance sur la faiblesse de la nature humaine. La poétesse joue aussi sur les perceptions. c) le rôle des perceptions On compte quatre des cinq sens présents dans cette première partie du poème. On note le toucher avec « chute », l’ouïe avec « les promesses »/ » demandent », la vue avec « éteints » et l’odorat avec « odeur »/ » rose/ » lavande ». Pourquoi Hélène Dorion recourt-elle à toutes ces perceptions ? Il s’agit pour elle de passer de l’extérieur vers l’intérieur, de faire surgir l’intime. On trouve ainsi des éléments propres au corps « cicatrices »/ » chute » : deux noms signifiant la douleur physique.  La crise du climat laisse donc des traces tant à l’extérieur de nous qu’à l’intérieur. Mais dans ce registre tragique, une lueur  d’espoir demeure avec la présence de plantes : « rose/ » lavande » : soit deux couleurs pastel, signes de douceur… Cette crise va de pair avec celle causée par la technologie. 2. la crise technologique Cette crise s’oppose à celle climatique par la brièveté de sa description (a) au profit de la fragmentation du poème (b) et des conséquences nombreuses (c). a) brièveté de sa description On quitte la sphère de la nature pour aboutir à la dénonciation d’une activité humaine : la technologie.  Cette dernière est signifiée par deux noms communs « verre/écrans » : notons l’habituelle opposition singulier/pluriel, en l’occurrence la matière générique « verre » au singulier et ses dérivés au pluriel « d’écrans ».  On a vu précédemment l’emploi de participes passés, comme actions subies : on retrouve le même procédé avec les termes « éclaté/morts/perdu ». Avec « éclaté », on relève le bruit et donc le sens de l’ouïe qui évoque le chaos pour la poétesse. Le registre est donc tout aussi tragique. Mais nous n’avons pas d’autres précisions si ce n’est l’effet produit par la fragmentation de deux vers. b) fragmentation des vers Si la poétesse n’apporte pas plus d’éléments à la crise technologique, c’est qu’elle le fait de manière formelle en rompant avec le rythme de la strophe précédente.  On est en présence de deux vers qui tranchent avec les autres : « d’écrans morts de nord perdu/un temps de pourquoi de comment » : l’auteure joue sur les deux blancs typographiques qui accentuent le malaise.  Le premier brise le sens en reliant de loin l’ère du numérique « écran » comprenant téléphones, tablette etc… à « nord perdu » » soit un ancien instrument d’orientation en verre, la boussole : ce sont deux techniques opposées tant dans leur construction (taille etc…) que dans leur utilité (se repérer/se perdre).  Le deuxième blanc typographique illustre l’étendue du problème éthique posé par la technologie : on voit l’opposition entre “pourquoi/comment”. Entre les deux, ce blanc pour signifier que l’un n’allant pas forcément avec l’autre, d’où la crise… Les conséquences sur l’environnement et sur les hommes sont ensuite évoquées. c) les conséquences La critique se fait amère avec le vers suivant qui est seul : “tout un siècle à défaire  le paysage” : on voit bien l’importance de la crise technologique qui est à l’origine de la crise climatique.  Le verbe “défaire” est un terme négatif avec le préfixe “dé” qui inverse une tendance : on est donc sur une logique de destruction. On se souvient que l’on avait pour signifier l’environnement “terre”/ "nos jardins". La nature devient ici « le paysage », soit une localisation proche qui nous touche. On prend conscience de la gradation avec "mon champ" au vers suivant : la focalisation se fait de plus en plus précise. Et l’emploi du déterminant possessif « mon » relève l’angoisse du sujet qui se rend compte intimement de la crise qui se déroule sous ses yeux : « poussière » qui signe la finitude d’une chose.  On est plongé dans un nihilisme tragique avec la formulation métaphorique "la poussière de spectacle" soit la négation même d’une œuvre et l’adjectif « muet » renvoyant cette fois au silence à la différence du participe passé « éclaté : on a affaire à des sens bousculés (vue/ouïe). Mais c’est avec une comparaison “comme un trou béant/dans la maison noire des mots » que l’effet se fait saisissant : on est encore plus près dans la focalisation puisqu’on se situe à l’échelle d’une maison. On a l’opposition entre l’extérieur/intérieur. On pénètre dans l’intimité d’un lieu. Mais celui-ci renvoie non à un refuge, mais à un enfermement avec le groupe nominal « trou béant » : la sensation vertigineuse de « chute » est reprise avec cet effet de redondance comme au début du poème. Il s’agit pour Hélène Dorion de dénoncer l’emprise de l’écran : « maison noire des mots ». Elle critique cette technologie qui nous isole. La référence à la vue et à la couleur « noire » évoque précisément la mort, redondance de la formule « d’écrans morts » vue précédemment : on est encore dans le registre tragique. Hélène Dorion insiste sur une temporalité "un siècle" qui vient s’ajouter à la notion de temps évoquée précédemment.  3. la crise de la temporalité On assiste dans cette dernière partie à l’exposé de la perte de repères tant par la forme (a), que par le rapport à un temps dévoyé (b). a) perte de sens Cette crise technologique et climatique entraîne une fulgurante perte de sens : on le voit sur la forme avec l’exacerbation de la fragmentation du vers et de l’impossibilité à énoncer. exacerbation formelle On note que cette strophe de 6 vers comprend à la fois deux blancs typographiques. Ils sont placés autour de l’adverbe “encore” soit après soit avant, comme autant d’impatience signifiée. Le rythme des vers va decrescendo : “un temps plus  encore     et encore/plus      encore/plus" : cela évoque un essoufflement dans une lutte au temps dont il faut désormais parler. impossibilité à dire Le ton saccadé des vers est à relever avec la figure de style de la répétition. Tout est répété que ce soit le groupe nominal "un temps",  des adverbes "plus/encore/"  On relève aussi l’entrechoquement des adverbes opposés : "jamais/toujours" qui rendent confus le propos. Tout cela rend compte d’une impossibilité à dire par l’homme moderne qui est toujours connecté : la perte de sens vue avec les écrans entraîne un appauvrissement du langage traduisant une impossibilité de penser comme celui du rapport au temps. b) un rapport au temps dévoyé  La formulation saccadée, brouillonne, signifie l’impatience subie par l’homme qui prend le temps comme une simple donnée alors que la nature continue à faire les frais de nos incohérences. une simple donnée  Le  temps ne s’impose plus comme une donnée avec laquelle il doit composer, mais comme une donnée qu’il cherche à contrôler : "temps  jamais   assez/ un temps plus  encore     et encore/plus" : il s’agit de voir dans ces mots des réflexions humaines, intimes, capricieuses. Ce sont des volontés de toute-puissance qui s’analysent comme autant de tentatives infructueuses de le modeler selon nos envies. Cela crée de la frustration comme le nom "bile" en témoigne.  Devant cette temporalité malmenée, la voix revient au poète qui énonce avec le pronom impersonnel, "on" une vérité exprimée au futur cette fois ; le choix de la forme négative tranche comme un moment de lucidité et donc de rupture avec le reste du texte : "on ne pourra pas  toujours/ tout refaire" :  l’enjambement avec contre-rejet sert à mettre en valeur l’action humaine dans sa dimension positive : de fausses "promesses" à la destruction, on voit une note optimiste "refaire’": mais l’emploi de l’indéfini "tout" montre l’énormité de ce qu’il y a à accomplir et la modestie qu’il faut avoir "pas toujours". Mais la nature n’entre pas dans ces incohérences humaines. la nature en attente Les derniers vers opposent le temps des hommes à celui de la nature. La nature, non seulement, ne peut plus attendre, mais, en plus, elle souffre de nos incohérences "nos pas". On a ainsi le verbe "tremblent" et le caractère inquiétant du désastre qui s’annonce avec la métaphore de la nuit "la nuit approche".  article à suivre : "mes forêts sont de longues tiges d’histoire" dans le recueil "Mes Forêts" (H.Dorion)

  • "Mes forêts sont de longues tiges d’histoire" (H.Dorion)

    Bac : il s’agit d’un poème composé de 27 vers libres qui concluent le recueil. Notons qu’il fait écho au premier poème intitulé Mes forêts sont de longues traînées de temps. Ce texte d’une grande simplicité dans l’emploi des termes dont le sens est en revanche à creuser peut se découper en deux mouvements principaux : une forêt humaine, une forêt littéraire. Rouge-gorge, litteratus "Mes forêts sont de longues tiges d’histoire" (H.Dorion) Il s’agit d’un poème composé de 27 vers libres qui concluent le recueil. Notons qu’il fait écho au premier poème intitulé Mes forêts sont de longues traînées de temps.   Nous utiliserons un outil d’analyse basé sur  la méthode  des 6 GR OS SES   C LE FS  de la Gazette. Il s’agit de colorier  le texte sous six angles à l’aide du moyen mnémotechnique suivant :          6           GR OS SES                                       C LE FS Gr  : grammaire                               C  : Conjugaison OS : oppositions                            le : champ lexical  SE  : les 5 sens                            FS : figures de style   "Mes forêts sont de longues tiges d’histoire" (H.Dorion) : voici le coloriage obtenu permettant le commentaire :  Mes forêts   sont   de  longues tiges   d’histoire  elles  sont des   aiguilles   qui tournent  à travers les  saisons        elles vont   d’est en ouest       jusqu’au sud  et tout au  nord  mes forêts   sont des   cages de solitude  des lames de bois clairsemées  dans la   nuit rare  elles   sont des maisons  sans famille  des corps   sans amour  qui  attendent qu’ on   les retrouve    au matin   elles sont   des ratures  et des repentirs    une boule dans la   gorge  quand les oiseaux recommencent à voler  mes forêts sont  d es doigts   qui pointent  d es ailleurs  sans retour    elles sont d es  épines   dans tous les sens   ignorant ce que l’âge résout/    /elles sont des lignes  au crayon  sur papier de temps  porte le poids de la  mer  le silence des  nuages    mes forêts sont un long passage  pour nos mots   d’exil et de survie  un peu de pluie sur la blessure  un rayon qui dure  dans sa douceur    et quand je m’ y  promène  c’est pour prendre le large  vers   moi-même/ Commentaire linéaire Par rapport au premier poème, Mes forêts sont de longues traînées de temps,  on retrouve des références communes : anaphore mes forêts sont les aiguilles, la nuit, métaphore marine, la pluie. Mais c’est un poème singulier en ce qu’il synthétise la vision esthétique d’Hélène Dorion dans son rapport à la temporalité et à la création. Ce texte est d’une grande simplicité dans l’emploi des termes alors que le sens est en revanche à creuser. On peut le découper en deux mouvements principaux : une forêt humaine, une forêt littéraire. La problématique choisie s’articule autour de la question de savoir comment le dérèglement du monde extérieur produit un effet sur l’intime. 1. Une forêt humaine Hélène Dorion choisit de définir ce que représentent les forêts de manière complexe en partant des éléments de la nature (a), de la notion de temps (b) pour aboutir à une personnalisation (c). a) La nature La poétesse présente les forêts sous un jour sombre en convoquant le champ lexical des végétaux, en recourant à de nombreuses oppositions et en situant les forêts dans un espace géographique.  le champ lexical  Les éléments de la nature "tiges/aiguilles/bois/épines" ne sont pas de purs objets de contemplation : la poétesse a choisi de les définir de manière simple et concise. Il y a un refus de toute forme de lyrisme dans la description. On est sur une économie de mots pour signifier paradoxalement beaucoup.  