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Analyse de "Sido" et "des Vrilles de la vigne" (Colette)

  • Photo du rédacteur: Marie-Noëlle Parisot-Schmitt
    Marie-Noëlle Parisot-Schmitt
  • il y a 2 heures
  • 32 min de lecture

Bac : Découvrons quatre analyses linéaires selon la méthode des 6 GROSSES CLEFS © tirés d'extraits des deux œuvres au programme de Colette.


Colette est en tenue d'écolière comme son personnage Claudine
Colette

Analyse de "Sido" et "des Vrilles de la vigne" (Colette).

Il vous sera proposé d'étudier de manière linéaire quatre extraits selon la progression suivante :

 plan d'analyse

Nous allons étudier de manière linéaire les textes selon la méthode des 6 GROSSES  CLEFS.

Il s’agit de prendre le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant :

Gr : grammaire                            C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SES : les 5 sens                            FS : figures de style

 

Analyse de "Sido" et "des Vrilles de la vigne" (Colette) : le choix des passages étudiés linéairement :


  • le rôle d’initiatrice de la mère : analyse du passage : “« Sido » répugnait à toute hécatombe de fleurs. … je me taisais, jalouse…” (Sido)

  • le jardin d’Éden : “Dans mon quartier natal, on n’eût pas compté vingt maisons privées de jardin…(Sido)

  • la conscience de soi : analyse du passage le Miroir dans les vrilles de la vigne : “Quoi, vous prétendez  n’avoir jamais été petite…la fin.

  • L'enjeu poétique : le rossignol : “Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit” (Les vrilles de la vigne).


le rôle d’initiatrice de la mère

Nous allons analyser le passage : “« Sido » répugnait à toute hécatombe de fleurs. … je me taisais, jalouse…” (Sido) : retrouvez le texte colorié selon la méthode.


« Sido » répugnait à toute hécatombe de fleurs. Elle qui ne savait que donner, je l’ai pourtant vue refuser les fleurs qu’on venait parfois quêter pour parer un corbillard ou une tombe. Elle se faisait dure, fronçait les sourcils et répondait « non » d’un air vindicatif.

– Mais c’est pour le pauvre M. Enfert, qui est mort hier à la nuit ! La pauvre Mme Enfert fait peine, elle dit qu’elle voudrait voir partir son mari sous les fleurs, que ce serait sa consolation ! Vous qui avez de si belles roses-mousse, madame Colette…

– Mes roses-mousse ! Quelle horreur ! Sur un mort !

 Après ce cri, elle se reprenait et répétait :

Non. Personne n’a condamné mes roses à mourir en même temps que M. Enfert./

/Mais elle sacrifiait volontiers une très belle fleur à un enfant très petit,un enfant encore sans parole, comme le petit qu’une mitoyenne de l’Estlui apporta par orgueil, un jour, dans notre jardin. Ma mère blâma le maillot trop serré du nourrisson, dénoua le bonnet à trois pièces, l’inutile fichu de laine, et contempla à l’aise les cheveux en anneaux de bronze, les joues, les yeux noirs sévères et vastes d’un garçon de dix mois, plus beau vraiment que tous les autres garçons de dix mois. Elle lui donna une rose cuisse-de-nymphe-émue qu’il accepta avec emportement, qu’il porta à sa bouche et suça, puis il pétrit la fleur dans ses puissantes petites mains, lui arracha des pétales, rebordés et sanguins à l’image deses propres lèvres…/

 Attends, vilain ! dit sa jeune mère.

Mais la mienne applaudissait, des yeux et de la voix, au massacre de la rose, et je me taisais, jalouse…/

Colette, Sido


Ce petit passage illustre très bien notre problématique liant la célébration du monde aux paradoxes. Ce texte montre le travail de réécriture littéraire de Colette : nous pouvons relever trois parties : 


1.1. Le respect des fleurs prôné par la mère


Dans ce premier paragraphe, on note la mise en récit d’une scène remarquable, un usage social bien établi et un refus paradoxal.


a. une scène remarquable

On relève l’opposition entre deux personnages, celle qui fait l’action, “Sido”, “elle”, et le témoin racontant dans le détail, sa fille, avec le pronom personnel “je”. 

Pour décrire cette scène étonnante, Colette emploie deux sens la vue “voir”/“vue” et l'ouïe “répondait” ainsi que toutes les tournures exclamatives : le but recherché est de donner l’impression d’une scène extrêmement vivante. 

Un principe est posé au style indirect avec la tournure : “«Sido» répugnait”. On note que le verbe comporte un sens péjoratif, ce qui est paradoxal pour définir une affection positive. Colette décrit ainsi sa mère pour souligner ses goûts tranchés et son fort caractère. 

