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- "Sido" et "Les Vrilles de la vigne" (Colette)
Bac : parcours "célébration du monde" : nous devons examiner le rapport que Colette entretient avec la nature, mais aussi, de manière plus globale, avec ce qui constitue l’extériorité. Le monde colettien n’est pas purement descriptif, ni introspectif : c’est un monde entre les deux qui résulte d’un exercice de remémoration d’un passé réinterprété et idéalisé sous sa plume. Il n’est propre qu'à elle-même. Nous vous proposons une présentation et une analyse détaillées de l'œuvre. Portrait de Colette vers 1896, attribué à Ferdinand Humbert. "Sido" et "Les Vrilles de la vigne" (Colette) Dans le cadre de notre dossier consacré à Colette, nous vous proposons une présentation et une analyse de l'œuvre selon la progression suivante : présentation des œuvres : Présentation Nous allons introduire les deux livres, "Sido" et "Les Vrilles de la vigne" (Colette), puis comprendre l'enjeu du parcours "célébration du monde", avant d'analyser le genre littéraire de ces deux œuvres et enfin aborder le sujet de l'idéalisation créatrice. Les deux œuvres Présentons sommairement les deux livres, si vous le voulez bien. Précisons le contexte, la forme et le titre de chaque œuvre de manière chronologique. Les Vrilles de la Vigne Âgée de 35 ans, Colette est fraîchement séparée de son premier mari, Willy. C’est une donnée qui a de l’intérêt : c’est avec lui qu'elle a écrit la série des Claudine devenue un succès de librairie. Mais c’est Willy qui a signé seul les livres, avant d’y adjoindre enfin celui de sa femme. Depuis quelques années, le couple bat de l’aile, Willy la trompe ouvertement. Au moment de la publication de ce livre, il lui a demandé de quitter le domicile. Sans le sou, Colette doit subvenir à ses besoins et devient une artiste de scène. Elle rencontre une femme, Missy, dont elle devient la maîtresse : c’est l’époque des amours saphiques. En ce début de siècle, cette vie affranchie est particulièrement choquante aux yeux de la société. Non seulement Colette, libre, n’en a cure, mais elle s’en amuse en défrayant la chronique : au Moulin Rouge, elle apparait nue, embrassant sa compagne sur scène. La presse s’en émeut. On est en 1907. Au moment où elle publie ce livre, elle est davantage connue à Paris en tant qu'artiste de scène qu’écrivain. Les Vrilles de la Vigne sera donc un ouvrage pivot. Voyons sa forme. Ce livre a été écrit d’abord sous formes de courts récits pour la presse dès 1907. L'année suivante, elle décide de les réunir en un seul ouvrage, ce qui lui donne sa forme si singulière. On y trouve, en effet, divers genres littéraires (contes et légendes, chroniques, poèmes) qui évoquent son enfance, mais également sa nouvelle vie, ses amours etc… Le titre du livre renvoie, quant à lui, à un embout végétal (vrille) qui permet de fixer la vigne. Présentons maintenant Sido . Sido C’est une œuvre publiée en 1930 et donc de maturité, Colette est alors âgée de 57 ans. C’est pour elle le moment d’évoquer ses souvenirs d’enfance. Pour cela, elle choisit une période précise de son existence : celle où elle a environ douze ans. Cela correspond au temps béni de Saint-Sauveur-en-Puisaye avant la déconfiture financière et le déménagement à Châtillon-Coligny. Voyons sa forme. Ce livre est composé en trois parties : Sido (sa mère), le capitaine (son père) et les sauvages (ses frères et le reste de la famille). Elle choisit le titre en référence au diminutif de sa mère Sidonie, preuve de l’importance de cette femme dans sa vie. Il faut relever que ce lien a été éludé jusqu'alors dans ses écrits : Claudine n’a pas de mère, et s’il y a une mère dans ses autres écrits, elle ne sera qu’au stade de l'ébauche. Pourquoi ? Il lui a été difficile d’aborder leur relation tant elle était fusionnelle et donc compliquée. Prenons un exemple parmi d’autres : Sidonie n’a jamais coupé les cheveux de sa fille depuis sa naissance ; elle les brosse quotidiennement et les coiffe (longues tresses). Une fois mariée, sa fille les coupe rapidement, ce qui ne sera pas du goût de la mère. Cela en dit long sur l’emprise maternelle et le lent affranchissement de sa tutelle. Il faut avoir en tête cette donnée pour lire convenablement Sido. Le parcours Les programmes officiels précisent un axe d’analyse défini par la notion de la célébration du monde. Mais qu’entend-on exactement par là ? La célébration renvoie à l’émerveillement, à un sentiment de glorification et de joie. Cette contemplation n’est rendue possible que par l’exercice des cinq sens : la vue, l'ouïe, le toucher, l’odorat et le goût : on verra dans l’analyse des textes l’importance des trois premiers sens chez Colette. Qu’est-ce que ces sens ont à nous dire ? Colette y puise la source de sa connaissance du monde : l'expérience sensorielle est de l’ordre de la curiosité et du plaisir et non de la théorie abstraite. On verra à cet égard l’importance de l’enfance, siège de cette première expérimentation. Voyons le terme "monde" dans l’esprit de Colette. Monde Le monde, au sens colettien du terme, comprend un large inventaire à la Prévert partant des astres aux minéraux, en passant par les végétaux et les animaux. On sait que l’auteure éprouve pour la nature un véritable attachement, de nombreuses pages et sujets de son œuvre lui sont dédiés. Mais le monde, certes empreint d’éléments de la nature, recouvre un sens beaucoup plus large dans son esprit. Il s’agit de tout ce qui forme son rapport à l’extérieur. Dans son livre, l es Vrilles de la vigne, le monde concerne ainsi à la fois l’univers urbain, tel Paris, mais aussi la campagne du Nord de la France, voire le bord de mer ou la forêt… Peu importe au fond puisque nous devons comprendre qu’il s’agit moins de décrire une réalité que l’impression intérieure que cela suscite en elle, avant sa réécriture littéraire : nous sommes donc appelés à cheminer avec elle : de partir de l'extérieur pour avancer dans son intimité et sa création. Nous sommes en droit de nous demander en quoi cette démarche serait originale par rapport à celle initiée par ses contemporains. Originalité Le critique littéraire, Thierry Maulnier, disait de Colette qu’elle possède un “art inimitable de nous faire participer, par le moyen de l’écriture à la possession de la vie”. Nous verrons que Colette fait preuve de singularité dans son rapport au monde. Il n’est pas purement descriptif (extérieur), ni introspectif (intérieur) : c’est un monde entre les deux. L’auteure donne à voir un monde totalement recréé par un travail d’écriture littéraire, sur la forme et sur le fond. Elle s’appuie sur un exercice de remémoration d’un passé révolu, à qui elle redonne vie comme a pu le faire Marcel Proust, qui admirait l’auteure. Mais elle procède d’une manière originale au travers de l’utilisation de paradoxes mis en scène et de l’utilisation de registres littéraires contrastés comme nous le verrons ensemble. Genre littéraire Le parcours du bac nous invite à étudier les deux œuvres de Colette, Sido et Les vrilles de la vigne, rattachées à la catégorie : roman et récit du Moyen Âge au XXIe siècle. Si l’auteure a écrit des romans (l es Claudine, le blé en herbe etc…), les deux œuvres au programme échappent à ce genre. Ce sont de purs récits. Récits Qu’est-ce qu’on entend par récit ? On définit par là le fait de raconter à l’écrit ou à l’oral des événements ayant existé dans le passé. Le récit concerne donc l’exposé de souvenirs. Il y a nécessairement une part d’arbitraire dans la manière de présenter les faits et dans la volonté d'exhumer tel souvenir plutôt qu’un autre. Sido et Les vrilles de la vigne sont-ils des autobiographies ? Le premier récit, Les vrilles de la vigne, n’a pas été rédigé à cette fin puisqu’il s’agit de réunir différents articles de presse dans un même ouvrage : on trouve des fragments de vie distillés ça et là, mais sans but autobiographique. On aurait tort d'étudier cette œuvre en fondant son analyse sur la vie de l'auteure puisque cela n'a jamais été son objectif... Cette question concernerait, en réalité, davantage Sido. Voyons ce qu’il en est précisément. Récit de soi Le récit de soi, dans le champ littéraire, exige la réunion de critères précis édictés par Philippe Lejeune* : un pacte autobiographique entre l’auteur et le lecteur L’objet doit concerner le récit d’une vie : de convention entre le lecteur et l'auteur, il s’agit bien d’une écriture du moi dans Sido. Mais il faut examiner les autres exigences. un récit rétrospectif : Il s’agit de l’écriture de souvenirs, compris comme un passé remis au jour. Dans Sido , c’est bien le cas même si Colette ne respecte pas un ordre logique ni aucune chronologie. Sur ce dernier point, elle décide d’évoquer la seule période de ses douze ans. On peut ainsi dire que ce choix lui permet de laisser libre cours à la manifestation de sa liberté d’auteure : elle évoque son passé comme elle l’entend, sans aucune contrainte narrative. une triple identité entre l’auteur, le narrateur “je” et le personnage. C’est justement cette condition qui fait défaut dans Sido. Colette n’a pas voulu faire un récit autobiographique. Elle écrit pour renouer avec son passé, mais ce n’est qu’un simple moyen et non un but ultime. Elle le transforme, le sublime, lui donne une perspective conforme à la femme qu’elle est devenue. Il n’y a donc pas identité entre : - l’auteure : l’écrivaine, maîtresse de sa plume, - la narratrice : Colette, enfant revue et corrigée à l’aune du présent, - et le personnage de son enfance : la Colette du passé. Colette crée donc une œuvre littéraire autonome, distincte de sa propre vie. Nous sommes dans le cadre d’une réécriture impliquant un travail du fond et de la forme dans un but précis. Lequel ? Loin d’être un récit purement autobiographique, Sido constitue en réalité un hymne au monde, au monde de Colette convoqué et entièrement recréé. Dans l’article suivant, nous verrons la problématique sur laquelle se fonde notre dossier. Source : Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, le Seuil, 1975, Poétique, réédition Points 1996 l'idéalisation créatrice Les programmes nous incitent à analyser la célébration du monde chez Colette. Nous mettrons en évidence l'idéalisation de son univers, puis l'art du paradoxe avant d'examiner la problématique de notre étude. Le rôle des sens Il ne s'agit pas d'une représentation de la réalité, mais d'une expérience matérielle dérivant de l'exaltation des sens. Ces sens vont être conjugués, confrontés de manière opposée. Cela permet à l'auteure d'avoir à sa disposition un matériau qu'elle retravaille pour en faire un idéalisation par son travail d'écriture fondé sur le paradoxe. Paradoxe L’art du paradoxe est manié par l’auteure : on le retrouve sous forme d'antithèses, d'oppositions ou d'oxymores dans des descriptions ou des jugements portés sur sa vie passée ou sur le monde extérieur. Le paradoxe correspond à une volonté de faire fi de la logique, de défier la norme ou la morale : on le verra notamment avec le portrait de Sido. Cet art du paradoxe permet aussi de comprendre le monde colettien, qui est ainsi mis en relief, en équilibre sur le fil, avec son registre lyrique combiné au registre pathétique ou tragique. Nous allons nous saisir de cet angle du paradoxe pour fonder notre problématique. Problématique La question à laquelle nous tenterons de répondre est celle de savoir comment l’idéalisation créatrice repose sur l'utilisation de paradoxes. Nous chercherons ainsi les contrastes dans le texte, des oppositions aux différents registres convoqués, qui donnent lieu à un esthétisme singulier. Pour cela, nous vous proposons une grille d’analyse type des textes de Colette soumis à notre étude. Clefs d’analyse procédés de style Cadre spatio-temporel : lieu clos la nature : - le minéral, - le végétal, - l’animal foisonnement de détails : regard d'entomologiste - énumération : effets grossissants - changement d'échelle, - répétition, - métaphore - antithèse/oxymore l’humain - je/moi : introspection - contraste : phrase négative pour affirmer La métamorphose - personnification de l'animal : paroles - animalisation de l'homme : caractère naturel - enchantement de la nature - dynamisme de la vie, du mouvement, Les sens Plaisirs des sens : expérimentation primaire, sensorielle - importance de la vue : regard qui prime - L'ouïe : la musique - le toucher : volupté la conjugaison cycle de vie : plus-que-parfait/imparfait : époque révolue passé composé : action qui vient de se passer : souvenir proche. présent de narration : action prise sur le vif,mais qui a une valeur d’habitude, ou une vérité générale conditionnel : certitude/incertitude les registres Combinaison du registre lyrique avec le registre tragique. oxymore repère à suivre : analyse littéraire de Sido et des Vrilles de la vigne La conscience de soi Ce troisième passage illustre le travail de l’écrivain qui interprète ses souvenirs pour en donner une vision littéraire entièrement repensée, comme dans cet extrait mettant en présence la narratrice, sous les traits de Colette, et son personnage de fiction, Claudine. Les deux personnages en miroir échangent, se questionnent, l’une étant le double de l’autre ; nous sommes à la fin de ce texte et c’est Claudine qui interpelle Colette sur son enfance. “/– Quoi ! Vous prétendez n’ avoir jamais été petite ? – Jamais. J ’ ai grandi , mais je n ’ ai pas été petite. Je n’ ai jamais changé. Je me souviens de moi avec une netteté, une mélancolie qui ne m’ abusent point. Le même cœur obscur et pudique , le même goût passionné pour tout ce qui respire à l ’air libre et loin de l’homme – arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles , – la même gravité vite muée en exaltation sans cause… Tout cela , c’ est moi enfant et moi à présent … / Mais ce que j’ ai perdu , Claudine, c’ est mon bel orgueil, la secrète certitude d’être une enfant précieuse , de sentir en mo i une âme extraordinaire d’homme intelligent , de femme amoureuse , une âme à faire éclater mon petit corps … Hélas , Claudine, j’ ai perdu presque tout cela , à ne devenir après tout qu ’ une femme … Vous vous souvenez du mot magnifique de notre amie Calliope , à l’homme qui la suppliait : « Qu ’avez-vous fait de grand pour que je vous appartienne ? » Ce mot-là, je n’ oserais plus le penser à présent , mais je l’aurais dit , quand j ’avais douze ans. Oui , je l’aurais dit ! Vous n’ imaginez pas quelle reine de la terre j’ étais à douze ans ! Solide, l a voix rude, deux tresses trop serrées qui sifflaient autour de moi comme des mèches de fouet ; les mains roussies, griffées, marquées de cicatrices , un front carré de garçon que je cache à présent jusqu’aux sourcils … Ah ! que vous m ’auriez aimée , quand j’avais douze ans , et comme je me regrette !/ /Mon Sosie sourit, d’un sourire sans gaîté , qui creuse ses j oues sèches , ses joues de chat où il y a si peu de chair entre les t empes larges et les mâchoires étroites : – Ne regrettez-vous que cela ? dit-elle. Alors je vous envierais entre toutes les femmes… Je me tais, et Claudine ne semble pas attendre de réponse. Une fois encore, je sens que la pensée de mon cher Sosie a rejoint ma pensée, qu’ elle l’épouse avec passion, en silence… Jointes, ailées, vertigineuses, elles s’élèvent comme les doux hiboux veloutés de ce crépuscule verdissant. Jusqu’à quelle heure suspendront-elles leur vol sans se disjoindre , au-dessus de ces deux corps immobiles et pareils , dont la nuit lentement dévore les visages ?…" Colette, le Miroir dans les vrilles de la vigne Ce texte se fonde sur un triple mouvement : 3.1. être et avoir été toujours la même personne Ce texte se fonde sur un premier mouvement qui soutient le paradoxe pour Colette d’avoir toujours été la même personne ; nous verrons la forme choisie par Colette, avec le dialogue et la mise en abyme avant le fond du sujet. la forme Sur la forme, cette affirmation est rendue particulièrement vivante par le jeu du miroir et le recours aux dialogues. -un jeu de miroir Dans ce passage, Colette évoque librement son enfance en mettant en présence le double en miroir : la narratrice qui s’exprime avec le pronom personnel “je” et sa créature, Claudine, copie de celle qu’elle a été. Il s’agit d’un récit qui évoque une enfance revisitée : il s’agit d’une réinterprétation de l’enfance à des fins littéraires. C’est aussi un moment d’introspection en miroir avec l’opposition entre “je” pronom personnel sujet et “moi” pronom personnel complément : “je me souviens de moi” : celle qui est maintenant regarde celle de l’enfance. -le recours aux dialogues On assiste à un échange entre l’auteure et son personnage, Claudine. On relève la distance voulue entre la créatrice et sa créature avec le vouvoiement “vous”. Cette dernière n’est pas servile, elle fait preuve d'autonomie puisqu’elle prend l’initiative de la questionner. Elle fait preuve également de liberté de ton en mettant en doute ce que dit la narratrice avec le verbe “prétendre”. La question est précédée d’une exclamation “Quoi !” qui montre son parfait étonnement et sa spontanéité. Avec la longueur de sa réponse, l’auteure reprend l’initiative en monopolisant la parole : il s’agit de comprendre qu’en parlant à sa créature, à son double, appelé aussi “mon Sosie”, elle se parle à elle-même sous le contrôle de sa créature littéraire. le fond La réponse de la narratrice est fondée sur des antithèses, véritables paradoxes et sur le registre nostalgique. - les paradoxes Ce passage porte en germe l’antithèse exprimée par deux propositions indépendantes coordonnées, l’une évoquant le fait de prendre de l’âge à la voix affirmative “j’ai grandi” et l’autre évoquant l’enfance, rappelée par la voix négative, “je n ’ ai pas été petite”. C’est une technique usuelle chez Colette d’affirmer une chose par la voix négative. Elle expose un paradoxe insoutenable : grandir sans jamais avoir été une enfant, ce qui suscite évidemment de la curiosité. L’auteur répète l'adverbe “jamais” en indiquant dans une seule proposition, encore une fois négative, : “Je n’ ai jamais changé.” Cette proposition se veut conclusive alors que rien n’a été jusque-là démontré. Pour persuader son double, la narratrice fait alors appel aux souvenirs qu’elle fait remonter cette fois au présent de l’indicatif “je me souviens”. Elle puise aussi dans les sentiments avec le sens de la vue “avec une netteté”. Elle évoque le siège des émotions “le cœur” et “le goût” : on est sur une perception sensorielle des choses. Mais l’argumentation semble bancale, car on tombe sur une opposition dans son caractère changeant pris entre “gravité” et “exaltation” : deux attitudes différentes, exclusives l’une de l’autre. Les points de suspension en disent long. Le champ lexical de la nostalgique s’incarne dans ses mots. -le champ lexical de la nostalgie La narratrice abolit la distance entre le passé “c’est moi enfant” et le présent “moi à présent” : on note la répétition du pronom personnel “moi” qui serait donc un trait commun. Notons néanmoins qu’elle ne se qualifie pas en tant qu’adulte, elle le suggère seulement de manière indéfinie avec les points de suspension. Le champ lexical de la nostalgie résulte des termes “mélancolie”, de la répétition du pronom personnel “moi”, de l’adverbe “même”, pour le caractère indéfini de ce qu’elle évoque “tout ce qui respire”/”tout cela”. On note la pudeur de l’auteure dans cette difficulté à dire. Mais la nostalgie transparaît par le refus de s’exprimer au passé : l’auteure débute en recourant du bout des lèvres au passé composé, le temps le plus proche du présent, qui permet l’introspection, “ J ’ ai grandi”/ “ Je n’ ai jamais changé.” Ensuite, elle parvient au présent “je me souviens”. Colette emploie à la fin une longue phrase non verbale : “Le même cœur obscur et pudique , le même goût passionné/ la même gravité vite muée en exaltation sans cause… “ : on note donc le refus de se positionner sur une échelle de temps. Elle préfère utiliser le participe passé “ vite muée” ou la proposition infinitive “ pour tout ce qui respire “ . L’effet obtenu est de donner un aspect extrêmement lyrique à ces souvenirs avec le champ lexical de la nature et l’énumération “ arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles”. : association du végétal, de l’animal et les éléments. On retrouve cette soif de liberté qui la rend si proche de la nature “pour tout ce qui respire” et éloignée de la société “loin des hommes” : on retrouve l’opposition entre la nature et la culture. Cette position tranchée connaît une rupture. 3.2. la perte d’une partie essentielle de soi On assiste dans ce paragraphe à une antithèse avec la thèse développée précédemment : la narratrice soutient qu’elle n’est plus vraiment la même par un effet de rupture. Elle fait état des modifications qui touchent son caractère, avant d’évoquer par opposition le bouleversement physique. Enfin nous verrons les registres opposés. un effet de rupture Colette se fonde sur la conjonction de coordination “mais” qui se veut tranchante alors que rien ne le justifie en réalité. Cela produit un effet de contraste marquant la perte irrémédiable qui suggère des sanglots. -une perte irrémédiable Elle allègue d’une perte “j’ai perdu” s’exprimant à la voix affirmative, en décalage avec le procédé précédent, tout en conservant le passé composé, temps de l’introspection. On note une gradation au fil du paragraphe avec “j’ ai perdu presque tout” : l’adjonction de l’adverbe produit un effet de litote. En fait, elle signifie que ce passage de l’enfance à l'âge adulte est irréparable. Notons que l’auteure choisit le pronom démonstratif “ce que” en apposition, avant de procéder à l’énumération des différences entre les deux âges de la narratrice. L’accentuation est mise sur la perte elle-même, comme phénomène marquant, et non sur l’objet de la perte. -des sanglots On relève la présence d’une longue phrase complexe, sinueuse, avec ces nombreuses propositions en apposition : “c’est mon bel orgueil, la secrète certitude d’être une enfant précieuse, de sentir en moi une âme extraordinaire d’homme intelligent, de femme amoureuse, une âme à faire éclater mon petit corps…” : cela produit un effet haché, comme un sanglot. La narratrice prend enfin deux fois à témoin sa créature, avec le vocatif “Claudine,” et “Hélas, Claudine” en l’interpellant “Vous n’imaginez pas” “Ah ! que vous m’auriez aimé”. Elle l’associe à son introspection. Voyons maintenant les transformations qu’elle a subis. Elle fait état des changements de caractère et de son corps. les modifications de son être La narratrice fait état du changement dans son caractère qu’elle ramène paradoxalement à son seul corps. On a vu que le paradoxe joue sur le refus de se laisser enfermer par une logique. Examinons d’abord le premier point. -une perte immatérielle L’auteure débute par une perte immatérielle : changement de caractère et de son âme. Le caractère est vu de manière méliorative “bel orgueil” , précisé par l’apposition “secrète certitude”. Elle évoque “l’âme” deux fois ; es adjectifs sont mélioratifs “précieuse”/“extraordinaire”/”amoureuse”. On est dans le champ de ce qui ne se voit pas, de ce qui constitue un être. C’est une vision spiritualiste, idéale. Mais cette vision ne dure pas. On relève l’opposition majeure dans ce paragraphe entre les deux auxiliaires, avoir : “j’ai perdu”/ “de sentir en moi” / “que je vous appartienne”/ “j’avais douze ans” et être “d’être une enfant”/ “ à ne devenir”/ “j’étais à douze ans !”: c’est bien le paradoxe du changement, le manque (avoir) qui transforme (être) Cette opposition en sous-tend de nombreuses autres disséminées. D’abord, L’auteure souligne son appartenance naturelle à l’espèce humaine avec un âge d’or qu’elle fixe à ses douze ans répétés deux fois : il s’agit de marquer cette période d’avant l’adolescence. On peut ainsi opposer “une enfant précieuse,” et l’être humain, pris dans son sens universel “d’homme intelligent”. On note ensuite une lente gradation qui concerne, cette fois, le genre masculin : “à l’homme qui la suppliait”/”de garçon” et le genre féminin : ”femme”/ “une enfant précieuse”/ “reine” : là encore, c’est une différence dans l’ordre de la nature. L’opposition que la narratrice n’admet pas, c’est celle qui concerne son corps : “être une enfant” “reine de la terre” et “à ne devenir … qu’une femme” : le verbe être se transforme avec le verbe d’état “devenir” impliquant un changement corporel, celui qui fait horreur la narratrice. - un changement corporel La narratrice fait état du changement dans son caractère qu’elle ramène paradoxalement à son seul physique. C’est en fait une manière de souligner ce qui la chagrine le plus. C’est pourquoi, on trouve le champ lexical de l’apparence physique convoquant le sens de la vue et l'ouïe : ”petit corps”/”voix”/”solide”/”deux tresses”/”mèches”/”mains”/”front”. On voit que les aspects positifs sont évoqués dans l’âge d’or. D’ailleurs elle fait le lien entre l’enfant de douze ans et “Calliope”, la déesse de la poésie. On entre dans le domaine de la toute puissance de l’enfance avec les adjectifs “solide”/ “extraordinaire” avec des noms “fouet”, avec les groupes nominaux “reine de la terre”. Le passage à l’état d’adulte n’est décrit qu’une seule fois et de manière péjorative avec la tournure restrictive : “à ne devenir après tout qu’une femme… “ les points de suspension soulignent une amertume profonde. On note aussi le changement de registres. le changement de registre L’auteure combine deux registres, l’un lyrique et l’autre tragique pour donner du relief à son texte. On a vu que c’est un procédé courant chez Colette qui manie ainsi le paradoxe. -Le lyrisme Il se mesure aux exclamations “Oui, je l’aurais dit !”/ “Vous n’imaginez pas quelle reine de la terre j’étais à douze ans ! Cela donne une fraîcheur au ton, une spontanéité également avec l’interjection “Ah ! “. On relève aussi des propos rapportés de la déesse de l’antiquité Calliope, au style direct, donnant un effet emphatique : “Qu’avez-vous fait de grand pour que je vous appartienne ? “ : on est dans le champ du lyrisme absolu avec la référence à la déesse de la poésie. Mais c’est sa combinaison paradoxale avec le registre tragique qui est intéressant. - le registre tragique Le registre tragique transparaît avec le verbe “perdu” deux fois répétés, avec la tournure “à ne devenir qu’une femme” comme on l’a vu. Mais on peut ajouter l’apostrophe “hélas” tout comme le regret exprimé par la conjonction de subordination “et comme je me regrette !” : l’effet réflexif je/moi donne toute sa force à cette opposition tragique. On note aussi le champ lexical de la mort avec la présence du verbe “éclater” ou “supplier” , ou le participe passé “trop serrées”. Ces verbes trouvent un écho avec le nom commun “fouet” et les adjectifs “ roussies, griffées, marquées de cicatrices ,”. L'enfance disparue est un deuil, une petite mort dans l’esprit de Colette. Enfin l’emploi du mode du conditionnel marque clairement le regret d’une action qui aurait pu être possible : “ Ce mot-là, je n’ oserais plus le penser à présent , mais je l’aurais dit ,quand j ’avais douze ans. “ : cela souligne l’opposition présent/passé qui est insurmontable. Pour s’en convaincre, la narratrice le répète une fois “ Oui , je l’aurais dit ! ”. Enfin, c’est à destination de son double qu’elle lance cette exclamation : “ Ah ! que vous m ’auriez aimée” : c’est aussi la marque d’un regret. On pourrait en rester sur cette impression triste, mais la vie reprend ses droits et le texte prend alors une nouvelle trajectoire avec la suite du dialogue entre la narratrice et son double. 