La définition des forêts s’établit par la matière végétale que l’on peut toucher : on a vu que ce  sens est très important chez l’auteure. On note aussi la présence d’oiseaux : "quand les oiseaux recommencent à voler". Là encore, économie de mots. Les animaux ne sont évoqués que par leur fuite.  C’est finalement un lieu où demeurent seules les forêts, l’homme n’y apparaît pas : si l’humain n’apparaît pas, c’est de manière à suggérer sa non-nécessité dans l’environnement de la nature qui se suffit à elle-même. Les oppositions restituent le cadre qui n’a rien d’enchanteur.  les oppositions Les forêts sont décrites de manière différente si l’on considère le centre (tiges/bois) ou les extrémités "aiguilles/épines". Une opposition est sous-jacente entre la matière lisse ou piquante : on note justement la gradation entre "aiguilles" (vers 2)/"épines” (vers 18) : la forêt se fait plus sauvage, moins accueillante. Dans ce recueil, on a vu que la poétesse joue sur la dualité de la nature. En outre, la nature est définie de manière statique avec l’anaphore “mes forêts sont/elles sont” : l’auxiliaire “être” suggère un état immuable et non une action entreprise. Et pourtant, l’auteure recourt à des verbes de mouvement qui convoquent le sens de la vue : “tournent”/vont/retrouve/voler/pointent » : là encore, une série de paradoxes courante dans l’esthétique d’Hélène Dorion. Il s’agit pour elle de révéler toute la complexité de l’environnement naturel. D’autres oppositions figurent également dans cette première partie du poème :  il s’agit de considérer la place les forêts dans un espace géographique : notons la référence aux quatre points cardinaux :  «  d’est en ouest       jusqu’au sud/ et tout au  nord » : on observe l’espace typographique entre ouest/sud destiné à montrer la rupture entre la ligne transversale du globe terrestre des pays riches et l’hémisphère austral où se trouve notamment la forêt amazonienne gravement en péril. Par ailleurs, le sud, preuve de son importance, vient avant le nord : tout est donc bouleversé dans cette nature. La temporalité est également présente dans cette vision. b) la notion de temps  Hélène Dorion choisit d’évoquer le temps non plus sous son aspect climatique, mais sous l’angle de la temporalité, elle-même déclinée sous deux formes, le temps long et le temps court.  le temps long La poétesse a dédié le vers le plus long de ce poème à ce temps long qui est celui choisi pour achever son recueil : «  Mes forêts   sont  de longues tiges d’histoire ».  On note la métaphore liant le végétal et l’histoire : « longues tiges d’histoire ». Elle sert à évoquer le rapport entre la nature et l’existence même du monde, offrant ainsi un registre lyrique. À côté de cette dimension historique, l’auteure joue sur une autre notion.  le temps court Hélène Dorion aborde dans son poème une autre temporalité, plus courte :  l’échelle d’une journée. On voit ainsi l’opposition entre « la nuit » et « au matin ». Mais rien n’est simple dans cet espace-temps. Pourquoi choisit-elle cet oxymore avec le terme « nuit rare » ?  Peut-être veut-elle évoquer la pollution lumineuse dans le ciel ou les ravages des incendies dans les forêts ? Dans les deux cas, c’est une critique à peine voilée de l’activité humaine qui perturbe la nature.  On peut aussi voir dans le groupe nominal « des lames de bois clairsemées » une dénonciation tenant, cette fois, à l’exploitation intensive de la forêt. La poétesse recourt par la suite à un autre procédé stylistique. c) une personnalisation  Le poème suit une progression qui conduit à donner à la nature une apparence humaine tant en ce qui concerne le corps que s’agissant de l’esprit. On note aussi le choix du registre pathétique. le corps Hélène Dorion donne aux forêts une corporalité tout humaine avec les termes « corps »/ » gorge »/doigts » : on relève le mouvement d’un tout vers une partie, du centre vers une extrémité à l’image des végétaux décrits précédemment. C’est pour elle l’occasion d’accorder à la nature une sensibilité particulière : le corps étant relié aux sens de la vue et de l’odorat, celui de la gorge au goût et à l’ouïe et enfin les doigts au toucher.  Ce sens se retrouve avec le nom «les ratures ». Ce choix poétique consiste à susciter une empathie, une compassion avec la nature. Mais cette personnification n’est pas que relative au corps. l’esprit La personnification est complète avec l’esprit. On peut ainsi relever le nom « solitude » qui va de pair avec les tournures négatives  "sans famille / sans amour". Cela donne un sentiment d’abandon accentué avec l’expression  "la boule dans la gorge " : il est question cette fois de chagrin voilé. On voit dans le même sens le terme « repentirs » qui est de l’ordre de la conscience des forêts. Ces dernières sont présentées comme des êtres de chair et d’esprit avec pour point commun l’évocation d’un registre pathétique. le registre pathétique Ce registre transparaît, en outre, avec la dimension d’isolement accentué par la notion d’enfermement. La poétesse a choisi de définir les forêts au travers du prisme des «cages /maisons », soit des lieux clos.  Le sentiment qui est exprimé par les forêts est celui de la relégation par les hommes qui ne l’habitent plus.  Il y a quelque chose de tendre dans l’attente d’une venue qui ne se fait pas : "qui attendent qu’ on  les retrouve“: la valeur du présent est celle d’une habitude qui ne se dément pas. Les forêts sont désertées par les animaux "les oiseaux" mais aussi par les hommes comme l’indique le pronom impersonnel "on". 2. Une forêt littéraire La deuxième partie du poème s’ouvre sur l’hommage aux arbres dans une perspective littéraire. On voit ainsi la référence à l’écriture (a), mais aussi un aveu de la poétesse (b). a) l’écriture La forêt sert à la fois de support et de sujet d’écriture. La poétesse rend d’abord un hommage à la forêt en utilisant la métaphore des crayons : "elles sont des lignes au crayon" la représentant dans un rapport horizontal.   Mais c’est surtout pour souligner le support qu’elle offre.   On voit ainsi le champ lexical de l’écriture avec les noms communs comme : "lignes"/”crayons "/ "papier ". Le support papier provient de l’univers sylvestre. Elle poursuit cet hommage à la nature en montrant le contenu de l’écrit, "nos mots".  La forêt est également un sujet d’inspiration lorsqu’elle dit : «  mes forêts sont un long passage » : on note la répétition de l’adjectif « long » évoqué dans le premier vers. La création poétique est désormais indiquée avec deux thèmes qui lui importent : « d’exil et de survie ». On est toujours sur un registre pathétique contrebalancé par un peu de sensibilité avec le sens de la vue et du toucher :  « un rayon qui dure/dans sa douceur ». b) la poétesse C’est l’instant où l’intime se fait jour. Cela répond au titre du recueil « mes forêts » et à l’anaphore de ce poème mes forêts sont  ;  Que sont-elles pour la poétesse ? C’est le moment pour elle de se révéler. Les trois derniers vers réunis dans cette strophe finale disent le lien réflexif entre la forêt et la création : "et quand je m’y promène/c’est pour prendre le large/vers  moi-même/

  • "Mes forêts" (H. Dorion)

    Bac : Les programmes officiels nous proposent de croiser dans l’œuvre d’Hélène Dorion ce qui relie l’extérieur de l’intérieur : le mouvement entre les deux mondes est donc à rechercher dans ce recueil. Forêt , pastel et encre de litteratus "Mes forêts" (H. Dorion): les programmes officiels proposent l’étude d’un recueil de poésie, Mes forêts , écrit par une poétesse canadienne contemporaine, Hélène Dorion. Il nous est demandé d’analyser cette œuvre au regard du parcours : la poésie, la nature, l’intime. "Mes forêts" (H. Dorion) Il s’agit d’analyser le genre littéraire propre à Hélène Dorion tant sur le plan de la forme que sur le fond. Dans "Mes forêts" (H. Dorion), la nature comprend pour sa part les forêts, mais de manière générale, l’environnement : il est, en effet, question d’une vision extérieure de tout ce qui nous entoure. C’est une poésie originale que celle d’Hélène Dorion, car elle résonne dans le monde que nous connaissons : la violence, les affres de la technologie, la déconnexion avec le réel, la crise climatique… L’aspect écologique du recueil en fait une œuvre particulièrement intéressante à étudier même si l'analyse est difficile.  L’intime est à l’inverse la vision personnelle que suscite la nature avant d’être mise en mots. Les sensations procurées par le spectacle des forêts sont pour la poétesse des vecteurs d’émotions. Il nous faut donc croiser dans ce recueil ce qui relie l’extérieur de l’intérieur : chercher le point de passage entre les deux mondes. Problématique et plan "Mes forêts" (H. Dorion) nous conduit à une problématique s’articulant autour de la question de savoir comment le dérèglement du monde extérieur produit un effet sur l’intime. Pour y répondre, nous vous proposerons un dossier comprenant une présentation générale : Le titre "Mes forêts" (H. Dorion) : on note deux éléments importants : – l’emploi du déterminant possessif, – le pluriel du nom commun forêt.   Reprenons ces deux points, si vous le voulez bien. Possessif On relève que le possessif est à la première personne du singulier : « mes forêts » au début et à la fin des 4 parties, « ma vie »/ » moi-même » (dernier vers du recueil).  Dans le corps du recueil, on note la présence du pronom « je » : « je déchiffre »/j’écoute « (1e partie).  C’est donc la vision personnelle d’Hélène Dorion qui est à l’œuvre. Mais lorsqu’elle évoque son autobiographie, elle n’utilise pas le pronom personnel « je » (cf. avant la nuit,  4e partie), ce qui montre la complexité de son entreprise poétique. En progressant dans la lecture, les déterminants possessifs ou les pronoms personnels deviennent changeants et ainsi multiples : si on retrouve le je : « je n’entends plus le loup “(3e partie), on a aussi "tu"/ "leur’/"sa fragilité" (2e partie). Rapidement on est interpellé par la présence de la première personne du pluriel qui prend le pas sur les autres formes : "nos frêles illusions" (1e partie), ”nos corps » etc… Que peut-on en penser ? L’auteure part donc de ses propres impressions qu’elle ne limite pas à sa seule personne, mais qu’elle ouvre à un plus large auditoire. Elle s’adresse ainsi tant à elle-même, qu’à la communauté humaine.  C’est une poésie qui part de soi pour aller vers autrui.  C’est également une poésie qui s’appuie sur un pluriel. Puriel Pourquoi l’auteure évoque-t-elle « mes forêts « et non pas « ma forêt » ? Le singulier aurait permis de la situer dans un environnement proche (ex : forêt de son enfance, forêt proche de chez elle, forêt imaginaire…)  Le terme au pluriel « mes forêts « suggère, par définition, une multitude, ce qui implique par définition plusieurs paysages sylvestres (c. a. d. de forêts).  Qu’a-t-elle vraiment voulu dire ?  Il s’agit de concevoir le titre “mes forêts” non comme un lieu précis, mais comme un terme générique. Ce pluriel s’analyse comme l’expression de différentes représentations du monde au sens large.  La forêt telle que nous la connaissons constitue donc l’intermédiaire entre la nature et l’inspiration poétique de l’auteure. On peut traduire le mouvement du recueil qui part de l’extérieur pour conduire vers l’intérieur. Mais l’analyse des poèmes nous montre que ce double mouvement est en réalité triple puisque de l’extérieur à l’intérieur, on a encore un mouvement vers l’extérieur. La dynamique créatrice se résume ainsi : extérieur/intérieur/extérieur. L'organisation du recueil Nous allons décrire le plan régulier du recueil avant de voir l'irrégularité de sa structure interne. structure régulière générale On compte quatre grands mouvements suivant un plan régulier.  