"Mes forêts" (H. Dorion)
- Marie-Noëlle Parisot-Schmitt
- il y a 7 heures
- 8 min de lecture
Bac : Les programmes officiels nous proposent de croiser dans l’œuvre d’Hélène Dorion ce qui relie l’extérieur de l’intérieur : le mouvement entre les deux mondes est donc à rechercher dans ce recueil.

"Mes forêts" (H. Dorion): les programmes officiels proposent l’étude d’un recueil de poésie, Mes forêts, écrit par une poétesse canadienne contemporaine, Hélène Dorion. Il nous est demandé d’analyser cette œuvre au regard du parcours : la poésie, la nature, l’intime.
"Mes forêts" (H. Dorion)
Il s’agit d’analyser le genre littéraire propre à Hélène Dorion tant sur le plan de la forme que sur le fond. Dans "Mes forêts" (H. Dorion), la nature comprend pour sa part les forêts, mais de manière générale, l’environnement : il est, en effet, question d’une vision extérieure de tout ce qui nous entoure. C’est une poésie originale que celle d’Hélène Dorion, car elle résonne dans le monde que nous connaissons : la violence, les affres de la technologie, la déconnexion avec le réel, la crise climatique… L’aspect écologique du recueil en fait une œuvre particulièrement intéressante à étudier même si l'analyse est difficile.
L’intime est à l’inverse la vision personnelle que suscite la nature avant d’être mise en mots. Les sensations procurées par le spectacle des forêts sont pour la poétesse des vecteurs d’émotions.
Il nous faut donc croiser dans ce recueil ce qui relie l’extérieur de l’intérieur : chercher le point de passage entre les deux mondes.
Problématique et plan
"Mes forêts" (H. Dorion) nous conduit à une problématique s’articulant autour de la question de savoir comment le dérèglement du monde extérieur produit un effet sur l’intime. Pour y répondre, nous vous proposerons un dossier comprenant une présentation générale :
Le titre
"Mes forêts" (H. Dorion) : on note deux éléments importants :
– l’emploi du déterminant possessif,
– le pluriel du nom commun forêt.
Reprenons ces deux points, si vous le voulez bien.
Possessif
On relève que le possessif est à la première personne du singulier : « mes forêts » au début et à la fin des 4 parties, « ma vie »/ » moi-même » (dernier vers du recueil).
Dans le corps du recueil, on note la présence du pronom « je » : « je déchiffre »/j’écoute « (1e partie).
C’est donc la vision personnelle d’Hélène Dorion qui est à l’œuvre. Mais lorsqu’elle évoque son autobiographie, elle n’utilise pas le pronom personnel « je » (cf. avant la nuit, 4e partie), ce qui montre la complexité de son entreprise poétique.
En progressant dans la lecture, les déterminants possessifs ou les pronoms personnels deviennent changeants et ainsi multiples : si on retrouve le je : « je n’entends plus le loup “(3e partie), on a aussi "tu"/ "leur’/"sa fragilité" (2e partie).
Rapidement on est interpellé par la présence de la première personne du pluriel qui prend le pas sur les autres formes : "nos frêles illusions" (1e partie), ”nos corps » etc…
Que peut-on en penser ?
L’auteure part donc de ses propres impressions qu’elle ne limite pas à sa seule personne, mais qu’elle ouvre à un plus large auditoire. Elle s’adresse ainsi tant à elle-même, qu’à la communauté humaine.
C’est une poésie qui part de soi pour aller vers autrui.
C’est également une poésie qui s’appuie sur un pluriel.
Puriel
Pourquoi l’auteure évoque-t-elle « mes forêts « et non pas « ma forêt » ?
Le singulier aurait permis de la situer dans un environnement proche (ex : forêt de son enfance, forêt proche de chez elle, forêt imaginaire…)
Le terme au pluriel « mes forêts « suggère, par définition, une multitude, ce qui implique par définition plusieurs paysages sylvestres (c. a. d. de forêts).
Qu’a-t-elle vraiment voulu dire ?
Il s’agit de concevoir le titre “mes forêts” non comme un lieu précis, mais comme un terme générique. Ce pluriel s’analyse comme l’expression de différentes représentations du monde au sens large.
La forêt telle que nous la connaissons constitue donc l’intermédiaire entre la nature et l’inspiration poétique de l’auteure. On peut traduire le mouvement du recueil qui part de l’extérieur pour conduire vers l’intérieur. Mais l’analyse des poèmes nous montre que ce double mouvement est en réalité triple puisque de l’extérieur à l’intérieur, on a encore un mouvement vers l’extérieur. La dynamique créatrice se résume ainsi : extérieur/intérieur/extérieur.
