"On ne badine pas avec l'amour" Musset
- Marie-Noëlle Parisot-Schmitt
- il y a 6 heures
- 7 min de lecture
Bac : il vous est proposé d’examiner "les jeux du cœur et du langage" faisant référence aux discours amoureux dans On ne badine pas avec l'amour de Musset. On note deux conceptions de l'amour, le libertinage et le romantisme. Au travers de ces deux prismes, nous verrons leur vision opposée sur l’amour, le temps, le corps. C'est autour de cette confrontation entre ces deux pôles de séduction, choisis tour à tour par Perdican et Camille au détriment de Rosette, que la Gazette articulera son analyse. Reprenons le fil de la pièce et arrêtons-nous aux scènes où il est question d’amour à l'aide d'un tableau récapitulatif.

"On ne badine pas avec l'amour" Musset
La Gazette littéraire vous propose un dossier consacré au parcours jeux du cœur et de la parole s'appuyant sur la pièce de théâtre de Musset intitulée On ne badine pas avec l'amour.
Nous allons dans un premier temps nous demander ce que les programmes officiels nous invitent à analyser : jeux/cœur et parole. Nous verrons ensuite la manière dont deux conceptions opposées de l'amour, le libertinage et le romantisme, sont à l'œuvre dans cette pièce. Reprenons le fil de la pièce et arrêtons-nous enfin aux scènes où il est question d’amour à l'aide d'un tableau récapitulatif.
Définitions
Commençons par le premier terme. Qu'entend-on par “jeux” ?
Il nous est demandé de réfléchir sur les attitudes des personnages sur scène. Vous savez que la scénographie est au cœur du projet théâtral avec le dynamisme à l'œuvre (les entrées, les sorties, le rôle du corps, etc.).
Mais avec le mot “parole”, il nous faut dans un deuxième temps analyser les propos tenus qui font l’action. Au fondement de la spécificité du genre théâtral se trouve, en effet, la double énonciation (le discours adressé aux personnages et au public). C’est à l’aune de ce discours que nous sommes invités à percevoir les intentions sous-jacentes des personnages, entre vérité ou mensonge.
Enfin il ne s’agit pas d’examiner tous les jeux de cette pièce, mais celui qui concerne l’amour comme le terme “cœur” nous l’indique. Pour résumer, les jeux du cœur et du langage font donc référence aux discours amoureux.
Ce discours amoureux convoque trois personnages : Perdican, Camille et Rosette. Il vous est proposé d’examiner ces relations triangulaires dans la perspective de l'épreuve de dissertation. On peut ainsi regrouper différentes problématiques applicables au thème général :
Quelle conception de l’amour est à l'œuvre dans On ne badine pas avec l'amour ?
Comment les personnages utilisent-ils le langage pour jouer avec les sentiments des autres ?
Comment la pièce reflète-t-elle les tensions entre les conventions sociales et les désirs individuels au sujet de l’amour et du mariage ?
Musset propose-t-il une éducation sentimentale et morale dans cette pièce ?
Comment l’amour dans On ne badine pas avec l'amour fait-il naître une confrontation entre romantisme et libertinage ?
La Gazette traitera de la dernière question dans le dossier consacré à Musset. Concrètement, nous vous aiderons à vous repérer dans ce trio amoureux avec un tableau synthétique pour chaque acte. L'analyse mettra donc en balance le poids du romantisme et du libertinage dans le discours amoureux dans "On ne badine pas avec l'amour" de Musset.
Libertinage vs romantisme
Débutons, si vous le voulez bien, en nous intéressant à l'intitulé de la problématique. Qu'entend-on par romantisme ? Qu'est-ce que le libertinage ? Il s'agit de deux courants philosophiques et littéraires qu'il convient de replacer dans leur contexte.
Libertinage
Il s'agit d'un mouvement d’opposition à une pensée religieuse dominante. On le définit comme un mouvement philosophique et littéraire dont le terme "libertin" -éclos au 16e siècle- se comprend au sujet d'une personne qui adopte “toutes les positions religieuses et les conduites morales qui prennent quelques distances à l'égard de la stricte orthodoxie” (Delon, le savoir-vivre libertin, Hachette 2000 page 22).
Dès le siècle suivant, le libertin équivaut à un libre penseur, à un rationaliste qui se permet “de juger ce qui devrait être accepté par principe d'autorité” (Delon, le savoir-vivre libertin, Hachette 2000 page 25). En effet, un libertin va rapidement devenir un impie, celui “ qui ne s’assujettit ni aux croyances ni aux pratiques religieuses” (Littré). De ce point de vue, un libertin s'oppose au dévot.
C'est après le décès de Louis XIV que le libertinage a pris un nouvel essor en réaction à une fin de règne jugée étouffante du point de vue de la religion et de la morale. On parle alors de libertinage des mœurs et notamment des mœurs sexuelles au 18e siècle. Ce terme donne par la suite une place considérable au corps. (cf. Choderlos de Laclos, les liaisons dangereuses)
Mais au 18e siècle, le libertinage ne constitue pas la norme, mais une proposition de vie partagée par la haute noblesse dans les salons parisiens. Comme le dit un auteur :” s'il est vrai que la libre imagination des plaisirs constitue l'un des pôles de cette société, l'équilibre est solidement assuré par le pôle antagoniste : la tyrannie des bienséances, des préjugés, de l'ordre moral.” ( Robert Mauzi, l'idée du bonheur dans la littérature et la pensée française au 18e siècle Albin Michel 1979, page 29).