Ainsi chaque partie est précédée d’un poème débutant par « mes forêts » qui est décliné selon le thème de la sous-partie : cela donne une tonalité musicale. L’œuvre se clôt aussi sur la même note avec « mes forêts ». On a donc une composition qui commence et s’achève comme un cycle sur le temps. À l’intérieur de chaque partie, on peut lire quatre épigraphes de plusieurs poétesses. On peut en déduire que chaque partie forme un petit recueil en lui-même. L’addition de ces parties donne ainsi une structure régulière au livre.  Pourtant l’irrégularité est aussi au cœur de ce recueil.   2.  structure irrégulière des poèmes Nous allons examiner ensemble les parties pour mesurer la structure interne de ce recueil.  Celui débute par les poèmes suivants : – Mes forêts sont une longue traînée de temps — L’écorce incertaine : la première partie nous offre 25 courts poèmes mettant en exergue les différentes composantes de la forêt (le minéral, le végétal, l’animal) et leurs rapports avec l’homme : l’horizon,  l’arbre, le ruisseau le rocher, le tronc, l’île, la branche, les feuilles, la déchirure, l’écorce, l’humus, le mur des bois, la cime, la bête, les racines, le silence, l’ocre, le houppier, les brèches, le temps, le sentier, le feu, les vents, un lit, l’aile, — Mes forêts sont un champ silencieux — Une chute de galets : 2e partie composée en un seul poème avec pour sujet le double rapport entre le sens de l’ouïe et le thème du temps. Il faut considérer la nombreuse répétition du vers «c’est le bruit du monde/l’écoulement du temps — » qui fait office de refrain musical. Notons le travail de la poétesse sur la présentation formelle du poème (blanc typographique, justification alternée du texte à droite, centrée et à gauche [trois temporalités]). – Mes forêts sont les bêtes qui attendent la nuit — L’onde du chaos : 3e partie : on compte 30 poèmes sans titre, évoquant une nature désolée dans un registre dramatique. Il souffle mille voix de vent, Rêve-t-elle d’autres saisons Le jeune érable frémit, Les arbres mordent le sol, Il fait un temps de bourrasques et de cicatrices, Entre mes doigts, Les alertes du matin résonnent, Comme roulent les galets, Il fait un temps de foudre et de lambeaux, Je n’ai rien déposé, À la table du silence, Parfois je sarcle le sol, Tu t’arrêtes,  Il fait un temps d’insectes affairés, Je m’incline souvent, Je marche entre mes ombres, Nos matins de brume comme, Nous sommes debout, Je n’entends pas le loup, Il fait taches de brouillard, Les jours tombent comme, l’herbe ne va nulle part, A l’instant où, Ce sera comme un souvenir, Le chemin qui monte vers toi, Il fait rage virale, On dirait une silhouette mystérieuse, Autour de moi les notes, La neige a cessé, Tu pousses la porte du temps, — Mes forêts sont le bois usé d’une histoire — Le bruissement du temps : trois poèmes lyriques évoquant le retour aux origines comme chemin vers une nouvelle compréhension de la nature et de soi :  Avant l’aube, Avant l’horizon, Avant la nuit, —  Mes forêts sont des longues tiges d’histoire Que signifie l’organisation particulière de ce recueil ?  Progression Ce recueil a donc pour objet de nous conduire à effectuer un cheminement poétique à partir de la régularité apparente des parties s’ouvrant sur l’irrégularité interne des textes avant, enfin, que nous parvenions à une forme d'unité.  la composition régulière se mesure à partir des : cinq refrains « mes forêts » quatre mouvements, quatre épigraphes   2.  la composition irrégulière se mesure à partir de : la longueur des poèmes, soit courts [type haïkus] soit de taille moyenne, soit longs [cf. 2e partie] l’absence de titre à l’intérieur du recueil entre la 1e et la dernière partie : signe de décomposition avant la recomposition  de l’espoir la typographie des caractères et des espaces,       3. l’unité du recueil se mesure à partir de : de l’importance du sens de l’ouïe, la préoccupation écologique la critique de la modernité, l’importance du thème du temps, d’un imaginaire poétique des forêts d’un renouvellement de l’espoir  Nous verrons dans les analyses linéaires la vitalité qui est à l’œuvre dans ce recueil. Il nous reste à comprendre la manière dont ce recueil est écrit. Le style du recueil Ce recueil est composé en vers libres.  Qu’est-ce que cela signifie sur le plan formel ? On va décrire cette notion de manière négative [a] avant de procéder de manière affirmative [b] tout en apportant des nuances [c]. a) définition négative Un poème est dit en vers libres  lorsqu’il ne présente pas :  des vers réguliers, de césure, des rimes,  des strophes.  Voyons de manière plus précise cette définition. b) défintion affirmative De manière plus positive, le vers libre apparaît dans la mise en page et dans le jeu d'écriture, à savoir : l’absence de ponctuation  la présence d’espaces typographiques très visibles, la justification de marges à gauche ou à droite, ou alternée, le jeu d’écriture avec la police, l’absence de majuscules, le jeu de mots, le néologisme, c) respect de certaines règles Mais le vers libre peut se référer, s’il le veut, à la tradition classique par : la présence de majuscules en début de ligne,  le jeu de sonorités (allitérations, assonances) des effets d’enjambement,  la longueur métrique variable mais repérable,  des sauts de ligne créant une strophe,  Il faut aussi expliquer la vision poétique qui sous-tend ce recueil. Esthétique Ce recueil en vers libres comporte une vision esthétique qui n'a rien à voir avec la conception traditionnelle du romantisme (a). Elle porte également un projet double sur la nature (b). a) rejet de la conception romantique Ce qui frappe dans ce recueil, c’est la vision de la nature présentée par Hélène Dorion.  Elle tranche avec le positionnement émerveillé qu’elle aurait pu avoir en première intention si l’on considère uniquement le titre de son recueil.  Elle ne célèbre pas le monde, rejetant toute attitude contemplative comme l’auraient fait les poètes romantiques du XIXe siècle avec un aspect soit symbolique soit transcendantal. Elle a choisi, au contraire, une approche lucide pour évoquer la crise actuelle. Dans le même ordre d'idées, elle adopte une vision immanente et c’est l’intériorité de l’être d'ici-bas qui est convoqué. En outre, son positionnement se fait davantage en des termes particuliers qu’en termes généraux ; elle emploie un lexique simple et concret : « grenier/fruits/aiguilles » (cf. Mes forêts sont de longues traînées de temps »).  Le style des vers libres épouse donc cette conception de la nature qui s’avère duale. b) une dualité Dans sa poésie, Hélène Dorion décrit, en premier lieu, un univers sylvestre* inquiétant, bancal qui n’a rien d’harmonieux : « percent le ciel/déchirent le ciel/fantômes/se cognent/ombres » (cf. Mes forêts sont de longues traînées de temps »).  Cette approche se retrouve dans l’essentiel de ses poèmes et ce jusqu’à l’avant-dernière partie. Elle souhaite souligner la profondeur de la crise actuelle climatique et technologique. Cette situation nous place sur une frêle ligne de crête, où tout peut basculer. Mais ce basculement ouvre sur une vision positive de la nature, comme seul remède au mal que nous voyons sous nos yeux. La singularité du recueil N ous allons montrer en un tableau les éléments partagés par les poètes modernes et la singularité du recueil. Mes forêts de H.Dorion éléments communs originalité forme vers libres   mise en page espaces blancs visibles, retraits à gauche/à droite   strophe   présence de strophes irrégulières ponctuation absence    majuscules absence sauf pour les titres (partie 1)   parties   structure en 4 parties titres pas de titre aux poèmes (sauf partie 1)   épigrammes   référence poétique à chaque partie sonorités   allitérations enjambements avec contre-rejet strophes nature   vision non contemplative  sensation   rôle de l’ouïe et du toucher perception   dualité de la nature : négatif/positif mouvement   3 mouvements :   extérieur/intérieur/ extérieur article à suivre : « l’écorce » dans le recueil « Mes Forêts » (H.Dorion)

  • "Le Mal" de Rimbaud

    Analyse linéaire pour le bac : la singularité du poème intitulé Le Mal provient du fait qu’il s’agit d’une “caricature poétique”, c’est-à-dire d’une vision exagérée et déformée tendant à ridiculiser le modèle, en l’espèce la religion. L’influence décisive de Proudhon est également à noter. On note deux axes principaux d’analyse : la folie des hommes (les deux quatrains) et la dénonciation de la religion (les deux tercets). Le Mal, Rimbaud, manuscrit, British Museum "Le Mal" de Rimbaud Ce sonnet appartient au premier cahier. Aucune mention de date n’est spécifiée par l'auteur.  Le critique Antoine Adam* considère que ce poème revêt une grande place dans l’œuvre, car son originalité tient à un genre auquel le poète s’intéressait particulièrement à l’été 1870 : la caricature. Il eut l’idée de transposer le ridicule en poésie. Il s’agit donc d’une “caricature poétique”, c’est-à-dire d'une vision exagérée et déformée tendant à ridiculiser le modèle, en l’espèce la religion. L’influence décisive de Proudhon est également à noter. Dans son ouvrage, Philosophie de la misère,  publié en 1848, il lance cette déclaration : “Dieu, c’est le mal”. Rimbaud a été un lecteur avide de cet auteur, défenseur du peuple.  Munis de cette information, nous allons analyser "Le Mal" de Rimbaud en respectant notre méthode. Il vous est proposé d’appliquer la méthode des 6 GR OS SES   C LE FS ©. Il s’agit de colorier  le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant :          6           GR OS SES                                       C LE FS Gr  : grammaire                               C  : Conjugaison OS : oppositions                            le : champ lexical  SE  : les 5 sens                            FS : figures de style Le   M al T an d is que   l es cr a ch a ts   r ou ges   d e la mi tr a ille A Si ffl ent   t out l e j ou r   p a r  l ’ in f ini d u cie l  bleu ; B Qu ’ éc a r l a t e s   ou   verts ,  près d u   R oi   qu i l es   r a ille .  A Cr ou l ent l es   b a t aillons en m a sse   d an s l e   f eu   ; B T an di s q u’ une   f o li e ép ou van t a ble,   b r oie  C Et f ait  de c en t mi lliers   d’ ho mme s   un t a s   fu m a nt   ; D — Pauvres mo rts   ! d an s l’ été,  d ans   l’ herbe, d an s t a joie,  C N at ure ! ô   t oi   qui   fis   ces  hom m es sain t e m ent  !…  — D —  I l   es t   un D ieu ,   q ui rit aux n a ppes   d a m a ss ées   E D e s   au t e l s,  à l ’ en c ens ,  aux g ran ds c ali c es   d’ or  ;   F Q ui   d an s le  ber c e m ent   d es ho s a nn a h   s ’ en d ort.   F Et   s e  r éveille,   q u and   d es   m ères ,   r a m as s ées  E D an s  l ’ an goi ss e ,   et pleur an t   s ous l eur vieux bonnet   noir,  G L ui donnent un gros s ou l ié dans  l eur m ouchoir ! G Commentaire linéaire S'agissant d’un poème, il faut donc vous rappeler l’acronyme SPRR   : Strophe-Pieds- Rime- rythme. Ces 4 balises se décomposent en deux parties : La structure formelle du poème : strophes et pieds, Les effets de la poésie : rimes et rythmes. Notons que ce sonnet (14 vers) est composé d’alexandrins (12 syllabes), ce qui lui donne une forme verticale. Pourquoi ? Le poète a cherché à lui donner un ton léger et badin propre à la caricature. Cet exercice lui permet également de s’affranchir de règles de versification classiques :   il n’utilise que des rimes pauvres avec un seul son en commun, il ne respecte pas l’alternance des rimes masculines/féminines,  il choisit enfin de s’éloigner des rimes embrassées (abba) pour proposer des rimes croisées abab/cdcd/eff/egg qui ne comprennent pas un seul jeu de rime.  