top of page
Rechercher

Roman de l’énergie : “la Peau de Chagrin” (Balzac)

  • Photo du rédacteur: Marie-Noëlle Parisot-Schmitt
    Marie-Noëlle Parisot-Schmitt
  • il y a 60 minutes
  • 27 min de lecture

Il vous est proposé de découvrir le plan du parcours du bac consacré à La Peau de chagrin de Balzac. Il convient dans un premier temps de replacer le roman dans le cadre de la Comédie humaine avant de le présenter dans son aspect particulier puisqu'il entre dans la catégorie des romans dits "de l'énergie".


lampions lumineux éclairant la nuit avec un vélo

Roman de l’énergie : “la Peau de Chagrin” (Balzac)


Les programmes officiels proposent l’étude d’un roman de Balzac, la Peau de chagrin, dans une problématique articulée autour des romans de l’énergie : création et destruction.

Dans le cadre de notre dossier consacré à Balzac, nous vous proposons tout d'abord une présentation de l'œuvre dans la Comédie humaine avant de voir la vision énergétique de ce roman de Balzac : 


I. Présentation de l'œuvre dans "la Comédie humaine"

  1. La structure de la Comédie humaine

 

Entrons dans le détail la structure de cette somme romanesque.


1.1 Un ensemble


D’aucuns considèrent que l’on peut lire les romans de Balzac dans n’importe quel ordre, sauf certains opus qui se suivent comme les Illusions perdues, qui précède Splendeurs et Misères des courtisanes.

Mais de manière générale, on choisit de lire un roman balzacien comme s’il ne faisait pas partie d’un ensemble.

C'est un tort...De plus, on ne fait jamais vraiment attention à la catégorie au sein de laquelle le livre est publié, d’autant plus que les éditions de poche ne précisent guère ce point : l’information est à piocher dans les préfaces ou les dossiers de l’œuvre commentée. Tout cela donnerait donc à penser que l’ordonnancement des romans balzaciens ne compte finalement pas.

Et pourtant...Notons enfin que ceux qui auraient compris (dont l'auteur de ces lignes) que la Comédie humaine regroupe une variété d’œuvres sont souvent bien en peine d’expliquer exactement la nature du système élaboré par l'auteur. Notre amitié pour Balzac est donc infidèle à ce qu'il  serait en droit d'attendre de nous...Il est donc temps d’apporter toutes les précisions utiles pour rendre les honneurs à ce pur génie. Et pour cela, nous allons plonger dans son système en recourant à une métaphore : la « cathédrale de papier. »


1.2 La cathédrale de papier


La métaphore architecturale a été choisie par Balzac lui-même :

« Vous ne vous figurez pas ce que c’est que la Comédie humaine : c’est plus vaste littérairement que la cathédrale de Bourges architecturalement.» (Lettre à madame Zulma Carreau, janvier 1845).

Stéphane Vachon, un éminent spécialiste, a repris cette métaphore pour illustrer l’originalité et l’ambition de son projet devenu la « cathédrale de papier ».


Il est temps de considérer la Comédie humaine comme « un système », terme cher à Pierre-Georges Castex. Des grandes catégories se dessinent et forment les trois niveaux de l’édifice :


  • Les études de mœurs : partie de loin la plus élaborée (même si elle est inachevée), portant sur des sujets concrets de la vie en société,

  • Les études philosophiques : partie inachevée traitant des causes de la vie sociale,

  • Les études analytiques : partie théorique, à peine entamée, sur la vie sociale.


À l’intérieur de ces études, des subdivisions ont été effectuées par Balzac.


Études de mœurs

Ainsi pour les études de mœurs, on note six subdivisions appelées scènes de la vie :

  • Scènes de la vie privée : 27 romans, dont le père Goriot et le colonel Chabert

  • Scène de la vie de province : 3 romans, dont Eugénie Grandet et les Illusions perdues, outre trois sous-titres Les célibataires, les Parisiens en province et les rivalités,

  • Scène de la vie parisienne : 14 romans, dont Splendeurs et misères des courtisanes, César Birotteau ainsi que deux sous-titres Histoire des Treize (Ferragus, la duchesse de Langeais, la Fille aux yeux d'or) et les parents pauvres (la cousine Bette et le cousin Pons),

  • Scènes de la vie politique : 4 romans, dont une ténébreuse Affaire

  • Scène de la vie militaire : 2 romans Les Chouans et une Passion dans le désert

  • Scène de la vie de campagne : 4 romans : les Paysans, le Médecin de campagne, le Curé de village, le Lys dans la vallée...


Les études philosophiques 

On compte 20 romans/nouvelles dans cette catégorie dont la Peau de chagrin, Louis Lambert, Adieu.


Les études analytiques 

On trouve deux romans sur le mariage qui intéressait l’auteur dans sa volonté de lutter contre la défragmentation de la société : physiologie du mariage et petites misères de la vie conjugale ainsi qu’un sous-titre pathologie de la vie sociale avec deux traités et une théorie.


1.3 Les mouvements


Balzac n'a pas conçu la Comédie humaine de manière figée. S’il a conçu une œuvre avec une certaine unité, il s’est autorisé, au fil des ans, de nombreux remaniements, en déplaçant ses ouvrages au gré de ses nombreuses corrections.

En effet, au sein des trois types d’études, l’écrivain a modifié le classement de certains romans comme La recherche l’Absolu, livre qui est passé des études de mœurs aux études philosophiques.

À l’intérieur même des études, l’auteur a en outre modifié ses étiquettes. Ainsi certaines scènes de la vie privée ont pu être transférées dans les scènes de la vie de province ou parisienne.

On voit bien que c’est une architecture avec un ordre imparfait, mais qui ne remet pas en cause les trois cadres fixes.

Ce système nous a été laissé inachevé par Balzac, surpris par la mort à cinquante ans, après 20 années de dur labeur, diurne et nocturne, à polir les pierres de son œuvre.