Le libertinage peut constituer une simple étape dans l'éducation sentimentale et morale ou le choix d’adulte dans une multiplicité d'aventures. Dans les deux cas, le temps du libertinage est toujours limité : “L'expérience du libertinage n'est qu'une aberration passagère et toujours corrigée, non une chute irrémédiable dans un infernal abîme.” (Robert Mauzi, l'idée du bonheur dans la littérature et la pensée française au 18e siècle Albin Michel 1979, page 31).
Plusieurs choses sont notamment à l'œuvre dans le libertinage :
une situation mondaine à conserver (une réputation à entretenir),
une volonté de puissance (la force)
des refus : un refus de la passion (un libertin n’est pas amoureux), un refus de l’immédiateté (temps du discours préalable), un refus de ne pas choisir sa proie,
un art de séduire : “Le libertinage n'est plus dans la conclusion sexuelle, dans le résultat génital, mais dans l'art de séduire” (Delon, le savoir-vivre libertin, Hachette 2000, page 43)
La principale cause de cessation du libertinage, c'est la rencontre du sentiment de l'amour. Voyons le contraste proposé par le romantisme.
Romantisme
On le définit également comme un mouvement philosophique (fin 18e siècle avec Rousseau en France) et littéraire (au début du 19e siècle avec Hugo dont Musset notamment a été un temps très proche) ayant pour but d'exalter le sujet dans une exaltation du “moi” placé dans le cadre de la nature au travers d'un discours souvent solitaire. Il s'agit là encore d'un mouvement d'opposition à la matière et à la raison : le romantique est guidé par ses seuls sentiments ; c’est un être sensible, incompris et nostalgique, soumis à une sorte de fatalité dans son destin. C'est enfin un mouvement qui donne une place considérable à l’amour comme un idéal et à l'innocence du corps.
Confrontation
On voit donc que le discours amoureux repose sur deux conceptions de l'amour qui ont, entre elles, certains points communs :
un mouvement en réaction contre l’ordre social et de la religion officielle,
une place pour le corps,
une place pour le temps,
une place pour le discours.
Mais elles ont aussi de nombreux points de divergence dont notamment :
un carcan moral et religieux (libertin), un carcan matérialiste (romantique)
l’absence de sentiment amoureux (libertin) et l’exaltation de l’amour (romantique),
le temps du futur (libertin) par opposition au passé nostalgique et à un futur impossible (romantique)
un discours de séduction mensongère (libertin), une quête de vérité (romantique)
C'est cette confrontation entre ces deux pôles de séduction choisie tour à tour par Perdican et Camille au détriment de la pauvre Rosette que la Gazette articulera son analyse.
Dans le prochain article, nous étudierons l'acte 1.
sources :
Robert Mauzi, l'idée du bonheur dans la littérature et la pensée française au 18e siècle Albin Michel 1979,
Delon, le savoir-vivre libertin, Hachette 2000,
Valentine Ponzetto, Musset ou la tentation libertine, Droz, 2007
Dans la perspective de la dissertation, il sera question de circonscrire les scènes qui nous intéressent dans la perspective Romantisme/libertinage. Pour ce faire, reprenons le fil de la pièce et arrêtons-nous aux scènes où il est question d’amour. Il vous est proposé un tableau récapitulatif.
Duos/Trio
Ce discours amoureux convoque trois personnages : Perdican, Camille et Rosette. On distingue les scènes suivantes mettant aux prises les duos ou le trio d’amour : pour la compréhension, voici le code couleur :
duos Perdican/Camille
duos Perdican/Rosette
trios Perdican/Camille/Rosette
Actes/scènes | Perdican | Camille | Rosette |
acte 1, scène 2 acte 1, scène 3 Acte 1, scène 4 | X X X | X X |
X |
acte 2, scène 1 acte 2, scène 3 acte 2, scène 5 | X X X | X
X |
X |
acte 3, scène 2 acte 3, scène 3 acte 3, scène 6 acte 3, scène 7 acte 3, scène 8 | X X X X X |
X X X X | X X
X X |
Analyse
Comptons les scènes, si vous le voulez bien : il ressort de la lecture de ce tableau que nous sommes en présence de 5 duos Perdican/Camille, ce qui souligne l’importance de cette relation aux yeux mêmes des deux protagonistes. Ils se cherchent de toute évidence.
Musset intercale ce duo avec les 3 duos Perdican/Rosette : il cherche à montrer, à l’inverse, le caractère résiduel de cette amourette.
Enfin, dès la scène 3 de l’acte 3, on passe à une intensité plus grave puisque les duos s’éclipsent (deux scènes (2/6) seulement sur les 8) pour laisser la place aux 3 trios Perdican/Camille/Rosette.
On a donc un changement de rythme évident qui précipite l’action.
Avec la substitution du trio au duo, le discours amoureux passe de la comédie au drame : avec la mort de Rosette, le triangle amoureux va se trouver liquidé : on note donc une progression tragique de l’action formalisée par les duos/trios d’amour aboutissant à une crise du langage comme nous le verrons.
Repère à suivre : Acte I







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