3.3. la communion entre les deux âmes Dans la dernière partie de ce passage, on reste sur la note tragique avant une brusque invitation poétique. la réponse de Claudine On revient au temps du présent et la parole est rendue à Claudine ; le discours direct redonne un nouvel élan au texte avec pourtant la reprise du registre tragique qui précède la métamorphose rendue possible. -la reprise du registre tragique Mais il reste empreint du registre tragique, car le Sosie, double de la narratrice, éprouve une profonde empathie à l'égard des sentiments évoqués : “Mon Sosie sourit, d’un sourire sans gaîté” : on note la répétition sourire/sourit avec l’effet d'atténuation introduit par l’adverbe de manque “sans”. On reste, en effet, dans le champ lexical de la mort : “sans gaîté”/”creuse””joues sèches"/”si peu de chair”, avec le verbe “regrettez”. “ Ne regrettez-vous que cela ? dit-elle.” On sent pourtant que les choses ne vont pas en rester là : on va assister à une métamorphose au sens poétique du terme. -la métamorphose Colette fait alors intervenir le règne animal, celui qui est en mouvement, qui, dit-on, a plusieurs vies : “ses joues de chat”. Elle animalise ainsi Claudine avec un chat qui est l’animal préféré de Colette : cette métamorphose donne un aspect naturel et donc poétique : il prépare la communion entre la créatrice et sa créature qui se confirme par le témoignage de préférence lancé au conditionnel à la narratrice : “Alors je vous envierais entre toutes les femmes…” : c’est une valeur de certitude qui est donnée. Puis la proclamation s’arrête net avec les points de suspension qui entraînent un réenchantement du monde. une invitation poétique Un élément capital joue en rôle primordial pour l’éclosion d’un instant poétique, le silence qui voit surgir un ressort dynamique avant la mise en place de la comparaison ailée convoquant deux registres littéraires. -le silence La narratrice et son sosie respectent le silence dans une symétrie propre au miroir : “ Je me tais,”/” Claudine ne semble pas attendre de réponse”. On note la tournure négative qui, par un effet de litote, affirme donc quelque chose et le recours au verbe d’état “semble” qui induit une certaine distance entre elles. Ce silence s’installe avec ses redondances “pensée”/ “en silence”/”immobile”. On est sur un temps où l’émotion prend toute sa place “je sens”. Cette manière d’éprouver les choses est manifestement habituelle comme l’indique la locution d’habitude “Une fois encore”. Loin de tomber dans une profonde léthargie, c’est au contraire un moment dynamique qui se met en place. -le ressort dynamisme On relève qu’il s’agit d’une expérience spirituelle avec les noms “pensée”/”au-dessus de ces deux corps immobiles” : on a ainsi une opposition entre le corps qui reste vissé au sol et l’esprit qui se déploie. Et c’est, en effet, l’esprit qui joue désormais un rôle central. Colette, comme toujours, utilise un paradoxe en employant des verbes de mouvement : “a rejoint”/“épouse”/“s’élève”/”suspendre” /“disjoindre”. Il s’agit de montrer dans un instant apparemment statique entre deux êtres vus par l’adjectif qualificatif “pareils” une union spirituelle,“la pensée de mon cher Sosie” /”ma pensée”. La comparaison peut se mettre en place. -la comparaison avec un hibou C’est à un oiseau que Colette fait référence expressément “comme les doux hiboux” : on note le choix de la nuit pour illustrer cet instant poétique qui est long avec le terme “crépuscule”/“nuit”/ “lentement”. C’est le temps du rêve, de l’imaginaire. Pour donner une impression saisissante, l’auteure met les trois adjectifs qualificatifs en apposition donnant un rythme ternaire : “Jointes, ailées, vertigineuses” : elle convoque ainsi des sens qui sont si importants dans la description colettienne. En premier lieu la vue : “jointes” signifiant l’union, ”vertigineuses” la hauteur est nommée de manière hyperbolique et “verdissant”, la couleur embrasse le ton général de la végétation. L’adjectif “ailées” rappelle l'ouïe, le bruissement des ailes. Elle ajoute le toucher qui joue un rôle hyperbolique” doux hiboux veloutés”, faisant référence au plumage que l’on pourrait caresser. C’est donc un instant de communion où un sentiment fort “la passion” s’exprime. - la combinaison des registres Le registre est d’abord lyrique avec la référence à peine voilée à Lamartine "'ô, temps suspends ton vol". Mais reformulée de manière interrogative : “Jusqu’à quelle heure suspendront-elles leur vol”. C’est déjà rompre le charme avec le verbe “disjoindre” soit la rupture et “dévore” c’est-à-dire la mort : ces verbes appartiennent donc au registre tragique accentué par les points de suspension qui crée un effet de malaise. Le pouvoir de la création est donc soumis au aléa du temps et à la finitude humaine. La conscience de soi Ce dernier texte illustre le travail de l’écrivain qui évoque la légende du rossignol, constituant une métaphore et un prétexte pour évoquer le travail de l’écriture. Ainsi trois grandes parties de dessinent : /Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s’en servait avec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se levait avec les camarades , dans l’aub e grise et bleue, et leur éveil effarouché secouait les hannetons endormis à l’envers des feuilles de lilas. Il se couchait sur le coup de sept heures , sept heures et demie, n’importe où, souvent dans les vignes en fleur qui sentent le réséda , et ne faisait qu’un somme jusqu’au lendemain . Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment , le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis . Pendant son sommeil, les cornes de la vigne , ces vrilles cassantes et tenaces , dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère , les vrilles de la vigne poussèrent si dru , cette nuit-là , que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes … Il crut mourir, se débattit , ne s ’ évada qu’ au prix de mille peines , et de tout le printemps se jura de ne plus dormir , tant que les vrilles de la vigne pousseraient. Dès la nuit suivante, il chanta , pour se tenir éveillé : Tant que la vigne pousse, pousse, pousse … Je ne dormirai plus ! Tant que la vigne pousse, pousse, pousse … /Cassantes, tenaces , les vrilles d’une vigne amère m ’ avaient liée , tandis que dans mon printemps je dormais d’un somme heureux et sans défiance . Mais j’ ai rompu, d’un sursaut effrayé , tous ces fils tors qui déjà tenaient à ma chair, et j’ai fui… Quand la torpeur d’une nouvelle nuit de miel a pesé sur mes paupières , j’ ai craint les vrilles de la vigne et j’ai jeté tout haut une plainte qui m’a révélé ma voix. Toute seule, éveillée dans la nuit , je regarde à présent monter devant moi l’astre voluptueux et morose … Pour me défendre de retomber dans l’ heureux sommeil , dans le printemps menteur où fleurit la vigne crochue , j’ écoute le son de ma voix . Parfois, je crie fiévreusement ce qu’ on a coutume de taire, ce qui se chuchote très bas, – puis ma voix l anguit jusqu’au murmure parce que je n’ ose poursuivre… Je voudrais dire, dire, dire tout ce que je sais , tout ce que je pense, tout ce que je devine, tout ce qui m’enchante et me blesse et m’étonne ; mais il y a toujours, vers l’aube de cette nuit sonore , une sage main fraîche qui se pose sur ma bouche , et mon cri , qui s’exaltait, redescend au verbiage modéré , à la volubilité de l’enfant qui parle haut pour se rassurer et s’étourdir … Je ne connais plus le somme heureux , mais je ne crains plus les vrilles de la vigne./ Colette, Les vrilles de la vigne, le rossignol On peut découper le texte en trois grandes parties : 4.1. l’origine du chant nocturne du rossignol (NB : terme anglais "nightingale" soit le soir night et gale en vieil anglais : le chant), Clefs d’analyse illustrations procédés de style le cadre spatio- temporel partout/dans les vignes matin au soir, aube. sept heures , sept heures et demie, lendemain /souvent/ la saison du printemps mise en relief : un printemps , de tout le printemps Vision générale dans le lieu indéfini qui se resserre dans le particulier avec la vigne : lieu clos Vision générale dans le temps avec adverbes de temps, répétés, des oppositions répétitions nombreuses du terme effets recherchés : accentuation et contraste le végétal à l'envers des feuilles de lilas./ sur un jeune sarment , dans les vignes en fleur les vrilles de la vigne cassantes et tenaces oseille le réséda Description minutieuse de la végétation à l’aide d’adverbes de situation(dessus, dessous) et de préposition (dans) inclusive. d'adjectifs qualificatifs qui s'opposent : fragilité/force de noms : comparaison oseille/vrille réséda/vrille effets recherchés On a une nature très organisée, colorée (vert des feuilles et de l’oseille, mauve du lilas, jaune du réséda et de la fleur de vigne). effets de contraste l’animal le rossignol/ les hannetons Une nuit de printemps, le rossignol le corps de l’oiseau jabot/tête/pâtes/ailes Utilisation du déterminant défini sing /pluriel : l’auteure évoque l’espèce en général Parallèle entre ces 2 espèces volantes. opposition de tailles grand/petit (oiseau/insecte) c’est le rossignol, avec le même déterminant défini mais pas le même sens : le sujet de la légende : l’espèce en elle-même est en train d’évoluer. effets recherchés : contraste Métamorphoses verbes :/s’en servait/se levait/Il crut mourir/se jura/se tenir éveillé/ s’éprit adjectifs : gentil/effarouchés/ éperdu, enivré et haletant , noms : torticolis/ chanteur paroles du rossignol Tant que la vigne pousse, pousse, pousse … Je ne dormirai plus ! nom : les cornes de la vrilles adjectif : tenaces et cassantes Personnification de l’animal : vision anthropocentrique. Enchantement du monde naturel effets recherchés : importance du dynamisme de la vie, du mouvement, gradation : le rossignol qui devient progressivement un homme Animalisation du végétal effets recherchés : le végétal est en plein mouvement. Conjugaison chantait/avait/s’en servait. les vignes en fleur qui sentent le réséda , dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère , Il crut mourir/se jura/ l’imparfait : effets recherchés : valeur de l’habitude présent : effets recherchés : vérité générale passé simple : rupture action soudaine les sens ouïe : voix/ vocalises, écoute/ vue : couleurs des plantes de l’aube grise et bleue, odorat : sentent le réséda goût : l’acidité d’oseille fraîche toucher : les liens, ligotés présence des 5 sens effets recherchés : vision sensorielle exubérante, fête des sens : harmonie de la nature et de l’animal qui est généreuse les registres choix du rossignol : choix de la vigne : choix d’insérer un court poème Tant que la vigne pousse, pousse, pousse … choix d’opposer chanter/dormir : Je ne dormirai plus ! Tant que la vigne pousse, débattit/ impuissantes/ irrite / cassantes/ ligotés/ fourchus (diable)/ cru mourir/ ne plus dormir / désir insupportable lyrique : symbole du printemps compris comme la saison du renouveau, de l’éveil, de la jeunesse,de la création,et de l’exaltation amoureuse symbole du vin et donc épicurien, de la vie entière mise en abyme dans un texte poétique. rythme ternaire vivre/mourir épique : combat de la vie (chant) contre la mort menaçante (sommeil) tragique : la mort, la fin dernier oxymore pour signifier la brûlure de la vie, passion dévastatrice. 4.2. un spectacle musical, 4.3. l’éveil poétique
- Roman de l’énergie : “la Peau de Chagrin” (Balzac)
Il vous est proposé de découvrir le plan du parcours du bac consacré à La Peau de chagrin de Balzac. Il convient dans un premier temps de replacer le roman dans le cadre de la Comédie humaine avant de le présenter dans son aspect particulier puisqu'il entre dans la catégorie des romans dits "de l'énergie". Roman de l’énergie : “la Peau de Chagrin” (Balzac) Les programmes officiels proposent l’étude d’un roman de Balzac, la Peau de chagrin, dans une problématique articulée autour des romans de l’énergie : création et destruction. Dans le cadre de notre dossier consacré à Balzac, nous vous proposons tout d'abord une présentation de l'œuvre dans la Comédie humaine avant de voir la vision énergétique de ce roman de Balzac : I. Présentation de l'œuvre dans "la Comédie humaine" La structure de la Comédie humaine Entrons dans le détail la structure de cette somme romanesque. 1.1 Un ensemble D’aucuns considèrent que l’on peut lire les romans de Balzac dans n’importe quel ordre, sauf certains opus qui se suivent comme les Illusions perdues, qui précède Splendeurs et Misères des courtisanes. Mais de manière générale, on choisit de lire un roman balzacien comme s’il ne faisait pas partie d’un ensemble. C'est un tort...De plus, on ne fait jamais vraiment attention à la catégorie au sein de laquelle le livre est publié, d’autant plus que les éditions de poche ne précisent guère ce point : l’information est à piocher dans les préfaces ou les dossiers de l’œuvre commentée. Tout cela donnerait donc à penser que l’ordonnancement des romans balzaciens ne compte finalement pas. Et pourtant...Notons enfin que ceux qui auraient compris (dont l'auteur de ces lignes) que la Comédie humaine regroupe une variété d’œuvres sont souvent bien en peine d’expliquer exactement la nature du système élaboré par l'auteur. Notre amitié pour Balzac est donc infidèle à ce qu'il serait en droit d'attendre de nous...Il est donc temps d’apporter toutes les précisions utiles pour rendre les honneurs à ce pur génie. Et pour cela, nous allons plonger dans son système en recourant à une métaphore : la « cathédrale de papier. » 1.2 La cathédrale de papier La métaphore architecturale a été choisie par Balzac lui-même : « Vous ne vous figurez pas ce que c’est que la Comédie humaine : c’est plus vaste littérairement que la cathédrale de Bourges architecturalement.» (Lettre à madame Zulma Carreau, janvier 1845). Stéphane Vachon, un éminent spécialiste, a repris cette métaphore pour illustrer l’originalité et l’ambition de son projet devenu la « cathédrale de papier ». Il est temps de considérer la Comédie humaine comme « un système », terme cher à Pierre-Georges Castex. Des grandes catégories se dessinent et forment les trois niveaux de l’édifice : Les études de mœurs : partie de loin la plus élaborée (même si elle est inachevée), portant sur des sujets concrets de la vie en société, Les études philosophiques : partie inachevée traitant des causes de la vie sociale, Les études analytiques : partie théorique, à peine entamée, sur la vie sociale. À l’intérieur de ces études, des subdivisions ont été effectuées par Balzac. Études de mœurs Ainsi pour les études de mœurs, on note six subdivisions appelées scènes de la vie : Scènes de la vie privée : 27 romans, dont le père Goriot et le colonel Chabert Scène de la vie de province : 3 romans, dont Eugénie Grandet et les Illusions perdues, outre trois sous-titres Les célibataires, les Parisiens en province et les rivalités, Scène de la vie parisienne : 14 romans, dont Splendeurs et misères des courtisanes, César Birotteau ainsi que deux sous-titres Histoire des Treize (Ferragus, la duchesse de Langeais, la Fille aux yeux d'or) et les parents pauvres (la cousine Bette et le cousin Pons), Scènes de la vie politique : 4 romans, dont une ténébreuse Affaire Scène de la vie militaire : 2 romans Les Chouans et une Passion dans le désert Scène de la vie de campagne : 4 romans : les Paysans, le Médecin de campagne, le Curé de village, le Lys dans la vallée... Les études philosophiques On compte 20 romans/nouvelles dans cette catégorie dont la Peau de chagrin, Louis Lambert, Adieu. Les études analytiques On trouve deux romans sur le mariage qui intéressait l’auteur dans sa volonté de lutter contre la défragmentation de la société : physiologie du mariage et petites misères de la vie conjugale ainsi qu’un sous-titre pathologie de la vie sociale avec deux traités et une théorie. 1.3 Les mouvements Balzac n'a pas conçu l a Comédie humaine de manière figée. S’il a conçu une œuvre avec une certaine unité, il s’est autorisé, au fil des ans, de nombreux remaniements, en déplaçant ses ouvrages au gré de ses nombreuses corrections. En effet, au sein des trois types d’études, l’écrivain a modifié le classement de certains romans comme La recherche l’Absolu, livre qui est passé des études de mœurs aux études philosophiques. À l’intérieur même des études, l’auteur a en outre modifié ses étiquettes. Ainsi certaines scènes de la vie privée ont pu être transférées dans les scènes de la vie de province ou parisienne. On voit bien que c’est une architecture avec un ordre imparfait, mais qui ne remet pas en cause les trois cadres fixes. Ce système nous a été laissé inachevé par Balzac, surpris par la mort à cinquante ans, après 20 années de dur labeur, diurne et nocturne, à polir les pierres de son œuvre. 1.4 Réalisme Le "réalisme" de Balzac tient à sa volonté de croiser un lieu précis et des mœurs déterminés. Mais il procède aussi de ses analyses philosophiques ou analytiques. L'auteur les fonde à partir d’une question sociale qui l'obsède toujours comme nous avons pu l'indiquer précédemment. On voit bien que ce parti pris de divisions, de subdivisions certes artificielles, participe à une entreprise réaliste, destinée à couvrir, sur une large échelle, les mœurs de toute une époque. Sources : Castex, l’univers de « la Comédie humaine », La Pléiade, tome 1 Stéphane Vachon, Les Travaux et les jours d’Honoré de Balzac, Préface de Roger Pierrot, Paris et Montréal, Presses Universitaires de Vincennes, Presses du CNRS, Presses de l’Université de Montréal, 1992 (voir notamment « Construction d’une cathédrale de papier », p. 15-41). http://hbalzac.free.fr/plan.php https://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2002-1-page-73.htm#re3no3 2. Les périodes historiques couvertes par la Comédie humaine Balzac s’est voulu historien du vaste système que constitue la Comédie humaine. Cette ambition vise à couvrir des époques différentes, pleines de contrastes. Pour ce faire, Balzac n'a pas ménagé ses efforts en effectuant des recherches documentaires, ce qui n'était pas l'usage pour un romancier. 2.1 Chronologie La Comédie humaine porte sur une période qui couvre schématiquement l’Empire, soit de 1804 aux dernières années de la monarchie de Juillet, soit en 1846. On voit que l’auteur s’est saisi des évènements de son temps en ardent analyste des données quasi ethnologiques qu’il avait sous les yeux. C’est un point très important pour jeter les bases d’un mouvement qui donnera lieu au réalisme. L’arrière-fond doit être historiquement vrai pour asseoir le cadre de l’illusion, paradoxe littéraire sublime ! En outre, Balzac a fait le choix d’étendre son récit sur plusieurs années. Par conséquent, l'intrigue peut glisser sur plusieurs régimes. Certains personnages évoluent donc au sein de la Comédie humaine entre leur jeunesse et l’âge de la maturité ou de la vieillesse. C’est un des composants de l’esprit du système mis en place par Balzac. Mais le lecteur actuel de Balzac est confronté à différents régimes politiques qui peuvent poser quelques problèmes de compréhension. En mettant de côté les romans et nouvelles qui remontent comme dit Félicien Marceau à la Pré-Histoire de la Comédie humaine soit de 1308 ( les Proscrits) à 1786 ( les deux Rêves) , il convient de relever que la somme romanesque fait référence à cinq régimes politiques successifs soit l’Ancien Régime, la Révolution, l’Empire, puis la Restauration (Louis XVIII et Charles X) et enfin la monarchie de Juillet avec Louis-Philippe. Il vous est proposé de reprendre ces périodes qui intéressent le projet « systémique » de la Comédie humaine. 2.2 L’Ancien Régime C’est l’heure de la monarchie absolue avec les trois ordres : la noblesse, le clergé et le tiers état. Balzac n’évoque cette période que pour illustrer le désarroi des familles aristocratiques enfermées dans leurs us et coutumes d’un autre temps. Nous verrons ce point plus particulièrement avec la géographie parisienne de la Comédie humaine qui astreint les personnages à vivre dans des lieux déterminés. 2. 3 La Révolution Cette période de la Révolution est évoquée dans le premier roman de la somme romanesque, les Chouans (1829) qui couvre la lutte entre les partisans de la monarchie et les forces républicaines en 1799. Puis, il reviendra sur la Terreur dans une nouvelle, un épisode sous la Terreur, écrite en 1830. Dans la Comédie humaine, la période révolutionnaire est plutôt évoquée en filigrane au travers de la trajectoire des personnages. Ainsi le Père Goriot a fait fortune sous la Terreur en vendant de la farine à des prix exorbitants. C’est ce qu’on appelle un profiteur de guerre au point qu’il est surnommé par ses gendres « ce vieux Quatre-vingt-treize ». 2.4 Empire Ce régime politique est couvert explicitement par la Comédie humaine. Balzac est fasciné par le destin de héros porteurs de destins collectifs. S’il est un fervent monarchiste, il ne cache pas son admiration pour le parcours de Napoléon Bonaparte. Aussi l’épopée napoléonienne est-elle narrée à plusieurs reprises comme dans le Colonel Chabert, Adieu. Mais la période de l’Empire est elle-même sujet à écriture comme dans une Ténébreuse affaire, où on assiste à une conspiration avortée de Fouché contre Napoléon. C’est aussi durant cette époque qu’une nouvelle noblesse dite d’Empire voit le jour. La Comédie humaine fait ainsi le distinguo entre : La noblesse d’épée, la plus ancienne de l’Ancien régime (noblesse de cour) La noblesse de robe (anoblissement par lettres patentes du roi) La noblesse de fraîche date de l’Empire. Les deux dernières essayent d’entrer dans le monde de la première dont les portes leur sont fermées comme nous le verrons. Ainsi dans l a Duchesse de Langeais, on note l’opposition entre ces deux noblesses avec l’orgueilleuse héritière d’une caste aristocratique pourtant en perdition et le général de Montriveau, qui lui est issu de cette noblesse d’Empire. Dans une autre perspective, même si les deux filles du père Goriot ont fait un « bon » mariage, l’aînée, Anastasie de Restaud a eu un parti plus avantageux (aristocratie plus ancienne) que sa sœur, Delphine de Nucingen (noblesse récente). 2.5 Restauration Cette période revêt une importance cruciale dans la Comédie humaine eu égard aux nombreux romans/nouvelles qui s’y enracinent. On rappelle que la Restauration constitue la terminologie pour évoquer le retour à la monarchie avec les deux frères de Louis XVI, (Louis XVIII et Charles X) entre 1814-1815 et 1830 soit près de seize ans de règne. Pourquoi Balzac, qui débute la rédaction de sa somme à l’extrême fin de la Restauration vers 1827, choisit-il de couvrir ces années en particulier ? Tout d’abord, il s’agit d’une période qu’il connaît bien pour l’avoir vécue dans sa jeunesse à la fois lorsqu’il habitait en province, mais également à Paris. Ensuite, il s’agit pour lui de décrire la physiologie de ce temps dont il est issu. C’est une époque historique où s’affrontent deux histoires, deux France, celle de l’Ancien régime et de la Révolution. La première se targue de ses valeurs ancestrales et ne comprend rien à cette France fondée sur des intérêts individuels et matériels d’une bourgeoisie désireuse de faire des affaires. On voit ainsi s’opposer deux courants politiques, les ultras (les tenants du retour à la monarchie absolue) et les libéraux (ceux d’une évolution du régime avec l’incorporation des droits individuels et collectifs issus de la Révolution et de l’Empire). C’est également un moment de tensions importantes en France sur fond de réussite sociale entre ses différents membres qu’ils soient des personnages gagnants ou perdants de l’Histoire. Pour ces derniers, proscrits sous la période révolutionnaire et ayant perdu à ce titre leurs richesses et leurs biens, il ne leur reste plus que leur orgueil tiré du temps passé. C’est, en outre, une France qui prend le train de la modernité avec l’essor de la Banque, de la Presse, du monde des affaires. Cette modernité marque l’impossible retour au passé. Elle s’appuie sur une décomposition de larges pans de l’économie autrefois exclusivement agricole pour devenir industrieuse avant de faire naître la Révolution industrielle à partir de 1860 et de Napoléon III. Balzac a sous les yeux les matériaux utiles pour décrire comme un historien ou un sociologue, la vie de ses contemporains sous des angles les plus divers. C’est enfin une période qu’il aime à la différence de la France de Louis-Philippe. 2.6 Louis-Philippe Comment se régime s'installe-t-il ? Le dernier frère de Louis XVI, Charles X, ordonne par ordonnances en date du 25 juillet 1830 la suspension de la liberté de la presse, la dissolution de l'Assemblée nationale pourtant élue un mois plus tôt avec une poussée de l'opposition et enfin la modification de la loi électorale. Le mécontentement monte ; les barricades se dressent à Paris le 28 juillet. Le lendemain la capitale est aux mains du peuple : la révolution est en marche avec son cortège de morts et de blessés en nombre. Le 30 juillet, Charles X quitte Paris dans la nuit. Les libéraux proposent alors la nomination du duc d'Orléans qui appartient à la branche cadette de la famille royale. Thiers qui est le représentant de cette opposition considère qu'il est la seule alternative possible pour la France. Louis-Philippe est dès lors élu "roi des Français" le 7 août 1830. Balzac n’a que mépris pour cette France de la monarchie de Juillet (1830-1848). C’est pourtant la période durant laquelle il a écrit l’essentiel de la Comédie humaine. L’auteur préfère placer non seulement l’action sous la Restauration, mais n’évoque ce nouveau régime que de manière anecdotique (chute de la royauté, essor du charbon, du train, les progrès de la médecine etc…). Pourquoi ? D'abord, Balzac s’affirme comme un monarchiste convaincu, mais il est peu porté sur les querelles dynastiques. Il considère surtout que le XIXe siècle doit s’adapter aux données nouvelles de la société. Cette époque doit rechercher la stabilité politique et accorder la liberté d’initiative en matière économique et sociale. De ce fait, il est un ardent opposant à l’égalitarisme révolutionnaire et ne s’intéresse guère aux revendications du peuple. Ensuite, dans le régime de Louis-Philippe, Balzac voit une période où les intérêts individuels de la bourgeoisie sont encore plus favorisés par l'État, ce qui accroît la défragmentation sociale. Dans la Peau de Chagrin, le référentiel politique et social apparaît en filigrane et laisse un goût amer à la jeunesse : la société qui est bloquée est incapable de fournir de l'espoir à sa jeunesse qui n'a pas d'autre solution que de se compromettre avec le pouvoir (cf. le projet de journal fondé par le banquier Taillefer dans le but de préserver les intérêts de la haute bourgeoisie). Pour autant, l’auteur se laisse prendre au jeu du système qu'il a lui-même mis en place puisqu’il fait vieillir ses personnages qui finissent de facto sous le règne de la monarchie de Juillet. Sources : Castex, l’univers de « la Comédie humaine », La Pléiade, tome 1 Francis Démier, La France de la Restauration (1814-1830). L’impossible retour du passé, Gallimard, coll. Folio histoire, Félicien Marceau, Balzac et son monde, Tel Gallimard Geneviève MADORE Balzac, homme politique légitimiste et visionnaire file:///Users/user/Downloads/689-Texte%20de%20l'article-1092-1-10-20120822.pdf http://hbalzac.free.fr/temps.php La géographie dans la Comédie humaine Nous verrons l’importance de la géographie et notamment de Paris dans la somme romanesque. Balzac a habité dans la capitale pendant trente-cinq ans et a dû déménager dix fois souvent pour fuir ses créanciers. Ce qui nous intéresse, c’est le rôle que la capitale joue dans l’œuvre : la géographie est un des piliers du système mis en place. Comme l’histoire, l’espace entre dans la composition réaliste d’une œuvre. On pense notamment aux longues descriptions de villes ou de paysages qui est la marque de fabrique de l’auteur, connaisseur direct ou indirect des lieux qu’il décrit. 