1.4 Réalisme


Le "réalisme" de Balzac tient à sa volonté de croiser un lieu précis et des mœurs déterminés. Mais il procède aussi de ses analyses philosophiques ou analytiques. L'auteur les fonde à partir d’une question sociale qui l'obsède toujours comme nous avons pu l'indiquer précédemment.

On voit bien que ce parti pris de divisions, de subdivisions certes artificielles, participe à une entreprise réaliste, destinée à couvrir, sur une large échelle, les mœurs de toute une époque.


Sources :

Castex, l’univers de « la Comédie humaine », La Pléiade, tome 1

Stéphane Vachon, Les Travaux et les jours d’Honoré de Balzac, Préface de Roger Pierrot, Paris et Montréal, Presses Universitaires de Vincennes, Presses du CNRS, Presses de l’Université de Montréal, 1992 (voir notamment « Construction d’une cathédrale de papier », p. 15-41).

http://hbalzac.free.fr/plan.php

https://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2002-1-page-73.htm#re3no3


2. Les périodes historiques couvertes par la Comédie humaine


Balzac s’est voulu historien du vaste système que constitue la Comédie humaine. Cette ambition vise à couvrir des époques différentes, pleines de contrastes. Pour ce faire, Balzac n'a pas ménagé ses efforts en effectuant des recherches documentaires, ce qui n'était pas l'usage pour un romancier. 


2.1 Chronologie


La Comédie humaine porte sur une période qui couvre schématiquement l’Empire, soit de 1804 aux dernières années de la monarchie de Juillet, soit en 1846. On voit que l’auteur s’est saisi des évènements de son temps en ardent analyste des données quasi ethnologiques qu’il avait sous les yeux. C’est un point très important pour jeter les bases d’un mouvement qui donnera lieu au réalisme. L’arrière-fond doit être historiquement vrai pour asseoir le cadre de l’illusion, paradoxe littéraire sublime !

En outre, Balzac a fait le choix d’étendre son récit sur plusieurs années. Par conséquent, l'intrigue peut glisser sur plusieurs régimes. Certains personnages évoluent donc au sein de la Comédie humaine entre leur jeunesse et l’âge de la maturité ou de la vieillesse. C’est un des composants de l’esprit du système mis en place par Balzac.

Mais le lecteur actuel de Balzac est confronté à différents régimes politiques qui peuvent poser quelques problèmes de compréhension. En mettant de côté les romans et nouvelles qui remontent comme dit Félicien Marceau à la Pré-Histoire de la Comédie humaine soit de 1308 (les Proscrits) à 1786 (les deux Rêves), il convient de relever que la somme romanesque fait référence à cinq régimes politiques successifs soit l’Ancien Régime, la Révolution, l’Empire, puis la Restauration (Louis XVIII et Charles X) et enfin la monarchie de Juillet avec Louis-Philippe.

Il vous est proposé de reprendre ces périodes qui intéressent le projet « systémique » de la Comédie humaine.


2.2 L’Ancien Régime


C’est l’heure de la monarchie absolue avec les trois ordres : la noblesse, le clergé et le tiers état. Balzac n’évoque cette période que pour illustrer le désarroi des familles aristocratiques enfermées dans leurs us et coutumes d’un autre temps. Nous verrons ce point plus particulièrement avec la géographie parisienne de la Comédie humaine qui astreint les personnages à vivre dans des lieux déterminés.


2.3 La Révolution


Cette période de la Révolution est évoquée dans le premier roman de la somme romanesque, les Chouans (1829) qui couvre la lutte entre les partisans de la monarchie et les forces républicaines en 1799. Puis, il reviendra sur la Terreur dans une nouvelle, un épisode sous la Terreur, écrite en 1830.

Dans la Comédie humaine, la période révolutionnaire est plutôt évoquée en filigrane au travers de la trajectoire des personnages. Ainsi le Père Goriot a fait fortune sous la Terreur en vendant de la farine à des prix exorbitants. C’est ce qu’on appelle un profiteur de guerre au point qu’il est surnommé par ses gendres « ce vieux Quatre-vingt-treize ».


2.4 Empire


Ce régime politique est couvert explicitement par la Comédie humaine. Balzac est fasciné par le destin de héros porteurs de destins collectifs. S’il est un fervent monarchiste, il ne cache pas son admiration pour le parcours de Napoléon Bonaparte. Aussi l’épopée napoléonienne est-elle narrée à plusieurs reprises comme dans le Colonel Chabert, Adieu.

Mais la période de l’Empire est elle-même sujet à écriture comme dans une Ténébreuse affaire, où on assiste à une conspiration avortée de Fouché contre Napoléon.

C’est aussi durant cette époque qu’une nouvelle noblesse dite d’Empire voit le jour. La Comédie humaine fait ainsi le distinguo entre :

  • La noblesse d’épée, la plus ancienne de l’Ancien régime (noblesse de cour)

  • La noblesse de robe (anoblissement par lettres patentes du roi)

  • La noblesse de fraîche date de l’Empire.

Les deux dernières essayent d’entrer dans le monde de la première dont les portes leur sont fermées comme nous le verrons. Ainsi dans la Duchesse de Langeais, on note l’opposition entre ces deux noblesses avec l’orgueilleuse héritière d’une caste aristocratique pourtant en perdition et le général de Montriveau, qui lui est issu de cette noblesse d’Empire. Dans une autre perspective, même si les deux filles du père Goriot ont fait un « bon » mariage, l’aînée, Anastasie de Restaud a eu un parti plus avantageux (aristocratie plus ancienne) que sa sœur, Delphine de Nucingen (noblesse récente).


2.5 Restauration


Cette période revêt une importance cruciale dans la Comédie humaine eu égard aux nombreux romans/nouvelles qui s’y enracinent.

On rappelle que la Restauration constitue la terminologie pour évoquer le retour à la monarchie avec les deux frères de Louis XVI, (Louis XVIII et Charles X) entre 1814-1815 et 1830 soit près de seize ans de règne.