La problématique qui se pose est celle de savoir comment une esthétique du mouvement se met-elle en place dans ce poème. Pour répondre à cette question, nous verrons les deux parties suivantes : La folie des hommes (les deux quatrains) la dénonciation de la religion (les deux tercets) La folie des hommes On peut tout d’abord relever du mouvement dans cette caricature poétique que ce soit au niveau de la construction particulière des quatrains, que ce soit au travers du traitement de la guerre, ou enfin du fait des effets d’amplification. La construction particulière  On note que les deux quatrains ne suivent pas le même modèle comme on l’a déjà vu avec les rimes. On voit un effet d’emballement partant d’une construction irrégulière à une dislocation voulue.   construction irrégulière Même s’ils débutent par une anaphore “tandis que”, le poète procède à une savante entreprise de bousculement des vers. Ainsi cette locution conjonctive “tandis que” fait entrer théoriquement deux actions dans une simultanéité. Si dans le premier quatrain, la règle est respectée avec “que les crachats…sifflent”/Qu’écarlates…croulent”, il n’en va pas de même pour le second “qu’une folie broie/ … ": rien ne vient  : on est donc sur une construction volontairement bancale.  Dans la même idée, Rimbaud a entrepris de respecter l'hémistiche “ Qu ’éc a r l a t es ou verts,” (6 syllabes) avant de l’oublier dans le second quatrain “— Pauvres mo rts ! “.  dislocations poétiques Les dislocations poétiques s’enchaînent avec, dans le premier quatrain, un enjambement avec rejet “mi tr a ille /Si ffl ent”, ce qui donne un effet de surprise, alors que, dans le deuxième quatrain, l’inverse se manifeste via un enjambement avec un contre-rejet “une f o li e ép ou van t a ble, b r oie “ dans une perspective cette fois de mise en valeur.  On note enfin la régularité de la ponctuation qui change de rythme aux vers 7 et 8 avec les trois exclamations lyriques “ Pauvres mo rts ! /N at ure ! ô  t oi qui fis ces hom m es sain t e m ent  !… “ On notera le sous-entendu des points de suspension, l’adverbe “saintement” marque une certaine ironie compatible avec le genre caricatural brossé par Rimbaud. le traitement de la guerre La guerre est omniprésente dans ces deux quatrains : la manière de l’évoquer repose sur l’inversion des rôles entre la machine et l’homme, avant de distiller une faible critique du pouvoir. Inversion des rôles  Dans ces quatrains, l’accent est mis d’abord sur les objets et non sur les hommes, c’est-à-dire que la responsabilité de ces derniers n’est jamais évoquée. L’ironie est donc palpable, à l’image de Voltaire ( cf.passage de la guerre dans Candide ).   Ainsi au premier quatrain, ce sont les armes en mouvement qui sont mises en relief et qui sont les sujets de l’action avec la métaphore “crachats rouges”/ “la mitraille”/ “sifflent”/”croulent/”le feu”/. Les hommes n’occupent que la fonction de complément. Les êtres humains apparaissent en second et sous deux formes :  les vivants, le “Roi” (vers 3) et les hommes, statiques, soit réunis en “bataillons en masse” (vers 4) soit morts “tas fumant” / “pauvres morts” (2e quatrain). une faible critique du pouvoir La responsabilité des hommes est finalement voilée. Le vers 5 évoque “une folie épouvantable” sans préciser de complément de nom. Notons l’emploi de l’article indéfini “une folie”, comme n’importe laquelle ? De qui proviendrait-elle donc ?  La mention “du Roi” avec une majuscule n’est pas convaincante, car il est au singulier : il faut bien deux belligérants au moins pour une guerre. Et l’attitude du monarque est étonnante :  il “raille”, c’est-à-dire qu’il se moque des boulets de canon, attitude légère et décalée, au lieu de plaindre ses troupes. On est encore dans une caricature qui repose sur des effets d’amplification. Des effets d’amplification On trouve un grand nombre d’exagération que ce soit au niveau du jeu de couleurs, du jeu des sens, du jeu des figures de style et enfin du jeu des sonorités. jeu de couleurs Cette scène est extrêmement vivante dans le premier quatrain par le jeu des couleurs : on est dans une vaste gamme de couleurs entre “rouge”/écarlates” évoquant le sang et donc la mort. Mais le poète les oppose à des couleurs froides “bleu” symbolisant le “ciel” et “verts” symbolisant la nature. C’est donc la vue qui est convoquée par le poète, mais ce n’est pas le seul. jeu des sens Au premier quatrain, Rimbaud évoque les combats par le bruit. On a donc l'ouïe manifestée par le verbe “sifflent” (vers 2). Mais on a aussi le toucher avec deux verbes “croulent”/broie” et enfin l’odorat avec “fumant”. L’exagération est au centre de la caricature. jeu des figures de style  Ces quatrains comportent des métaphores avec les “crachats rouges” qui font un lien entre la salive humaine et la puissance de feu. La guerre prend la forme d’une allégorie confirmée par l’expression “folie épouvantable”.  Rimbaud recourt aussi à des hyperboles pour accentuer le trait caricatural : “croulent les bataillons en masse” : effet d’effondrement tout comme le verbe “broie” qui donne un effet d’éclatement. La puissance d’évocation est vive.  On relève de plus une réification avec le passage “des hommes” à “un tas fumant” : l’effet est saisissant, d’une crudité absolue, mais sans nuances.  À l’inverse, la “Nature” est personnifiée au vers 8 avec sa majuscule : le poète la tutoie “ô toi qui fis” et l’invoque de manière lyrique comme une divinité antique, créatrice avec le verbe “faire”. On note que ce même verbe dans la main de cette “folie” non nommée détruisait “Et f ait …un t a s fu m a nt” Enfin il faut évoquer la curieuse répétition au vers 7 : “ d an s l’ été,  d ans   l’ herbe, d an s t a joie, “ : cela contraste avec la fureur des combats et avec la mort en début de vers. On est encore sur une exagération avec “dans ta joie” puisque la guerre ravage tout comme le rappelle le vers 2 “ t out l e j ou r  p a r l ’ in f ini d u cie l  bleu”. On est bien dans une caricature. C’est au jeu des sonorités que le rôle du poète s’est adonné. jeu des sonorités Dans ces deux quatrains, le poète s’est donné à cœur joie dans le choix de ses allitérations et des ses assonances. Dans le premier quatrain Les allitérations sont nombreuses et brutales en q/c/r/t/d/s/ : c’est pour signifier la puissance du feu, les rafales de canons, son bruit et la mort avec le m, “masse/mitraille/hommes/fumant. Ces allitérations s’opposent au l, coulant et doux, l’infini/ciel/l’été/l’herbe/ qui est le dernier son d’humanité. On a aussi une dissonance entre le son s “tandis”/sifflent”/ciel/masse et le son z “écarlate s ou ” : elle sera récurrente par la suite.  Rimbaud joue aussi une partition musicale avec les assonances : dans le premier quatrain, on a le son a “crachat/écarlates/bataillon/masse : cela donne un effet dur.  Le poète emploie aussi le son “ou” : “rouges/jour/croulent/épouvantable” : cela donne un effet de désastre.  Dans le second quatrain Rimbaud limite les illustrations précédentes pour mettre en relief les sons f/m/l : on se situe après la bataille. On voit une nouvelle assonance en “an” : “cent”/ ”dans” /”saintement” : cela crée un effet plus lent, rompant ainsi avec le rythme soutenu de la violence des combats. La dénonciation de la religion Avec ces deux tercets, on comprend l’objet de la caricature. Il s’agit de dénoncer la religion. Pour ce faire, Rimbaud recourt au champ lexical de la religion, et critique la divinité en s'en moquant avec des tournures exagérées. Champ lexical de la religion On note l’opposition dans le rythme du poème entre les quatrains et les tercets. Cela permet au poète de mener à bien sa critique de la religion qui repose sur l’emploi des termes appartenant au lexique liturgique.  rupture de rythme Après le champ de bataille, nous voici dans un tout autre univers. Ce premier tercet nous situe dans un lieu clos. On se trouve, en effet, dans une église avec un élément décoratif : “autel”. On est dans une immobilité avec la tournure impersonnelle “il est un Dieu” : cela fige la situation qui est donnée une fois pour toutes comme dans un récit biblique.  Le seul mouvement qui s’effectue, c’est un balancement léger, “bercement”.  Lexique liturgique On voit apparaître ainsi les objets liturgiques proprement dit tels que “nappes/au t e l s/ en c ens ,  c ali c es ”. Rimbaud se fait donc aussi moqueur avec les adjectifs épithètes entrant dans le champ lexical de la richesse “damassées/grands/or/. Le sens de la vue joue donc un rôle critique. À côté de ces objets, on assiste à un rite liturgique avec le terme “hosannah” : c’est l'ouïe qui est présent et qui est le pendant de l’odorat avec l’encens. critique de la religion Rimbaud a choisi de personnifier la divinité en la caricaturant, il joue sur l’effet de tension avant de dénoncer la vénalité de Dieu.  une personnification Rimbaud présente la divinité “un Dieu” comme une personne humaine, c’est-à-dire comme un homme : l’emploi du déterminant indéfini “un” forme une critique de toute forme de divinité.  Cette personnification pour laquelle il lui donne une majuscule en fait un être avec des attitudes simples : “qui rit”/”s’endort”/”se réveille”.  Examinons les attitudes : opposition entre immobile/mobile avec “s’endort”/”se réveille”. Pourquoi dort-il ? Les prières “les hosannah” n’ont pas d’effet sur lui. Cette indifférence est soulignée avec le terme “bercement” qui faussement l’infantilise. Il apparaît ainsi comme un personnage éloigné des malheurs humains énoncés dans les précédentes strophes. Il est donc lointain et paresseux.  Mais la rupture de rythme apparaît avec le verbe “se réveille”. Pourquoi se réveille-t-il ? Pour cela, il faut revenir à sa première attitude apparemment innocente, ce dieu qui “rit” : cette indication le rend immoral. Pourquoi rit-il ? Il rit parce que la richesse des objets liturgiques ne l’intéresse pas et le rend moqueur, voire cynique. Il se réveille pour une seule chose : pour l’argent ainsi que nous le verrons. une tension  Rimbaud travaille ses sonorités dans le premier tercet et notamment les s de l’argent “encens/sous/damassée/calice qui s’opposent au z “hosannah/de s a utels : cela crée une tension. L’assonance en “en” produit un effet solennel “encens/grands/bercement/endort, mais il est factice. Il l’est parce que Dieu qui est le mal selon le titre du poème est vénal. la vénalité de Dieu Cette vénalité se mesure à l’opposition entre Dieu et les femmes “mères”. La mise de ces dernières s’oppose à la richesse conférée à Dieu : “vieux bonnet noir”/mouchoir” : ces termes soulignent leur pauvreté. La présence de ces femmes rattache ce dernier tercet à la situation de guerre décrite précédemment : ce ne sont pas n'importe quelle prières ; ce sont des prières lancées par des mères en deuil. Comment le sait-on ? Le poète emploie trois termes “pleurant/angoisse/ramassées. Elles attendent de Dieu une consolation en contrepartie du paiement de leur maigre offrande “un gros sous” qui n’a rien à voir avec l’or du calice. Cette vénalité divine se remarque avec la proposition circonstancielle de temps : “q u and  d es  m ères  (...) L ui donnent” : le caractère immoral provient de l’encaissement des pièces. Rimbaud caricature donc un Dieu brossé sous les traits d'un être intéressé et indifférent au sort de l'humanité, ce qui contrevient à la vision de son époque. Ce poème a clairement une visée transgressive. Source *Antoine Adam,  Rimbaud, Œuvres complètes,  La Pléiade, 1972,  Notes page 867 article à suivre : analyse linéaire de  Rêvé pour l’hiver