3.1 Province/Capitale La Comédie humaine se situe au cœur d’une dichotomie entre deux espaces : Paris et la province. On peut le constater dans les Études de mœurs au centre desquelles se trouvent les scènes de la vie de province (cf. Les illusions perdues) qui répondent aux scènes de la vie parisienne. Mais cette opposition dépasse l’intitulé des deux scènes susvisées. Ainsi les scènes de la vie militaire reprennent le distinguo avec le roman les Chouans, dans lequel a lieu une lutte armée entre les Bretons/Normands d’une part, et, d’autre part, les armées du gouvernement révolutionnaire. Cette séparation entre Paris et la province constitue donc une ligne de fracture manifeste. Il reste que l'on peut se demander les raisons d'un tel clivage. Dans la Comédie humaine, la référence à Paris est porteuse de prestige. C'est le lieu par excellence où règnent le bon goût, les bonnes manières, la culture, les affaires. C'est l'endroit où il faut vivre pour ...être. On quitte la province pour réussir dans la vie. Telle est la destinée de deux fameux provinciaux que sont Rastignac et Lucien de Rubempré. Cette ligne de séparation Paris/Province figure en arrière-fond de très nombreux romans/nouvelles. Elle se révèle le plus souvent au travers des usages provinciaux qui tentent de suivre -sans grand succès- les codes parisiens. On doit aussi indiquer que la capitale, elle-même, est sujette à divisions par quartier. 3.2 Paris Le système balzacien est fondé sur une savante découpe de la capitale. Sur quel critère principal s’opère la distinction dans l a Comédie humaine ? Il faut d’abord considérer la Rive gauche de la Rive droite avec la Seine comme ligne de fracture. Cette démarcation doit être comprise si l’on veut pénétrer dans l’œuvre. La situer, c'est comprendre d'où vient le personnage et quelle est son ambition. Par ailleurs, chaque quartier, au sein de chaque rive, est lui-même associé à une position sociale déterminée. Notons enfin que la Seine ne joue aucun rôle poétique ; au contraire, ce fleuve ne présage rien de bon puisqu’il illustre la tentation du désespoir et du suicide (Valentin dans l a Peau de Chagrin ). 3.2.1 Rive gauche Dans cette configuration, trois quartiers sont à considérer : Le quartier Saint-Germain, Le Quartier latin, Le quartier du Faubourg St Marceau (entre le 5e et le 13e arrondissement actuels) Le quartier Saint-Germain On y trouve le lieu d’élection de l’aristocratie traditionnelle, celle attachée à l’Ancien régime. C’est une caste qui vit figée et repliée dans ses us et coutumes, fermant la porte à la noblesse plus récente et à des unions avec des membres de la nouvelle société. Elle reste donc dans l’entre-soi. La fortune de ces proscrits durant la Révolution s’est trouvée amoindrie et incapable de relever le défi lancé par les enjeux économiques de la Restauration et de la Monarchie de Juillet. Cette noblesse ne possède plus que son arrogance et son orgueil pour briller : la duchesse de Langeais en est la digne représentante. Le Quartier latin C’est le siège de la jeunesse étudiante et des personnes qui se lancent dans la vie (journalistes, écrivains en herbe, etc…). La pension Vauquer, abritant le père Goriot en pleine déchéance sociale, se situe à la jonction du Quartier latin et du faubourg St Marceau. Le quartier du Faubourg St Marceau C’est le quartier le plus miséreux de cette rive et de Paris. Venons-en à la Rive droite pour voir le large éventail de quartiers qui la composent. 3.2.2 Rive droite Il s’agit du Paris du début du XIXe siècle avant les transformations opérées par le préfet Haussmann. C’est la rive la plus peuplée et la plus prospère. Elle comprend ainsi les restaurants, les théâtres, les magasins de luxe, les lieux de plaisir (jeux et prostitution). Le marais : quartier sombre et calme, un peu retiré avec ses anciens hôtels particuliers appartenant à l’aristocratie désargentée. C’est aussi le lieu des demi-fortunes. (Cf. Le Cousin Pons ) Le Faubourg St Honoré : quartier logeant une aristocratie ancienne, mais d’une noblesse de robe et non d’épée comme celle du faubourg Saint-Germain. De nombreux salons y sont ouverts et font bon accueil aux idées nouvelles libérales, aux banquiers et aux artistes. La Chaussée d’Antin : quartier des banquiers, des comédiennes, des nouveaux riches. Il s’y passe beaucoup d’intrigues et d’interactions. C’est l’endroit à la mode en 1830. Et c’est la raison pour laquelle c’est le lieu de prédilection de la Comédie humaine. Le Second Paris : le quartier de la Nouvelle Athènes, Notre-Dame de Lorette, St Georges : lieu des femmes de petites vies (lorettes) : femmes entretenues, artistes, danseuses. Balzac brosse le portrait flatteur de ces femmes libres qui contrastent avec la froideur des femmes de la Haute société. Parc Monceau : c’est le lieu de retraite sur la Rive droite pour ceux qui ont connu des revers de fortunes après 1830. Les Champs-Élysées : la partie basse de la célèbre avenue permet des promenades en voitures où il faut se montrer, être vus par le Tout-Paris. Le haut des Champs-Élysées est en cours de construction avec ses futurs hôtels particuliers. Source : Éric Hazan, Balzac, Paris, La Fabrique Éditions, 2018 Les principaux thèmes de la Comédie humaine Le système mis en place par Balzac laisse apparaître de nombreux thèmes communs. Ce n’est pas un hasard, mais une volonté de l’auteur de mettre au centre de son architecture de papier des sujets qui lui tiennent à cœur. L’idée est de faire entrer ces thèmes dans le système de dévoilement du monde. 4.1 Dévoilement L’entreprise est ambitieuse. Balzac cherche à mettre en évidence les vices de son époque. Toute sa somme porte une critique implacable sur les comportements des individus au sein de la société ; il s’agit d’une dénonciation des mœurs que ce soit à Paris ou en province et dans tous les milieux. C’est bien sous le signe d’un certain réalisme qu’est née la Comédie humaine. 4.2 Thèmes principaux Félicien Marceau, dans Balzac et son monde, en précise la nature et les contours. L’amour : souvent malheureuses, adultères, tromperies diverses… Les abîmes : grandeur et décadence des personnages dévoilés… La volonté de puissance : domination des faibles, ascension sociale… Thème du groupe : complot, basses manœuvres en bande organisée. Cf. les Treize. L’absolu : le savoir, la philosophie, l’ésotérisme… Le temps : celui qui passe, les regrets... La religion : consolation, expiation des fautes, culpabilité judéo-chrétienne... La justice et la politique : injustice des puissants sur les faibles et la politique des classes dominantes L’argent : celui qui gouverne la société. En avoir ou pas… Dans cette liste, nous en retiendrons le thème de l’argent qui nous semble d’importance dans tous les romans de Balzac. L’argent Balzac connaît le prix des choses dans le moindre détail. Il met dans la bouche de ses personnages les discussions prosaïques : on y parle d'argent tout le temps. Balzac est entré dans un tel degré de précision qu’il est aujourd’hui possible de calculer le pouvoir d’achat des ménages puisque tous les éléments financiers sont déterminés : salaire, pension, rente etc.. le coût de la vie (loyer, nourriture, habillement etc...). Le réalisme des romanciers avant la Comédie humaine n’a jamais atteint ce point de précision. But L’argent est présenté comme un but à atteindre, une fin en soi. La question qui taraude les personnages balzaciens est celle de savoir comment s’enrichir au plus vite et de plus en plus. Rappelons que sous la monarchie de Juillet (1830) régnait l'adage de Guizot, « enrichissez-vous ». L'État encourageait le libéralisme économique. Dans l a Comédie humaine, l’appât du gain est au contraire stigmatisé que l’on soit riche ou pauvre, car l’argent constitue un vice. Vices Tous les vices liés à l’argent sont examinés par Balzac avec un réalisme achevé. Il s’intéresse aux modes opératoires et aux effets qui en découlent. Le circuit de l’argent d’une poche à une autre est détaillé avec méthode. Dans la perspective balzacienne, l’argent corrompt tout : les liens intra-familiaux, les relations professionnelles, amicales, politiques. L’argent roi gouverne le monde pour sa perte. Le vol dans la caisse d’un honnête commerçant par son commis est évoqué ( César Birotteau). D’autres vols peuvent aussi se réaliser de manière plus élaborée par l’émission de billets à ordre (effets de cavalerie) dont on sait d’avance qu’ils ne seront pas honorés ou des épisodes de spéculation aboutissant à une crise financière ( La maison Nucingen). L’avarice la plus sordide est mise en scène comme celle du père Grandet (Eugénie Grandet) qui s’oppose à la générosité du père Goriot dans le roman éponyme. Vautrin peut projeter de tuer un homme pour permettre à Rastignac de capter indirectement un héritage (Le Père Goriot). Les femmes ne sont pas en reste avec cette préoccupation bassement pécuniaire. Madame Camusot finira par capter l’héritage du Cousin Pons par ses manœuvres tout comme les deux filles du Père Goriot qui s’emploieront à dépouiller leur père avant de laisser mourir seul. Lucien de Rubempré peut aussi ruiner sa famille en lui mentant de manière éhontée pour mener une vie dispendieuse et oisive (les Illusions perdues) . On voit donc l’immoralité qui est sous-jacente dans cette thématique : elle a aussi pour intérêt de montrer à l’inverse que l’absence d’argent est révélatrice d’une vertu particulière, la grandeur d’âme. Vertu L’argent est aussi un révélateur de la moralité des personnages de la Comédie humaine. Balzac conçoit même une forme de pureté dans l’absence de sens des affaires : David Séchard dans les Illusions perdues se fait acheter à vil prix son invention (papier d’imprimerie). César Birotteau, ruiné par bêtise dans son commerce de parfumerie, recouvre, lui, sa dignité lorsqu’il réussit à éponger ses dettes avant de mourir. Le dépouillement est un signe de générosité lorsque la mère et la sœur Chardon ont vu leurs meubles saisis tandis que David Séchard est envoyé en prison pour les dettes parisiennes de Lucien de Rubempré. ( Les Illusions perdues) . Le rapport avec l’argent mesure le degré d’humanité des personnages. Pour résumer, moins on en a, plus on en donne et plus la profondeur d’âme apparaît sous la plume de Balzac. Source : F. Marceau, Balzac et son monde, Tel Gallimard La place de la Peau de chagrin dans la Comédie humaine Reportons nous à l’Avant-propos de la Comédie humaine avant d'en comprendre sa portée. 5.1 l'Avant-propos Voici l’extrait qui nous intéresse : "Telle est l’assise pleine de figures, pleine de comédies et de tragédies sur laquelle s’élèvent les Études philosophiques, Seconde Partie de l’ouvrage, où le moyen social de tous les effets se trouve démontré, où les ravages de la pensée sont peints, sentiment à sentiment, et dont le premier ouvrage, la Peau de chagrin, relie en quelque sorte les Études de mœurs aux Études philosophiques par l’anneau d’une fantaisie presque orientale où la Vie elle-même est peinte aux prises avec le Désir, principe de toute Passion. Balzac, Avant-propos de la Comédie humaine 5.2 Analyse Que veut dire Balzac ? Reprenons, si vous le voulez bien, le fil de son argumentaire : la Peau de Chagrin n’entre pas dans les études philosophiques, la Peau de Chagrin n’est pas dans les études des mœurs, il a pour fonction de relier en réalité les deux études, ce roman occupe ainsi une place à part. C’est un roman qui est proche des Études philosophiques compte tenu du sujet exposé, à savoir des questions métaphysiques toute balzaciennes autour du temps et de l’existence. Mais il n’en fait pas partie de manière proprement dite : il a une fonction d’introduction à l’ensemble des ouvrages philosophiques, lesquels sont considérés comme des variations de l a Peau de Chagrin avec l’exploitation de la trame du roman énergétique. Ce roman présente également des caractéristiques sociales qui le rapprochent des Études de mœurs avec, de manière générale, la description sans équivoque d’un milieu social déterminé, le journalisme, le monde des affaires et des jeux, de l’aristocratie à Paris etc… C’est donc un roman qui revêt une grande importance aux yeux de Balzac de ce point de vue, mais également du point de vue de son caractère autobiographique comme nous le verrons dans le paragraphe suivant. Source : Pierre Citron, Introduction à la Peau de chagrin, dans l’édition de la Pléiade de la Comédie humaine, tome X. Les accents autobiographiques de la Peau de chagrin La Peau de Chagrin est un roman qui revêt une grande importance aux yeux de Balzac du point de vue de son caractère autobiographique. Le personnage principal, Raphaël de Valentin, est vu comme le “double” de l’écrivain. 6.1 Double de l’auteur On estime ainsi que Balzac a puisé dans sa propre histoire pour évoquer l’enfance et la jeunesse (années au collège) du héros. Son rapport au père est directement inspiré de ce qu’il a lui-même connu, tout comme sa vie d’étudiant dans sa mansarde parisienne et son travail dans une étude d’avoué. Il a retranscrit également sa vie professionnelle avec ses débuts difficiles et le journalisme "alimentaire" qui lui a permis de subsister. S’agissant du roman de l’énergie, Balzac a utilisé un élément autobiographique déterminant : le traité de la volonté. 6.2 Le traité de la volonté Au collège de Vendôme, où il a été pensionnaire, Balzac a rédigé un traité de la volonté qui n’a jamais été retrouvé. Nul ne connaît donc son contenu. On devine juste qu’il s’agit d’un traité sur l’anatomie et sur les fonctions des organes et des tissus du corps. Un ouvrage matérialiste en somme. On sait aussi que Balzac a été influencé par son père ; ce dernier entretenait un rapport singulier avec la mort : il s'exerçait, en effet, par différents moyens à vivre plus longtemps. Cette question du temps qui passe, de la longévité de l’homme est devenue une obsession pour l’auteur qui l'insère dans plusieurs ouvrages de la Comédie humaine. Dans la 2e partie de la Peau de chagrin , l’écrivain évoque la rédaction d'un livre qui n’a pas encore de nom, ni d’objet. Il possède seulement une fonction de reconnaissance sociale : “Voici mon plan. Mes onze cents francs devaient suffire à ma vie pendant trois ans ; je m’accordais ce temps pour mettre au jour un ouvrage qui pût attirer l’attention publique sur moi, me faire une fortune ou un nom.” https://fr.wikisource.org/wiki/La_Peau_de_chagrin/1855/Chapitre_2 Il faut attendre les pages suivantes pour découvrir l’existence de deux livres, l’un, une comédie, “une véritable niaiserie d’enfant", et l’autre, un traité dont on connaît enfin le nom : “Toi seul admiras ma Théorie de la volonté, ce long ouvrage pour lequel j’avais appris les langues orientales, l’anatomie, la physiologie, auquel j’avais consacré la plus grande partie de mon temps ; œuvre qui, si je ne me trompe, complétera les travaux de Mesmer, de Lavater, de Gall, de Bichat, en ouvrant une nouvelle route à la science humaine.” https://fr.wikisource.org/wiki/La_Peau_de_chagrin/1855/Chapitre_2 Dans son roman le plus autobiographique, Louis Lambert, il reprend la théorie de la volonté en l’étoffant davantage. II. Vision énergétique de "la Peau de chagrin" Roman de l’énergie : “la Peau de Chagrin” (Balzac) : nous allons traiter la question de savoir comment Balzac conçoit sa propre vision énergétique dans la Peau de chagrin. Avant de répondre à la question, nous devons ensemble définir la notion de roman de l’énergie sur le plan de l'histoire littéraire avant d'exposer les caractères proprement énergétique du roman de Balzac. Histoire littéraire Qu’entend-on par roman d’énergie ? Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser aux termes d’énergie, puis voir la notion de roman d'énergie avant puis après le XVIIIe siècle. 1.1 définition Étymologiquement, “energeia” signifie en grec force en action qui se distingue de “dynamis” signifiant force en puissance. Il convient ensuite de voir cette notion en physique, puis en philosophie et enfin en littérature. Physique En physique, l’énergie se comprend de nos jours comme un système de travail destiné à produire un mouvement et par là, une lumière, de la chaleur, de l’électricité. Nous sommes bien loin de la littérature… Voyons son aspect philosophique qui a surgi en même temps que son aspect purement physique. Philosophie Les Grecs ont fait un parallèle entre l’aspect purement matériel de l’énergie et l’aspect métaphysique. Aristote au IVe siècle avant J-C qui a écrit, en effet, deux traités sur l’énergie considère que l’homme dispose lui aussi d’une “force intérieure” qui lui permet d’agir à la fois sur le monde et sur lui-même. On commence à entrevoir le matériau dont la littérature va s’emparer. Restons dans l’Antiquité et découvrons un grand mythe qui convoque l’énergie avec Prométhée, le voleur de feu. Feu Dans le monde antique, un conflit s’installe entre les hommes devenus de plus en plus habiles et Zeus au sujet de la part d’un sacrifice d’un taureau à revenir aux dieux, chacun voulant la meilleure part. Prométhée, fils de Japet, est appelé à les départager : sa décision devant s’imposer à tous. Ayant d’ores et déjà pris le parti des hommes, il choisit de faire deux sacs inégaux, l’un avec des os pour Zeus, l’autre avec la chair de l’animal pour les humains. Trompé, Zeus se met en colère et retire aux hommes le feu dont il disposait jusqu’alors ; mais ces derniers ne peuvent plus s’en passer. Prométhée intervient encore en leur faveur avec une nouvelle ruse : “Depuis, gardant le souvenir de son injure, il refusa aux mortels, aux malheureux habitants de la terre, le feu, ce puissant et actif élément. Mais il fut encore trompé par l’industrieux fils de Japet, qui sut le lui dérober, en refermant dans la tige d’une férule ses rayons éclatants. Cependant le cœur de Zeus est rongé par le dépit, la colère s’empare de son âme, lorsqu’il voit au loin, dans la demeure des humains, briller le feu qui lui est ravi.“ Hésiode, la Théogonie Sources : Mythologica.fr https://mythologica.fr/grec/promethee.htm 1.2 L'énergie avant le XVIIIe siècle Le roman de l’énergie n’existe à proprement parler qu’à partir du XVIIIe siècle. Cela ne veut pas dire que l’énergie n’est pas évoquée auparavant : elle appartient seulement à un champ délimité : la religion. Religion L’énergie, force primordiale, est assimilée au pouvoir de Dieu, du créateur dans le mythe de la formation du monde. Dieu constitue donc la source parfaite d’énergie et la littérature religieuse reprend abondamment ce thème. Par voie de capillarité, la nature, en tant que création divine, est elle aussi dotée d’une énergie. On lui attribue à ce titre un caractère hautement sacré traduit couramment dans la poésie... Cela signifie a contrario que cette énergie est hors de portée des hommes ; imparfaits, ces derniers sont mus par leurs passions aveugles qui les détournent de leur salut : ils sont dans la quête de l’équilibre qui préfigure un idéal repris notamment dans la littérature. C’est un des éléments clé de l’histoire du classicisme au XVIIe siècle. Équilibre Au temps de Louis XIV, l’équilibre constitue un idéal de forme. Le mouvement existe certes, mais comme une oscillation pour se rétablir. La métaphore de la balance restitue l'idée. Selon Michel Delon*, cet équilibre est fondé sur un ordre immuable, une hiérarchie divine, politique et sociale acceptée, des règles strictes (notamment dans le théâtre avec les 3 unités), des valeurs de tempérance, sur la recherche de rationalité. Dans cet esprit, l’équilibre exige la clarté. Cette dernière est recherchée sur le plan littéraire dans les traités (cf. Bossuet ) ou dans les œuvres de fiction que ce soient des romans ( cf. La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette , ou des pièces de théâtre, comédie ( Molière ) ou tragédie (Corneille, Racine ). Sur le plan philosophique, la raison est valorisée et doit amener l’homme à maîtriser ses passions qui les conduisent à sa perte. ( cf. Pascal) On a ainsi créé un modèle idéal : l’honnête homme. L’honnête homme L’honnête homme est un concept définissant un homme de cour : il s’habille avec élégance et il est toujours d’humeur égale. Il n'y a rien de ridicule en lui ; il possède une conversation digne du plus grand intérêt. Depuis des années, il s'est soumis à une discipline éprouvée. Sa formation mondaine et intellectuelle a été parfaitement soignée. Rien n’a été laissé au hasard. Tout est donc parfaitement ordonné. Un tel honnête homme refuse de se mettre en avant, à la fois par discrétion et par rejet de toute forme de pédantisme : il cherche, au contraire, à mettre en valeur autrui par une droiture de cœur et une sociabilité toute aristocratique. Energie L’émergence de l’énergie appliquée à l’homme surgit durant le siècle suivant, celui des Lumières. Il entraîne une nouvelle conception du monde qui rompt avec cet équilibre idéalisé : en effet, le mouvement pénètre en force et envahit tout l’espace ; il déstabilise tout sur son passage, comme nous le verrons dans l’article suivant. sources : Michel Delon, l’idée d’énergie au tournant des Lumières (1770-1820) PUF littératures modernes 1.3 Les romans de l'énergie au XVIIIe siècle Selon Michel Delon*, les Lumières se fondent sur un autre idéal, la notion d’énergie. L’équilibre du siècle précédent est purement et simplement abandonné dans tous les domaines esthétiques, philosophiques et moraux au profit du dynamisme. (cf l es Liaisons dangereuses, Laclos ) Celui-ci recouvre toutes choses qu’elles soient naturelles ou humaines : le monde s’anime de forces se bousculant dans un univers désormais fragmenté. Ce nouvel âge veut tout saisir, tout comprendre. Rien n’est donné, tout est à découvrir sous un rapport dynamique. Qui dit dynamique dit relation. Ainsi chaque chose entre ainsi en lien avec d'autres : cela entraîne des phénomènes de tension et de transformation. La langue La langue, elle-même, subit le même processus dynamique, elle se transforme dans la littérature. Là où les règles de clarté s’imposaient, on est désormais dans le flou, l’imprécision : on n’a plus pour objet de représenter ou d’imiter le réel, mais on l’imagine avec une esthétique plus libre. L’énergie, autrefois l’attribut de Dieu, devient un principe non divin : il est de l’ordre de l'Histoire. Selon Michel Delon, cette énergie correspond à l’épanouissement de l’individu qui devient le centre des préoccupations : on s’intéresse au bonheur et au désir sous toutes ses formes. L’énergie trouve aussi sa limite dans son paroxysme avec Sade taxé d'immoralisme. Romantisme Ce phénomène débute sous Louis XVI pour perdurer jusqu’à l’Empire : l’idée d’énergie fait ainsi passer le temps des Lumières au Romantisme. Curieusement, cette idée linguistique conduit à la définition moderne de la physique et la chimique comme sciences de la relation. Dans le paragraphe suivant, nous verrons la conception du roman énergétique chez Balzac. source : Michel Delon, l’idée d’énergie au tournant des Lumières (1770-1820) PUF littératures modernes La Peau de chagrin, un roman d'énergie ? On peut se demander comment, dans ce roman, Balzac conçoit sa propre vision énergétique. En digne fils des Lumières, l’écrivain s’est réapproprié l’idée d’énergie pour en faire le moteur de la Comédie humaine : on a vu que la Peau de chagrin constitue la porte d’entrée aux études philosophiques. Balzac a ainsi cherché à décrire l’homme en mouvement sous l’angle de sa transformation, mais de surcroît, il a imaginé la force énergétique de sa création jusqu'à son épuisement. Le meilleur exemple que l’on puisse donner, c’est de prendre l’image de la pile électrique ou d'une batterie de téléphone... La pile pleine ou la batterie d’un téléphone qui se décharge à force de l’avoir utilisée à fond constitue la meilleure illustration de ce qu’a voulu Balzac pour signifier l’existence. Pour l’auteur, en effet deux voies s’offrent à l’homme : soit on consomme la pile/batterie à l’économie et on obtient l'allongement de sa durée, soit on en abuse à fond et c'est le raccourcissement de sa durée. On peut caractériser le caractère “énergétique” de la Peau de chagrin par le mouvement des forces dans les paroles et actes des personnages du roman. Ainsi schématiquement, on peut considérer les points suivants selon la méthode éprouvée depuis des années par la Gazette : la Méthode Des 6 GR OS SES C LE FS © : il s’agit de prendre le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant : 6 GR OS SES C LE FS Gr : grammaire C : Conjugaison OS : oppositions le : champ lexical SE : les 5 sens FS : figures de style Procédés de style Reprenons l’hypothèse de la pile et tentons de comprendre comment Balzac a cherché à exploiter le thème de l’énergie : nous vous proposons une grille de lecture de synthèse : Grammaire : puissance rythme donné binaire/ternaire/quaternaire… ponctuation frappante, discours direct/indirect, phrases complexes : subordonnées relatives, conjonctives, ou apposées, voix affirmative/négative, superlatif, comparatif. Conjugaison : vitesse de l’énergie : changement de modes (de l’impératif à l'indicatif) jusqu’à l’expression du mode la réflexion (conditionnel/subjonctif ), Changement de temps : rupture (passé/présent) : pas de futur, Présent de vérité générale. Oppositions : polarité des forces positive/négative nombreuses antithèses, oxymores. Champs lexicaux : intensité de l’énergie thème du corps, thème de la mort. Sens : contact entre 2 corps sensualisme du texte : des corps à la dérive, matérialisme, ouïe/vue/toucher/goût mais pas l’odorat importance du toucher : contact entre 2 corps. 2.1 définition de la Peau de chagrin : Qu'est-ce qu'une "peau de chagrin" ? 2.1.1 nature et rôle de la Peau de chagrin (Balzac) Définissons aujourd'hui la nature de cette Peau de chagrin avant d’en comprendre son rôle. Balzac exploite la notion d’énergie autour de ce que nous avons choisi d’illustrer, la pile électrique dont la consommation de vie se fait soit à l'économie ou soit à fond. La durée de l’existence n’est pas un thème nouveau dans la littérature ; on la retrouve à la fois dans son principe (allongement/rétrécissement) et dans sa forme matérielle que l’on peut toucher. Support Chaque auteur a besoin en effet d’un support pour matérialiser le repère de vie : dans l’Antiquité, on parle du fil des Parques qui se rompt pour évoquer la mort. ”La Parque t’a tuée, et cendres tu reposes.” Ronsard, Comme on voit sur la branche, Amours, 1560 Au XIXè siècle, Goethe, dans Faust, choisit un contrat écrit avec le sang du héros : “MÉPHISTOPHÉLÈS. À quoi bon tout ce bavardage ? Pourquoi t’emporter avec tant de chaleur ? Il suffira du premier papier venu. Tu te serviras, pour signer ton nom, d’une petite goutte de sang.” Goethe, Faust Balzac a repris l’idée d'énergie et le support matériel, mais il a revisité les deux notions comme nous le verrons. Il a décidé de se servir d’un objet exotique qui matérialise le pacte. Pour cela, il a joué sur le terme de chagrin qui possède deux sens : c’est du cuir de chèvre : on l’obtient encore selon un processus de tannage végétal faisant apparaître un grain naturel. Le chagrin n’est donc pas lisse et ainsi deux sens sont convoqués lorsqu'on parle de ce type de peau : la vue et le toucher dont nous verrons que ce sont justement les deux ressorts sensoriels utilisés par l’auteur. la tristesse, le déplaisir : notion qui nous est familière. On obtient ainsi un support original issu de l’imagination de Balzac. Et pour constituer l’énergie, il s’est fondé sur un pléonasme. La formulation de La Peau de chagrin peut s’analyser sur le plan grammatical comme : Mots nature fonction La déterminant défini : c’est un objet unique. / Peau nom propre (majuscule) / de préposition reliant les deux termes / chagrin nom commun complément du nom Peau Nous pouvons traduire ce titre par la "Peau de la peau". Cela constitue donc un pléonasme (ex : monter en haut). Qu’est-ce que ce terme signifie dans la perspective énergétique ? L’écrivain a voulu accorder à la Peau, la seule et l’unique au monde, une force inouïe, hors de la réalité, ce qui constitue en soi un élément du fantastique (comme nous le verrons). Source : Pierre Citron, Introduction à la Peau de Chagrin, dans l’édition de la Pléiade de la Comédie humaine, tome X. Dans l'article suivant, nous verrons la conclusion du pacte souscrit par Valentin avec son destin.