Pourquoi Balzac, qui débute la rédaction de sa somme à l’extrême fin de la Restauration vers 1827, choisit-il de couvrir ces années en particulier ?

Tout d’abord, il s’agit d’une période qu’il connaît bien pour l’avoir vécue dans sa jeunesse à la fois lorsqu’il habitait en province, mais également à Paris.

Ensuite, il s’agit pour lui de décrire la physiologie de ce temps dont il est issu. C’est une époque historique où s’affrontent deux histoires, deux France, celle de l’Ancien régime et de la Révolution. La première se targue de ses valeurs ancestrales et ne comprend rien à cette France fondée sur des intérêts individuels et matériels d’une bourgeoisie désireuse de faire des affaires. On voit ainsi s’opposer deux courants politiques, les ultras (les tenants du retour à la monarchie absolue) et les libéraux (ceux d’une évolution du régime avec l’incorporation des droits individuels et collectifs issus de la Révolution et de l’Empire).

C’est également un moment de tensions importantes en France sur fond de réussite sociale entre ses différents membres qu’ils soient des personnages gagnants ou perdants de l’Histoire. Pour ces derniers, proscrits sous la période révolutionnaire et ayant perdu à ce titre leurs richesses et leurs biens, il ne leur reste plus que leur orgueil tiré du temps passé.

C’est, en outre, une France qui prend le train de la modernité avec l’essor de la Banque, de la Presse, du monde des affaires. Cette modernité marque l’impossible retour au passé. Elle s’appuie sur une décomposition de larges pans de l’économie autrefois exclusivement agricole pour devenir industrieuse avant de faire naître la Révolution industrielle à partir de 1860 et de Napoléon III. Balzac a sous les yeux les matériaux utiles pour décrire comme un historien ou un sociologue, la vie de ses contemporains sous des angles les plus divers.

C’est enfin une période qu’il aime à la différence de la France de Louis-Philippe.


2.6 Louis-Philippe


Comment se régime s'installe-t-il ?

Le dernier frère de Louis XVI, Charles X, ordonne par ordonnances en date du 25 juillet 1830 la suspension de la liberté de la presse, la dissolution de l'Assemblée nationale pourtant élue un mois plus tôt avec une poussée de l'opposition et enfin la modification de la loi électorale. Le mécontentement monte ; les barricades se dressent à Paris le 28 juillet. Le lendemain la capitale est aux mains du peuple : la révolution est en marche avec son cortège de morts et de blessés en nombre. Le 30 juillet, Charles X quitte Paris dans la nuit. Les libéraux proposent alors la nomination du duc d'Orléans qui appartient à la branche cadette de la famille royale. Thiers qui est le représentant de cette opposition considère qu'il est la seule alternative possible pour la France. Louis-Philippe est dès lors élu "roi des Français" le 7 août 1830.

Balzac n’a que mépris pour cette France de la monarchie de Juillet (1830-1848). C’est pourtant la période durant laquelle il a écrit l’essentiel de la Comédie humaine. L’auteur préfère placer non seulement l’action sous la Restauration, mais n’évoque ce nouveau régime que de manière anecdotique (chute de la royauté, essor du charbon, du train, les progrès de la médecine etc…). Pourquoi ?

D'abord, Balzac s’affirme comme un monarchiste convaincu, mais il est peu porté sur les querelles dynastiques.

Il considère surtout que le XIXe siècle doit s’adapter aux données nouvelles de la société. Cette époque doit rechercher la stabilité politique et accorder la liberté d’initiative en matière économique et sociale. De ce fait, il est un ardent opposant à l’égalitarisme révolutionnaire et ne s’intéresse guère aux revendications du peuple.

Ensuite, dans le régime de Louis-Philippe, Balzac voit une période où les intérêts individuels de la bourgeoisie sont encore plus favorisés par l'État, ce qui accroît la défragmentation sociale.

Dans la Peau de Chagrin, le référentiel politique et social apparaît en filigrane et laisse un goût amer à la jeunesse : la société qui est bloquée est incapable de fournir de l'espoir à sa jeunesse qui n'a pas d'autre solution que de se compromettre avec le pouvoir (cf. le projet de journal fondé par le banquier Taillefer dans le but de préserver les intérêts de la haute bourgeoisie).

Pour autant, l’auteur se laisse prendre au jeu du système qu'il a lui-même mis en place puisqu’il fait vieillir ses personnages qui finissent de facto sous le règne de la monarchie de Juillet.


Sources :

Castex, l’univers de « la Comédie humaine », La Pléiade, tome 1

Francis Démier, La France de la Restauration (1814-1830). L’impossible retour du passé, Gallimard, coll. Folio histoire,

Félicien Marceau, Balzac et son monde, Tel Gallimard

Geneviève MADORE Balzac, homme politique légitimiste et visionnaire

file:///Users/user/Downloads/689-Texte%20de%20l'article-1092-1-10-20120822.pdf

http://hbalzac.free.fr/temps.php


  1. La géographie dans la Comédie humaine


Nous verrons l’importance de la géographie et notamment de Paris dans la somme romanesque. Balzac a habité dans la capitale pendant trente-cinq ans et a dû déménager dix fois souvent pour fuir ses créanciers. Ce qui nous intéresse, c’est le rôle que la capitale joue dans l’œuvre : la géographie est un des piliers du système mis en place.


Comme l’histoire, l’espace entre dans la composition réaliste d’une œuvre. On pense notamment aux longues descriptions de villes ou de paysages qui est la marque de fabrique de l’auteur, connaisseur direct ou indirect des lieux qu’il décrit.


3.1 Province/Capitale


La Comédie humaine se situe au cœur d’une dichotomie entre deux espaces : Paris et la province.

On peut le constater dans les Études de mœurs au centre desquelles se trouvent les scènes de la vie de province (cf. Les illusions perdues) qui répondent aux scènes de la vie parisienne.