C’est une description qui repose aussi sur l’imparfait “répugnait”/“savait/“venait“/“faisait”: la valeur de l'imparfait renvoie à une habitude. Laquelle ? Celle d’offrir des fleurs lors d’un décès. 


b) un usage social établi

Offrir des fleurs constitue, en effet, un usage social établi à l'époque de Colette ; on le relève avec le pronom impersonnel “ on venait parfois quêter” associé à la valeur d’habitude produite par l’imparfait. Dans quel but ?

L’offrande des fleurs vise à atténuer la douleur : “consolation”. C’est donc une pratique généreuse et sociale à laquelle Sido répond de manière outrancière.


c) un refus paradoxal

La réaction de la mère se fait contradictoire avec l’opposition  “donner/refuser”. L’auteure choisit la tournure restrictive “ne…que” pour souligner sa générosité ; mais dans ce souvenir, Sido adopte une attitude contraire. Pourquoi ? 


  • le champ lexical de la mort

Colette utilise un paradoxe : elle choisit le  champ lexical de la mort et donc le registre tragique pour montrer son attachement à la vie : “hécatombe” qui est de surcroît une hyperbole, “corbillard” /“tombe” /“consolation”. 

Sous la plume de Colette, le mort est affublé du lieu de séjour des réprouvés “Enfert” : notons la liberté de ton et l’humour noir de l’auteure.

Par ailleurs, Colette montre le caractère entier de Sido à l’aide d’une énumération de verbes en apposition “faisait dure”, "fronçait" et “répondait non d’un ton vindicatif”. 

Pour que nous ayons une idée plus vivace de Sido, Colette choisit le style direct avec trois courts dialogues : elle passe alors au présent et recourt à des phrases exclamatives, donnant de la vigueur au récit.


  • la demande initiale

Dans un premier temps, le contenu de la demande est exprimé par une personne non nommée ; elle veut émouvoir Sido avec la répétition de l’adjectif “pauvre”.

Cette requête est polie et compassée avec une phrase complexe comportant une subordonnée relative “qui est mort” et des subordonnées conjonctives réintroduisant le style indirect “elle dit que” suivi du conditionnel "voudrait voir”/”serait” : la quémandeuse donne toutes les raisons pour obtenir gain de cause. 

Elle finit par l’apostrophe “Vous qui avez”/“madame Colette” en interpellant directement Sido tout en la flattant avec la formulation “si belles roses-mousse”. Mais les points de suspension montrent que Sido lui coupe la parole et s’emporte.


  • La fin de non-recevoir

Cette dernière s’y oppose, en effet, de manière impolie avec trois phrases non verbales exclamatives : “Mes roses-mousse ! Quelle horreur ! Sur un mort !”.

On note ainsi son insensibilité qui est accentuée avec l’opposition “sous les fleurs”/”sur un mort”.

Pour insister sur le manque de tact de Sido, Colette emploie en outre le terme “cri”, le sens de l'ouïe est encore une fois convoqué dans ce souvenir. La réponse est une atteinte à la bienséance. Sido, sur le fond et sur la forme, adopte une attitude particulièrement choquante.

D’ailleurs, Colette procède par allusion avec  “elle se reprenait”. Il est suggéré que Sido se rend compte de son manque de tact, qu'elle change d’attitude : on assiste à une réponse en bonne et due forme avec une phrase cette fois verbale. 

Changeant de ton, Sido ne change pas sur le fond puisqu’elle répète la négation “non”. 

Elle conclut l’entretien par une affirmation solennelle : “Personne n’a condamné mes roses à mourir en même temps que M. Enfert.” Cette phrase nous renseigne sur les valeurs morales de Sido. 

Ainsi on note une personnification de ses fleurs, “condamné mes roses” : ces dernières sont présentées comme des victimes innocentes d’un supplice injuste : Colette magnifie paradoxalement ses fleurs en partant du registre tragique. On est dans le champ lexical morbide du châtiment, “condamné”/”mourir”. Elle refuse de lier leur sort à la mort de son voisin avec le connecteur “en même temps”. 

L’emploi du pronom indéfini “personne” est en réalité un pied de nez à la demande, mais aussi à la société, aux conventions voire à la religion. Sido voue un culte à la nature et donc aux fleurs de son jardin avec le possessif “mes roses”. 

Ce portrait de Sido suffirait à nous la représenter comme une femme non conformiste, mais Colette poursuit dans une autre séquence beaucoup plus étonnante.