  • “Sensation “de Rimbaud

    Bac : analyse linéaire : le poème se décompose en deux quatrains (strophe classique) isométriques de 12 pieds (alexandrins : syllabes idéales) qui soulignent le respect de la tradition classique par l’auteur. On peut décomposer logiquement le poème en 2 parties : le départ (strophe 1) et l’ailleurs  (strophe 2). Sensation, poème écrit et signé par Rimbaud, British Library, Londres Découvrons l’analyse du poème intitulé, Sensation , au travers du contexte dans lequel il a été composé, puis en découvrant la méthode qui permet de comprendre en profondeur le texte. Sensation “de Rimbaud Ce poème appartient au premier cahier ; il porte la date de mars 1870. On sait qu’il a été adressé le 24 mai 1870 par Rimbaud à un poète parnassien célèbre, Théodore de Banville, que le jeune poète révérait tout particulièrement. C’est un texte qui comporte, en outre, des références à Baudelaire (cf. poème A bien loin d’ici   de Baudelaire dans l es Fleurs du mal ). Il vous est proposé d’appliquer la méthode des 6 GR OS SES   C LE FS ©. Il s’agit de colorier  le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant :          6           GR OS SES                                       C LE FS Gr  : grammaire                               C  : Conjugaison OS : oppositions                            le : champ lexical  SE  : les 5 sens                            FS : figures de style   Sensation   P ar   l es s oirs b l eus d’ été ,   j ’ir a i  dans l es s enti er s,         P icot é p ar les bl é s,   fou ler   l’ herbe m enue   : R ê veur,  j’ en   s entir ai   l a  f raî cheur à m es pi e ds .   Je l ai ss er ai   le  vent   baign er   m a tête   nue .    Je ne   p ar l er ai   p as , je   ne   p enser ai   rien  :  Mais   l’ a m our infini me   m ontera dans l’â m e ,    Et  j’ir ai   l oin ,  bien  l oin ,   co mm e  un boh ém ien ,  P ar   l a Nature , — heureux co mme   avec une fe m me .   A B A B   C D C D 12 syllabes : alexandrins     Par ailleurs, il s’agit d’un poème, il faut vous rappeler l’acronyme SPRR : Strophe-Pieds- Rime- rythme. Ces 4 balises se décomposent en deux parties : - La structure formelle du poème : strophes et pieds - Les effets de la poésie : rimes et rythmes. Commentaire Problématique : comment dans  Sensation une esthétique du mouvement et d'errance se met-elle en place ?  Le poème Sensation “de Rimbaud se décompose en deux quatrains (strophe classique) isométriques de 12 pieds (alexandrins : syllabes idéales) qui soulignent le respect de la tradition classique par l’auteur.  On note que c’est un poème de 8 vers de 12 pieds donnant ainsi une forme horizontale, traduisant la durée, l’étendue sans fin d’un bonheur vécu. Ce sont, en outre, des rimes pauvres avec un seul son en commun, mais qui respectent l’alternance des rimes masculines/féminines avec le caractère embrassé donnant, cette fois, un caractère lyrique au registre convoqué par l’auteur. On peut décomposer logiquement le poème en 2 parties : le départ (strophe 1) l’errance  (strophe 2) Le départ Le poète forme un rêve précis (A) qui convoque des sens particuliers (B) et un champ lexical précis (C). A.un rêve Ce souhait découle de l’expression subjective du poète, de l’emploi du futur simple qui est le seul temps utilisé tout au long du poème et enfin de la douceur des allitérations.  la subjectivité Le poète prend lui-même la parole par le recours au pronom personnel “je” et l’emploi des deux possessifs “mes pieds”/”ma tête”.  Il se définit lui-même : il se voit ainsi comme un être sensible avec l’adjectif mis en apposition, “rêveur” .   Mais le poète effectue en rêve un mouvement libre : il le fait au travers de la proposition infinitive “j’irai () fouler” qui présente une fonction de but. Cette subjectivité du poète s’appuie en outre sur la conjugaison.  la conjugaison La valeur du futur ” j ’ir ai /je sentir a i” concerne un projet encore inabouti ; c’est davantage un rêve détaché de toute contingence.   Il expose la part secrète qu’il porte en lui avec ces deux verbes opposés l’un évoquant le mouvement, “j’irai”, et l’autre l'immobilisme avec l’évocation d’une impression “je sentirai”. Le choix de la nuit “les soirs” indique bien le caractère irréel de l’entreprise tout comme la saison choisie, “l’été”. Rimbaud a donc choisi une temporalité douce propice à l’évasion de l’esprit.  la douceur  Cette douceur transparaît par l’utilisation des allitérations en l, m, s, p. Les deux premières donnent un sentiment de légèreté, “fou ler   l’ herbe m enue” , le s donne la fraîcheur “ s enti er s  à laquelle l’allitération en p apporte un ton joueur “ P icot é   p ar”, cela donne donc une impression d’innocence. B. Deux sens particuliers Rimbaud convoque deux sens dans ce quatrain, la vue et le toucher. Ces deux sens sont d’inégale importance. La  vue Le premier vers évoque la nuit avec le recours à une couleur “les soirs bleus”. Ce sens précis joue le rôle de déclencheur de l’activité onirique avec le déterminant défini pluriel “les” indiquant le caractère répétitif de l'expérience sensorielle. C’est le toucher qui est en fait le but recherché. le toucher Rimbaud recherche une sensation précise comme le suggère le titre de ce poème mis au singulier. Et c’est bien le toucher qui est exprimé.  Il l’est à plusieurs reprises :  le participe passé “picoté par les blés” donne un aspect tout à fait passif à l’action délibérément subie par le poète, lequel dans le vers 4 entend totalement lâcher prise avec la tournure “ Je l aisser ai   le  vent  baign er. “  Notons que cette sensation est un peu désagréable avec la petite piqûre “picoté”  qu’elle procure ; elle s’oppose clairement à la suivante.  L’auteur emploie, en effet, une autre tournure avec les infinitifs  “fouler/”baigner” : les deux verbes offrent, cette fois, un sens agréable. Le plaisir qui en découle est immédiat l’un au sens propre “fouler l’herbe”, l’autre avec la métaphore évocatrice “ le  vent  baign er   m a tête  “. Enfin l’emploi de la tournure conjuguée ”sentirai” exprime un ressenti simple. C’est donc une sensation purement physique qui est recherchée par l’entremise du corps : pieds/tête. Notons l’opposition entre les deux extrémités et le choix de présenter le mouvement de bas “pieds” en haut “tête” : la sensation est d’abord éprouvée par le corps pour aboutir à la tête. Le dernier vers de la poésie amène à la gradation finale “l'âme” (vers 8). On accède par ailleurs à un champ lexical précis. C. le champ lexical Pour asseoir cette pure expérience sensorielle, le poète a choisi un cadre déterminé : la campagne On relève à cet égard l’emploi de termes “sentiers/blés/fraîcheur/herbe/vent”. Ce champ lexical sera rappelé dans le quatrain suivant avec au dernier vers “la Nature”. On relève dans un autre domaine que les assonances ont pour effet de donner de la fraîcheur au poème avec l’opposition entre le son é et è, “ d’ été ,   j ’ir a i ” qui sont disséminés dans ce premier quatrain. Mais l’expérience corporelle mène à un autre état, l’errance. L’errance L’expérience sensorielle cesse pour mener à un état de conscience particulier (A) conduisant à une ouverture au monde (B).  A. Un nouvel état de conscience Deux conséquences s'imposent au poète, la contemplation et l’envahissement d’un sentiment de bien-être. contemplation Au vers 5, le poète parvient à ressentir un état de conscience tout à fait particulier. Pour cela, Rimbaud utilise deux tournures négatives “ne parlerai pas/ne penserai rien” : cela tranche avec les deux tournures affirmatives du premier quatrain. On a ainsi un être réduit au silence avec “ne parlerai pas” qui se livre ensuite au vide avec “ne penserai rien”. Relevons l’équilibre classique du vers avec la virgule à l’hémistiche. On relève, en outre, une  gradation entre “pas/rien”, c’est-à-dire d’une perspective d’absence à une perspective du néant complet. Le poète entend donc vivre un instant tout en retenue avec l’opposition entre deux verbes “parler/penser” qui sont le propre de l’homme, mais pas du poète.  Il entend désormais se situer en dehors de ces deux états. C’est à une expérience intérieure, de contemplation, qu’il se livre désormais. Les deux points de la ponctuation nous indiquent que c’est une étape qui mène à un but. Un sentiment de béatitude Cette aspiration à faire silence mène à un but précis comme l’indique la tournure de concession “mais” de la conjonction de coordination. La suite des vers présente désormais un sens positif.   Il ressent désormais un sentiment de bien-être exprimé par le groupe nominal “l’amour infini” : le déterminant défini suggère qu’il s’agit d’un sentiment unique, le plus haut si l’on considère l’adjectif épithète “infini”. Si le silence et le vide signifiaient l’immobilisme, la béatitude nouvelle relève d’un mouvement. Ce dernier se révèle ascendant avec le verbe “montera”.  Et ce n’est plus le corps qui est convoqué, mais la partie intime, “l’âme”. On peut parler de gradation entre les pieds/la tête (1e quatrain) et l'âme. Mais ce sentiment de bonheur ne s’arrête pas là. B. une ouverture au monde  C’est avec une nouvelle conjonction de coordination “Et” que les deux derniers vers sont introduits vers un ailleurs et vers le bonheur.  l’ailleurs Le poète se voit détaché des contingences terrestres : là, il s’imagine ailleurs dans un mouvement qui s’incarne avec le verbe aller “j’irai”.  Ce mouvement se situe dans une ligne horizontale avec l’adverbe loin qui joue la fonction de complément circonstanciel de lieu. Cet ailleurs n’a pas besoin de localisation précise, il a juste besoin d’exister. L’errance est source de création et son importance a conduit le poète à amplifier son effet avec l’adjonction de l’adverbe “bien” qui accentue la répétition “loin”. Le respect de l’hémistiche donne une force lyrique au vers.  L’ailleurs se veut ainsi sans limites, ce qui le conduit à ébaucher une comparaison éclairante avec “comme un bohémien” : à l’époque du poète, les gens du voyage étaient mal perçus par la population. La référence de Rimbaud est donc assez transgressive. Elle choque délibérément. Par comparaison, le poète accède ainsi à une liberté sans attache dans sa création, dans son art. Cet ailleurs poétique est source aussi de bonheur. le bonheur On a vu que le poète accède à un état de disposition de création, libre et sans contingence. C’est la source de son bonheur comme Rimbaud nous invite à le comprendre avec la deuxième comparaison “heureux co mme  avec une fe m me “:  on relève que cette écriture poétique se libère de la règle de la césure puisque la virgule et le tiret bouleversent l’équilibre du vers.  On note également que les comparaisons s’opposent “un bohémien/une femme”, un homme vu de manière péjorative/une femme présentée de manière méliorative. Rimbaud réduit les allitérations et les assonances qui perdent en intensité : dans ce deuxième quatrain, on gagne ainsi en simplicité avec moins d’effets recherchés. Une seule assonance en “ai” qui suffit à exprimer le bonheur obtenu. C’est enfin par le truchement de “la Nature”, devenue une allégorie comme le suggère la majuscule, que le poète peut parvenir à sa propre destinée. On note que le poème s’achève par ce même champ lexical que celui employé au début avec “les sentiers”/”les herbes”.  repère à suivre : analyse linéaire :   le Mal (Rimbaud)

  • “Les Cahiers de Douai” (Rimbaud).