Mais cette opposition dépasse l’intitulé des deux scènes susvisées. Ainsi les scènes de la vie militaire reprennent le distinguo avec le roman les Chouans, dans lequel a lieu une lutte armée entre les Bretons/Normands d’une part, et, d’autre part, les armées du gouvernement révolutionnaire.  

Cette séparation entre Paris et la province constitue donc une ligne de fracture manifeste. Il reste que l'on peut se demander les raisons d'un tel clivage.

Dans la Comédie humaine, la référence à Paris est porteuse de prestige. C'est le lieu par excellence où règnent le bon goût, les bonnes manières, la culture, les affaires. C'est l'endroit où il faut vivre pour ...être. On quitte la province pour réussir dans la vie. Telle est la destinée de deux fameux provinciaux que sont Rastignac et Lucien de Rubempré.

Cette ligne de séparation Paris/Province figure en arrière-fond de très nombreux romans/nouvelles. Elle se révèle le plus souvent au travers des usages provinciaux qui tentent de suivre -sans grand succès- les codes parisiens.

On doit aussi indiquer que la capitale, elle-même, est sujette à divisions par quartier.


3.2 Paris


Le système balzacien est fondé sur une savante découpe de la capitale. Sur quel critère principal s’opère la distinction dans la Comédie humaine ?

Il faut d’abord considérer la Rive gauche de la Rive droite avec la Seine comme ligne de fracture. Cette démarcation doit être comprise si l’on veut pénétrer dans l’œuvre. La situer, c'est comprendre d'où vient le personnage et quelle est son ambition.

Par ailleurs, chaque quartier, au sein de chaque rive, est lui-même associé à une position sociale déterminée.

Notons enfin que la Seine ne joue aucun rôle poétique ; au contraire, ce fleuve ne présage rien de bon puisqu’il illustre la tentation du désespoir et du suicide (Valentin dans la Peau de Chagrin).


3.2.1 Rive gauche

Dans cette configuration, trois quartiers sont à considérer :

  • Le quartier Saint-Germain,

  • Le Quartier latin,

  • Le quartier du Faubourg St Marceau (entre le 5e et le 13e arrondissement actuels)


Le quartier Saint-Germain

On y trouve le lieu d’élection de l’aristocratie traditionnelle, celle attachée à l’Ancien régime. C’est une caste qui vit figée et repliée dans ses us et coutumes, fermant la porte à la noblesse plus récente et à des unions avec des membres de la nouvelle société. Elle reste donc dans l’entre-soi.

La fortune de ces proscrits durant la Révolution s’est trouvée amoindrie et incapable de relever le défi lancé par les enjeux économiques de la Restauration et de la Monarchie de Juillet.

Cette noblesse ne possède plus que son arrogance et son orgueil pour briller : la duchesse de Langeais en est la digne représentante.


Le Quartier latin

C’est le siège de la jeunesse étudiante et des personnes qui se lancent dans la vie (journalistes, écrivains en herbe, etc…). La pension Vauquer, abritant le père Goriot en pleine déchéance sociale, se situe à la jonction du Quartier latin et du faubourg St Marceau.


Le quartier du Faubourg St Marceau

C’est le quartier le plus miséreux de cette rive et de Paris.

 

Venons-en à la Rive droite pour voir le large éventail de quartiers qui la composent.


3.2.2 Rive droite

Il s’agit du Paris du début du XIXe siècle avant les transformations opérées par le préfet Haussmann. C’est la rive la plus peuplée et la plus prospère. Elle comprend ainsi les restaurants, les théâtres, les magasins de luxe, les lieux de plaisir (jeux et prostitution).


  • Le marais : quartier sombre et calme, un peu retiré avec ses anciens hôtels particuliers appartenant à l’aristocratie désargentée. C’est aussi le lieu des demi-fortunes. (Cf. Le Cousin Pons)

  • Le Faubourg St Honoré : quartier logeant une aristocratie ancienne, mais d’une noblesse de robe et non d’épée comme celle du faubourg Saint-Germain. De nombreux salons y sont ouverts et font bon accueil aux idées nouvelles libérales, aux banquiers et aux artistes.

  • La Chaussée d’Antin : quartier des banquiers, des comédiennes, des nouveaux riches. Il s’y passe beaucoup d’intrigues et d’interactions. C’est l’endroit à la mode en 1830. Et c’est la raison pour laquelle c’est le lieu de prédilection de la Comédie humaine.

  • Le Second Paris : le quartier de la Nouvelle Athènes, Notre-Dame de Lorette, St Georges : lieu des femmes de petites vies (lorettes) : femmes entretenues, artistes, danseuses. Balzac brosse le portrait flatteur de ces femmes libres qui contrastent avec la froideur des femmes de la Haute société.

  • Parc Monceau : c’est le lieu de retraite sur la Rive droite pour ceux qui ont connu des revers de fortunes après 1830.

  • Les Champs-Élysées : la partie basse de la célèbre avenue permet des promenades en voitures où il faut se montrer, être vus par le Tout-Paris. Le haut des Champs-Élysées est en cours de construction avec ses futurs hôtels particuliers.


Source : Éric Hazan, Balzac, Paris, La Fabrique Éditions, 2018


  1. Les principaux thèmes de la Comédie humaine


Le système mis en place par Balzac laisse apparaître de nombreux thèmes communs. Ce n’est pas un hasard, mais une volonté de l’auteur de mettre au centre de son architecture de papier des sujets qui lui tiennent à cœur. L’idée est de faire entrer ces thèmes dans le système de dévoilement du monde.


4.1 Dévoilement

L’entreprise est ambitieuse. Balzac cherche à mettre en évidence les vices de son époque. Toute sa somme porte une critique implacable sur les comportements des individus au sein de la société ; il s’agit d’une dénonciation des mœurs que ce soit à Paris ou en province et dans tous les milieux. C’est bien sous le signe d’un certain réalisme qu’est née la Comédie humaine.


4.2 Thèmes principaux

Félicien Marceau, dans Balzac et son monde, en précise la nature et les contours.