- Analyse de "Sido" et "des Vrilles de la vigne" (Colette)
Bac : Découvrons quatre analyses linéaires selon la méthode des 6 GR OS SES C LE FS © tirés d'extraits des deux œuvres au programme de Colette . Colette Analyse de "Sido" et "des Vrilles de la vigne" (Colette). Il vous sera proposé d'étudier de manière linéaire quatre extraits selon la progression suivante : plan d'analyse Nous allons étudier de manière linéaire les textes selon la méthode des 6 GR OS SES C LE FS . Il s’agit de prendre le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant : Gr : grammaire C : Conjugaison OS : oppositions le : champ lexical SES : les 5 sens FS : figures de style Analyse de "Sido" et "des Vrilles de la vigne" (Colette) : le choix des passages étudiés linéairement : le rôle d’initiatrice de la mère : analyse du passage : “« Sido » répugnait à toute hécatombe de fleurs. … je me taisais, jalouse…” ( Sido) le jardin d’Éden : “Dans mon quartier natal, on n’eût pas compté vingt maisons privées de jardin… (Sido) la conscience de soi : analyse du passage le Miroir dans les vrilles de la vigne : “Quoi, vous prétendez n’avoir jamais été petite…la fin. L'enjeu poétique : le rossignol : “Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit” (Les vrilles de la vigne). le rôle d’initiatrice de la mère Nous allons analyser le passage : “« Sido » répugnait à toute hécatombe de fleurs. … je me taisais, jalouse…” ( Sido) : retrouvez le texte colorié selon la méthode. « Sido » répugnait à toute hécatombe de fleurs . Elle qui ne savait que donner , je l’ai pourtant vue refuser les fleurs qu’ on venait parfois quêter pour parer un c orbillard ou une tombe. Elle se faisait dure, fronçait les sourcils et répondait « non » d’un air vindicatif. – Mais c’ est pour le pauvre M. Enfert, qui est mort hier à la nuit ! La pauvre Mme Enfert fait peine, elle dit qu’elle voudrait voir p artir son mari sous les fleurs , que ce serait sa consolation ! Vous qui avez de si belles roses-mousse , madame Colette… – Mes roses-mousse ! Quelle horreur ! Sur un mort ! Après ce cri, elle se reprenait et répétait : – Non. Personne n’a c ondamné mes roses à mourir en même temps que M. Enfert./ /Mais elle sacrifiait v olontiers une très belle fleur à un enfant très petit , un enfant encore sans parole , comme le petit qu’ une mitoyenne de l’Est lui apporta par orgueil , un jou r, dans notre jardin . Ma mère blâma le maillot trop serré du nourrisson , dénoua le bonnet à trois pièces, l’inutile fichu de laine, et contempla à l’aise les cheveux en anneaux de bronze, les joues, le s yeux noirs sévères et vastes d’ un garçon de dix mois, plus beau vraiment que tous les autres garçons de dix mois. Elle lui donna une rose cuisse-de-nymphe-émue qu ’il accepta avec emportement, qu’il porta à sa bouche et suça, puis il pétrit la fleur dans ses puissantes petites mains, lui arracha des pétales, rebordés et sanguins à l’image de ses propres lèvres…/ – Attends, vilain ! dit sa jeune mère. Mais la mienne applaudissait , d es yeux et de la voix , au massacre de la rose, et je me taisais , jalouse…/ Colette, Sido Ce petit passage illustre très bien notre problématique liant la célébration du monde aux paradoxes. Ce texte montre le travail de réécriture littéraire de Colette : nous pouvons relever trois parties : 1.1. Le respect des fleurs prôné par la mère Dans ce premier paragraphe, on note la mise en récit d’une scène remarquable, un usage social bien établi et un refus paradoxal. a. une scène remarquable On relève l’opposition entre deux personnages, celle qui fait l’action, “Sido”, “elle”, et le témoin racontant dans le détail, sa fille, avec le pronom personnel “je”. Pour décrire cette scène étonnante, Colette emploie deux sens la vue “voir”/“vue” et l'ouïe “répondait” ainsi que toutes les tournures exclamatives : le but recherché est de donner l’impression d’une scène extrêmement vivante. Un principe est posé au style indirect avec la tournure : “«Sido» répugnait” . On note que le verbe comporte un sens péjoratif, ce qui est paradoxal pour définir une affection positive. Colette décrit ainsi sa mère pour souligner ses goûts tranchés et son fort caractère. C’est une description qui repose aussi sur l’imparfait “ répugnait”/“ savait/“venait“/“faisait” : la valeur de l'imparfait renvoie à une habitude. Laquelle ? Celle d’offrir des fleurs lors d’un décès. b) un usage social établi Offrir des fleurs constitue, en effet, un usage social établi à l'époque de Colette ; on le relève avec le pronom impersonnel “ on venait parfois quêter” associé à la valeur d’habitude produite par l’imparfait. Dans quel but ? L’offrande des fleurs vise à atténuer la douleur : “consolation”. C’est donc une pratique généreuse et sociale à laquelle Sido répond de manière outrancière. c) un refus paradoxal La réaction de la mère se fait contradictoire avec l’opposition “donner/refuser”. L’auteure choisit la tournure restrictive “ne…que” pour souligner sa générosité ; mais dans ce souvenir, Sido adopte une attitude contraire. Pourquoi ? le champ lexical de la mort Colette utilise un paradoxe : elle choisit le champ lexical de la mort et donc le registre tragique pour montrer son attachement à la vie : “hécatombe” qui est de surcroît une hyperbole, “corbillard” /“tombe” /“consolation”. Sous la plume de Colette, le mort est affublé du lieu de séjour des réprouvés “Enfert” : notons la liberté de ton et l’humour noir de l’auteure. Par ailleurs, Colette montre le caractère entier de Sido à l’aide d’une énumération de verbes en apposition “faisait dure”, "fronçait" et “répondait non d’un ton vindicatif”. Pour que nous ayons une idée plus vivace de Sido, Colette choisit le style direct avec trois courts dialogues : elle passe alors au présent et recourt à des phrases exclamatives, donnant de la vigueur au récit. la demande initiale Dans un premier temps, le contenu de la demande est exprimé par une personne non nommée ; elle veut émouvoir Sido avec la répétition de l’adjectif “pauvre”. Cette requête est polie et compassée avec une phrase complexe comportant une subordonnée relative “qui est mort” et des subordonnées conjonctives réintroduisant le style indirect “elle dit que” suivi du conditionnel "voudrait voir”/”serait” : la quémandeuse donne toutes les raisons pour obtenir gain de cause. Elle finit par l’apostrophe “Vous qui avez”/“madame Colette” en interpellant directement Sido tout en la flattant avec la formulation “si belles roses-mousse”. Mais les points de suspension montrent que Sido lui coupe la parole et s’emporte. La fin de non-recevoir Cette dernière s’y oppose, en effet, de manière impolie avec trois phrases non verbales exclamatives : “ Mes roses-mousse ! Quelle horreur ! Sur un mort !” . On note ainsi son insensibilité qui est accentuée avec l’opposition “sous les fleurs”/”sur un mort”. Pour insister sur le manque de tact de Sido, Colette emploie en outre le terme “cri”, le sens de l'ouïe est encore une fois convoqué dans ce souvenir. La réponse est une atteinte à la bienséance. Sido, sur le fond et sur la forme, adopte une attitude particulièrement choquante. D’ailleurs, Colette procède par allusion avec “elle se reprenait”. Il est suggéré que Sido se rend compte de son manque de tact, qu'elle change d’attitude : on assiste à une réponse en bonne et due forme avec une phrase cette fois verbale. Changeant de ton, Sido ne change pas sur le fond puisqu’elle répète la négation “non”. Elle conclut l’entretien par une affirmation solennelle : “ Personne n’a c ondamné mes roses à mourir en même temps que M. Enfert.” Cette phrase nous renseigne sur les valeurs morales de Sido. Ainsi on note une personnification de ses fleurs, “condamné mes roses” : ces dernières sont présentées comme des victimes innocentes d’un supplice injuste : Colette magnifie paradoxalement ses fleurs en partant du registre tragique. On est dans le champ lexical morbide du châtiment, “condamné”/”mourir”. Elle refuse de lier leur sort à la mort de son voisin avec le connecteur “en même temps”. L’emploi du pronom indéfini “personne” est en réalité un pied de nez à la demande, mais aussi à la société, aux conventions voire à la religion. Sido voue un culte à la nature et donc aux fleurs de son jardin avec le possessif “mes roses”. Ce portrait de Sido suffirait à nous la représenter comme une femme non conformiste, mais Colette poursuit dans une autre séquence beaucoup plus étonnante. 1.2 Le sacrifice d’une fleur permis par la mère Revisitant son passé, Colette choisit de compléter le portrait de Sido. Elle utilise un procédé particulier afin d’obtenir le renversement de perspective et de rendre un culte à la vie. a) un procédé inversé Colette lie les deux séquences avec une conjonction de coordination “mais” introduisant une opposition à venir. Dans ce nouvel exemple, l’écrivaine choisit d’inverser les personnages. Ainsi “Monsieur Denfert” est remplacé par un enfant en bas âge, soit deux personnages représentant les deux extrémités de la vie. Cette fois-ci, c’est le champ lexical de l’enfance qui est convoqué : “nourrisson” /“maillot”/”sans parole”/”bonnet”/”fichu”. En outre, la quémandeuse est remplacée par une voisine avec la périphrase :” une mitoyenne de l’Est”. Colette nous la désigne comme une mère jugée inexpérimentée par Sido toute-puissante “blâma” : “trop serré”/”dénoua”/”inutile”. L’action est clairement située dans le jardin, lieu clos, qui est le centre de gravité. L’action est décrite au passé simple, comme un événement unique : “ comme le petit qu’ une mitoyenne de l’Est lui apporta par orgueil , un jou r,” Il reste que Sido est là comme dans la première partie, mais son attachement aux fleurs change radicalement : “ Mais elle sacrifiait v olontiers une très belle fleur “ : la notion de sacrifice présente un sens positif, c’est devenu un don qu’elle fait de bon cœur. Elle joue un rôle actif et non passif comme dans la première phase. Quelle est la raison d’un tel revirement ? Un renversement de perspective. b) un renversement de perspective Colette renverse, en effet, la perspective : le culte de Sido pour les fleurs dépasse le cadre de la nature pour embrasser, en réalité, quelque chose de plus profond : la vie. La vie est incarnée par l’enfant, terme utilisé plusieurs fois avec des redondances "petit"/nourrisson/”garcon de dix mois”. C’est un être pur, avec l’expression “sans parole”. Sido adopte une conception rousseauiste, l’innocence. Le bébé est rendu à la nature, dépouillé de ce qui, culturellement, le cache et surtout l’entrave, “trop serré”/”dénoua”/”inutile” : ce qui constitue une forme de mort d’un être à lui-même. Et c’est Sido qui restitue à l’enfant sa vraie nature comme un grand prêtre. Elle utilise des termes liturgiques “sacrifice”/“bronze” ainsi que lerythme ternaire “blama”/”dénoua”/contempla”. Puis à la phrase suivante, Sido aboutit à un don, “donna”. La fleur est l’objet d’un culte sacrificiel. c . le culte de la vie Colette recourt à une phrase complexe donnant un rythme lent. Colette entend magnifier le spectacle qui se joue sous ses yeux. Le champ lexical du corps est employé “bouche”/”mains”/”lèvres”. C’est une expérience sensorielle à laquelle on assiste avec le toucher “pétrit”/ “arracha”, le goût ”porta à sa bouche”/”suça”: l’enfant détruit la fleur “arracha les pétales”. Mais loin d’être décrite comme une catastrophe, la scène est de l’ordre du mélioratif,“pétrit” : on pétrit le pain pour en faire quelque chose, combler une faim. Sur le plan symbolique, l’enfant fait totalement corps avec la fleur comme Colette le suggère avec la comparaison entre la rose et les lèvres de l’enfant “à l’image de ses propres lèvres…“ De cette destruction sort une connaissance simple, proche de la nature, qui éveille l’enfant, sa conscience. C’est une démarche pleine de vitalité. Mais les points de suspension rythment à nouveau cette scène qui s’arrête. Pourquoi ? C’est le moment où la fille reprend en main l’histoire. 1.3 La jalousie de la fille. Les points de suspension mettent fin à l’épisode et témoignent d’un malaise avec une chute saisissante. a. la fin de l’épisode Avec les points de suspension, on coupe court à la description et on revient à l’histoire : Colette fait alors intervenir la jeune mère jusque-là taiseuse. Le style direct est là de nouveau avec une phrase exclamative comprenant un impératif : “Attends, vilain ! “. L’enfant est donc grondé. L’action est brève et contraste avec le temps long de la préhension de la fleur par l’enfant. L’histoire change à nouveau de rythme pour repartir au style indirect avec une deuxième rupture : “Mais la mienne applaudissait”. On mesure l’opposition entre la jeune mère et Sido, l’une qui se fâche et l’autre qui encourage “applaudissait” et l’insistance avec les éléments du corps “ yeux et de la voix” : Sido se met à l’unisson avec l’enfant en s’opposant à la mère de ce dernier. On note une gradation : le sacrifice est devenu “un massacre de la rose” : on est encore dans le domaine de la personnification et du registre tragique, mais à des fins de glorification de la vie. b. une chute saisissante Dans la dernière proposition coordonnée, le témoin de la scène fait une brève apparition dans l’histoire : “et je me taisais, jalouse…” : de manière elliptique, Colette en dit long d’abord sur son opposition avec sa mère qui parle alors qu’elle se tait. Elle en donne l’explication avec l’adjectif “jalouse” mis en apposition. La remémoration du souvenir laisse des traces d’une souffrance passée qui redonne à nouveau une nouvelle forme au registre tragique. Pour souligner cette pudeur, Colette recourt à nouveau aux points de suspension. Le jardin d'Eden Nous verrons le deuxième passage démontrant l’importance du jardin dans la construction du lien avec le monde. Nous l’analyserons en utilisant la méthode des 6 GR OS SES C LE FS ©. Découvrons-la dans le détail, si vous le voulez bien. “/ Dans mon quartier natal , on n’ eût pas compté vingt maisons privées de jardin . Les plus mal partagées jouissaient d’une cour, plantée ou non, couverte ou non de treilles. Chaque façade cachait un « jardin-de-derrière » profond, tenant aux autres jardins-de-derrière par des murs mitoyens. Ces jardins-de-derrière donnaient le ton au village. On y vivait l’été , on y lessivait ; on y fendait le bois l’hiver, on y besognait en toute saison , et les enfants , jouant sous les hangars , perchaient sur les ridelles des chars à foin dételés./ /Les enclos qui jouxtaient le nôtre ne réclamaient pas de mystère la déclivité du sol , des murs hauts et vieux , des rideaux d’arbres protégeaient notre « jardin d’en haut » et notre « jardin d’en bas ». Le flanc sonore de la colline répercutait les bruits, portait , d’un atoll maraîcher cerné de maisons à un « parc d’agrément », les nouvelles. De notre jardin, nous entendions, au Sud , Miton éternuer en bêchant et parler à son chien blanc dont il teignait, au 14 juillet, la tête en bleu et l’arrière-train en rouge. Au Nord, la mère Adolphe chantait un petit cantique en bottelant des violettes pour l’autel de notre église foudroyée , qui n’a plus de clocher. À l’Est, une sonnette triste annonçait chez le notaire la visite d’un client … Que me parle-t-on de la méfiance provinciale ? Belle méfiance ! Nos jardins se disaient tout./ /Oh ! aimable vie policée de nos jardins ! Courtoisie , aménité de potager à « fleuriste » et de bosquet à basse-cour ! Quel mal jamais fût venu pardessus un espalier mitoyen, le long des faîtières en dalles plates cimentées de lichen et d’ orpin brûlant , boulevard des chats et des chattes ? De l’autre côté, sur la rue, les enfants insolents musaient, jouaient aux billes, troussaient leurs jupons, au-dessus du ruisseau ; les voisins se dévisageaient et jetaient une petite malédiction , un rire, une épluchure dans le sillage de chaque passant , les hommes fumaient sur les seuils et crachaient … Gris de fer, à grands volets décolorés, notre façade à nous ne s’entrouvrait que sur mes gammes malhabiles, un aboiement de chien répondant aux coups de sonnette, et le chant des serins verts en cage. Peut-être nos voisins imitaient-ils, dans leurs jardins , la paix de notre jardin où les enfants ne se battaient point, où bêtes et gens s’exprimaient avec douceur, un jardin où, trente années durant, un mari et une femme vécurent sans élever la voix l’un contre l’autre …”/ Colette, Sido Ce passage illustre le travail de l’écrivain qui interprète ses souvenirs pour en donner une vision littéraire qui se fonde sur une image totalement idéalisée comme nous pouvons le voir au travers du découpage de ce texte : 2.1 Les jardins du village Colette adopte un point de vue généralisant pour commencer sa description « objective » qui devient progressivement de plus en plus individualisée. Le jardin clos entre dans un ensemble uniformisé. a) une vision “objective” C’est par un point de vue externe, et même plongeant partant du haut vers le bas que l’auteure débute sa description pour donner une vision objective, entièrement retravaillée. Elle emploie le pronom impersonnel « on » et le passé antérieur pour parler d’un décompte effectué a posteriori “on n’eût pas compté” : arrêtons-nous sur cette négation en forme de litote “ne…pas”, sur le participe passé, “privées”, et sur les deux tournures négatives qui sont destinées à amplifier paradoxalement l’importance positive du jardin. Ce choix descriptif permet donc de voir par-delà les murs jusque dans les recoins cachés. À ce stade du texte, la description concerne le lieu et non ses habitants qui sont indéfinis “Les plus mal partagées”. Colette envisage ensuite la description de manière individuelle avec le déterminant indéfini “chaque façade" : chaque signifie “tous”, mais comme un élément individuel dans lequel on trouve, au choix, une “cour”, “ces jardins-de-derrière”,“hangar”, "enclos". Ces jardins entrent aussi dans un ensemble uniformisé. b) un ensemble uniformisé Colette considère le jardin comme la norme à la fois dans sa composition mais également dans le mode de vie commun avant de signifier que c’est un lieu de récréation. -un“jardin-de-derrière” L’auteure y décrit un même urbanisme “ autres jardins-de-derrière »: ce néologisme décrit en une image l’emplacement du lieu, loin des regards avec le verbe “cachait”. Elle en précise la grande surface avec l’adjectif “profond” et l’importance par le fait que cela donne un effet pittoresque “le ton au village”. C’est le particulier qui définit le général dans l’esprit de Colette qui envisage aussi la destination commune de ces lieux. - une destination commune Après avoir décrit l’uniformité du lieu, c’est maintenant sa commune utilisation. Pour cela, l’auteure recourt aux oppositions entre les saisons “été”/”hiver” avant de considérer son usage durant toute l’année “en toute saison”. Qu’y fait on ? Dans la première partie du texte, on y “jouissait” sens repris avec le verbe “vivait”, c’est-à-dire qu’on en profitait. Le champ lexical de la verdure appuie cette passivité avec “plantée”/”treille”/”bois”/”foin”. Mais en réalité, on s’active dans ce jardin devenu un adverbe ‘y” : on note la gradation des verbes particuliers ”lessivait”(le linge)/ ”fendait” (le bois de chauffage) et finalement “besognait” (toute activité) : on passe là encore du particulier au général. - un lieu de récréation C’est enfin un lieu de récréation et de jeux avec la présence “d’enfants” : on relève que les habitants ne sont pas définis, alors que les enfants émergent de cette indifférenciation. Pourquoi ? Ils sont décrits, minutieusement, dans un lieu “sous les hangars” et dans le choix, précis, d’un jeu : “perchaient sur les ridelles des chars à foin dételés”. C’est une évocation illustrative de la candeur de l’enfance comme on peut le voir avec le fait d’utiliser des choses usuelles “char à foin dételé” pour jeu. On est dans le domaine du naturel et non de l’artifice. Ce cadre posé permet de centrer la description sur la particularité du jardin natal. Ce deuxième paragraphe précise les contours du jardin de l’auteure. On assiste aussi à une description fondée sur le sens de la vue, de l'ouïe et du toucher qui instillent une dimension à la fois joyeuse, mais aussi tragique. On voit enfin que le jardin occupe une place centrale. 2.2 La place centrale du jardin a) les contours du jardin Colette entre dans le cœur de sa description. On arrive au caractère particulier du jardin. Elle brosse le portrait d’un lieu contrasté ; il comporte a priori des défauts : il est coincé entre deux jardins “jouxtaient”, il est en pente “déclivité” et enfin il est cintré par de “vieux murs”. Mais sous la plume de l’auteure, cela donne un aspect bénéfique exprimé, toujours chez elle, par la négation en forme de litote “ne réclamaient pas de mystère” : c’est donc une donnée de la nature qui est bonne en soi à la manière rousseauiste. Ce jardin est curieusement découpé en deux parties opposées : “jardin d’en haut »/«jardin d’en bas » : cette périphrase topographique avec des éléments simples, “haut” et “bas”, aboutit à la création de noms distinctifs formant ensemble ce jardin de l’enfance. Colette utilise enfin la métaphore “rideaux d’arbres” pour signifier le côté intime et son aspect chaleureux avec “protégeaient”. C’est le moment où l’auteure décide d’utiliser la large palette de sens pour frapper l’imagination. b) l’utilisation des sens Chez Colette, les sens jouent toujours un rôle important : ils permettent de donner une vision concrète des choses entrant dans le domaine de l’enfance. Jusqu’à présent, la description reposait sur la vue “vingt maisons” “jouxtaient”, “en haut/en bas”, elle utilise désormais l'ouïe “sonore”/”bruits”. Le quartier donne vraiment l’impression d’être une caisse de résonance avec un élément encore non évoqué “colline”, associée au terme “répercutait” : les bruits perçus de la nature, “atoll maraîcher”, métaphore pleine de fraîcheur, deviennent alors des “nouvelles” de la société, ”parc d’agrément”, groupe nominal présentant un aspect superficiel. On est sur un rythme binaire nature/culture qui est repris par la suite. L’auteure se fonde également sur les habitudes prises, fournies par une autre valeur de l’imparfait. Elle s’emploie alors à détailler ce qu’elle entend habituellement, “éternuer”, “chantait”, "annonçait" : la gradation produit un effet crescendo, du naturel, “éternuer”, “chanter”, au social avec "annonçait". Rythme binaire. Donnant un aspect plus vivant, en mouvement, Colette ajoute le sens du toucher à l'ouïe. Les voisins sont, cette fois, nommés “Miton”, “la mère Adolphe”, “le notaire” : leur action laisse à comprendre ce qu’ils font puisque les murs empêchent de voir. Le jardinier “éternue” et “bêche”, la voisine “chante” en faisant un bouquet “bottelant” et un quidam présenté par l’adjectif défini “le client” appuie sur la sonnette. Pour donner davantage de relief, l’auteur ajoute de nombreux détails visuels réinterprétés a posteriori : le chien blanc en version tricolore : “la tête en bleu et l’arrière-train en rouge. “ pour la fête nationale ; le bouquet de “violettes” : l’auteure puise dans la gamme des couleurs primaires opposant la couleur chaude “rouge” à la couleur froide “bleu” ; les deux couleurs associées formant le violet, couleur secondaire. L’auteure brosse avec ses mots un portrait coloré. Mais on perçoit un changement de registre. c. un registre tragique Colette joue aussi sur les registres pour donner de l’ampleur à son texte. Ainsi le registre lyrique est rappelé par la mention de la fête nationale “14 juillet” ; mais s’ouvre alors un autre registre, tragique cette fois. On le voit avec le champ lexical de la mort avec “petit cantique”/ “autel foudroyé” /“église qui n’a plus de clocher” avec la personnification de la “sonnette triste” et les points de suspension pour évoquer l’annonce d’un deuil. Dans l’esprit de Colette, la joie est toujours mêlée à la mort. Son écriture vise à fixer de manière littéraire le caractère binaire de l’existence. Il reste que la focalisation est poussée d’un cran, car le jardin de son enfance occupe désormais une place centrale. d. la place centrale du jardin La ligne de fuite converge vers le jardin de son enfance même si c’est encore un pur travail de réécriture littéraire. Pour souligner le rôle central, il faut comprendre que la délimitation du jardin se fait par rapport aux autres fonds, définis, eux, par les points cardinaux “nord””sud”est”. On sait, en outre, que c’est sa place centrale qui en fait le réceptacle des secrets du voisinage. C’est une redondance avec la fin du paragraphe précédent, mais l’effet est accentué : on passe des “nouvelles” à “nos jardins se disaient tout” : on note la personnification du jardin voulue par l’auteure. 