L'organisation du recueil
Nous allons décrire le plan régulier du recueil avant de voir l'irrégularité de sa structure interne.
structure régulière générale
On compte quatre grands mouvements suivant un plan régulier.
Ainsi chaque partie est précédée d’un poème débutant par « mes forêts » qui est décliné selon le thème de la sous-partie : cela donne une tonalité musicale. L’œuvre se clôt aussi sur la même note avec « mes forêts ». On a donc une composition qui commence et s’achève comme un cycle sur le temps.
À l’intérieur de chaque partie, on peut lire quatre épigraphes de plusieurs poétesses. On peut en déduire que chaque partie forme un petit recueil en lui-même. L’addition de ces parties donne ainsi une structure régulière au livre.
Pourtant l’irrégularité est aussi au cœur de ce recueil.
2. structure irrégulière des poèmes
Nous allons examiner ensemble les parties pour mesurer la structure interne de ce recueil.
Celui débute par les poèmes suivants :
– Mes forêts sont une longue traînée de temps
— L’écorce incertaine : la première partie nous offre 25 courts poèmes mettant en exergue les différentes composantes de la forêt (le minéral, le végétal, l’animal) et leurs rapports avec l’homme :
l’horizon,
l’arbre,
le ruisseau
le rocher,
le tronc,
l’île,
la branche,
les feuilles,
la déchirure,
l’humus,
le mur des bois,
la cime,
la bête,
les racines,
le silence,
l’ocre,
le houppier,
les brèches,
le temps,
le sentier,
le feu,
les vents,
un lit,
l’aile,
— Mes forêts sont un champ silencieux
— Une chute de galets : 2e partie composée en un seul poème avec pour sujet le double rapport entre le sens de l’ouïe et le thème du temps. Il faut considérer la nombreuse répétition du vers «c’est le bruit du monde/l’écoulement du temps — » qui fait office de refrain musical. Notons le travail de la poétesse sur la présentation formelle du poème (blanc typographique, justification alternée du texte à droite, centrée et à gauche [trois temporalités]).
– Mes forêts sont les bêtes qui attendent la nuit
— L’onde du chaos : 3e partie : on compte 30 poèmes sans titre, évoquant une nature désolée dans un registre dramatique.
Il souffle mille voix de vent,
Rêve-t-elle d’autres saisons
Le jeune érable frémit,
Les arbres mordent le sol,
Entre mes doigts,
Les alertes du matin résonnent,
Comme roulent les galets,
Il fait un temps de foudre et de lambeaux,
Je n’ai rien déposé,
À la table du silence,
Parfois je sarcle le sol,
Tu t’arrêtes,
Il fait un temps d’insectes affairés,
Je m’incline souvent,
Je marche entre mes ombres,
Nos matins de brume comme,
Nous sommes debout,
Je n’entends pas le loup,
Il fait taches de brouillard,
Les jours tombent comme,
l’herbe ne va nulle part,
A l’instant où,
Ce sera comme un souvenir,
Le chemin qui monte vers toi,
Il fait rage virale,
On dirait une silhouette mystérieuse,
Autour de moi les notes,
La neige a cessé,
Tu pousses la porte du temps,
— Mes forêts sont le bois usé d’une histoire
— Le bruissement du temps : trois poèmes lyriques évoquant le retour aux origines comme chemin vers une nouvelle compréhension de la nature et de soi :
Avant l’aube,
Avant l’horizon,
Avant la nuit,
— Mes forêts sont des longues tiges d’histoire
Que signifie l’organisation particulière de ce recueil ?
Progression
Ce recueil a donc pour objet de nous conduire à effectuer un cheminement poétique à partir de la régularité apparente des parties s’ouvrant sur l’irrégularité interne des textes avant, enfin, que nous parvenions à une forme d'unité.
la composition régulière se mesure à partir des :
cinq refrains « mes forêts »
quatre mouvements,
quatre épigraphes
2. la composition irrégulière se mesure à partir de :
la longueur des poèmes, soit courts [type haïkus] soit de taille moyenne, soit longs [cf. 2e partie]
l’absence de titre à l’intérieur du recueil entre la 1e et la dernière partie : signe de décomposition avant la recomposition de l’espoir
la typographie des caractères et des espaces,
3. l’unité du recueil se mesure à partir de :
de l’importance du sens de l’ouïe,
la préoccupation écologique
la critique de la modernité,
l’importance du thème du temps,
d’un imaginaire poétique des forêts
d’un renouvellement de l’espoir
Nous verrons dans les analyses linéaires la vitalité qui est à l’œuvre dans ce recueil. Il nous reste à comprendre la manière dont ce recueil est écrit.