  • L’amour : souvent malheureuses, adultères, tromperies diverses…

  • Les abîmes : grandeur et décadence des personnages dévoilés…

  • La volonté de puissance : domination des faibles, ascension sociale…

  • Thème du groupe : complot, basses manœuvres en bande organisée. Cf. les Treize.

  • L’absolu : le savoir, la philosophie, l’ésotérisme…

  • Le temps : celui qui passe, les regrets...

  • La religion : consolation, expiation des fautes, culpabilité judéo-chrétienne...

  • La justice et la politique : injustice des puissants sur les faibles et la politique des classes dominantes

  • L’argent : celui qui gouverne la société. En avoir ou pas…

Dans cette liste, nous en retiendrons le thème de l’argent qui nous semble d’importance dans tous les romans de Balzac.


L’argent

Balzac connaît le prix des choses dans le moindre détail. Il met dans la bouche de ses personnages les discussions prosaïques : on y parle d'argent tout le temps.

Balzac est entré dans un tel degré de précision qu’il est aujourd’hui possible de calculer le pouvoir d’achat des ménages puisque tous les éléments financiers sont déterminés :

  • salaire, pension, rente etc..

  • le coût de la vie (loyer, nourriture, habillement etc...).

Le réalisme des romanciers avant la Comédie humaine n’a jamais atteint ce point de précision.


But

L’argent est présenté comme un but à atteindre, une fin en soi. La question qui taraude les personnages balzaciens est celle de savoir comment s’enrichir au plus vite et de plus en plus.

Rappelons que sous la monarchie de Juillet (1830) régnait l'adage de Guizot, « enrichissez-vous ». L'État encourageait le libéralisme économique.

Dans la Comédie humaine, l’appât du gain est au contraire stigmatisé que l’on soit riche ou pauvre, car l’argent constitue un vice.


Vices

Tous les vices liés à l’argent sont examinés par Balzac avec un réalisme achevé. Il s’intéresse aux modes opératoires et aux effets qui en découlent. Le circuit de l’argent d’une poche à une autre est détaillé avec méthode.

Dans la perspective balzacienne, l’argent corrompt tout : les liens intra-familiaux, les relations professionnelles, amicales, politiques. L’argent roi gouverne le monde pour sa perte.

Le vol dans la caisse d’un honnête commerçant par son commis est évoqué (César Birotteau). D’autres vols peuvent aussi se réaliser de manière plus élaborée par l’émission de billets à ordre (effets de cavalerie) dont on sait d’avance qu’ils ne seront pas honorés ou des épisodes de spéculation aboutissant à une crise financière (La maison Nucingen).

L’avarice la plus sordide est mise en scène comme celle du père Grandet (Eugénie Grandet) qui s’oppose à la générosité du père Goriot dans le roman éponyme.

Vautrin peut projeter de tuer un homme pour permettre à Rastignac de capter indirectement un héritage (Le Père Goriot).

Les femmes ne sont pas en reste avec cette préoccupation bassement pécuniaire. Madame Camusot finira par capter l’héritage du Cousin Pons par ses manœuvres tout comme les deux filles du Père Goriot qui s’emploieront à dépouiller leur père avant de laisser mourir seul.

Lucien de Rubempré peut aussi ruiner sa famille en lui mentant de manière éhontée pour mener une vie dispendieuse et oisive (les Illusions perdues).

On voit donc l’immoralité qui est sous-jacente dans cette thématique : elle a aussi pour intérêt de montrer à l’inverse que l’absence d’argent est révélatrice d’une vertu particulière, la grandeur d’âme.


Vertu

L’argent est aussi un révélateur de la moralité des personnages de la Comédie humaine. Balzac conçoit même une forme de pureté dans l’absence de sens des affaires : David Séchard dans les Illusions perdues se fait acheter à vil prix son invention (papier d’imprimerie). César Birotteau, ruiné par bêtise dans son commerce de parfumerie, recouvre, lui, sa dignité lorsqu’il réussit à éponger ses dettes avant de mourir.

Le dépouillement est un signe de générosité lorsque la mère et la sœur Chardon ont vu leurs meubles saisis tandis que David Séchard est envoyé en prison pour les dettes parisiennes de Lucien de Rubempré. (Les Illusions perdues).

Le rapport avec l’argent mesure le degré d’humanité des personnages.

Pour résumer, moins on en a, plus on en donne et plus la profondeur d’âme apparaît sous la plume de Balzac.


Source : 

F. Marceau, Balzac et son monde, Tel Gallimard


  1. La place de la Peau de chagrin dans la Comédie humaine


Reportons nous à l’Avant-propos de la Comédie humaine avant d'en comprendre sa portée.

5.1 l'Avant-propos

Voici l’extrait qui nous intéresse : 

"Telle est l’assise pleine de figures, pleine de comédies et de tragédies sur laquelle s’élèvent les Études philosophiques, Seconde Partie de l’ouvrage, où le moyen social de tous les effets se trouve démontré, où les ravages de la pensée sont peints, sentiment à sentiment, et dont le premier ouvrage, la Peau de chagrin, relie en quelque sorte les Études de mœurs aux Études philosophiques par l’anneau d’une fantaisie presque orientale où la Vie elle-même est peinte aux prises avec le Désir, principe de toute Passion.

Balzac, Avant-propos de la Comédie humaine


5.2 Analyse

Que veut dire Balzac ? Reprenons, si vous le voulez bien, le fil de son argumentaire : 

  1. la Peau de Chagrin n’entre pas dans les études philosophiques,

  2. la Peau de Chagrin n’est pas dans les études des mœurs,

  3. il a pour fonction de relier en réalité les deux études,

  4. ce roman occupe ainsi une place à part.


C’est un roman qui est proche des Études philosophiques compte tenu du sujet exposé, à savoir des questions métaphysiques toute balzaciennes autour du temps et de l’existence. Mais il n’en fait pas partie de manière proprement dite : il a une fonction d’introduction à l’ensemble des ouvrages philosophiques, lesquels sont considérés comme des variations de la Peau de Chagrin avec l’exploitation de la trame du roman énergétique.