2.3 Un jardin d’Eden L’auteure entend faire du jardin de son enfance un abri loin du monde qui est porteur d’une puissance délétère avant d’en faire le siège de sa famille. a) un abri hors du monde Elle se fonde sur une opposition entre deux côtés, entre le “jardin “et la “rue”, et sur l’opposition des registres lyrique/tragique. -le jardin aux accents lyriques Dans le jardin, véritable paradis, tout y est bien ordonné : “policée”/”courtoisie” ; l’existence y est décrite comme douce avec l’adjectif “aimable” et le nom “aménité”. On vit loin du monde et en autarcie avec les fruits et légumes “potager” satisfaisant les besoins alimentaires (primaires) ; on y trouve même une basse cour. Mais le jardin n’a pas qu’une fonction utilitaire, il permet également de satisfaire le goût pour l'esthétique (besoin secondaire) avec la vision de la beauté “fleuriste” et “bosquet”. L’emploi des phrases exclamatives, donnant un rythme ternaire, forment un cri du cœur. On est dans le registre lyrique C’est pour mieux souligner le contraste avec la deuxième branche de l’opposition, la rue. C’est par une phrase interrogative que Colette pose les contours hostiles du monde extérieur : “Quel mal jamais fût venu pardessus un espaliermitoyen, le long des faîtières en dalles plates cimentées de lichen et d’orpin brûlant, boulevard des chats et des chattes ?”. Elle dresse une frontière entre le bien non expressément nommé et “le mal”. Le bien est implicitement décrit dans l’union du minéral “dalles plates”, du végétal “espalier” et de l’animal dans ses deux genres complémentaires “chat/chattes”. On est là encore dans le registre lyrique. On assiste donc à une description idéalisée d’un jardin d’Eden : cette description prend tout son sens avec son exact opposé, le monde extérieur. -la rue aux accents tragiques Le monde extérieur hostile se fait proche, car il s’agit “de l’autre côté”, mention elliptique omettant volontairement le terme mur, contrastant avec la description fourmillante du jardin. On adjoint le terme défini, “la rue”, produisant un effet redondant et inutile. Ce monde est en tous points désaccordé, sans harmonie. On y entre crescendo avec les enfants, pour arriver aux voisins et enfin aux hommes. Ce sont des groupes hostiles. À la différence des enfants jouant paisiblement dans le jardin, les enfants de la rue sont décrits avec les détails péjoratifs “insolents” et le verbe “musaient” signifiant perdre son temps. L’énumération des verbes d’inaction et d’action montrent l'ennui profond qui les atteint. Même les jeux “jouaient aux billes”,/sauter au-dessus de l'eau “troussaient leurs jupons” n’ont pas de cohérence avec le milieu bucolique qui les entoure. Ils y sont indifférents. L’emploi de l’adverbe “au-dessus du ruisseau” montre le détachement vis à vis de la nature que l’on franchit allègrement. Les adultes ne sont pas épargnés : on notera que l’auteure utilise le terme “les voisins” qui englobent le masculin et le féminin. On note une distinction dans les comportements des deux sexes, si on analyse bien les choses. Colette commence par les femmes sans les nommer justement ; on le comprend a contrario lorsque l’auteure évoque expressément, cette fois, leurs maris : “les hommes fumaient sur les seuils et crachaient”. On note ainsi une opposition entre les femmes situées à l’intérieur, en train de vaquer à leur travail, et les hommes, placés devant la porte, et donc paresseux. L’activité des femmes est tournée, non sur ce qu’elles font, mais sur ce qui se passe en dehors de chez elles. Comme leurs enfants, elles perdent leur temps, mais cette fois non à jouer, mais à se jalouser entre elles “dévisageaient“. Ce n’est qu’un préalable avant d’en venir aux méchancetés avec le verbe “jetaient”. Le sens de ce verbe est très fort même s’il doit être pris dans le sens figuré. On assiste alors à une énumération de marques d’hostilités allant crescendo avec l’emploi d’un article indéfini, un/une marquant ainsi un large éventail dans la bassesse ordinaire. Ainsi on débute par “une petite malédiction" avec l’adjectif “petite” qui laisse à penser qu’elle est dite de manière peu audible et donc sournoise. Cette invective se transforme ensuite en moquerie, “un rire”, que l’on sent cette fois audible et donc cruel puisque l’auteure n’a pas jugé nécessaire de lui adjoindre un quelconque qualificatif. Et l’on finit par la pure malveillance avec le jet de légume “épluchure” sur toute personne avec “chaque passant” suggérant le caractère répétitif du méfait. Les hommes ne sont pas en reste avec le fait de cracher par terre, constituant en lui-même une marque d’hostilité. On retrouve le procédé des points de suspension indiquant que la liste des avanies ordinaires n’est pas close. Le monde de la rue est donc décrit sous un jour particulièrement violent :“insolent”/“jetaient”/”malédiction”/”fumaient”/“crachaient”. Le registre est volontiers tragique puisque la mort rôde eu dehors du jardin. b) le siège de la famille On comprend mieux pourquoi la famille de l’auteure s’est mise volontairement en retrait de ce monde avec l’emploi de la tournure restrictive “ne… que” associé au verbe “s’entrouvrir”, c'est-à-dire ouvrir faiblement les portes. On peut noter que c’est la façade qui est évoquée puisqu’elle donne sur la rue et non le jardin qui, lui, est étanche au mal. L’univers familial est clos : rien ne s’y échappe, si ce n’est la musique qui a l’art d’adoucir les mœurs avec “mes gammes malhabiles”. On est passé du nous au possessif de la première personne du singulier. À chaque sollicitation des hommes, hostiles avec le sens du toucher “coups” de sonnette, on rétorque par la douceur animale “aboiement du chien” “chant des serins”. Le bonheur, côté jardin, est caractérisé par l’union du genre humain “les gens” et du règne animal “les bêtes”. Tous vivent en harmonie comprise comme “la paix” et “la douceur”. C’est l’antithèse du monde extérieur avec la violence qui n’a plus cours : “ les enfants ne se battaient point”. Le jardin est ce lieu clos où l’auteure glorifie non plus une famille ; le possessif de la première personne du pluriel s’efface “notre jardin “ pour mettre en lumière deux personnes prises ensemble : “un homme et une femme”. Il s’agit de deux êtres issus de la nature, au même titre que les chats et les chattes ou les bêtes mentionnées ci-avant. Avec cette tournure indéfinie, on peut voir une métaphore d’Adam et Eve, placés dans ce jardin d’Eden. Mais le lien conjugal, lien social par excellence, est ensuite souligné avec “un mari et une femme”. On a vu précédemment que tout ce qui venait de la culture n’était pas valorisé dans ce texte. Mais là, on peut voir son aspect mélioratif avec la longévité mentionnée “trente années durant”, mais surtout l’harmonie exceptionnelle “sans élever la voix l’un contre l’autre…” Les points de suspension soulignent l’admiration de l’auteure devant ce fait remarquable. La conscience de soi Ce troisième passage illustre le travail de l’écrivain qui interprète ses souvenirs pour en donner une vision littéraire entièrement repensée, comme dans cet extrait mettant en présence la narratrice, sous les traits de Colette, et son personnage de fiction, Claudine. Les deux personnages en miroir échangent, se questionnent, l’une étant le double de l’autre ; nous sommes à la fin de ce texte et c’est Claudine qui interpelle Colette sur son enfance. “/– Quoi ! Vous prétendez n’ avoir jamais été petite ? – Jamais. J ’ ai grandi , mais je n ’ ai pas été petite. Je n’ ai jamais changé. Je me souviens de moi avec une netteté, une mélancolie qui ne m’ abusent point. Le même cœur obscur et pudique , le même goût passionné pour tout ce qui respire à l ’air libre et loin de l’homme – arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles , – la même gravité vite muée en exaltation sans cause… Tout cela , c’ est moi enfant et moi à présent … / Mais ce que j’ ai perdu , Claudine, c’ est mon bel orgueil, la secrète certitude d’être une enfant précieuse , de sentir en mo i une âme extraordinaire d’homme intelligent , de femme amoureuse , une âme à faire éclater mon petit corps … Hélas , Claudine, j’ ai perdu presque tout cela , à ne devenir après tout qu ’ une femme … Vous vous souvenez du mot magnifique de notre amie Calliope , à l’homme qui la suppliait : « Qu ’avez-vous fait de grand pour que je vous appartienne ? » Ce mot-là, je n’ oserais plus le penser à présent , mais je l’aurais dit , quand j ’avais douze ans. Oui , je l’aurais dit ! Vous n’ imaginez pas quelle reine de la terre j’ étais à douze ans ! Solide, l a voix rude, deux tresses trop serrées qui sifflaient autour de moi comme des mèches de fouet ; les mains roussies, griffées, marquées de cicatrices , un front carré de garçon que je cache à présent jusqu’aux sourcils … Ah ! que vous m ’auriez aimée , quand j’avais douze ans , et comme je me regrette !/ /Mon Sosie sourit, d’un sourire sans gaîté , qui creuse ses j oues sèches , ses joues de chat où il y a si peu de chair entre les t empes larges et les mâchoires étroites : – Ne regrettez-vous que cela ? dit-elle. Alors je vous envierais entre toutes les femmes… Je me tais, et Claudine ne semble pas attendre de réponse. Une fois encore, je sens que la pensée de mon cher Sosie a rejoint ma pensée, qu’ elle l’épouse avec passion, en silence… Jointes, ailées, vertigineuses, elles s’élèvent comme les doux hiboux veloutés de ce crépuscule verdissant. Jusqu’à quelle heure suspendront-elles leur vol sans se disjoindre , au-dessus de ces deux corps immobiles et pareils , dont la nuit lentement dévore les visages ?… 1. être et avoir été toujours la même personne Ce texte se fonde sur un premier mouvement qui soutient le paradoxe pour Colette d’avoir toujours été la même personne ; nous verrons la forme choisie par Colette, avec le dialogue et la mise en abyme avant le fond du sujet. la forme Sur la forme, cette affirmation est rendue particulièrement vivante par le jeu du miroir et le recours aux dialogues. -un jeu de miroir Dans ce passage, Colette évoque librement son enfance en mettant en présence le double en miroir : la narratrice qui s’exprime avec le pronom personnel “je” et sa créature, Claudine, copie de celle qu’elle a été. Il s’agit d’un récit qui évoque une enfance revisitée : il s’agit d’une réinterprétation de l’enfance à des fins littéraires. C’est aussi un moment d’introspection en miroir avec l’opposition entre “je” pronom personnel sujet et “moi” pronom personnel complément : “je me souviens de moi” : celle qui est maintenant regarde celle de l’enfance. -le recours aux dialogues On assiste à un échange entre l’auteure et son personnage, Claudine. On relève la distance voulue entre la créatrice et sa créature avec le vouvoiement “vous”. Cette dernière n’est pas servile, elle fait preuve d'autonomie puisqu’elle prend l’initiative de la questionner. Elle fait preuve également de liberté de ton en mettant en doute ce que dit la narratrice avec le verbe “prétendre”. La question est précédée d’une exclamation “Quoi !” qui montre son parfait étonnement et sa spontanéité. Avec la longueur de sa réponse, l’auteure reprend l’initiative en monopolisant la parole : il s’agit de comprendre qu’en parlant à sa créature, à son double, appelé aussi “mon Sosie”, elle se parle à elle-même sous le contrôle de sa créature littéraire. le fond La réponse de la narratrice est fondée sur des antithèses, véritables paradoxes et sur le registre nostalgique. - les paradoxes Ce passage porte en germe l’antithèse exprimée par deux propositions indépendantes coordonnées, l’une évoquant le fait de prendre de l’âge à la voix affirmative “j’ai grandi” et l’autre évoquant l’enfance, rappelée par la voix négative, “je n ’ ai pas été petite”. C’est une technique usuelle chez Colette d’affirmer une chose par la voix négative. Elle expose un paradoxe insoutenable : grandir sans jamais avoir été une enfant, ce qui suscite évidemment de la curiosité. L’auteur répète l'adverbe “jamais” en indiquant dans une seule proposition, encore une fois négative, : “Je n’ ai jamais changé.” Cette proposition se veut conclusive alors que rien n’a été jusque-là démontré. Pour persuader son double, la narratrice fait alors appel aux souvenirs qu’elle fait remonter cette fois au présent de l’indicatif “je me souviens”. Elle puise aussi dans les sentiments avec le sens de la vue “avec une netteté”. Elle évoque le siège des émotions “le cœur” et “le goût” : on est sur une perception sensorielle des choses. Mais l’argumentation semble bancale, car on tombe sur une opposition dans son caractère changeant pris entre “gravité” et “exaltation” : deux attitudes différentes, exclusives l’une de l’autre. Les points de suspension en disent long. Le champ lexical de la nostalgique s’incarne dans ses mots. -le champ lexical de la nostalgie La narratrice abolit la distance entre le passé “c’est moi enfant” et le présent “moi à présent” : on note la répétition du pronom personnel “moi” qui serait donc un trait commun. Notons néanmoins qu’elle ne se qualifie pas en tant qu’adulte, elle le suggère seulement de manière indéfinie avec les points de suspension. Le champ lexical de la nostalgie résulte des termes “mélancolie”, de la répétition du pronom personnel “moi”, de l’adverbe “même”, pour le caractère indéfini de ce qu’elle évoque “tout ce qui respire”/”tout cela”. On note la pudeur de l’auteure dans cette difficulté à dire. Mais la nostalgie transparaît par le refus de s’exprimer au passé : l’auteure débute en recourant du bout des lèvres au passé composé, le temps le plus proche du présent, qui permet l’introspection, “ J ’ ai grandi”/ “ Je n’ ai jamais changé.” Ensuite, elle parvient au présent “je me souviens”. Colette emploie à la fin une longue phrase non verbale : “Le même cœur obscur et pudique , le même goût passionné/ la même gravité vite muée en exaltation sans cause… “ : on note donc le refus de se positionner sur une échelle de temps. Elle préfère utiliser le participe passé “ vite muée” ou la proposition infinitive “ pour tout ce qui respire “ . L’effet obtenu est de donner un aspect extrêmement lyrique à ces souvenirs avec le champ lexical de la nature et l’énumération “ arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles”. : association du végétal, de l’animal et les éléments. On retrouve cette soif de liberté qui la rend si proche de la nature “pour tout ce qui respire” et éloignée de la société “loin des hommes” : on retrouve l’opposition entre la nature et la culture. Cette position tranchée connaît une rupture. 2. La perte de soi On assiste dans ce paragraphe à une antithèse avec la thèse développée précédemment : la narratrice soutient qu’elle n’est plus vraiment la même par un effet de rupture. Elle fait état des modifications qui touchent son caractère, avant d’évoquer par opposition le bouleversement physique. Enfin nous verrons les registres opposés. un effet de rupture Colette se fonde sur la conjonction de coordination “mais” qui se veut tranchante alors que rien ne le justifie en réalité. Cela produit un effet de contraste marquant la perte irrémédiable qui suggère des sanglots. -une perte irrémédiable Elle allègue d’une perte “j’ai perdu” s’exprimant à la voix affirmative, en décalage avec le procédé précédent, tout en conservant le passé composé, temps de l’introspection. On note une gradation au fil du paragraphe avec “j’ ai perdu presque tout” : l’adjonction de l’adverbe produit un effet de litote. En fait, elle signifie que ce passage de l’enfance à l'âge adulte est irréparable. Notons que l’auteure choisit le pronom démonstratif “ce que” en apposition, avant de procéder à l’énumération des différences entre les deux âges de la narratrice. L’accentuation est mise sur la perte elle-même, comme phénomène marquant, et non sur l’objet de la perte. -des sanglots On relève la présence d’une longue phrase complexe, sinueuse, avec ces nombreuses propositions en apposition : “c’est mon bel orgueil, la secrète certitude d’être une enfant précieuse, de sentir en moi une âme extraordinaire d’homme intelligent, de femme amoureuse, une âme à faire éclater mon petit corps…” : cela produit un effet haché, comme un sanglot. La narratrice prend enfin deux fois à témoin sa créature, avec le vocatif “Claudine,” et “Hélas, Claudine” en l’interpellant “Vous n’imaginez pas” “Ah ! que vous m’auriez aimé”. Elle l’associe à son introspection. Voyons maintenant les transformations qu’elle a subis. Elle fait état des changements de caractère et de son corps. les modifications de son être La narratrice fait état du changement dans son caractère qu’elle ramène paradoxalement à son seul corps. On a vu que le paradoxe joue sur le refus de se laisser enfermer par une logique. Examinons d’abord le premier point -une perte immatérielle L’auteure débute par une perte immatérielle : changement de caractère et de son âme. Le caractère est vu de manière méliorative “bel orgueil” , précisé par l’apposition “secrète certitude”. Elle évoque “l’âme” deux fois ; es adjectifs sont mélioratifs “précieuse”/“extraordinaire”/”amoureuse”. On est dans le champ de ce qui ne se voit pas, de ce qui constitue un être. C’est une vision spiritualiste, idéale. Mais cette vision ne dure pas. On relève l’opposition majeure dans ce paragraphe entre les deux auxiliaires, avoir : “j’ai perdu”/ “de sentir en moi” / “que je vous appartienne”/ “j’avais douze ans” et être “d’être une enfant”/ “ à ne devenir”/ “j’étais à douze ans !”: c’est bien le paradoxe du changement, le manque (avoir) qui transforme (être) Cette opposition en sous-tend de nombreuses autres disséminées. D’abord, L’auteure souligne son appartenance naturelle à l’espèce humaine avec un âge d’or qu’elle fixe à ses douze ans répétés deux fois : il s’agit de marquer cette période d’avant l’adolescence. On peut ainsi opposer “une enfant précieuse,” et l’être humain, pris dans son sens universel “d’homme intelligent”. On note ensuite une lente gradation qui concerne, cette fois, le genre masculin : “à l’homme qui la suppliait”/”de garçon” et le genre féminin : ”femme”/ “une enfant précieuse”/ “reine” : là encore, c’est une différence dans l’ordre de la nature. L’opposition que la narratrice n’admet pas, c’est celle qui concerne son corps : “être une enfant” “reine de la terre” et “à ne devenir … qu’une femme” : le verbe être se transforme avec le verbe d’état “devenir” impliquant un changement corporel, celui qui fait horreur la narratrice. - un changement corporel La narratrice fait état du changement dans son caractère qu’elle ramène paradoxalement à son seul physique. C’est en fait une manière de souligner ce qui la chagrine le plus. C’est pourquoi, on trouve le champ lexical de l’apparence physique convoquant le sens de la vue et l'ouïe : ”petit corps”/”voix”/”solide”/”deux tresses”/”mèches”/”mains”/”front”. On voit que les aspects positifs sont évoqués dans l’âge d’or. D’ailleurs elle fait le lien entre l’enfant de douze ans et “Calliope”, la déesse de la poésie. On entre dans le domaine de la toute puissance de l’enfance avec les adjectifs “solide”/ “extraordinaire” avec des noms “fouet”, avec les groupes nominaux “reine de la terre”. Le passage à l’état d’adulte n’est décrit qu’une seule fois et de manière péjorative avec la tournure restrictive : “à ne devenir après tout qu’une femme… “ les points de suspension soulignent une amertume profonde. On note aussi le changement de registres. le changement de registre L’auteure combine deux registres, l’un lyrique et l’autre tragique pour donner du relief à son texte. On a vu que c’est un procédé courant chez Colette qui manie ainsi le paradoxe. -Le lyrisme Il se mesure aux exclamations “Oui, je l’aurais dit !”/ “Vous n’imaginez pas quelle reine de la terre j’étais à douze ans ! Cela donne une fraîcheur au ton, une spontanéité également avec l’interjection “Ah ! “. On relève aussi des propos rapportés de la déesse de l’antiquité Calliope, au style direct, donnant un effet emphatique : “Qu’avez-vous fait de grand pour que je vous appartienne ? “ : on est dans le champ du lyrisme absolu avec la référence à la déesse de la poésie. Mais c’est sa combinaison paradoxale avec le registre tragique qui est intéressant. - le registre tragique Le registre tragique transparaît avec le verbe “perdu” deux fois répétés, avec la tournure “à ne devenir qu’une femme” comme on l’a vu. Mais on peut ajouter l’apostrophe “hélas” tout comme le regret exprimé par la conjonction de subordination “et comme je me regrette !” : l’effet réflexif je/moi donne toute sa force à cette opposition tragique. On note aussi le champ lexical de la mort avec la présence du verbe “éclater” ou “supplier” , ou le participe passé “trop serrées”. Ces verbes trouvent un écho avec le nom commun “fouet” et les adjectifs “ roussies, griffées, marquées de cicatrices ,”. L'enfance disparue est un deuil, une petite mort dans l’esprit de Colette. Enfin l’emploi du mode du conditionnel marque clairement le regret d’une action qui aurait pu être possible : “ Ce mot-là, je n’ oserais plus le penser à présent , mais je l’aurais dit ,quand j ’avais douze ans. “ : cela souligne l’opposition présent/passé qui est insurmontable. Pour s’en convaincre, la narratrice le répète une fois “ Oui , je l’aurais dit ! ”. Enfin, c’est à destination de son double qu’elle lance cette exclamation : “ Ah ! que vous m ’auriez aimée” : c’est aussi la marque d’un regret. On pourrait en rester sur cette impression triste, mais la vie reprend ses droits et le texte prend alors une nouvelle trajectoire avec la suite du dialogue entre la narratrice et son double. 3. La communion entre les deux âmes Dans la dernière partie de ce passage, on reste sur la note tragique avant une brusque invitation poétique. la réponse de Claudine On revient au temps du présent et la parole est rendue à Claudine ; le discours direct redonne un nouvel élan au texte avec pourtant la reprise du registre tragique qui précède la métamorphose rendue possible. -la reprise du registre tragique Mais il reste empreint du registre tragique, car le Sosie, double de la narratrice, éprouve une profonde empathie à l'égard des sentiments évoqués : “Mon Sosie sourit, d’un sourire sans gaîté” : on note la répétition sourire/sourit avec l’effet d'atténuation introduit par l’adverbe de manque “sans”. On reste, en effet, dans le champ lexical de la mort : “sans gaîté”/”creuse””joues sèches"/”si peu de chair”, avec le verbe “regrettez”. “ Ne regrettez-vous que cela ? dit-elle.” On sent pourtant que les choses ne vont pas en rester là : on va assister à une métamorphose au sens poétique du terme. -la métamorphose Colette fait alors intervenir le règne animal, celui qui est en mouvement, qui, dit-on, a plusieurs vies : “ses joues de chat”. Elle animalise ainsi Claudine avec un chat qui est l’animal préféré de Colette : cette métamorphose donne un aspect naturel et donc poétique : il prépare la communion entre la créatrice et sa créature qui se confirme par le témoignage de préférence lancé au conditionnel à la narratrice : “Alors je vous envierais entre toutes les femmes…” : c’est une valeur de certitude qui est donnée. Puis la proclamation s’arrête net avec les points de suspension qui entraînent un réenchantement du monde. une invitation poétique Un élément capital joue en rôle primordial pour l’éclosion d’un instant poétique, le silence qui voit surgir un ressort dynamique avant la mise en place de la comparaison ailée convoquant deux registres littéraires. -le silence La narratrice et son sosie respectent le silence dans une symétrie propre au miroir : “ Je me tais,”/” Claudine ne semble pas attendre de réponse”. On note la tournure négative qui, par un effet de litote, affirme donc quelque chose et le recours au verbe d’état “semble” qui induit une certaine distance entre elles. Ce silence s’installe avec ses redondances “pensée”/ “en silence”/”immobile”. On est sur un temps où l’émotion prend toute sa place “je sens”. Cette manière d’éprouver les choses est manifestement habituelle comme l’indique la locution d’habitude “Une fois encore”. Loin de tomber dans une profonde léthargie, c’est au contraire un moment dynamique qui se met en place. -le ressort dynamisme On relève qu’il s’agit d’une expérience spirituelle avec les noms “pensée”/”au-dessus de ces deux corps immobiles” : on a ainsi une opposition entre le corps qui reste vissé au sol et l’esprit qui se déploie. Et c’est, en effet, l’esprit qui joue désormais un rôle central. Colette, comme toujours, utilise un paradoxe en employant des verbes de mouvement : “a rejoint”/“épouse”/“s’élève”/”suspendre” /“disjoindre”. Il s’agit de montrer dans un instant apparemment statique entre deux êtres vus par l’adjectif qualificatif “pareils” une union spirituelle,“la pensée de mon cher Sosie” /”ma pensée”. La comparaison peut se mettre en place. -la comparaison avec un hibou C’est à un oiseau que Colette fait référence expressément “comme les doux hiboux” : on note le choix de la nuit pour illustrer cet instant poétique qui est long avec le terme “crépuscule”/“nuit”/ “lentement”. C’est le temps du rêve, de l’imaginaire. Pour donner une impression saisissante, l’auteure met les trois adjectifs qualificatifs en apposition donnant un rythme ternaire : “Jointes, ailées, vertigineuses” : elle convoque ainsi des sens qui sont si importants dans la description colettienne. En premier lieu la vue : “jointes” signifiant l’union, ”vertigineuses” la hauteur est nommée de manière hyperbolique et “verdissant”, la couleur embrasse le ton général de la végétation. L’adjectif “ailées” rappelle l'ouïe, le bruissement des ailes. Elle ajoute le toucher qui joue un rôle hyperbolique” doux hiboux veloutés”, faisant référence au plumage que l’on pourrait caresser. C’est donc un instant de communion où un sentiment fort “la passion” s’exprime. - la combinaison des registres Le registre est d’abord lyrique avec la référence à peine voilée à Lamartine "'ô, temps suspends ton vol". Mais reformulée de manière interrogative : “Jusqu’à quelle heure suspendront-elles leur vol”. C’est déjà rompre le charme avec le verbe “disjoindre” soit la rupture et “dévore” c’est-à-dire la mort : ces verbes appartiennent donc au registre tragique accentué par les points de suspension qui crée un effet de malaise. Le pouvoir de la création est donc soumis au aléa du temps et à la finitude humaine. L'enjeu poétique : le rossignol