    Ce parcours “émancipations créatrices” du bac de français   nous amène à vous proposer un dossier comprenant une présentation générale du sujet avant de nous intéresser à la problématique, à savoir à l’enjeu esthétique dans les Cahiers de Douai  qui est lié au thème du mouvement chez Rimbaud.  Rimbaud “Les Cahiers de Douai” (Rimbaud) Nous allons comprendre ensemble l’objet exact qui nous est demandé sous ce vocable : “émancipations créatrices”. Que signifie l'association de ces deux termes ? Le mot “émancipation” signifie libération. On l’emploie pour signifier le mouvement mettant fin à un lien qui enchaîne. Prenons par exemple : l’émancipation des femmes etc... Notons que ce terme est utilisé au pluriel : il est donc question de plusieurs émancipations dans notre parcours. On cherchera alors les  différentes contraintes dont Rimbaud a cherché à s’affranchir. Voyons le deuxième terme : “créatrice” qui renvoie, quant à lui, à l'art. Pour nous, ce sera dans le domaine du genre littéraire, en l'occurrence, celui de la poésie.  Là encore, cet adjectif est mis au pluriel pour s’accorder en genre et en nombre avec le nom "émancipations." C’est dans ces conditions que nous chercherons les éléments de réponse à la fois dans la vie pleine de fougue du jeune poète, mais aussi dans les Cahiers de Douai : nous allons donc nous intéresser aux différentes influences assumées et dépassées par Rimbaud.  Présentation Ce parcours “émancipations créatrices” nous amène à vous proposer dans un premier temps une présentation générale selon la progression suivante : Circonstances de la rédaction des Cahiers Voyons aujourd’hui les conditions dans lesquelles le jeune poète a rédigé ces poèmes. Il nous faut donner quelques éléments biographiques*. Naissance Jean Nicolas Arthur Rimbaud est né le 20 octobre 1854 à Charleville dans les Ardennes. Il est le deuxième enfant d’une fratrie composée de deux garçons et trois filles. Le couple vit séparé et c’est la mère seule, Vitalie Rimbaud, petite propriétaire foncière, qui éduque ses enfants dans le respect de la religion et des valeurs conservatrices. La mère exerce une tutelle ferme sur sa progéniture. Elle cherche à leur préparer un meilleur avenir.   Or, Arthur fait justement preuve de précocité à l’école, là où son frère aîné échoue. Il fait ainsi l’objet d’un soin particulier de la part de sa mère qui exerce un contrôle de plus en plus étroit sur son instruction et sur ses lectures.  Très tôt, le jeune Rimbaud excelle notamment en littérature et en latin où il rafle de nombreux prix. Mais il est d’une nature renfermée, il est de surcroît très timide. Georges Izambard Au lycée, il est remarqué par son professeur de rhétorique, Georges Izambard, qui l’initie au début de l’année 1870 à la littérature contemporaine. Ils partagent rapidement la même passion pour Hugo, Banville ainsi que le courant du Parnasse   mettant le Beau au centre de tout. Un autre monde s’ouvre au jeune adolescent qui s’épanouit : une aspiration à la liberté, trop longtemps contrainte, se fait jour en lui. À quinze ans, il rêve alors d’une toute autre vie que celle que sa terrible mère envisage pour lui. Lui se voit en poète et écrit pour être publié comme il le sera dès le 2 janvier 1870 avec son premier poème Les étrennes des orphelins  dans une petite revue. Il envoie deux autres poèmes, Ophélie et  Credo in unam (Chair et Soleil) à Théodore de Banville en mai 1870  dans l’espoir de les voir acceptés par une plus grande revue, la revue du Parnasse contemporain, mais en vain.  Parallèlement à ces rêves, la vie à Charleville au sein de sa famille l’étouffe de plus en plus, d’autant que la situation politique en France se dégrade depuis la déclaration de guerre de Napoléon III à la Prusse en date du  19 juillet 1870.  Par ailleurs, son professeur devenu son ami quitte Charleville pour les vacances, lui laissant l’accès à sa bibliothèque dont il use abondamment. Ce sont évidemment des lectures réprouvées par sa mère. Qu’importe pour Rimbaud ! Rien ne l’arrêtera plus. Georges Izambard part, en effet, pour Douai où il rejoint ses proches laissant le jeune poète dans une solitude profonde. Rimbaud décide de fuir, ce qu'il fait à deux reprises. Il n’a pas encore seize ans. Première fugue Sans argent, Rimbaud réussit à déjouer les contrôles et à monter dans le train pour Paris le  29 août 1870.   À son arrivée, il est immédiatement envoyé en prison pour délit de vagabondage (incrimination pour les voyageurs sans tickets). Trop fier, Rimbaud attend le  5 septembre pour faire état de sa situation ; il choisit alors d’écrire à son ami, Izambard, à qui il demande de régler son amende, préalable à sa libération.  Une fois hors de prison, il est accueilli à Douai jusqu’à la fin du mois de septembre par les proches d’Izambard. Rimbaud met à profit ce temps pour recopier sur un premier cahier 15 poèmes déjà écrits.  Demeny Par l’entremise d’Izambard, il fait la rencontre de Paul Demeny, qui est un poète certes peu reconnu mais déjà publié ; il lui fait une forte impression.  Mais il doit rentrer à Charleville sur instance de sa mère qui exerce ses droits légitimes sur le jeune mineur. Le 26 septembre 1870 , il remet à Demeny, avant de partir, le premier cahier. Rimbaud est accueilli fraîchement par sa mère.  Pour lui, il est désormais incapable de supporter sa vie d’avant. Il a surtout pris goût à la liberté. Deuxième fuite   Rimbaud effectue ainsi une deuxième fugue le 2 octobre 1870 .  Instruit de sa précédente aventure, il a vendu des livres pour avoir, cette fois, un peu d'argent.  Il entreprend son périple en train, puis à pied, en direction de la Belgique où il veut exercer le métier de journaliste. Mais à la suite d'une prise de paroles outrancières, il est purement et simplement éconduit.  Désorienté, Rimbaud erre alors à Charleroi, dort à la belle étoile avant de partir à pied à Bruxelles pour proposer ses services à d’autres journaux.  Mais il décide de rentrer en France et d’aller retrouver Georges Izambard à Douai. Une fois sur place, il emploie à nouveau son temps à recopier sept autres poèmes tirés de sa toute dernière expérience.  Il confie le second cahier une nouvelle fois à Paul Demeny avant de retourner à Charleville fin octobre. L’année suivante, le 10 juin 1871 , Rimbaud demande à Paul Demeny de brûler les vers remis lors de ses deux séjours à Douai. L’auteur n’en fait rien. C’est dans ces conditions que  les Cahiers de Douai se présentent aujourd’hui à nous.  *sources :   Antoine Adam, introduction, Œuvres complètes  de Rimbaud, la Pléiade Jean-Baptiste Baronian,  Rimbaud,  folio biographie http://www.lesamisderimbaud.org/chronologie.html https://cotentinghislaine.wixsite.com/aimerlalitterature/rimbaud-cahiersdedouai Forme des Cahiers Voyons “Les Cahiers de Douai” de Rimbaud avant le détail de leur composition. Recueil Il porte le nom de “recueil de Demeny” ou "Cahiers de Douai". Ce terme de “recueil” a fait couler beaucoup d’encre. L’enjeu qui se cache derrière ce terme concerne une volonté de publication ou non émise par son auteur. On a remis définitivement en cause cette idée de “recueil”,  en considérant  que  cet ensemble de textes ne comporte pas :  de titre,  d’organisation précise (thématique etc…) de pagination originale. Si ce n’est pas un recueil, c’est donc que l’on sous-entend qu’il ne s’agit que d’un regroupement de poèmes. Ces derniers auraient pu faire l'objet d'une sélection pour être publiés dans différentes revues. Ces poèmes auraient pu également servir de base à la constitution d’un recueil à venir.  Forme Il convient de découvrir la manière dont l’œuvre se compose dans sa matérialité. Il ne s’agit pas de “cahiers” comme on l'imagine au sens actuel. Ces "Cahiers" sont à l'origine des feuilles volantes. Elles ont été reliées non par le poète, mais par un des acquéreurs successifs de ce qui est devenu un manuscrit. On notera que le célèbre écrivain, Zweig, a été également un des heureux propriétaires de ces Cahiers avant qu’ils ne soient légués à la British Library par ses héritiers. Cette appellation "Cahiers de Douai" au pluriel tient en outre à la date à laquelle ils ont été remis, mais aussi concrètement à l'utilisation de deux types de papier utilisé. Première page du manuscrit des Cahiers de Douai, Rimbaud, British Library, Londres Ces feuilles comprennent donc 22 poèmes de Rimbaud tous recopiés de sa main, ce qui est émouvant. Cahiers Le premier “cahier” : il comporte 15 poèmes sur du  papier d’école (recto et aussi recto/verso) :  Première soirée  (correspond à « Trois baisers », poème précédemment publié dans La Charge , 13 août 1870) Sensation Le Forgeron Soleil et Chair Ophélie Bal des pendus Le Châtiment de Tartufe Vénus Anadyomène Les Réparties de Nina À la musique Les Effarés Roman Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize…  (poème sans titre, désigné par son premier vers) Le Mal Rages de César Le second “cahier” : il comprend 7 poèmes sur du papier à lettres  (format plus petit) : Rêvé pour l'hiver Le Dormeur du val Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir La Maline L'Éclatante Victoire de Sarrebrück Le Buffet Ma Bohême Datation On considère que ces poèmes ont été composés entre le  printemps et la fin du mois d’octobre   1870. Rimbaud n’a alors pas encore 16 ans.  sources :  https://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx?ref=zweig_ms_181_fs001r http://rimbaudivre.blogspot.com/2010/07/la-legende-du-recueil-demeny-en_19.html https://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx?ref=zweig_ms_181_fs001r Poète précoce Il faut rappeler que ces poèmes ont été écrits alors que Rimbaud n'avait pas 16 ans. C'est cette proximité d'âge avec les candidats au bac qui rend ce choix intéressant. Adolescent Vous avez eu l'habitude jusque-là d'étudier des poètes qui ont composé à un âge mûr, sans que vous n’ayez eu la possibilité de vous identifier à la personne même de l'auteur. Cette fois, il vous est donc permis de considérer le poète comme un être dont vous pourriez vous sentir proches compte tenu de votre âge. Vous pourriez comprendre d’autant plus ses aspirations à l’amour, à la justice et à la contemplation de la nature que vous devez les partager également avec les préoccupations écologiques.  