Ce roman présente également des caractéristiques sociales qui le rapprochent des Études de mœurs avec, de manière générale, la description sans équivoque d’un milieu social déterminé, le journalisme, le monde des affaires et des jeux, de l’aristocratie à Paris etc…

C’est donc un roman qui revêt une grande importance aux yeux de Balzac de ce point de vue, mais également du point de vue de son caractère autobiographique comme nous le verrons dans le paragraphe suivant. 

Source : Pierre Citron, Introduction à la Peau de chagrin, dans l’édition de la Pléiade de la Comédie humaine, tome X.


  1. Les accents autobiographiques de la Peau de chagrin


La Peau de Chagrin est un roman qui revêt une grande importance aux yeux de Balzac du point de vue de son caractère autobiographique. Le personnage principal, Raphaël de Valentin, est vu comme le “double” de l’écrivain. 


6.1 Double de l’auteur

On estime ainsi que Balzac a puisé dans sa propre histoire pour évoquer l’enfance et la jeunesse (années au collège) du héros. Son rapport au père est directement inspiré de ce qu’il a lui-même connu, tout comme sa vie d’étudiant dans sa mansarde parisienne et son travail dans une étude d’avoué.

Il a retranscrit également sa vie professionnelle avec ses débuts difficiles et le journalisme "alimentaire" qui lui a permis de subsister.

S’agissant du roman de l’énergie, Balzac a utilisé un élément autobiographique déterminant : le traité de la volonté. 


6.2 Le traité de la volonté

Au collège de Vendôme, où il a été pensionnaire, Balzac a rédigé un traité de la volonté qui n’a jamais été retrouvé. Nul ne connaît donc son contenu. On devine juste qu’il s’agit d’un traité sur l’anatomie et sur les fonctions des organes et des tissus du corps. Un ouvrage matérialiste en somme. 

On sait aussi que Balzac a été influencé par son père ; ce dernier entretenait un rapport singulier avec la mort : il s'exerçait, en effet, par différents moyens à vivre plus longtemps. Cette question du temps qui passe, de la longévité de l’homme est devenue une obsession pour l’auteur qui l'insère dans plusieurs ouvrages de la Comédie humaine.


Dans la 2e partie de la Peau de chagrin, l’écrivain évoque la rédaction d'un livre qui n’a pas encore de nom, ni d’objet. Il possède seulement une fonction de reconnaissance sociale : 

“Voici mon plan. Mes onze cents francs devaient suffire à ma vie pendant trois ans ; je m’accordais ce temps pour mettre au jour un ouvrage qui pût attirer l’attention publique sur moi, me faire une fortune ou un nom.”

https://fr.wikisource.org/wiki/La_Peau_de_chagrin/1855/Chapitre_2


Il faut attendre les pages suivantes pour découvrir l’existence de deux livres, l’un, une comédie, “une véritable niaiserie d’enfant", et l’autre, un traité dont on connaît enfin le nom : 


“Toi seul admiras ma Théorie de la volonté, ce long ouvrage pour lequel j’avais appris les langues orientales, l’anatomie, la physiologie, auquel j’avais consacré la plus grande partie de mon temps ; œuvre qui, si je ne me trompe, complétera les travaux de Mesmer, de Lavater, de Gall, de Bichat, en ouvrant une nouvelle route à la science humaine.”

https://fr.wikisource.org/wiki/La_Peau_de_chagrin/1855/Chapitre_2


Dans son roman le plus autobiographique, Louis Lambert, il reprend la théorie de la volonté en l’étoffant davantage.


II. Vision énergétique de "la Peau de chagrin"

Roman de l’énergie : “la Peau de Chagrin” (Balzac) : nous allons traiter la question de savoir comment Balzac conçoit sa propre vision énergétique dans la Peau de chagrin.


Avant de répondre à la question, nous devons ensemble définir la notion de roman de l’énergie sur le plan de l'histoire littéraire avant d'exposer les caractères proprement énergétique du roman de Balzac.


  1. Histoire littéraire


Qu’entend-on par roman d’énergie ?

Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser aux termes d’énergie, puis voir la notion de roman d'énergie avant puis après le XVIIIe siècle.


1.1 définition

Étymologiquement, “energeia” signifie en grec force en action qui se distingue de  “dynamis” signifiant force en puissance. 


Il convient ensuite de voir cette notion en physique, puis en philosophie et enfin en littérature. 


Physique

En physique, l’énergie se comprend de nos jours comme un système de travail destiné à produire un mouvement et par là, une lumière, de la chaleur, de l’électricité.

Nous sommes bien loin de la littérature…

Voyons son aspect philosophique qui a surgi en même temps que son aspect purement physique. 


Philosophie

Les Grecs ont fait un parallèle entre l’aspect purement matériel de l’énergie et l’aspect métaphysique. Aristote au IVe siècle avant J-C qui a écrit, en effet, deux traités sur l’énergie considère que l’homme dispose lui aussi d’une “force intérieure” qui lui permet d’agir à la fois sur le monde et sur lui-même. 

On commence à entrevoir le matériau dont la littérature va s’emparer. Restons dans l’Antiquité et découvrons un grand mythe qui convoque l’énergie avec Prométhée, le voleur de feu. 


Feu

Dans le monde antique, un conflit s’installe entre les hommes devenus de plus en plus habiles et Zeus au sujet de la part d’un sacrifice d’un taureau à revenir aux dieux, chacun voulant la meilleure part. 

Prométhée, fils de Japet, est appelé à les départager : sa décision devant s’imposer à tous. Ayant d’ores et déjà pris le parti des hommes, il choisit de faire deux sacs inégaux, l’un avec des os pour Zeus, l’autre avec la chair de l’animal pour les humains. 