- “Manon Lescaut” (Prévost) : marginalité et romanesque
Bac : La notion de personnages en marge implique que les héros soient loin du centre et donc en périphérie. Il sera aussi question de montrer comment cette vie à l’écart du héros procure un agrément aux lecteurs. "Manon Lescaut", le roman de la transgression, un nouveau genre littéraire ? Entrant dans la composition d’une vaste œuvre intitulée Mémoires d’un homme de qualité, Manon Lescaut en constitue un 7e et avant-dernier tome, c’est un roman à part… Manon Lescaut (Prévost) : marginalité et romanesque Il vous est proposé un dossier pour le bac de français consacré au roman de l’abbé Prévost . Les programmes officiels posent la problématique : personnages en marge, plaisirs du romanesque. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Cela signifie qu'il faut rechercher deux notions : " Manon Lescaut" (Prévost) : marginalité et romanesque. Voyons ces deux notions, si vous le voulez bien. Marginalité La notion de personnages en marge implique que les héros soient loin du centre et donc en périphérie. Il y a lieu de remplacer le centre par la norme ; les personnages sont créés pour être en rupture avec la manière de vivre de leurs contemporains. C’est cette opposition au reste du monde qui est au coeur de l’interrogation proposée au bac. Romanesque Il sera aussi question de montrer comment cette vie à l’écart du héros procure un agrément : cette fois-ci, c’est le rapport entre le personnage et le lecteur qui nous intéresse et c’est pour mieux souligner le travail de l’auteur : focalisation du récit, choix des aventures, registres littéraires convoqués… Plan et problématique Il ressort de ce qui précède que la problématique peut se formuler comme suit : Manon Lescaut, le roman de la transgression, un nouveau genre littéraire ? Il vous sera proposé un dossier contenant des articles suivants : Le choix du titre du roman Aujourd’hui, il est d’usage de parler du roman de Manon Lescaut et donc d’escamoter le titre qui est curieusement raccourci. Revenons à l’intention particulière de l’auteur dans l’intitulé complet de son roman qui évoque en réalité les deux principaux héros. Deux personnages Le titre de ce roman est le suivant : “La véritable Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut”. Nous allons le décomposer pour mettre en lumière trois éléments particuliers : véritable Histoire, chevalier des Grieux, Manon Lescaut. Histoire et Mémoires À la date de la publication de l'œuvre, en 1731, le roman n’est pas un genre littéraire majeur. L e XVIIIe siècle est, en effet, le siècle des idées philosophiques et non du roman, perçu comme une production somme toute légère, facile, voire vulgaire. C’est la raison pour laquelle les écrivains choisissent des titres commençant par “Mémoires” ou “Histoire”, deux termes qui donnent des gages de “vérité” et donc de sérieux. L’abbé Prévost (ou “l’auteur” de cette histoire comme nous verrons l'ambiguïté de la signature du roman au moment où il a été publié) nous en livre la double confirmation avec l'intitulé “La véritable Histoire”. Le “vrai” est paradoxalement à l’honneur dans cette pure fiction que ce soit dans le portrait des milieux sociaux, dans les détails géographiques, ou dans les portraits moraux des personnages souvent nommés comme s’ils existaient par des initiales : ex : M. B…, M de G…M… le père, G… M le jeune etc… Les lecteurs de l’époque aimaient percer l’identité réelle des personnages dans une ambiance de folles rumeurs, voire de controverses (etc…), propre à la vie bouillonnante des salons littéraires. Le terme “histoire” donnait donc une impression de sérieux, échappant au préjugé défavorable du romanesque. Une autre raison justifie ce titre ; il entre dans la composition d’une vaste œuvre intitulée Mémoires d’un homme de qualité et dont Manon Lescaut constitue le 7e et avant-dernier tome comme nous l’avons vu précédemment. L’abbé Prévost a choisi en outre de lier les deux héros dans le titre. Chevalier des Grieux C’est lui qui est nommé en premier dans le titre qui est évoqué en premier dans l’avis au lecteur. Pourquoi ? C’est parce que c’est le héros de l’action, celui qui raconte l’histoire de sa vie comme nous le verrons avec son statut de narrateur qu’il dispute à l’homme de qualité. Mais c’est par son attribut nobiliaire qu’il apparaît puisqu’il est chevalier de l’ordre de Malte. Et si ce titre est mentionné, c’est pour mieux l’opposer à la présentation de l’héroïne, Manon Lescaut. Manon Lescaut Elle est présentée par son prénom et son nom. On souligne par là sa position sociale qui est inférieure à celle de son amant. Manon Lescaut est une fille du peuple qui n’a pas vocation à épouser Des Grieux. Des barrières sociales surgissent entre eux. Dans le titre, on relève donc à la fois la présence entre l’homme et la femme, mais surtout la provenance sociale qui les oppose. Décadence Avec le titre complet, on comprend que le roman se fonde sur une déchéance sociale de Des Grieux. Il ne s’agit pas d’un roman d’amour ou d’aventure, mais d’un roman sur la remémoration d’une passion comme le dit Jean Sgard. Nous y reviendrons dans le dossier. La réduction du titre qui n’évoque désormais plus que l'héroïne pose en définitive des problèmes de compréhension véritable du roman. Découvrons le contexte historique du roman. sources : Sylviane Albertan-Coppola, Abbé Prévost : Manon Lescaut, Études littéraires, PUF Jean Sgard, Les labyrinthes de la mémoire, PUF Le contexte du roman Si le roman est écrit par l’abbé Prévost sous la Régence (1731) au temps du siècle des Lumières, il choisit de le situer sur une période antérieure, celle du Grand Siècle de Louis XIV et donc du XVIIe siècle. Commençons par la datation du récit, si vous le voulez bien. Datation du récit Jean Sgar* a examiné les aventures des héros en scrutant la chronologie des événements racontés : juillet 1712 : rencontre de Des Grieux et Manon ; vie commune à Paris, août 1712 - août 1713 : Des Grieux vit en reclus dans sa famille à Amiens sept 1713-sept 1714 : Des Grieux vit à St Sulpice (Paris), sept 1714 : Des Grieux retrouve Manon, fuite des amants octobre 1714 : nouvelle vie commune à Chaillot, hiver 1714-1715 : ils vivent trois mois en prison à St Lazare et à l’Hôpital, 1e mois de 1715 : évasion et fragile bonheur du couple, décision de déporter Manon février 1715 : rencontre à Pacy entre Des Grieux et le narrateur : début du récit avril 1715 : deux mois de navigation jusqu’en Louisiane de Des Grieux et Manon, juin 1715 à mars 1716 : vie des deux amants à la Nouvelle Orléans avril 1716 : mort de Manon, octobre 1716 : retour de Des Grieux et 2e rencontre à Calais avec le narrateur : suite du récit. Ainsi le roman se situe sur une durée de quatre ans et trois mois qui couvre essentiellement le règne de Louis XIV (qui décède le 1er septembre 1715). La Régence, qui naît par la suite, ne concerne que la période se déroulant en Louisiane. À ce sujet, Jean Sgard note un anachronisme dans ce roman : la Nouvelle-Orléans a été créée en… 1717, soit deux ans plus tard par rapport à la date retenue par l’écrivain. Mais peu importe, car ce roman n’est pas un livre historique ainsi que nous le verrons. Pour comprendre ce livre, il convient de nous intéresser au contexte de la fin de règne de Louis XIV avant de mesurer les enjeux sous-jacents puisque les repères historiques donnés sont d’ordre symbolique. Louis XIV Dans un article consacré à la Bruyère , nous avions évoqué le Grand Siècle depuis la Fronde jusqu'à l'édification du château de Versailles. Il convient de préciser l’atmosphère des dernières années du roi Soleil. À Versailles, siège du pouvoir politique, il règne un climat figé : la cour est plongée dans un rigorisme religieux dûment prôné par madame de Maintenon (la seconde épouse, morganatique, du roi), les divertissements ne doivent pas détourner les courtisans de la recherche du salut. Dans le royaume, la société est toujours corsetée dans des normes sociales étanches. Il n’y a pas de mobilité sociale comme on dirait de nos jours. On appartient ainsi à la classe qui vous a donné le jour sans possibilité d’évolution. On vit donc dans sa "caste" avec des gens qui vous ressemblent. Si l’on est un aristocrate, on fraye avec ses pairs ; si l’on est du peuple, on a très peu de contact avec la haute société. Si l’on est bourgeois et que l'on s'élève socialement, c’est uniquement en raison d’une fortune nouvellement acquise, laquelle ne vous ouvrira pas les portes du “beau monde”. Mais il existe un lieu où ce climat diffère, c’est Paris. Paris Paris fait au contraire figure de lieu où recèlent de multiples divertissements. On y trouve des endroits licencieux avec des cercles de jeux et des maisons de prostitution ; par ailleurs, la corruption y est généralisée. Bref, c’est l’immoralité qui prévaut, ce qui est différent à l’époque de la Régence puisque la Cour de Philippe d’Orléans adoptera elle aussi des mœurs libertines. Pourquoi l’auteur a-t-il donc choisi cette période en toile de fond ? Pour montrer l’étendue du déclassement social de Des Grieux. Déclassement social Nous avons vu que ce roman se situe dans le contexte où l’entreprise de transgression commise par les deux amants se révèle choquante, ce qui ne serait pas aussi évident sous la Régence. Le monde de “Manon Lescaut” est celui où règne la stabilité, la morale et la religion. Voyons la géographie de ce roman. source : *Jean Sgard, Les labyrinthes de la mémoire , PUF La géographie du roman Si Manon Lescaut n’est pas un roman historique, il n’est pas davantage un roman d'aventures. Et pourtant, on y trouve beaucoup de péripéties, mais cela ne suffit pas à en faire un roman picaresque puisque ce n’est pas le but recherché par l’abbé Prévost. Au même titre que la période historique dûment choisie, la géographie du roman ne doit rien au hasard : elle doit mettre en évidence les points suivants : le mouvement, la locomotion, le non-exotisme, la transgression, un dynamisme. Reprenons ces quatre points, si vous le voulez bien. Mouvement Manon Lescaut est un hymne au mouvement. Il vous est vivement conseillé de vous reporter au tableau synthétisant les péripéties du livre. Ces mouvements partent de l’extérieur pour aboutir jusqu’aux mouvements intérieurs du cœur. C’est particulièrement plaisant pour le lecteur qui ne s’ennuie pas. S’agissant des premiers, le roman regorge de fuites, d’enlèvements, de séquestrations, d’emprisonnement, d’évasion, etc… On assiste à de nombreux voyages de la province à Paris, de Paris à Chaillot (à l’époque un village tranquille hors de la capitale), de Paris à Pacy, du Havre à La Nouvelle-Orléans, et du retour en France. Même à Paris, on passe d’un lieu à un autre avec des précisions, théâtre, hôtel particulier de M de T…. Au début de l’histoire d’amour, le rythme est étourdissant et s’explique par le caractère léger de Manon qui n’aime pas demeurer longtemps dans un endroit ; elle s’y ennuie vite. Tout est donc divertissement, dont l’étymologie divertere signifie se détourner. Dans cette passion, le bonheur des amants ne dure jamais, connaît de nombreuses péripéties rocambolesques et finit dans des conditions dramatiques. Mais on assiste, à mesure de la lecture, à un ralentissement de l’action notamment en Louisiane où le mouvement se fait, par la force des choses, plus rare et paradoxalement plus intérieur. Les amoureux partagent enfin les mêmes élans de cœur. Mais ce bonheur ne dure pas à nouveau et deux mouvements à la fois soudains et déterminants, le duel et la fuite dans le désert, viennent redonner un rythme avant le terme de l’aventure. Pour évoquer ces mouvements, l’abbé Prévost a investi le champ lexical de la locomotion. Locomotion La locomotion signe le mouvement. Et l’écrivain ne ménage pas sa peine pour narrer les aventures de ses héros empruntant des chevaux, des coches, des carrosses, ou des chaises à porteurs. À l’époque, cette manière de voyager coûte excessivement cher ; cela constitue même un véritable luxe dans cette France de la fin du XVIIe siècle. C’est un marqueur social fort pour Manon Lescaut qui ne rêve que de se promener en carrosse. Et c’est pourtant à pied que les deux personnages se trouvent à la fin appelés à se déplacer. C’est alors le signe d’une déchéance sociale pour les héros. Dans la description de la Nouvelle-Orléans, il faut noter le choix de l’abbé Prévost; Le non-exotisme L’auteur a entrepris de présenter cette contrée lointaine sous un jour défavorable. Il n’y a pas un seul élément d’exotisme. Tout y est hostile : la nature, les gens, l’habitat… C’est un immense terrain vague où le bonheur que connaissent les deux amants est là encore fugitif. La Nouvelle-Orléans est une utopie qui s’effondre et derrière cet échec, il y a la mort. La question qui peut se poser est celle de savoir le rôle de la géographie. Faisant le parallèle avec le contexte historique qui nourrit l’effroi de la transgression des deux amants, la géographie joue aussi un rôle de révélateur. La transgression, un dynamisme Si l’on part de lieux clos (France) pour aboutir à une immensité désolée (Amérique), c’est aussi pour montrer le dynamisme de la transgression qui a besoin de bornes à franchir pour exister. Mais lorsque l’ailleurs n’a pas de limites, il n’y a plus rien à transgresser : le duel, insolite dans cette terre lointaine, débouche sur le néant avec la mort de Manon. Voyons la question du narrateur dans ce roman. source : Jean Sgard, Les labyrinthes de la mémoire, PUF La question du "je" nous analyserons aujourd’hui la question du “je” dans le récit lui-même. Nous excluons l’auteur dans son avis qui sera traité dans l’article suivant. Perspective subjective Ce livre est écrit à la première personne du singulier. Il diffère des romans du XVIIe siècle rédigés de manière impersonnelle. L'abbé Prévost a choisi une perspective subjective qui crée une relation de confiance avec le lecteur : il instaure un lien de connivence et de proximité dans le cadre de la lecture. Mais pour autant, le recours à ce procédé stylistique qui est une singularité de cette œuvre bouleverse le genre romanesque. Pourquoi ? Narrateurs Il faut noter que ce n’est pas la même personne qui s’exprime tout le long du roman proprement dit (nous verrons le cas de l’avis de l’auteur dans un autre article) : on compte en réalité deux narrateurs dans l’ordre chronologique : monsieur de Renoncour, le chevalier Des Grieux, Si l’emploi du “je” constitue un point de vue subjectif, il n’en demeure pas moins que le narrateur s’exprime avec son propre point de vue, forcément interne, et avec ses émotions : c’est donc un narrateur peu fiable sur le plan de la vérité. Nous verrons que Renoncour jure de sa bonne foi, à l’inverse de Des Grieux. Pour ce dernier, ce n’est pas cette objectivité qui est recherchée, c’est la remémoration de l’histoire passée. Monsieur de Renoncour C’est le premier narrateur, il prend deux fois la parole : au début du livre, à la fin de la première partie. pour permettre au héros de se reposer et de dîner avec son auditoire Au début du roman, il évoque par allusion sa solitude, élément qui ne doit rien au hasard : c’est pour nous le présenter comme un être sensible, ce qui fait donc de lui le meilleur interlocuteur possible. De fait, Renoncour sait écouter et sait aider à l’occasion (cf. Il offre de l’argent à Des Grieux et aux gardes lors de l’épisode de Pacy). C’est en outre celui qui est touché par la fin de l’histoire puisqu’il ne reprend plus la parole. C’est enfin un homme de qualité qui s’efface devant son interlocuteur : il le fait avec des gages donnés au lecteur comme le confirme l’analyse du passage ci-après selon la méthode des 6 GR OS SES C LE FS ©. Il s’agit de prendre le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant : 6 GR OS SES C LE FS Gr : grammaire C : Conjugaison OS : oppositions le : champ lexical SE : les 5 sens FS : figures de style “Je dois avertir ici le lecteur que j’écrivis son histoire presque aussitôt après l’avoir entendue , et qu ’ on peut s’assurer,par conséquent , que rien n ’est plus exact et plus fidèle que cette narration. Je dis fidèle jusque dans la relation des réflexions et des sentiments que le jeune aventurier exprimait de la meilleure grâce du monde. Voici donc son récit, auquel je ne mêlerai, jusqu’à la fin, rien qui ne soit de lui. “ Dans ce court extrait, Renoncourt précise le contour de son statut d’écrivain : c’est l'ouïe qui est convoquée : le verbe entendre s’oppose au toucher avec “écrivis”. Tout le récit est fondé sur l’oralité de la confession de Des Grieux. Le narrateur exerce la fonction de rapporteur d’une histoire. Son statut l’oblige à préciser l’authenticité des propos rapportés. La problématique qui se pose est donc celle de sa transcription avec pour corollaire, son authenticité. Pour cela, trois points sont à relever : le facteur temps, l’interpellation du lecteur, les gages d’authenticité le temps Le narrateur cherche à gommer la barrière du temps entre ce qui a été dit et ce qui a été retranscrit. On trouve ainsi trois connecteurs précis “presque aussitôt après” qui prouvent la prompte fixation du discours. L’emploi de l’infinitif passé “après l’avoir entendue” joue un effet de redondance sur son caractère immédiat. Enfin l’emploi du passé simple, “j’écrivis son histoire” achève d’en faire une action soudaine : on comprend donc que le narrateur a restitué l’histoire en une seule fois, pour ne rien oublier. Ces précautions de langage sont associées à l’interpellation du lecteur interpellation du lecteur On peut dire que cette adresse directe au lecteur rappelle l’avertissement placé au début du roman. Mais nous verrons dans l'article suivant toute l'ambiguïté de cet “avis de l’auteur”. On peut dire que Renoncour s’adresse directement au lecteur avec l’emploi du présent de l’indicatif qui résonne pour toute éternité : “Je dois” /”Je dis”. Ce dernier n’est plus passif dans cette lecture, il est interpellé par le narrateur avec les verbes “avertir” “s’assurer” : un pacte entre les deux se forme. gages donnés Le narrateur recourt à un effet logique entre le récit immédiatement couché sur le papier et son authenticité : il le fait grammaticalement avec l’emploi de deux propositions coordonnées “ je dois avertir” et “et qu’on doit s’assurer” donnant un effet de liaison à laquelle il adjoint la locution conjonctive “ par conséquent”. Il nous assure ensuite de ce qu’il n’a pas commis d’erreur sur le fond : il utilise des adjectifs redondants accentués par le comparatif de supériorité “plus exact et plus fidèle que cette narration”. avec l’adverbe “jusque” Il détaille en outre le degré de vérité du discours rapporté avec la répétition “je dis fidèle”: dans son esprit, il ne s’agit donc pas que des faits rapportés par celui qu’il nomme avec la périphrase “jeune aventurier”, mais aussi des impressions “des réflexions et des sentiments”. C’est ainsi un récit complet qui nous est donné à lire. Le statut d’écrivain de cette histoire est paradoxalement limité à son seul rôle de transcripteur. Il l’indique curieusement avec la phrase déclarative négative “je ne mêlerai, jusqu’à la fin, rien” au futur faisant le pendant avec l’effet absolu du présent “je dois” qui ouvre sur la proposition relative toujours à la voix négative et au subjonctif : “rien qui ne soit de lui” : effet redondant garanti. Nous avons donc un narrateur qui s’efface devant le héros de cette histoire. Évidemment, c’est une tournure de style puisque le récit est au contraire strictement construit et qu’il est fondé sur une analepse, le retour en arrière avec la rencontre de Manon et Des Grieux. Nous sommes dans une posture romanesque de Renoncour qui, loin d'être un simple scribe, joue un rôle trouble comme nous pouvons le voir avec l’avis de l’auteur. Il transgresse les lois de la vérité pour le plus grand plaisir du lecteur. Quant à Des Grieux, il n’y a pas d’objectivité dans son discours qui est tourné sur un autre objectif : comprendre ce qui lui est arrivé. Des Grieux C’est le héros qui s’exprime le plus ; il le fait à partir de sa rencontre avec Renoncour à Calais jusqu'à la fin du livre avec une suspension de ce dernier à la fin de la première partie Il n’est jamais interrompu par son auditoire suspendu à ses lèvres. Le récit s’achève sur les seules paroles de De Grieux, sans qu’il n’ait été apporté une morale de l'histoire. Des Grieux procède avec de nombreux effets de prolepse, donnant le goût de poursuivre la lecture, par l’annonce de faits à venir. Des Grieux narre ses aventures non pour les autres, mais au fond pour lui-même : il cherche à en comprendre le sens. Nous verrons ce point en détail dans un article dédié. Découvrons l'ambiguïté de l’auteur dans l’avis au lecteur. sources : Jean Sgard, L es labyrinthes de la mémoire, PUF Sylviane Albertan-Coppola, Abbé Prévost : Manon Lescaut, Études littéraires, PUF L'ambiguïté de "l'auteur" Il existe une troisième voix dans ce roman avant que ne s’expriment Renoncour et Des Grieux : il se nomme "l'auteur". Qui est donc cet “auteur” ? Si de nos jours, cette question semble, voire stupide parce que le nom de l’écrivain, l’abbé Prévost, est mentionné, il n’en était pas de même au moment où le roman a été publié. Contexte Ce livre a été publié à Amsterdam en 1731 avec la mention du nom de Prévost d’Exiles comme éditeur. On rappelle que c’est le 7e tome des Mémoires d’un homme de qualité. Logiquement, le roman est donc la suite de l’autobiographie et son auteur ne serait que… Renoncour. C’est dans cet esprit qu’il faut lire cet avis en nous rappelant que nous sommes au temps de la censure où toute œuvre est soumise à l'examen de l’Etat. Cet avis joue donc un rôle très important pour échapper à son interdiction : il nous renseigne sur les objectifs poursuivis par son auteur. La problématique qui se pose est celle de révéler ce que veut dire vraiment l’auteur dans le style du XVIIIe siècle : bref, nous devons lire entre les lignes et relever l’art d’écrire qui sous-tend cet avis. Nous verrons deux points : un auteur fictif, la description faussement péjorative de l'œuvre et sa condamnation morale. Analysons ensemble ce texte avec la méthode des 6 GR OS SES C LE FS ©. Il s’agit de prendre le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant : 6 GR OS SES C LE FS Gr : grammaire C : Conjugaison OS : oppositions le : champ lexical SE : les 5 sens FS : figures de style “/ Quoique j’ eusse pu faire entrer dans mes Mémoires les aventures du chevalier des Grieux,/ / il m’ a semblé/ que, n’ y ayant point un rapport nécessaire , le lecteur trouverait plus de satisfaction à les voir séparément . Un récit de cette longueur aurait interrompu trop longtemps le fil de ma propre histoire. Tout éloigné que je suis de prétendre à la qualité d’écrivain exact , je n’ ignore point qu’une narration doit être déchargée des circonstances qui la rendraient pesante et embarrassée ; c’est le précepte d’Horace : Ut jam nunc dicat jam nunc debentia dici, Pleraque differat, ac praesens in tempus omittat. Il n ’est pas même besoin d’une si grave autorité pour prouver une vérité si simple ; car le bon sens est la première source de cette r ègle./ /Si le public a trouvé quelque chose d’agréable et d’intéressant dans l’histoire de ma vie, j ’ose lui promettre qu’ il ne sera pas moins satisfait de cette addition. Il verra dans la conduite de M. des Grieux un exemple terrible de la force d es passions. J ’ai à peindre un jeune aveugle qui refuse d’être heureux pour se précipiter volontairement dans les dernières infortunes ; qui , avec toutes les qualités dont se forme le plus brillant mérite , préfère par choix une vie obscure et vagabonde à tous les avantages de la fortune et de la nature ; qui prévoit ses malheurs sans vouloir les éviter ; qui les sent et qui en est accablé sans profiter des remèdes qu’ on lui offre sans cesse , et qui peuvent à tous moments les fin ir ; enfin u n caractère ambigu, un mélange de vertus et de vices, un contraste perpétuel de bons sentiments et d’actions mauvaises : tel est le fond du tableau que je présente ./ Les personnes de bon sens ne regarderont point un ouvrage de cette nature comme un travail inutile. Outre le plaisir d’une lecture agréable, on y trouvera peu d’événements qui ne puissent servir à l’instruction des mœurs ; et c’est rendre, à mon avis, un service considérable au public que de l’instruire en l’amusant.”