Il reste aussi qu’un intérêt objectif a présidé aussi à ce choix. Précocité L'intérêt de ces textes repose sur la prise de conscience du génie précoce de l'auteur. Ce talent se mesure, en effet, de deux aspects : d’abord en étudiant la compréhension et l'influence fines de poètes du répertoire français sur Rimbaud et ensuite en examinant sa manière de s’en détacher.  On se situe donc sur la première période de création, celle qui détermine les œuvres à venir pour lesquelles il a accédé à la gloire. Il reste à situer ces cahiers dans l’ensemble de la période de création du jeune poète, ce que nous ferons dans le prochain paragraphe.  Place des Cahiers dans l'œuvre de Rimbaud Il vous est proposé une chronologie par souci de clarté ainsi qu’un tableau des thèmes abordés dans les Cahiers qui sont récurrents dans le travail du poète. Chronologie 1870-1872 : Rimbaud refuse de continuer ses études (il ne passe donc pas son bac) et de travailler. Il se consacre à l’écriture de ses vers que l’on retrouve dans les Cahiers ; cette période de son adolescence voit aussi la production d’autres vers écrits postérieurement à l’automne 1870 notamment le Bateau ivre (1871) . Notons l’importance de ce poème, puisqu’il est à l’origine de sa rencontre puis de sa liaison avec Verlaine. Vie commune à Paris, Bruxelles et Londres. Nouvelle conception du rôle du poète (mai 1871)  : rôle prométhéen, c'est-à-dire de voleur de feu. Le poète “je est un autre” s’affranchit de sa propre biographie pour devenir autre, il peut percevoir les choses par le total dérèglement des sens. Recherche d’une nouvelle forme de poésie dans cette période marquée par l’alcoolisme et la débauche. 10 Juillet 1873 : Verlaine tire sur Rimbaud à Bruxelles. Emprisonnement de Verlaine pendant deux ans. Fin de leur liaison. octobre 1873 : publication de Rimbaud à compte d’auteur d’ Une Saison en enfer  : thème du dégoût et des remords de la vie. Peu de diffusion faute d’argent et donc aucun succès rencontré. 1874  : écriture des Illuminations  : thème du rêve et création d’une nouvelle langue poétique faite de fulgurances.  1875 : Transmission postale du manuscrit à Verlaine en février 1875. Fin de son activité poétique et début de sa vie d’aventurier (Europe, Afrique). septembre 1883 et au début de 1884 :  parution des textes de Verlaine sur Les Poètes maudits   comprenant un éloge de Rimbaud et des extraits commentés de ses poèmes. Succès immédiat du livre de Verlaine qui est donc à l’origine de la reconnaissance littéraire de Rimbaud. De son côté, ce dernier n'éprouve aucun enthousiasme, cette nouvelle gloire l'indiffère. Pour Verlaine, tentative de rassembler l’œuvre de son ancien amant jusqu’alors dispersée. 1886 :  Première publication des   Illuminations toujours dans l’indifférence de son auteur qui vit en Afrique et qui a abandonné la poésie depuis 10 ans. 1891  : mort de Rimbaud à 37 ans. Tableau Il vous est proposé un tableau récapitulant les aspects communs des Cahiers avec le reste de l’œuvre de Rimbaud, à savoir ses poèmes divers composés avant  Une saison en enfer et Les Illuminations : Cahiers par rapport au reste de l’œuvre Points récurrents différences ensemble de textes sans  la forme d’un recueil    ses poèmes divers   Les Illuminations Une saison en enfer caractère autobiographique ses poèmes divers   Une saison en enfer (“saison” passée avec Verlaine) Les Illuminations versification ses poèmes divers en prose :   Une saison en enfer   les Illuminations lexique : familiarités mots crus / Une saison en enfer   les Illuminations figures de style allégorie, comparaison, hyperboles personnification Une saison en enfer et les Illuminations :   rôle des oxymores courant parnassien   / Une saison en enfer Les illuminations   courant symbolique   thème de l’adolescence ses poèmes divers   Une saison en enfer Les illuminations thème de la nature ses poèmes divers   Une saison en enfer   Les Illuminations   / thème de la guerre et du pouvoir Les Illuminations Une saison en enfer thème de l’amour Une saison en enfer Les Illuminations   / thème de la souffrance Une saison en enfer Les Illuminations thème de la religion Une saison en enfer (autrement appelés poèmes païens) Les illuminations (mythes)   / Il nous reste à entrer dans la problématique du sujet que nous verrons dans l’article suivant. sources : Castex et Surer, XIXe siècle,  Hachette https://gallica.bnf.fr/blog/22112022/les-poetes-maudits?mode=desktop http://abardel.free.fr/petite_anthologie/prologue_lecture_methodique.htm http://abardel.free.fr/glossaire_stylistique/analogie.htm article à suivre : Sensation

  • “Rêvé pour l’hiver” (Rimbaud)

    Commentaire linéaire pour le bac : ce sonnet appartient au deuxième Cahier de Douai . L'analyse de ce poème conduit à l'examen de deux parties : le voyage (2 quatrains) et l’appel des sens (2 tercets). La forme de ce sonnet est verticale, signe de l’expression des premiers émois amoureux. Rêvé pour l'hiver, Rimbaud, manuscrit original au British Museum, Londres “Rêvé pour l’hiver” (Rimbaud) Ce sonnet appartient au deuxième Cahier de Douai. Il a été écrit le  7 octobre 1870  comme l’indique Rimbaud lui-même. Il faut rappeler que c’est au moment de sa seconde fugue que ce poème a été composé. Il quitte Charleville le  2 octobre pour la Belgique avant de revenir en France le  11 octobre  à Douai. C’est donc un texte écrit au cours d'une période heureuse, sur la route de Bruxelles où l'adolescent espère être employé comme journaliste.  Ce sonnet comprend une dédicace et fait référence à un poème de Théodore de Banville   que Rimbaud aimait beaucoup. Il vous est proposé d’appliquer  la méthode des 6 GR OS SES   C LE FS ©. Il s’agit de colorier  le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant :          6           GR OS SES                                       C LE FS Gr  : grammaire                               C  : Conjugaison OS : oppositions                            le : champ lexical  SE  : les 5 sens                            FS : figures de style Retrouvons “Rêvé pour l’hiver” (Rimbaud) avec ses rimes et le nombre de syllabes. Rêvé pour l’hiver À… Elle. L’hiver,   n ou s ir ons   d ans un petit  wag on   ro s e  Avec d es co u ss in s bleus . N ous   s er on s   bien.  Un ni d d e ba is ers f ous   repo s e  D ans chaque co in   moelleux .   Tu fer m er a s  l’œil ,   p our ne p o in t   voir ,   p ar  la gl a ce, Gri m a cer  le s   om bres des  s oirs, C es m o n struo si tés   h a rgneu s es,   p o p ul a c e  D e d é m o n s noirs et   d e lo u ps noirs.   P uis t u t e s ent i r a s  la joue   égr a tign ée … Un p etit bai ser , c omme une folle  a raign ée ,   Te c ourr a  par  le c ou … Et t u me  dir a s : « Cherche ! »  en   inclin an t la t ê t e, — Et  nous   pr en dr on s du t em p s à t r ou ver c ette bê t e  —Qui  voyage beauc ou p… En Wagon, le 7 octobre 70.     Commentaire Il s’agit d’un poème, il faut vous rappeler   l’acronyme   SPRR : Strophe-Pieds- Rime- rythme. Ces 4 balises se décomposent en deux parties : - La structure formelle du poème : strophes et pieds - Les effets de la poésie : rimes et rythmes. Ce sonnet est transgressif, car il comporte des irrégularités sur le plan de la versification. En effet, Rimbaud a pris des franches libertés dans la composition de ce poème : Les rimes sont croisées et non pas embrassées, on ne trouve pas un seul jeu de rimes, mais des variés à chaque strophe, ces rimes sont pauvres, les vers sont surtout irréguliers avec un mélange d’alexandrins, hexasyllabes, octosyllabes, La forme de ce sonnet est verticale, signe de l’expression des premiers émois amoureux. La problématique qui se pose est celle de savoir comment une esthétique du mouvement se met-elle en place dans ce poème ? Pour répondre à cette question, nous verrons les deux parties suivantes : le voyage (2 quatrains) l’appel des sens (2 tercets) Le voyage Rimbaud situe son rêve dans un train (A), ce qui lui permet de créer un imaginaire romantique avant d’établir un contraste entre les deux quatrains : le premier offre une atmosphère apaisante d’un cocon (B), tandis que le second en raconte les risques (C). Un rêve dans un train La thématique de voyage en train est une singularité à relever puisqu'elle véhicule un imaginaire puissant traduit par l’emploi du futur pour évoquer une romance pleine de fougue. l’imaginaire du train Le poète envisage un voyage à deux avec le pronom personnel “nous” répété deux fois aux vers 1 et 3. C’est à une forme d’aventure amoureuse que convie le poème. Les références au rail sont précisées avec l’emploi du nom “un wagon”/”coin”/”coussins” /glace (vers 5). C'est un cadre propice au déplacement du corps avec le verbe aller, “nous irons” , mais aussi des cœurs avec le verbe être “nous serons bien”.  Le train offre un imaginaire puissant par le déplacement qu’il offre, formant des perspectives romantiques. Il porte ainsi en lui une forme d’exotisme qui se conçoit au XIXe siècle, siècle de la naissance et de l'essor du système ferroviaire en Europe.  