Trompé, Zeus se met en colère et retire aux hommes le feu dont il disposait jusqu’alors ; mais ces derniers ne peuvent plus s’en passer. Prométhée intervient encore en leur faveur avec une nouvelle ruse : 

“Depuis, gardant le souvenir de son injure, il refusa aux mortels, aux malheureux habitants de la terre, le feu, ce puissant et actif élément. Mais il fut encore trompé par l’industrieux fils de Japet, qui sut le lui dérober, en refermant dans la tige d’une férule ses rayons éclatants. Cependant le cœur de Zeus est rongé par le dépit, la colère s’empare de son âme, lorsqu’il voit au loin, dans la demeure des humains, briller le feu qui lui est ravi.“

Hésiode, la Théogonie


Sources :

Mythologica.fr https://mythologica.fr/grec/promethee.htm


1.2 L'énergie avant le XVIIIe siècle


Le roman de l’énergie n’existe à proprement parler qu’à partir du XVIIIe siècle. Cela ne veut pas dire que l’énergie n’est pas évoquée auparavant : elle appartient seulement à un champ délimité : la religion.


Religion

L’énergie, force primordiale, est assimilée au pouvoir de Dieu, du créateur dans le mythe de la formation du monde. Dieu constitue donc la source parfaite d’énergie et la littérature religieuse reprend abondamment ce thème. Par voie de capillarité, la nature, en tant que création divine, est elle aussi dotée d’une énergie. On lui attribue à ce titre un caractère hautement sacré traduit couramment dans la poésie... 

Cela signifie a contrario que cette énergie est hors de portée des hommes ; imparfaits, ces derniers sont mus par leurs passions aveugles qui les détournent de leur salut : ils sont dans la quête de l’équilibre qui préfigure un idéal repris notamment dans la littérature. C’est un des éléments clé de l’histoire du classicisme au XVIIe siècle.


Équilibre

Au temps de Louis XIV, l’équilibre constitue un idéal de forme. Le mouvement existe certes, mais comme une oscillation pour se rétablir. La métaphore de la balance restitue l'idée. 

Selon Michel Delon*, cet équilibre est fondé sur un ordre immuable, une hiérarchie divine, politique et sociale acceptée, des règles strictes (notamment dans le théâtre avec les 3 unités), des valeurs de tempérance, sur la recherche de rationalité. 

Dans cet esprit, l’équilibre exige la clarté.

Cette dernière est recherchée sur le plan littéraire dans les traités (cf. Bossuet) ou dans les œuvres de fiction que ce soient des romans (cf. La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette,  ou des pièces de théâtre, comédie ( Molière) ou tragédie (Corneille, Racine).

Sur le plan philosophique, la raison est valorisée et doit amener l’homme à maîtriser ses passions qui les conduisent à sa perte. (cf. Pascal)

On a ainsi créé un modèle idéal : l’honnête homme.


L’honnête homme

L’honnête homme est un concept définissant un homme de cour : il s’habille avec élégance et il est toujours d’humeur égale. Il n'y a rien de ridicule en lui ; il possède une conversation digne du plus grand intérêt. Depuis des années, il s'est soumis à une discipline éprouvée. Sa formation mondaine et intellectuelle a été parfaitement soignée. Rien n’a été laissé au hasard. Tout est donc parfaitement ordonné. 

Un tel honnête homme refuse de se mettre en avant, à la fois par discrétion et par rejet de toute forme de pédantisme : il cherche, au contraire, à mettre en valeur autrui par une droiture de cœur et une sociabilité toute aristocratique.


Energie

L’émergence de l’énergie appliquée à l’homme surgit durant le siècle suivant, celui des Lumières. Il entraîne une nouvelle conception du monde qui rompt avec cet équilibre idéalisé : en effet, le mouvement pénètre en force et envahit tout l’espace ; il déstabilise tout sur son passage, comme nous le verrons dans l’article suivant.


sources : Michel Delon, l’idée d’énergie au tournant des Lumières (1770-1820) PUF littératures modernes



1.3 Les romans de l'énergie au XVIIIe siècle


Selon Michel Delon*, les Lumières se fondent sur un autre idéal, la notion d’énergie. L’équilibre du siècle précédent est purement et simplement abandonné dans tous les domaines esthétiques, philosophiques et moraux au profit du dynamisme. (cf les Liaisons dangereuses, Laclos)

Celui-ci recouvre toutes choses qu’elles soient naturelles ou humaines : le monde s’anime de forces se bousculant dans un univers désormais fragmenté. Ce nouvel âge veut tout saisir, tout comprendre. Rien n’est donné, tout est à découvrir sous un rapport dynamique. Qui dit dynamique dit relation.

Ainsi chaque chose entre ainsi en lien avec d'autres : cela entraîne des phénomènes de tension et de transformation. 


La langue

La langue, elle-même, subit le même processus dynamique, elle se transforme dans la littérature. Là où les règles de clarté s’imposaient, on est désormais dans le flou, l’imprécision : on n’a plus pour objet de représenter ou d’imiter le réel, mais on l’imagine avec une esthétique plus libre.

L’énergie, autrefois l’attribut de Dieu, devient un principe non divin : il est de l’ordre de l'Histoire.

Selon Michel Delon, cette énergie correspond à l’épanouissement de l’individu qui devient le centre des préoccupations : on s’intéresse au bonheur et au désir sous toutes ses formes. L’énergie trouve aussi sa limite dans son paroxysme avec Sade taxé d'immoralisme. 


Romantisme

Ce phénomène débute sous Louis XVI pour perdurer jusqu’à l’Empire : l’idée d’énergie fait ainsi passer le temps des Lumières au Romantisme. Curieusement, cette idée linguistique  conduit à la définition moderne de la physique et la chimique comme sciences de la relation. 