/ https://fr.wikisource.org/wiki/Manon_Lescaut/Avis_de_l’Auteur 1.Un auteur fictif La démarche de Prévost est de se cacher derrière le personnage de son œuvre, monsieur de Renoncour. Cet univers de fiction prend donc une autre dimension : le flou s’installe. On entre donc dans une fausse réalité qui atténue la portée des objectifs littéraires affichés. Trois arguments sont utilisés pour justifier, “prouver”, la publication séparée de ce récit : un argument lié à sa singularité, à sa longueur et enfin au respect des règles classiques. - sa singularité La singularité vient de l’opposition entre l’autobiographie de Renoncour “mes mémoires” et l’histoire de Des Grieux “les aventures”, soit deux genres distincts : l’un subjectif, l’autre rapporté. On sait que ce sont deux oeuvres totalement fictives, ce qui en réalité détruit la portée de cet argument. Dans cette première phrase, nous voici en présence de ce style, si distinctif, créé à partir d’une seule phrase complexe comprenant trois subordonnées, et employant trois modes de conjugaison, le subjonctif, l’indicatif et le conditionnel. Cette manière d’écrire se retrouve tout le long du roman se fondant sur la forme qui comprend des tournures de style, des redondances formant un rythme bancal qui vise au fond à exprimer plus de nuances. Ainsi “l’auteur” met en apposition une proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de concession pour souligner son importance. “Quoique j’eusse pu”. La conjonction “quoique” signifie que la cause n'entraîne pas la conséquence attendue. En l’occurrence, le reste de la phrase va nous démontrer que cette solution n’a jamais été vraiment envisagée : c’est donc une formule de style. Comme l’emploi du subjonctif plus-que-parfait le révèle : rappelons que le subjonctif est le mode de la réflexion. Le choix du temps, le plus-que-parfait, a pour effet de souligner une action très incertaine. Cela revient à dire que l’auteur n’a en fait jamais sérieusement considéré l’option d’insérer Manon Lescaut qui s’oppose par sa singularité à l'œuvre totale. Comment le voit-on ? Par la concordance des temps qui est volontairement bancale : normalement, c’est l’imparfait qui aurait dû figurer, “il me semblait”. Or, la principale est au passé composé de l’indicatif : “il m’a semblé”. La valeur de ce temps évoque une action qui vient de de se passer, ce qui donne une forme de spontanéité de l’écrit. Nous verrons que cette fausse spontanéité est une constante dans ce roman. Nous avons donc affaire à un début de phrase alambiqué ; ce côté sinueux se poursuit avec l’emploi de deux verbes à l’infinitif ‘faire entrer” donnant une impression de lourdeur. La principale “il m’a semblé que” introduit une proposition subordonnée complétive qui, elle-même, ouvre sur une subordonnée participiale “n’y ayant point un rapport nécessaire”. On est donc sur une accumulation de propositions affirmative, négative, affirmative qui s'emboîtent pour ralentir le rythme de la phrase volontairement lent et haché. L’emploi de la forme négative ” ne… point”, de l’adverbe “y” et le participe présent “ayant” donne un effet purement déclaratif : rien n’est démontré, mais posé comme une évidence. On note la périphrase “rapport nécessaire” pour évoquer la différence qui sera répétée avec l’adverbe "séparément" donnant un effet de redondance. “L'auteur" fait ensuite un lien entre le lecteur dont il lit les pensées et les deux récits avec le pronom personnel “les” : “que le lecteur trouverait plus de satisfaction à les voir séparément.” Le conditionnel présent a pour valeur d'émettre une probabilité certaine qui va de pair avec le comparatif de supériorité “plus que”. - la longueur du texte L’auteur fait en outre état d’une raison pratique : le confort du lecteur qu’il affiche comme justification. Notons que cet argument sur la longueur est exprimé paradoxalement en une seule phrase simple. Il repose sur l’opposition entre la “longueur” du texte et la durée de la lecture “longtemps”. Le plaisir du lecteur est donc le but recherché par l’auteur. Mais un troisième argument d’ordre théorique est censé emporter définitivement la conviction du lecteur : la tradition. - la tradition littéraire L’auteur cite le poète latin Horace, mais sans se comparer à lui : “Tout éloigné,” prétendre” “écrivain exact” : il le prend comme figure tutélaire pour justifier de son choix. On peut traduire la citation latine : qu'il dise tout de suite ce qu'il est nécessaire de dire immédiatement et remette le reste à plus tard. Qu'est-ce qu’on peut en déduire ? L’auteur révèle en fait toute l’importance de ce récit de Des Grieux à ses yeux. Il parle cette fois pour lui-même et non pour le lecteur. Le champ lexical de l’écriture domine dans ce paragraphe avec des verbes de mouvement : “faire entrer”, “voir”, “interrompu”, “éloigné” “déchargée” "embarrassée". Cette référence renvoie la suite des mémoires “ma propre histoire” à un autre volume. Après avoir asséné cette citation élevée au rang de précepte, l’auteur dit l’exact contraire dans la phrase suivante : il le fait avec le présent de vérité générale et deux verbes être qui sont des verbes d’état et non de mouvement. La figure tutélaire est renvoyée d’un revers de main avec la phrase déclarative à la forme négative : “Il n’est pas mêmebesoin d’une si grave autorité”. Cela donne un effet péjoratif conforté par l’adverbe “même”. Pire le rapport de cause à effet est là encore faussé : pas besoin d’une si grave autorité /pour vérité si simple. On note l’opposition entre “grave” et si simple”. La fausse proposition de coordination introduite par “car” vient ajouter de la confusion. La théorie ne sert à rien, “le bon sens” suffit. 2. La description méliorative de l’œuvre C’est en établissant un parallèle entre les Mémoires et les aventures de Des Grieux que l’auteur décrit la vie du héros : il utilise une métaphore filée, expose les péripéties sous un angle "publicitaire" avant d’exposer la morale. -la métaphore filée Il le fait avec le comparatif d’égalité “’il ne sera pas moins satisfait “. Notons que l’auteur change d’échelle du lecteur, on passe au “public”, auditoire plus large. Pour cela, il recourt à la métaphore filée de l’art : “peint”/”fond du tableau” : la description est en effet visuelle et le héros est présenté sous l’angle de la vue “un jeune aveugle”, une métaphore pour désigner ses erreurs. -Une "publicité" On a affaire à une sorte de réclame pour le livre qui doit tenir ses promesses : “promettre” avec la redondance “agréable et d’intéressant”. D’emblée, c’est sous le signe du “plaisir” du lecteur que ce récit est placé. Pour susciter l’envie, l’auteur évoque en premier lieu, une analepse, la fin de l’histoire présentée d’une manière plaisante avec le verbe au futur “il verra” et l’opposition entre : “exemple terrible” et “la force des passions.” Le sujet romanesque rend la lecture captivante : on est dans le registre de la passion qui au XVIIIe siècle est un thème en vogue. Ensuite, la description des diverses aventures donnent un avant-goût du plaisir de la lecture. On retrouve la tournure grammaticale particulière déjà utilisée : la succession de propositions juxtaposées se décomposant elles-mêmes en d’autres, créant ainsi un jeu de miroir. On a un effet de mise en valeur des péripéties. Ainsi la principale “J’ai à peindre un jeune aveugle” ouvre sur une multitude de propositions subordonnées relatives “qui refuse d’être heureux”/ “qui, avec toutes les qualités”/”, “qui prévoit ses malheurs sans vouloir les éviter ; qui les sent et qui en est accablé “. Ces propositions relatives se décomposent elles-mêmes en subordonnée infinitive “pour se précipiter volontairement”, ou en propositions relatives “dont se forme le plus brillant”/ ”qu’on lui offre sans cesse, et qui peuvent à tous moments les finir” : le rythme est enlevé, distrayant, les aventures nombreuses. La richesse narrative résulte des oppositions entre les termes “heureux”/infortunes”, “brillant/obscure”, “vertus/vices”, "bons sentiments et d’actions mauvaises”. On voit enfin que la description, loin d’être condamnable, repose sur une présentation méliorative : “force des passions”, “qualités”, ”le plus brillant mérite”/ “accablé”. On entre dans le registre lyrique et pathétique. Ce que recherche l’auteur, c’est de montrer le mouvement, l’oscillation “contraste perpétuel” entre le bien et le mal. C’est la vie qui est en elle-même le sujet du récit. Après avoir exposé le résumé, “commercial”, de l'œuvre, l’auteur nous invite à en découvrir la morale. -la morale L’avertissement débouche sur la morale de l’histoire, laquelle devrait aboutir à un jugement sévère. Paradoxalement, c’est une fausse condamnation, car le champ du plaisir est convoqué en premier “ le plaisir d’une lecture agréable” avant l’évocation même des “mœurs”. La morale ne peut être comprise, non plus par “le public”, mais par “les personnes de bon sens”, périphrase pour parler de personnes éduquées. L’emploi du futur fait ici fonction de certitude “regarderont “. Pour les besoins de la cause, c'est-à-dire passer la censure, l’auteur reprend la tradition du fameux “placere et docere”, “plaire” pour instruire, cher à Horace qui n’est pas expressément nommé. Mais on sent trop de légèreté dans cette affirmation pour qu’elle soit prise réellement au sérieux. Pour donner le change, l’auteur évoque le rôle instructif de la littérature avec le champ lexical de l’utilité : non un “travail” qui n’est pas “inutile”, tournure sous forme de litote, procédé repris “n'y trouvera peu d’événements qui ne puissent servir”. Enfin on obtient une redondance avec “rendre une service considérable”. On retrouve “le public” qui redevient le cœur de cible du roman. Dans le paragraphe suivant, nous verrons comment ce roman est celui de la transgression sociale. La transgression sociale Nous vous invitons à vous pencher sur le contexte historique du livre pour comprendre la nature des manquements aux lois commis par les deux héros. Échelle sociale Nous avons déjà indiqué que ce livre nous invite à une réflexion sur la décadence sociale. Voyons ensemble la position initiale des héros avant d’examiner la décadence dans laquelle ils ont sombré. Les choix que font les deux amants ont une incidence sur leur positionnement social. Pour Manon, c’est d’abord l’ascension avant la chute brutale ; pour Des Grieux, c’est une descente progressive de l'échelle sociale. Situation initiale Des Grieux est le fils cadet d’un aristocrate, veuf, de province. C’est un jeune homme candide, brillant, doué pour les études. Il dispose ainsi d’une culture savante fondée sur des auteurs sérieux. Son père le destine à une carrière ecclésiastique ( soit dans l'Église) pour laquelle il présente des prédispositions. Il porte déjà le titre prestigieux de chevalier de Malte. De Grieux est soumis en tout point à son père auquel il est très attaché. Il respecte par ailleurs les lois de sa caste : la vertu et l’honneur bornent sa conduite jusque-là irréprochable. La rencontre avec Manon Lescaut rompt cette belle destinée toute tracée. Vertige social de Manon Cette dernière occupe une situation diamétralement opposée à la sienne : elle est une jeune fille d’un milieu modeste, très peu dotée, ce qui l'empêche de se marier. C’est d’abord pour une raison financière que ses parents la placent au couvent. Gageons qu’elle se situerait certainement à un faible rang dans l’organisation monastique. Mais Manon avec son caractère extravagant et sa beauté incroyable a tout d’une aventurière. Sa famille qui la connait s’est méfiée de son net penchant pour ses frasques : ils ont choisi pour elle un lieu clos à l’abri des tentations du monde pour cette deuxième raison. Mal leur en a pris, car après sa fuite, elle se lance à corps perdu dans les relations galantes qui lui ouvrent la voie vers les plaisirs et les divertissements. Manon est prête à vendre ses charmes pour vivre ou survivre. À Paris, la vie qu’elle mène est brillante : de beaux vêtements, des bijoux de valeur, l’usage de carrosses, des domestiques, des spectacles, des hommes à ses pieds… Elle connait dans le monde du libertinage parisien une ascension à laquelle elle n’était pas destinée. Mais c'est sans compter sur sa chute brutale et sa déportation avec des prostituées vers la Louisiane, c'est à-dire le bannissement avec les personnes qui occupent le plus bas niveau de l’échelle sociale. Une fois là-bas, c’est sans compter aussi sur le mariage forcé qu’on cherche à lui imposer outre-Atlantique : elle est placée sous la sujétion entière du gouverneur comme n’importe quelle fille de joie. La situation de Des Grieux n’est guère plus avantageuse. Progression À Paris, Des Grieux a mené grand train pour satisfaire les folies de Manon. Pour ce faire, il lui a fallu de l’argent : il a dû fréquenter un tout autre monde que celui auquel il a été habitué. Il découvre ainsi les cercles de jeux et la pègre. Pour autant, il ne s’est pas complètement coupé de sa caste d’origine : il cherche des appuis des siens pour obtenir davantage d’argent. Il conserve encore quelques liens avec son milieu aristocratique comme M. de T.. qui le considère avec bienveillance en l’aidant même dans ses manœuvres pour sa perte. Le lieutenant de police, tout comme son père et le vieux G. M regardent finalement ses écarts comme une simple passade : il reviendra bien à la raison par la force s’il le faut. Pour cela, il est décidé de déporter Manon en Louisiane, ce qui permettra au jeune homme de rentrer dans le rang. On cherche donc à le sortir du déshonneur avec ce soutien de caste qui le fait encore appartenir à ce monde. Mais Des Grieux ne se soumet pas à la loi de son rang : il déchoit socialement. La fin du livre En quittant la France, Des Grieux a perdu tout son prestige puisqu’il a clairement rompu avec son milieu social. Il ne peut plus se faire appeler chevalier. Au lieu d’être ecclésiastique, il a occupé un emploi de vulgaire employé de garnison, c’est-à-dire le plus bas niveau de l’échelle militaire. Les dernières pages du livre nous montrent un Des Grieux qui a ainsi tout perdu, son amour et son rang social. Il n’a plus d’appui dans le monde hormis Tiberge et le soutien financier de son frère. À son retour en France, Des Grieux est appelé à mener une vie de reclus : l’offense à la société qu’il a commise lui ferme désormais toutes les portes. Il s’est condamné à la solitude : c’est la décadence. Décadence Le roman de Prévost est donc fondé sur cette transgression sociale qui, une fois consommée, est définitive. Il n’existe pas de prescription pour l’oubli des lois de sa caste. Dans le paragraphe suivant, nous verrons la rupture familiale commise par Des Grieux. source : Jean Sgard, labyrinthes de la mémoire, PUF La transgression familiale Nous nous intéresserons à la mésalliance et à la rupture entre le père et le fils : étude linéaire du passage allant “Il m’interrompit encore…adieu, père barbare et dénaturé ! /» (2e partie) Mésalliance On a compris que les deux amants ne sont pas amenés à se marier dans le contexte de l’époque. Manon le conçoit très bien en le rappelant à Des Grieux : elle a parfaitement intégré les codes sociaux et donc le fait que cette union ne sera jamais autorisée. Elle leur est même impossible. Ne s’offre qu'à eux le concubinage qui charrie son lot de scandales pour un fils de bonne famille. Cette vie commune non bénie par l’Église apparaît comme un désordre inacceptable aux yeux du père de Des Grieux. Ce dernier fait enlever son fils et le garde sous surveillance avec lui : il cherche à la lui faire oublier. Il s’emploie à dénigrer Manon qui continue sa vie de femme entretenue au frais d’un libertin. Mais lors de la seconde arrestation, le père ne voit pas d’autre solution que d’éloigner Manon qui est la tentatrice de son fils : il espère la fin de l’épisode et le retour de son fils dans son giron. Mais ce n’est pas ainsi que les choses vont finir. Cette mésalliance aurait pu disparaître en Amérique, dans ce lieu où l’on découvre une nouvelle sociabilité ; il n’existe plus d’empêchement social au mariage des amants. Mais le gouverneur entend disposer de Manon pour le bénéfice de son neveu. Le bonheur sur terre n’est donc pas possible. Voyons aussi la terrible rupture entre Des Grieux et son père. Rupture Nous allons analyser de manière linéaire la scène de rupture entre le père et le fils qui constitue un morceau d’anthologie au même titre que celle de Stendhal dans le Rouge et le Noir. Nous utilisons la méthode des 6 GR OS SES C LE FS ©. Il s’agit de prendre le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant : 6 GR OS SES C LE FS Gr : grammaire C : Conjugaison OS : oppositions le : champ lexical SE : les 5 sens FS : figures de style Dans ce passage, la problématique qui se pose est celle de la stratégie argumentative de Des Grieux pour persuader son père. Il se fonde sur les sentiments, sur la vaste gamme des émotions. On peut noter 3 parties : le chantage à la mort du fils, l’invocation de la mère, l’échec : la rupture définitive. “/ Il m ’i nterrompit encore , voyant que je parlais avec une ardeur qui ne m’aurait pas permis de finir sitôt . Il voulut savoir à quoi j’ avais dessein d’en venir par un discours si passionné . À vous demander la vie, répondis-je, que je ne puis conserver un moment si Manon part une fois pour l’Amérique. Non, non, me dit-il d’un ton sévère ; j’aime mieux te voir sans vie que sans sagesse et sans honneur. N’allons donc pas plus loin ! m’écriai-je en l’arrêtant par le bras ; ôtez- la -moi , cette vie odieuse et insupportable , car, dans le désespoir où vous me jetez, la mort sera une faveur pour moi. C’est un présent digne de la main d’un père. Je ne te donnerais que ce que tu mérites , répliqua-t-il. Je connais bien des pères qui n ’ auraient pas attendu si longtemps pour être eux-mêmes tes bourreaux , mais c’est ma bonté excessiv e qui t’a perdu. / /Je me jetai à ses genoux . Ah ! s’il vous en reste encore, lui dis-je en les embrassant, ne vous endurcissez donc pas contre mes pleurs. Songez que je suis votre fil s … Hélas ! souvenez-vous de ma mère. Vous l ’aimiez si tendrement ! Auriez -vous souffert qu ’on l’eût arrachée de vos bras ? Vous l’ auriez défendue jusqu’à la mort. Les autres n’ont-ils pas un cœur comme vous ? Peut -on être barbare après avoir une fois éprouvé ce que c’est que la tendresse et la douleur ? Ne me parle pas davantage de ta mère, reprit-il d’une voix irritée ; ce souvenir échauffe mon indignation . Tes désordres la feraient mourir de douleur, si elle eût assez vécu pour les voir. Finissons cet entretien, ajouta-t-il ; il m’importune et ne me fera point changer de résolution. Je retourne au logis, je t ’ordonne de me suivre. Le ton dur et sec avec lequel il m ’intima cet ordre me fit trop comprendre que son cœur était inflexible./ Je m ’éloignai de quelques pas, dans la crainte qu’il ne lu i prît envie de m’arrêter de ses propres mains. N’augmentez pas mon désespoir, l ui dis-je, en me forçant de vous désobéir. Il est impossible que je vous suive. Il ne l’est pas moins que je vive, après la dureté avec laquelle vous me traitez . Ainsi je vous dis un éternel adieu. Ma mort, que vous apprendrez bientôt, ajoutai-je tristement, vous fera peut-être reprendre pour moi des sentiments de père. Comme je me tournais pour le quitter : Tu refuses donc de me suivre ? s’écria-t-il avec une vive colère : va, cours à ta perte. Adieu, fils ingrat et rebelle ! Adieu, lui dis-je dans mon transport ; adieu, père barbare et dénaturé ! /» https://fr.wikisource.org/wiki/Manon_Lescaut/Seconde_partie Le chantage du fils Des Grieux exerce sur son père un chantage à la mort pour sauver Manon. Dans la narration, il passe du discours indirect au discours direct, ce qui a pour effet de libérer la parole encore contrainte par le poids de la tradition. Il s’agit d’un moment où le fils adopte une nouvelle stratégie argumentative : persuader en demandant clairement la grâce de Manon. C’est aussi le moment où le père envisage sa propre responsabilité dans la faute de son fils. Le style indirect Ce style rapporté rend compte d’une conversation voilée entre le père et le fils. Mais on mesure la tension entre eux. C’est pourtant l’instant de vérité pour les deux protagonistes. Pour le père, il faut que la raison aboutisse rapidement. On note le point de vue interne choisi par le narrateur : “voyant queje parlais avec une ardeur qui ne m’aurait pas permis de finir sitôt.” Le fils lit donc dans les pensées de son père aussi clairement que dans les siennes. La notion du temps est exprimée “interrompit” “sitôt” “d’en venir” “si longtemps”. Le fils comprend qu’il va devoir changer de stratégie argumentative : cette dernière est mal définie avec le pronom relatif “ à quoi” et la formule “ j’avais dessein d’en venir”. Des Grieux se rend compte de l’échec de cette première tentative qui a eu le tort d’exaspérer son père comme on le voit avec l’expression péjorative dans la bouche du père : “un discours si passionné”. Il est temps pour Des Grieux d’abattre ses cartes. Il le fait maintenant au style direct. un échange direct On note que Prévost a décidé d’insérer le style direct au présent, sans recourir aux guillemets ou aux tirets. Il veut donner une unité au roman, constitué par le discours rapporté de Des Grieux. Ce choix narratif rend compte de l’intensité et de la rapidité de l’échange avec les incises qui vont crescendo “répondis-je “/” me dit-il”/ “m’écria-je”. Par ailleurs, la scène est extrêmement vivante, car le sens de la vue,”voyant“ va de pair avec l’ouïe “ton sévère”. Mais pour emporter la conviction, Des Grieux utilise le toucher “en l’arrêtant par le bras “ Cela donne du rythme au récit qui est plein de vivacité tout au long de ce passage. Jouant le tout pour le tout, Des Grieux réclame en peu de mots la clémence pour Manon : il recourt au lyrisme “vous demander la vie”. À ce registre, le père répond par un autre, le tragique avec l’opposition mort/vie, et la répétition de la préposition “sans “ sans vie que sans sagesse et sans honneur donnant un rythme ternaire. On assiste à une rupture dans la conversation avec l’emploi de l'impératif dans la bouche du fils : “ N’allons donc pas plus loin” : cela souligne la soudaineté de la réponse et l’adoption du registre tragique de son père qu’il met ainsi au défi : “ôtez-la-moi,cette vie odieuse et insupportable”. On est dans l’antithèse “la mort sera une faveur” et la périphrase “un présent digne”. Il endosse le rôle dans le code aristocratique du héros vaillant. Notons que le corps est important dans la rhétorique “main” “le bras” plus loin le “cœur”. Le fils joint le corps à la parole, comme gage de sa sincérité. la responsabilité paternelle Mais cette adoption de point de vue ne convainc pas son père. Ce dernier ramène son fils à la raison avec le conditionnel : “Jene te donnerais que ce que tu mérites,”: la tournure restrictive “ne…que”montre que la mort n’est pas dans la logique des choses puisqu’il veut au contraire le sauver de cette passion. C’est aussi le moment pour lui de souligner ses propres mérites et ainsi sa patience “pas attendu si longtemps” et donc de décentrer la scène du fils vers lui-même. Il oppose son attitude à celle d’autres pères définis de manière hyperbolique “bourreaux”. On est toujours dans le registre tragique. Mais cette complaisance avec lui-même le mène paradoxalement à sa propre responsabilité : il dédouane son fils qu’il rabaisse à son statut d’enfant. Pour lui, sa faute réside dans sa “bonté” jugée “excessive “. Il fait un lien de causalité entre cette indulgence et la passion de Des Grieux, qualifiée plus loin de“désordres,” avec la subordonnée relative “qui t’a perdu. “ À ce stade, c'est le père qui a la main. Des Grieux le sent et cherche un autre argument pour persuader son père. L’invocation de la mère À court d’arguments, il ne reste plus à Des Grieux qu’à adopter une posture de soumission :"Je me jetai à ses genoux.” un élan Il espère que cet élan touchera son père. Le rapprochement physique doit entraîner celui de leurs cœurs. Mais on peut y voir également un moment de flottement ; il cherche à gagner du temps pour trouver ce qu’il va dire ensuite comme le suggèrent les points de suspension : “Songez que je suis votre fils…” : l’argument est particulièrement incomplet et donc faible. un pied d'égalité Mais une idée germe rapidement en lui, il fait preuve d’audace en convoquant le champ lexical de la famille “fils”, “père”, “mère” “tendrement” “douleur” “aimiez”. En parlant ainsi, Des Grieux se place sur un pied d’égalité avec son père, abolissant le rapport de subordination du fils à son père : dans son esprit, ce sont donc deux hommes qui ont aimé deux femmes. Il ose un parallèle transgressif entre sa mère, épouse légitime de son père, et Manon, sa maîtresse. “Hélas ! souvenez-vous de ma mère. Vous l’aimiez si tendrement !” : deux phrases exclamatives servent à réveiller la nostalgie. Dans le contexte de l’époque, cette association d'idées est proprement scandaleuse. Mais Des Grieux va plus loin et transgresse davantage : il propose même une inversion des rôles. une inversion des rôles Des Grieux invite son père à se mettre à sa place. ”Auriez-vous souffert qu’on l’eût arrachée de vos bras ?” Question posée au conditionnel passé, celui de la supposition qui est toute rhétorique puisqu’il donne lui-même la réponse : “Vous l’auriez défendue jusqu’à la mort.” Il reprend le registre du tragique.Des Grieux expose sa vision pessimiste de l’amour en reliant la “tendresse” avec la douleur, c’est-à-dire en évoquant un bonheur manifestement impossible sur terre. Le héros ne voit pas le sacrilège, car il généralise son propos avec le groupe nominal “les autres” “on” par la voie interrogative : “ Les autres n’ont-ils pas un cœur comme vous ?”