une romance rêvée On perçoit l’aspect onirique avec l’emploi du futur présent dans tout ce sonnet : “irons”/serons/fermeras/sentiras/diras”. La valeur de ce temps est celle d’un projet inabouti et donc, en l’espèce, c’est le temps idéal pour évoquer les rêves, les  émois et, disons-le, les fantasmes d’un adolescent. Rimbaud joue sur les contrastes en choisissant de débuter par la description d’un cocon. Le cocon intérieur Tout à son voyage, Rimbaud place paradoxalement son premier quatrain sous le signe d’un hâvre de paix, c'est-à-dire de l'immobilisme, du repos avant l'annonce de moments fougueux en perspective. On assiste ainsi à une modulation du mouvement des corps. un hâvre de paix Pour souligner toute la douceur, il situe l’action en hiver, à la saison froide. L’auteur choisit de commencer par la description d’un intérieur clos, celui d’un wagon qui fait figure d’écrin de son rêve. On obtient donc une opposition entre le froid (dehors) et le chaud (intérieur).  Il recourt à une métaphore évoquant la nature lorsqu’il utilise le nom de “nid” et le verbe “repose”. Ces termes bien trouvés traduisent la chaleur de cette atmosphère avec l’adjectif “petit” qui rassure, mais aussi douillette avec le décor composé de “coussins”. Les coins qui ont cessé d'être raides deviennent confortables dans son rêve avec l’adjectif épithète “moelleux”. C’est le sens du toucher qui évoque le hâvre, mais la vue a toute son importance dans cette description irréelle. Rimbaud joue sur les coloris “rose” qui s’oppose aux “bleus” : l’association des couleurs donne une tonalité pastelle, douce, faussement mièvre. des perspectives fougueuses Loin d’être un sonnet mièvre comme le suggère les coloris pastels, regardons le choix de la métrique irrégulière des deux vers (2 et 4) en hexasyllabes (6 syllabes).  Ils tranchent avec les alexandrins et interrogent : “Avec d es co u ss in s bleus.”/ D ans chaque co in  moelleux.” Pourquoi cette rupture dans le rythme qui est une autre forme de mouvement cette fois stylistique ? La référence aux coussins et au caractère moelleux est en réalité une invitation à l’amour.  La métaphore du “nid de baisers” le dit sans voile tout comme à l’inverse l’oxymore “coin moelleux”.  Le choix des allitérations donne un aspect sensuel avec l’opposition entre le s “coussins/serons/qui s’opposent au z “nou s  irons/ rose/baisers/repose”. Les assonances en “on”/ou” donnent du relief aux émois suggérés. Rimbaud fait donc preuve d’une audace certaine en faisant des références explicites à l’amour charnel. Mais ce voyage n’est pas sans risques comme l’invite l’examen du second quatrain. Les risques de l’extérieur Ce second quatrain tranche par rapport au précédent : la focalisation est sur l’aimée craintive et l’atmosphère y est effrayante comme la construction, une nouvelle fois irrégulière, de la strophe l’indique. l’irrégularité du quatrain On a vu que le premier quatrain était irrégulier avec les 2 hexasyllabes mêlés aux alexandrins. Il s'agit d’un choix d’une certaine logique mathématique 6 étant la moitié de 12.  Mais le phénomène s’aggrave dans le second avec la présence, cette fois, d’octosyllabes (8 syllabes) parmi les alexandrins : ”Gri m a cer le s   om bres des  s oirs/ D e d é m o n s noirs et  d e lo u ps noirs.”On ne voit pas de logique mathématique, la bizarrerie est manifeste. L’idée est de montrer le caractère irrationnel des visions et des peurs. l’aimée craintive Rimbaud emploie le pronom personnel “tu” pour évoquer non plus le couple, mais l’un de ses membres : la femme. On rappelle la dédicace de ce poème qui reprend ce point.  La vision de la femme est celle d’un être craintif avec l’emploi de la tournure négative “ne point” insérée dans la proposition infinitive mise en apposition “ p our ne p o in t voir” : notons qu’aucune virgule dans ce vers 5 ne respecte l’hémistiche, preuve de l’émancipation créatrice du jeune poète qui, rappelons-le, n’avait pas encore 16 ans lorsqu’il a composé ce sonnet. La peur est abondamment commentée avec le fait que la scène se déroule de nuit avec “les soirs”.  Cette impression de crainte est exprimée par le choix de ne pas regarder : “tu fermeras l'œil/”ne point voir”.  une atmosphère effrayante Cette circonstance d’immobilité dans l’attitude avec les yeux clos permet paradoxalement de créer un imaginaire en convoquant le bestiaire fantastique, lequel est toujours en mouvement  “grimace”/”hargneuses”/populace. L’hostilité est palpable. Le choix du pluriel des noms communs en fait un nombre effrayant : il sont de plus présentés avec des pronoms soit définis “les ombres”, soit démonstratifs “ces monstruosités”. Or l’apposition du nom “populace” perd son déterminant et annonce des compléments du nom indéfinis : on voit le jeu dans la composition poétique ; on part du défini à l’indéfini pour exprimer l’effroi de l'extérieur. Le poète établit ensuite une gradation dans l’effroi : il utilise le verbe “grimacer” et le nom commun “ombres”, puis l'impression se transforme en quelque chose d’inqualifiable avec “monstruosités hargneuses” qui devient clairement cette fois “de démons”/”de loups” : on passe de l’indéfini au défini, mais loin de rassurer, ce bestiaire fantastique devient de plus en plus effrayant à mesure qu’il se précise comme le suggère la couleur sombre répétée deux fois “noirs”. Les allitérations accompagnent cette peur avec les consonnes dures telles que t/g/p/d qui vont de pair avec l’assonance en a d’une tonalité froide “fermera/grimace/populace/hargneuse” et l’opposition reprise entre les “on”/ou”. Cette vision contrastée proposée par ces deux quatrains débouche sur l’appel des sens. L’appel des sens Les deux tercets reprennent une construction irrégulière (A), font apparaître le corps comme élément central (B) et conduisent à une conclusion audacieuse (C).  une construction irrégulière Rimbaud a choisi de reprendre le schéma initial, tout en l’altérant avec le jeu de ponctuation. une reprise du schéma initial Dans le premier quatrain, nous avions 12/6 syllabes. On le retrouve dans les deux tercets  : “Te c ourr a  par  le c ou …/— Qui voyage beauc ou p…” On a vu que c’est celui qui permet de montrer l’ardeur des pulsions.  Mais l’effet est d’autant plus saisissant sur un tercet puisqu’un tiers des vers est affecté  : on donc le schéma 12/12/6. Notons la puissance dans les derniers vers des deux tercets.  Le poète introduit un mouvement plus brusque comme nous le suggère la ponctuation. un jeu de ponctuation Rimbaud rompt aussi avec la ponctuation classique employée dans les deux précédentes strophes. On a vu l’effet saisissant des deux hexasyllabes, mais c’est sans compter sur le fait qu'ils s'achèvent par des points de suspension pleins de sous-entendus comme nous le verrons. Cela allongerait le vers de manière finalement implicite, audace du versificateur. La ponctuation se déchaîne au second tercet avec l’introduction du style direct « Cherche ! »  et les tirets, le point d’exclamation. Le poète suggère les effusions amoureuses, faites de mouvements passionnés. Le corps joue de ce point de vue un rôle central. Le rôle central du corps La place du corps était suggérée dans le premier quatrain ; il l’est explicitement dans les deux tercets. On assiste à un jeu amoureux qui n’est pas dénué de violence. une référence explicite Le champ lexical du corps est précisé dans ce deuxième temps illustré par l’adverbe “puis”. Si on a eu “l'œil “au vers 4, on a désormais d’autres parties du visage : “la joue”/le cou/ la tête.”  Notons que le mouvement est descendant, dans une volonté de signifier l’aspect érotique de “la joue” au “cou”. Dans le second tercet, la femme indique un mouvement de la même nature “e n  inclin an t la t ê t e,”. Il s’agit d’évoquer un jeu amoureux. un jeu amoureux On assiste à un jeu érotique, fantasme du poète avec les allitérations en t/b/c qui marquent l’intimité des corps.  Ce jeu repose sur le sens du toucher avec le verbe “sentiras”/“courra/”trouver”.   L’objet du jeu concerne une étreinte exprimée par le nom commun : “un baiser”. L’adjectif épithète “petit” donne un aspect ludique à la scène.  Mais au fil des vers apparaît une temporalité marquée avec les deux conjonctions de coordination “et” placées en tête des vers  12-13 : le jeu consiste à alterner un geste qui en entraîne un autre, le tout de manière lente “nous prendrons le temps” qui est justement un alexandrin. C’est une complicité amoureuse qui est mise en scène avec le rôle de la femme qui est la seule à s’exprimer dans ce sonnet. Le poète la met en avant avec le recours au style direct. “Cherche !” : notons l’emploi de l’impératif qui suggère une invitation, un consentement de la femme, ce qui donne une modernité au texte. On note aussi un degré de violence. une certaine violence Le jeu érotique repose sur une dose de violence. Pour cela, Rimbaud s’appuie sur le champ lexical de l’animal : “araignée/cette bête” qui se distingue des bêtes effrayantes du 2e quatrain.  Ce sont deux figures de style, l’une, une comparaison, l’autre, une métaphore : les deux ont pour fonction d’évoquer la sexualité (cf. l’annonce du “loup noir” annoncé fin du vers 8). Mais ce jeu n’est pas dénué d’une certaine violence lorsqu’on lit avec attention ce sonnet. Les adjectifs épithètes “égratignée/folle” en témoignent : on relève ainsi le caractère effréné des ébats amoureux puisque si le baiser est réputé “petit”, l’acte est au contraire plein de fougue avec le groupe nominal “folle araignée”/”courra dans le cou”.  C’est sans compter sur le vers final plein d’audace. Une conclusion audacieuse  Rimbaud fait correspondre les deux derniers vers : “prendre le temps” avec “beaucoup”, l’adverbe de quantité, soit la réunion de la durée et de l’intensité.  On retrouve le thème du voyage dans le dernier vers exprimé au présent de vérité générale : “cette bê t e/— Qui voyage beauc ou p…” avec la dernière syllabe, un  jeu de mot, potache qui rappelle le “courra dans le cou” : la référence est désormais explicite. Source *Antoine Adam,  Rimbaud, Œuvres complètes,  La Pléiade, 1972,  Notes page 868

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