Le style du recueil
Ce recueil est composé en vers libres.
Qu’est-ce que cela signifie sur le plan formel ?
On va décrire cette notion de manière négative [a] avant de procéder de manière affirmative [b] tout en apportant des nuances [c].
a) définition négative
Un poème est dit en vers libres lorsqu’il ne présente pas :
des vers réguliers,
de césure,
des rimes,
des strophes.
Voyons de manière plus précise cette définition.
b) défintion affirmative
De manière plus positive, le vers libre apparaît dans la mise en page et dans le jeu d'écriture, à savoir :
l’absence de ponctuation
la présence d’espaces typographiques très visibles,
la justification de marges à gauche ou à droite, ou alternée,
le jeu d’écriture avec la police,
l’absence de majuscules,
le jeu de mots, le néologisme,
c) respect de certaines règles
Mais le vers libre peut se référer, s’il le veut, à la tradition classique par :
la présence de majuscules en début de ligne,
le jeu de sonorités (allitérations, assonances)
des effets d’enjambement,
la longueur métrique variable mais repérable,
des sauts de ligne créant une strophe,
Il faut aussi expliquer la vision poétique qui sous-tend ce recueil.
Esthétique
Ce recueil en vers libres comporte une vision esthétique qui n'a rien à voir avec la conception traditionnelle du romantisme (a). Elle porte également un projet double sur la nature (b).
a) rejet de la conception romantique
Ce qui frappe dans ce recueil, c’est la vision de la nature présentée par Hélène Dorion.
Elle tranche avec le positionnement émerveillé qu’elle aurait pu avoir en première intention si l’on considère uniquement le titre de son recueil.
Elle ne célèbre pas le monde, rejetant toute attitude contemplative comme l’auraient fait les poètes romantiques du XIXe siècle avec un aspect soit symbolique soit transcendantal.
Elle a choisi, au contraire, une approche lucide pour évoquer la crise actuelle.
Dans le même ordre d'idées, elle adopte une vision immanente et c’est l’intériorité de l’être d'ici-bas qui est convoqué.
En outre, son positionnement se fait davantage en des termes particuliers qu’en termes généraux ; elle emploie un lexique simple et concret : « grenier/fruits/aiguilles » (cf. Mes forêts sont de longues traînées de temps »).
Le style des vers libres épouse donc cette conception de la nature qui s’avère duale.
b) une dualité
Dans sa poésie, Hélène Dorion décrit, en premier lieu, un univers sylvestre* inquiétant, bancal qui n’a rien d’harmonieux : « percent le ciel/déchirent le ciel/fantômes/se cognent/ombres » (cf. Mes forêts sont de longues traînées de temps »).
Cette approche se retrouve dans l’essentiel de ses poèmes et ce jusqu’à l’avant-dernière partie. Elle souhaite souligner la profondeur de la crise actuelle climatique et technologique.
Cette situation nous place sur une frêle ligne de crête, où tout peut basculer. Mais ce basculement ouvre sur une vision positive de la nature, comme seul remède au mal que nous voyons sous nos yeux.
La singularité du recueil
Nous allons montrer en un tableau les éléments partagés par les poètes modernes et la singularité du recueil.
Mes forêts de H.Dorion | éléments communs | originalité |
forme | vers libres |
|
mise en page | espaces blancs visibles, retraits à gauche/à droite |
|
strophe |
| présence de strophes irrégulières |
ponctuation | absence |
|
majuscules | absence sauf pour les titres (partie 1) |
|
parties |
| structure en 4 parties |
titres | pas de titre aux poèmes (sauf partie 1) |
|
épigrammes |
| référence poétique à chaque partie |
sonorités |
| allitérations enjambements avec contre-rejet strophes |
nature |
| vision non contemplative |
sensation |
| rôle de l’ouïe et du toucher |
perception |
| dualité de la nature : négatif/positif |
mouvement |
| 3 mouvements : extérieur/intérieur/ extérieur |
article à suivre : « l’écorce » dans le recueil « Mes Forêts » (H.Dorion)







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