/ “Peut-on être barbare après avoir une fois éprouvé ce que c’est que la tendresse et la douleur ?” Il se fonde sur le pronom impersonnel “on” pour qualifier la société : il n’attaque pas directement son père qui est pourtant à l’origine de la déportation de Manon. Il essaye d'émouvoir, mais c’est l’inverse qui se passe : le champ lexical de la colère prédomine avec “irrité””échauffe” “indignation””m’importune." Son père est choqué par ce parallèle et le montre avec l’impératif, “Ne me parle pas/ “Finissons“. Il le fait taire. C'est alors qu’il se fonde sur son autorité en employant le terme “résolution” et en utilisant le présent d'énonciation "je t’ordonne” ; son fils n'a plus qu’à lui obéir : “me suivre”. Il rebascule au style indirect :” Le ton dur et sec avec lequel il m’intima cet ordre me fit tropcomprendre que son cœur était inflexible” : c’est pour mieux souligner le jugement rétrospectif qu’il pose sur la scène. Il nous donne des indications précises en se fondant sur l'ouïe “Le ton’ et la redondance ” dur et sec “. À ce stade de la discussion, le père a gagné la joute oratoire. Il s’impose à son fils : en obéissant, ce dernier rentre dans le rang. Mais ce n’est pas ce qui va se passer… l’échec : la rupture définitive Cette rupture s’effectue par la fin du rapprochement physique, en rejetant la responsabilité sur son père et sur un adieu définitif. La fin du rapprochement physique Comme dans la partie précédente, nous avons une indication précise du jeu. Le jeune homme s’est relevé et s’écarte de son père : “ Je m’éloignai de quelques pas” : le passé simple témoigne d’une action soudaine. Pourquoi le fait-il ? Le fils a conscience de l’emprise physique du père qui peut être coercitive : “m’arrêter” avec la redondance “de ses propres mains.” Le père a en effet les moyens de s’imposer par la force. Mais c’est une appréhension puérile du héros qui éprouve de “ la crainte”. Cela en dit long aussi sur la faiblesse de Des Grieux qui ne peut rivaliser que sur un seul terrain : la parole. La narration rebascule au style direct pour témoigner de la vivacité de l’échange. La responsabilité du père Des Grieux adopte une attitude belliqueuse ; il a abandonné le registre de la supplique. Il utilise l’impératif “N’augmentez pas mon désespoir” pour mieux attaquer son père. La subordonnée participiale “en me forçant de vous désobéir” induit un rôle de cause à effet. Il qualifie les agissements de son père de fautifs avec le groupe nominal “la dureté avec laquelle vous me traitez “ qui fait écho à “reprendre pour moi des sentiments de père”. Il considère que c’est le père qui pousse son fils à rompre avec l’ordre établi ; il inverse donc la charge de la responsabilité dans la rupture qui s’annonce. Un adieu définitif Deux phrases déclaratives illustrent alors ses intentions : “Il est impossible que je vous suive. Il ne l’est pas moins que je vive”, la tournure impersonnelle, signe un détachement filial, allant de pair avec le rythme binaire désobéissance/mort. La conclusion aboutit avec “ Ainsi je vous dis un éternel adieu : l’adverbe “ainsi” exprimant la conséquence. C’est l’annonce d’une rupture définitive “éternel adieu”. Des Grieux va plus loin en culpabilisant son père : “Ma mort, que vous apprendrez bientôt, (…) vous fera peut-être reprendre pour moi des sentiments de père”. Il utilise le futur qui suggère la quasi-certitude “peut-être “ : il joue sur la conscience du père dans un registre pathétique “tristement”. À la différence des deux autres parties, le mouvement suivant précipite la rupture. Et c’est encore Des Grieux qui est à la manœuvre. La forme grammaticale “Comme je me tournais pour le quitter “ omet la proposition principale. Pourquoi ? Parce que le narrateur bascule au style direct pour mieux montrer de la violence des propos “ : Tu refuses donc de me suivre ?” Suit l’anathème à l’impératif “va, cours à ta perte” qui a une valeur de malédiction. Les deux protagonistes sont sous le coup de la même émotion “une vive colère “ “dans mon transport “. La violence donne enfin libre cours : deux phrases non verbales témoignent de leur déchaînement : ““Adieu, fils ingrat et rebelle”/” adieu, père barbare et dénaturé “. On note qu’elles se répondent de manière symétrique. C’est la transgression absolue. La transgression morale Le travestissement Le travestissement consiste à imiter par des vêtements ce qui relève culturellement du genre opposé. Dans ce livre, la question de l’habillement prête souvent à confusion. Ainsi Manon se déguise-t-elle en homme pour s’enfuir sans être vue de la Salpêtrière (1re partie). On rappelle que ce genre d’attitude est transgressive socialement. Mais dans ce roman, certaines attitudes jouent aussi un rôle de travestissement : prenez l’épisode comique du dîner chez M.de G… M…, Des Grieux change aussi d’apparence et se fait passer pour “un écolier, frère de Manon” ; il fait des révérences ; il joue une scène : il fait l’enfant et se paye le luxe de se moquer du vieillard : “Le vieil amant parut prendre plaisir à me voir. Il me donna deux ou trois petits coups sur la joue en me disant que j’étais un joli garçon, mais qu’il fallait être sur mes gardes à Paris, où les jeunes gens se laissent aller facilement à la débauche. Lescaut l’assura que j’étais naturellement si sage, que je ne parlais que de me faire prêtre, et que tout mon plaisir était à faire des petites chapelles. Je lui trouve de l’air de Manon, reprit le vieillard en me haussant le menton avec la main. Je répondis d’un air niais : Monsieur, c’est que nos deux chairs se touchent de bien proche ; aussi j’aime ma sœur comme un autre moi-même. L’entendez-vous ? dit-il à Lescaut ; il a de l’esprit. C’est dommage que cet enfant-là n’ait pas un peu plus de monde. Ho ! monsieur, repris-je, j’en ai vu beaucoup chez nous dans les églises, et je crois bien que j’en trouverai à Paris de plus sots que moi. Voyez, ajouta-t-il, cela est admirable pour un enfant de province. “ On est dans le registre de la comédie avec ce vieillard floué par le trio de filous. https://fr.wikisource.org/wiki/Manon_Lescaut/Première_partie Libertinage À côté de la confusion des genres, le roman évoque le libertinage. Il faut le comprendre comme un dérèglement des mœurs : nous verrons l’aspect sexuel, mais aussi la tromperie. C’est Manon qui initie Des Grieux au libertinage. a) L’infidélité de Manon Dans le roman, l’héroïne de Prévost est double ; elle incarne à la fois l’image de la pureté aux yeux de Des Grieux qui l'idéalise, mais aussi de la libertine. Manon est une femme entretenue et non une “catin” ; elle fait preuve d’un érotisme torride auprès des hommes qu’elle mène par le bout du nez. Elle vend ses charmes seule ou sur l’incitation de son frère. Tous les deux goûtent au plaisir du libertinage. Rien n’est présenté de manière sordide, mais récréative. Les scènes d’amour ne sont jamais montrées, uniquement suggérées. On sait ainsi qu’elle accepte de s’offrir au plus offrant contre une rémunération en nature (bijoux, vêtements…) ou en numéraire (argent). Elle n’a aucun scrupule, tout est matière à réjouissance. Manon est aussi perverse comme le démontre l’épisode de la lettre apportée par une jeune fille, qui se trouve livrée pour satisfaire les besoins de son amant. SI cette initiative choque bien Des Grieux, ce dernier s’enfonce toujours plus dans le libertinage. b) Tromperies Le libertinage de Des Grieux est en effet progressif. Ses réticences initiales relatives à l’infidélité de Manon vont finir par s'estomper. Il accepte la situation et profite en toute connaissance de cause des richesses obtenues par Manon. Il jouit du nouveau train de vie. Pire, il entre dans le schéma de fonctionnement de sa maîtresse. Ainsi il participe activement aux mystifications. La tromperie est un élément du libertinage surtout lorsqu’elle vise à soutirer de l’argent de manière malhonnête et à ridiculiser dans le même temps la victime. On repense au vieux GM et à son fils. Des Grieux accepte de duper le jeune GM en l’enfermant, en mangeant son repas et en dormant dans son lit. Des Grieux est appelé “libertin fieffé” non par vice comme ses contemporains, mais par amour pour Manon et c’est ce qui fait de lui un marginal. Le héros est devenu immoral par accident et il ne l’est pas par nature. Il transgresse donc la morale, mais pas seulement : il vit en marge de la religion. La religion En revoyant Manon, Des Grieux décide soudainement de quitter le séminaire de Saint-Sulpice. En fuyant, il rompt avec une carrière ecclésiastique qui lui aurait procuré la vie douce à laquelle il aspirait. Comme les hommes de son temps, Des Grieux qui a été élevé chez les jésuites croit sans l’ombre d’un doute en Dieu, mais sa pratique religieuse s’avère réduite. Il est, en effet, tout à son inclinaison amoureuse qui lui tient d’idéal. Le héros voit son libre arbitre anéanti par ses passions : il est divisé. Jamais il n’éprouve le moindre remords dans ses actions qu’il sait pourtant mauvaises. Il ment, triche, fait l’hypocrite… Il ne fait preuve d’aucun repentir ou d’humilité face à ce qui lui est arrivé. Il ne sollicite pas le Ciel pour l’aider pendant les évènements ou après. En réalité, il croit en la fatalité d’un bonheur sur terre, destinée impossible qui conduit à un long malheur. Il n’envisage pas la question essentielle dans la foi de la Grâce (celle d’être secouru et racheté). Et pourtant, la mort est omniprésente dans ce roman puisqu’elle est annoncée de manière quasi mystique à plusieurs reprises. Nous verrons dans l’article suivant la transgression pénale commise par les deux amants. La transgression pénale Les actions des deux amants sont certes mauvaises, mais surtout délictuelles lorsqu’elles ne sont pas criminelles. Qualification Manon et Des Grieux sont coupables de vol et d’escroquerie en soutirant de l’argent et autres biens de valeur d’hommes libidineux. Ce sont aussi des personnes recherchées par la police après avoir fui les lieux de détention où ils ont été placés. Enfin, Des Grieux a commis des crimes plus graves en tirant sur le gardien de la prison de Saint-Lazare, en faisant séquestrer le jeune GM… Arbitraire On note que le cas a été résolu dans un arbitraire le plus total. C’est sous l’autorité du lieutenant de police que les deux amants ont été par deux fois arrêtés et détenus en prison. La justice n’a pas été saisie. La première fois, c’est par une haute intervention que l’affaire est classée ; la seconde fois, l’arbitraire règle définitivement la question. Notons qu’elle a été solutionnée à la demande du vieux GM et du père des Des Grieux comme c’était la norme sous l’Ancien Régime. Le statut de père conférait des droits exorbitants sur ses enfants. Le vieux GM veut venger son fils humilié et le père de Des Grieux souhaite faire cesser le libertinage de son fils. C’est ainsi que la décision de déporter Manon avec des filles de joie en Louisiane est prise par le lieutenant de police. Sanction On voit donc que Manon est la seule sanctionnée ; Des Grieux est, quant à lui, libre de ses mouvements alors qu'il est non seulement coauteur des mêmes agissements frauduleux, mais aussi, pire, qu’il a commis un crime en tirant sur le portier de la prison et qu’il a tenté d’étrangler le vieux GM. Comme un homme de qualité, il échappe à la peine. C’est bien une “justice” de classe. La transgression se règle en définitive entre “gens de bonne compagnie”, à l’abri de la publicité. On cherche, en effet, à faire taire le scandale de la conduite du jeune aristocrate, en escomptant que la leçon serve à un retour à la morale dans le giron paternel. Ne disposant d’aucune protection ni de soutien, Manon paiera donc pour les deux. Mais de quoi est-elle coupable ? Elle est punie en raison de son comportement récidiviste : par deux fois, elle commet le délit d’escroquerie. Les effets de la sanction sont dramatiques. En quittant la France pour un pays lointain, elle découvre un monde hostile où elle passe sous la tutelle du gouverneur, lorsque ce dernier apprend qu’elle n’est pas mariée à Des Grieux. On dispose d’elle comme des femmes de joie pour des unions forcées. Un récit rétrospectif Nous verrons aujourd’hui la transgression ultime : la remémoration du récit qui a une conséquence sur le plan de la vérité. Remémoration labyrinthique Jean Sgard a renouvelé l’étude critique de cette œuvre. Que suggère principalement cette analyse ? les points suivants : un discours un récit a posteriori un monologue, un style en labyrinthe un plaidoyer. Reprenons ces idées. un discours Des Grieux rencontre de manière fortuite un aristocrate, témoin de son premier malheur ; cette circonstance le pousse à la confession qui dure trois heures à voix haute. Il se livre à un discours spontané devant ces deux étrangers qui lui prêtent une attention bienveillante. un récit a posteriori Ce monologue lui offre la possibilité de se pencher sur son passé : il occupe la place de héros et de narrateur. Il ne peut pas être question de faire une narration factuelle, au demeurant, il n’a jamais cherché à être objectif. Il entend revisiter son histoire et se perdre comme dans un labyrinthe dans ses souvenirs. Il prend le temps de nourrir son récit de détails, de jugements, d’interrogations. un monologue L’originalité de ce monologue consiste à enchâsser six dialogues souvent sur ses malheurs narrés à Tiberge, à Lescaut, au supérieur de Saint-Lazare, à M. de T, au lieutenant de police, à son père, au capitaine du vaisseau et au gouverneur. C’est autant de représentations diverses, de labyrinthes, du même récit modulé en fonction des différents interlocuteurs de Des Grieux. un style en labyrinthe Des Grieux est un habile conteur entraînant le lecteur dans un labyrinthe de procédés stylistiques. Il discourt essentiellement au style indirect, qui est celui qui lui permet d’apporter une floraison de détails, colorant le récit de manière toujours avantageuse. Il bascule soudainement au style direct, celui de la sincérité, pour rendre encore plus vivants les échanges entre lui-même et les autres. Cette mise en valeur permet de mentionner les tons, la gestuelle, etc. Notons que Prévost a décidé d’intégrer le dialogue dans le discours narratif, ce qui explique le choix de retirer les guillemets et les tirets, omettant aussi les retours à la ligne. On relève que c’est Des Grieux qui monopolise la parole dans le récit, en adoptant un point de vue interne ; il laisse quelques bribes de mots à Manon qui parle essentiellement au style indirect. Il voit tout à l’aune de sa propre conscience. On a montré dans l’analyse linéaire que la phrase est elle-même est sinueuse; elle se perd dans les détails : on a affaire à des labyrinthes de propositions. Ces dernières partent en cascade qu’elles soient juxtaposées ou coordonnées. Mais la plume de l’auteur excelle dans la cascade de subordonnées. La principale s'ouvre sur des propositions subordonnées qui débouchent sur d’autres. On a ainsi toute une gamme de propositions subordonnées relatives, conjonctives ou circonstancielles de concession, de conséquence, outre des propositions participiales, infinitives, etc… La richesse de ce style labyrinthe fait ressortir les débats intérieurs du narrateur, ses interrogations, ses artifices, mais également ses doutes et ses larmes… Il recourt à différents registres pathétiques, tragique, mais aussi comique. C’est une narration qui constitue en réalité un plaidoyer. un plaidoyer La passion initiale demeure toujours aussi vive dans le récit que Des Grieux en fait. Il poursuit un objectif qui dépasse la simple narration à des oreilles attentives. Il cherche à comprendre l’origine de ses erreurs qui sont la cause de son malheur. Il soliloque, il forge pour lui-même un plaidoyer pour un amour défunt. Tombeau Des Grieux a tout perdu, sauf cette réécriture de sa propre histoire qu’il envisage comme un écrivain comme nous venons de le dire. Il maîtrise son discours puisque c’est la seule chose qui lui reste. Il a toujours été doué pour le travail de l’esprit : il y goûte à satiété. Ce discours devient le tombeau pour Manon. sources : Jean Sgard, labyrinthes de la mémoire, PUF
- Préparation au bac de français
BAC : il vous est proposé d'acquérir la méthode pour réussir durant les examens de français : sur le commentaire et la dissertation, on vous dira tout : méthode, exercices, corrigés etc... Fable de La Fontaine "le laboureur et ses enfants", dessin Grandville Préparation au bac de français La Gazette vous propose une série d’articles pour vous aider durant toute l'année dans votre préparation au bac de français. Il vous sera ainsi proposé des méthodes accessibles à tous pour comprendre l’enjeu de l’écrit et le maîtriser au mois de juin. Méthodes et exercices Dans ce tableau, découvrez les deux épreuves écrites avec leur méthode propre et leurs exercices d'application : Commentaire composé dissertation l a m éthode des 6 GR OS SES C LE FS © : la méthode le plan type CIIGARE les deux types de plan les figures de style Les genres et les registres littéraires analyse du sujet, la question du plan to-do list to-do list fiche théâtre fiche poésie Fiche argumentation fiche roman la rédaction de l'introduction rédaction du développement rédaction de la conclusion, Entraînements durant l'année au commentaire : exercices et corrigés Entraînement durant l'année à la dissertation : exercice s et corrigés Sujets passés Sujets possibles
- Origine de la Gazette littéraire
Ancienne avocate, reconvertie à quarante ans dans l'activité qui me tenait le plus à coeur, les livres, j'ai ainsi créé ce site en 2009. Retour sur l'origine de la Gazette littéraire. La créatrice de la Gazette littéraire Juriste Passionnée de littérature, j'ai reçu une formation de... juriste. Cherchez l'erreur d'aiguillage ! Par la force des choses, j'ai même exercé la profession....d'avocat, traitant de dossiers en matière de droit immobilier, de droit du travail, de droit commercial et de droit de la famille. On est apparemment loin de la littérature ! En fait, pas si loin en vérité : le monde judiciaire est un petit monde avec ses embarras et ses stéréotypes, celui du client, du juge et du praticien du droit décrits déjà par Balzac ou par Dickens. Pour des raisons familiales, j'ai quitté la France pour m'installer en Hongrie, puis à Londres et enfin à Singapour. Un grand saut dans l'inconnu avec une inconnue : qu'y faire d'utile ? Origine de la Gazette littéraire C'est ainsi que je me suis reconvertie à quarante ans dans l'activité qui me tenait le plus à coeur, les livres. Oh ! Il ne s'agit pas d'un plaisir oisif et égoïste comme d'aucuns l'imaginent, mais de la transmission de tout un patrimoine littéraire réputé inaccessible. En 2009, j'ai ainsi créé la Gazette littéraire. Parallèlement, j'ai exercé en qualité d'enseignante de français durant quatre ans. J'ai constaté que la lecture était devenue un pensum véritable pour les collégiens et les lycéens. Les voir grimacer à l'idée d'ouvrir un livre, les voir recopier des phrases entières tirées d'internet, cela m'a conduit à leur proposer une méthode pour comprendre un texte et à réfléchir sur la manière d'apprendre, bref à tenter de les rendre responsables de leur savoir. Le LET La Gazette littéraire a surgi de cette volonté de promouvoir les livres d'hier et d'aujourd'hui. Comment le faire ? Par le biais de thèmes de notre vie actuelle, à savoir des sujets concernant la société, l'économie, la politique, la psychologie, l'écologie... C'est fou ce que la littérature a à nous dire sur notre monde ! C'est donc un site tenu par une personne de son temps (et la voilà qui parle à la 3e personne du singulier !) qui Lit, Ecrit et Transmet, le LET, acronyme de son cru qui résume bien la petite entreprise qui continue alors que tant d'autres ont baissé le rideau. Il s'agit d'un blog indépendant, sans placement de "produits" littéraires, alimenté par mes soins et mes illustrations en fonction de mes propres coups de cœur et de mes urgences. Tous les ans, je repasse, l'air de rien, le bac de français en compagnie de lycéens ainsi que l'épreuve de français-philosophie avec les apprentis ingénieurs. J'exerce donc une petite mission de service public ou de dépanna ge, au choix. Une vocation pour moi...
- Présentation de la Gazette littéraire
Créée en 2009, la Gazette littéraire a pour vocation de redonner le goût de lire avec ses analyses abordables, ses conseils et ses séminaires de lecture. Elle s'adresse à un large public que ce soit des lycéens ou des étudiants en prépas scientifiques soucieux d'approfondir leurs connaissances ou toute personne désireuse de reprendre la lecture ainsi évidemment qu'à tous les passionnés de littérature. Présentation de la Gazette littéraire en trois points... présentation Lecture La Gazette propose de rendre accessible la littérature grâce à de larges thématiques facilitant la tâche de tous ceux qui veulent reprendre des lectures abandonnées, faute de temps. Son originalité réside dans son catalogue de plus de 60 thèmes, facilement consultables. Il s'agit de sujets extrêmement variés relatifs à la nature, à la société, mais aussi liés à l'économie, à la famille, au rapport de soi au monde, et enfin à la création au sens large. De quoi, s'ouvrir à une culture générale accessible à tous... Il vous est aussi possible découvrir ses carnets de voyages littéraires effectués en France, en Angleterre ou en Méditerranée. La présence de la Gazette littéraire sur les réseaux sociaux lui permet, en outre, de donner des informations sur l'actualité culturelle et d'élargir le centre de ses intérêts. Elle offre une présence visible exclusivement sur le net : un paradoxe assumé ! Tant qu'à être connectés sur nos écrans, autant que ce soit pour nous instruire ensemble ! Cette Gazette est enfin tenue par une personne bien de son temps, désireuse de transmettre autrement la littérature. Lycéens et étudiants Au fil du temps, la Gazette s'est mise à l'école de ses amis lycéens, avec lesquels elle passe chaque année (!) le bac de français. Outre ses fiches de révision, elle analyse les œuvres proposées à l'oral du bac et propose à l'écrit deux méthodes : la méthode éprouvée des 6 GR OS SES C LE FS © suivie du plan type (acronyme CIIGARE) qui permet de gagner du temps et des points à l'épreuve écrite du commentaire composé. La Gazette offre une méthode simple pour composer une bonne dissertation. Pour maîtriser les deux techniques, retrouvez les exercices d'application proposés durant l'année. La méthodologie est également expliquée pas à pas avec une to-do list qui cadre chacune des deux épreuves. La Gazette accompagne également les étudiants de prépas scientifiques avec ses podcasts comprenant des épisodes de lecture et d'analyse comparée dans leur épreuve de français-philosophie sur spotify. Podcast La Gazette propose une série de podcasts pour découvrir autrement les œuvres littéraires. Retrouvez les épisodes sur Spotify. promouvoir la lecture et l'étude d'œuvres littéraires pour les rendre accessibles à tous.