1.2 Le sacrifice d’une fleur permis par la mère

Revisitant son passé, Colette choisit de compléter le portrait de Sido. Elle utilise un procédé particulier afin d’obtenir le renversement de perspective et de rendre un culte à la vie.


a) un procédé inversé

Colette lie les deux séquences avec une conjonction de coordination “mais” introduisant une opposition à venir. Dans ce nouvel exemple, l’écrivaine choisit d’inverser les personnages. 

Ainsi “Monsieur Denfert” est remplacé par un enfant en bas âge, soit deux personnages représentant les deux extrémités de la vie. Cette fois-ci, c’est le champ lexical de l’enfance qui est convoqué : “nourrisson” /“maillot”/”sans parole”/”bonnet”/”fichu”. 

En outre, la quémandeuse est remplacée par une voisine avec la périphrase :” une mitoyenne de l’Est”.

Colette nous la désigne comme une mère jugée inexpérimentée par Sido toute-puissante “blâma” : “trop serré”/”dénoua”/”inutile”. 

L’action est clairement située dans le jardin, lieu clos, qui est le centre de gravité. L’action est décrite au passé simple, comme un événement unique : “comme le petit qu’une mitoyenne de l’Est lui apporta par orgueil, un jour,”

Il reste que Sido est là comme dans la première partie, mais son attachement aux fleurs change radicalement : “Mais elle sacrifiaitvolontiers une très belle fleur “ : la notion de sacrifice présente un sens positif, c’est devenu un don qu’elle fait de bon cœur. Elle joue un rôle actif et non passif comme dans la première phase. Quelle est la raison d’un tel revirement ? Un renversement de perspective.


b) un renversement de perspective

Colette renverse, en effet, la perspective : le culte de Sido pour les fleurs dépasse le cadre de la nature pour embrasser, en réalité, quelque chose de plus profond : la vie. 

La vie est incarnée par l’enfant, terme utilisé plusieurs fois avec des redondances "petit"/nourrisson/”garcon de dix mois”. C’est un être pur, avec l’expression “sans parole”. Sido adopte une conception rousseauiste, l’innocence. 

Le bébé est rendu à la nature, dépouillé de ce qui, culturellement, le cache et surtout l’entrave, “trop serré”/”dénoua”/”inutile” : ce qui constitue une forme de mort d’un être à lui-même. 

Et c’est Sido qui restitue à l’enfant sa vraie nature comme un grand prêtre. Elle utilise des termes liturgiques “sacrifice”/“bronze” ainsi que lerythme ternaire “blama”/”dénoua”/contempla”.

Puis à la phrase suivante, Sido aboutit à un don, “donna”. La fleur est l’objet d’un culte sacrificiel.


 c. le culte de la vie

Colette recourt à une phrase complexe donnant un rythme lent. Colette entend magnifier le spectacle qui se joue sous ses yeux. Le champ lexical du corps est employé “bouche”/”mains”/”lèvres”. C’est une expérience sensorielle à laquelle on assiste avec le toucher “pétrit”/ “arracha”, le goût ”porta à sa bouche”/”suça”: l’enfant détruit la fleur “arracha les pétales”. Mais loin d’être décrite comme une catastrophe, la scène est de l’ordre du mélioratif,“pétrit” : on pétrit le pain pour en faire quelque chose, combler une faim. 

Sur le plan symbolique, l’enfant fait totalement corps avec la fleur comme Colette le suggère avec la comparaison entre la rose et les lèvres de l’enfant “à l’image de ses propres lèvres…“ 

De cette destruction sort une connaissance simple, proche de la nature, qui éveille l’enfant, sa conscience. C’est une démarche  pleine de vitalité.

Mais les points de suspension rythment à nouveau cette scène qui s’arrête.  Pourquoi ? C’est le moment où la fille reprend en main l’histoire.


1.3 La jalousie de la fille.


Les points de suspension mettent fin à l’épisode et témoignent d’un malaise avec une chute saisissante.


a. la fin de l’épisode

Avec les points de suspension, on coupe court à la description et on revient à l’histoire : Colette fait alors intervenir la jeune mère jusque-là taiseuse. Le style direct est là de nouveau avec une phrase exclamative comprenant un impératif : “Attends, vilain ! “. 

L’enfant est donc grondé. L’action est brève et contraste avec le temps long de la préhension de la fleur par l’enfant.

L’histoire change à nouveau de rythme pour repartir au style indirect avec une deuxième rupture : “Mais la mienne applaudissait”. On mesure l’opposition entre la jeune mère et Sido, l’une qui se fâche et l’autre qui encourage “applaudissait” et l’insistance avec les éléments du corps “ yeux et de la voix” : Sido se met à l’unisson avec l’enfant en s’opposant à la mère de ce dernier. 