Dans le paragraphe suivant, nous verrons la conception du roman énergétique chez Balzac.


source : Michel Delon, l’idée d’énergie au tournant des Lumières (1770-1820) PUF littératures modernes


  1. La Peau de chagrin, un roman d'énergie ?


On peut se demander comment, dans ce roman, Balzac conçoit sa propre vision énergétique. En digne fils des Lumières, l’écrivain s’est réapproprié l’idée d’énergie pour en faire le moteur de la Comédie humaine : on a vu que la Peau de chagrin constitue la porte d’entrée aux études philosophiques. 

Balzac a ainsi cherché à décrire l’homme en mouvement sous l’angle de sa transformation, mais de surcroît, il a imaginé la force énergétique de sa création jusqu'à son épuisement. Le meilleur exemple que l’on puisse donner, c’est de prendre l’image de la pile électrique ou d'une batterie de téléphone... 

La pile pleine ou la batterie d’un téléphone qui se décharge à force de l’avoir utilisée à fond constitue la meilleure illustration de ce qu’a voulu Balzac pour signifier l’existence. Pour l’auteur, en effet deux voies s’offrent à l’homme :


  • soit on consomme la pile/batterie à l’économie et on obtient l'allongement de sa durée,

  • soit on en abuse à fond et c'est le raccourcissement de sa durée.


On peut caractériser le caractère “énergétique” de la Peau de chagrin par le mouvement des forces dans les paroles et actes des personnages du roman.


Ainsi schématiquement, on peut considérer les points suivants selon la méthode éprouvée depuis des années par la Gazette : la Méthode Des 6 GROSSES CLEFS ©  : il s’agit de prendre le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant : 


       6           GROSSES                                      CLEFS

Gr : grammaire                               C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SE : les 5 sens                            FS : figures de style


Procédés de style

Reprenons l’hypothèse de la pile et tentons de comprendre comment Balzac a cherché à exploiter le thème de l’énergie : nous vous proposons une grille de lecture de synthèse :

Grammaire : puissance 

  • rythme donné binaire/ternaire/quaternaire…

  • ponctuation frappante, 

  • discours direct/indirect,

  • phrases complexes : subordonnées relatives, conjonctives, ou apposées, 

  • voix affirmative/négative,

  • superlatif, comparatif.


Conjugaison : vitesse de l’énergie : 

  • changement de modes (de l’impératif à l'indicatif) jusqu’à l’expression du mode la réflexion (conditionnel/subjonctif ), 

  • Changement de temps : rupture (passé/présent) : pas de futur,

  • Présent de vérité générale.

Oppositions : polarité des forces positive/négative

  • nombreuses antithèses,

  • oxymores.

Champs lexicaux : intensité de l’énergie

  • thème du corps,

  • thème de la mort.

Sens  contact entre 2 corps

  • sensualisme du texte : des corps à la dérive, 

  • matérialisme, 

  • ouïe/vue/toucher/goût mais pas l’odorat

  • importance du toucher : contact entre 2 corps.



 

2.1 définition de la Peau de chagrin : 


Qu'est-ce qu'une "peau de chagrin" ?


2.1.1 nature et rôle de la Peau de chagrin (Balzac)


Définissons aujourd'hui la nature de cette Peau de chagrin avant d’en comprendre son rôle.


Balzac exploite la notion d’énergie autour de ce que nous avons choisi d’illustrer, la pile électrique dont la consommation de vie se fait soit à l'économie ou soit à fond. La durée de l’existence n’est pas un thème nouveau dans la littérature ; on la retrouve à la fois dans son principe (allongement/rétrécissement) et dans sa forme matérielle que l’on peut toucher. 


Support

Chaque auteur a besoin en effet d’un support pour matérialiser le repère de vie : dans l’Antiquité, on parle du fil des Parques qui se rompt pour évoquer la mort. 

”La Parque t’a tuée, et cendres tu reposes.” 

Ronsard, Comme on voit sur la branche, Amours, 1560


Au XIXè siècle, Goethe, dans Faust, choisit un contrat écrit avec le sang du héros :

“MÉPHISTOPHÉLÈS.
À quoi bon tout ce bavardage ? Pourquoi t’emporter avec tant de chaleur ? Il suffira du premier papier venu. Tu te serviras, pour signer ton nom, d’une petite goutte de sang.”

Goethe, Faust


Balzac a repris l’idée d'énergie et le support matériel, mais il a revisité les deux notions comme nous le verrons. Il a décidé de se servir d’un objet exotique qui matérialise le pacte. Pour cela, il a joué sur le terme de chagrin qui possède deux sens : 

  • c’est du cuir de chèvre : on l’obtient encore selon un processus de tannage végétal faisant apparaître un grain naturel. Le chagrin n’est donc pas lisse et ainsi deux sens sont convoqués lorsqu'on parle de ce type de peau : la vue et le toucher dont nous verrons que ce sont justement les deux ressorts sensoriels utilisés par l’auteur.

  • la tristesse, le déplaisir : notion qui nous est familière.


On obtient ainsi un support original issu de l’imagination de Balzac. Et pour constituer l’énergie, il s’est fondé sur un pléonasme.


La formulation de La Peau de chagrin peut s’analyser sur le plan grammatical  comme :

Mots

nature

fonction

La

déterminant défini : c’est un objet unique.

/

Peau

nom propre (majuscule)

/

de

préposition reliant les deux termes

/

chagrin

nom commun

complément du nom Peau

 

Nous pouvons traduire ce titre par la "Peau de la peau". Cela constitue donc un pléonasme (ex : monter en haut). Qu’est-ce que ce terme signifie dans la perspective énergétique ? L’écrivain a voulu accorder à la Peau, la seule et l’unique au monde, une force inouïe, hors de la réalité, ce qui constitue en soi un élément du fantastique (comme nous le verrons).


Source : Pierre Citron, Introduction à la Peau de Chagrin, dans l’édition de la Pléiade de la Comédie humaine, tome X.


Dans l'article suivant, nous verrons la conclusion du pacte souscrit par Valentin avec son destin.




 
 
 

Subscribe here to get my latest posts

© 2035 by The Book Lover. Powered and secured by Wix

  • Facebook
  • Twitter
bottom of page