On note une gradation : le sacrifice est devenu “un massacre de la rose” : on est encore dans le domaine de la personnification et du registre tragique, mais à des fins de glorification de la vie.


b. une chute saisissante

Dans la dernière proposition coordonnée, le témoin de la scène fait une brève apparition dans l’histoire : “et je me taisais, jalouse…” : de manière elliptique, Colette en dit long d’abord sur son opposition avec sa mère qui parle alors qu’elle se tait. Elle en donne l’explication avec l’adjectif “jalouse” mis en apposition. La remémoration du souvenir laisse des traces d’une souffrance passée qui redonne à nouveau une nouvelle forme au registre tragique. Pour souligner cette pudeur, Colette recourt à nouveau aux points de suspension. 


Le jardin d'Eden

Nous verrons le deuxième passage démontrant l’importance du jardin dans la construction du lien avec le monde. Nous l’analyserons en utilisant la méthode des 6 GROSSES CLEFS ©. Découvrons-la dans le détail, si vous le voulez bien.


“/Dans mon quartier natal, on n’eût pas compté vingt maisons privées de jardin. Les plus mal partagées jouissaient d’une cour, plantée ou non, couverte ou non de treilles. Chaque façade cachait un «jardin-de-derrière» profond, tenant aux autres jardins-de-derrière par des murs mitoyens. Ces jardins-de-derrière donnaient le ton au village. Onvivait l’été, on y lessivait ; on y fendait le bois l’hiver, on y besognait en toute saison, et les enfants, jouant sous les hangars, perchaient sur les ridelles des chars à foin dételés./

/Les enclos qui jouxtaient le nôtre ne réclamaient pas de mystère la déclivité du sol, des murs hauts et vieux, des rideaux d’arbres protégeaient notre « jardin d’en haut » et notre « jardin d’en bas ». Le flanc sonore de la colline répercutait les bruits, portait, d’un atoll maraîcher cerné de maisons à un « parc d’agrément », les nouvelles.

De notre jardin, nous entendions, au Sud, Miton éternuer en bêchant et parler à son chien blanc dont il teignait, au 14 juillet, la tête en bleu et l’arrière-train en rouge. Au Nord, la mère Adolphe chantait un petit cantique en bottelant des violettes pour l’autel de notre église foudroyée, qui n’a plus de clocher. À l’Est, une sonnette triste annonçait chez le notaire la visite d’un client Que me parle-t-on de la méfiance provinciale ? Belle méfiance ! Nos jardins se disaient tout./ 

/Oh ! aimable vie policée de nos jardins ! Courtoisie, aménité de potager à « fleuriste » et de bosquet à basse-cour ! Quel mal jamais fût venu pardessus un espalier mitoyen, le long des faîtières en dalles plates cimentées de lichen et d’orpin brûlant, boulevard des chats et des chattes ? De l’autre côté, sur la rue, les enfants insolents musaient, jouaient aux billes, troussaient leurs jupons, au-dessus du ruisseau ; les voisins se dévisageaient et jetaient une petite malédiction, un rire, une épluchure dans le sillage de chaque passantles hommes fumaient sur les seuils et crachaientGris de fer, à grands volets décolorés, notre façade à nous ne s’entrouvrait que sur mes gammes malhabiles, un aboiement de chien répondant aux coups de sonnette, et le chant des serins verts en cage.

Peut-être nos voisins imitaient-ils, dans leurs jardins, la paix de notre jardin où les enfants ne se battaient point, où bêtes et gens s’exprimaient avec douceur, un jardin où, trente années durant, un mari et une femme vécurent sans élever la voix l’un contre l’autre…”/

Colette, Sido


Ce passage illustre le travail de l’écrivain qui interprète ses souvenirs pour en donner une vision littéraire qui se fonde sur une image totalement idéalisée comme nous pouvons le voir au travers du découpage de ce texte :

2.1 Les jardins du village


Colette adopte un point de vue généralisant pour commencer sa description « objective » qui devient progressivement de plus en plus individualisée. Le jardin clos entre dans un ensemble uniformisé.


a) une vision “objective”


C’est par un point de vue externe, et même plongeant partant du haut vers le bas que l’auteure débute sa description pour donner une vision objective, entièrement retravaillée. Elle emploie le pronom impersonnel « on » et le passé antérieur pour parler d’un décompte effectué a posteriori “on n’eût pas compté” :  arrêtons-nous sur cette négation en forme de litote “ne…pas”, sur le participe passé, “privées”, et sur les deux tournures négatives qui sont destinées à amplifier paradoxalement l’importance positive du jardin. Ce choix descriptif permet donc de voir par-delà les murs jusque dans les recoins cachés.

À ce stade du texte, la description concerne le lieu et non ses habitants qui sont indéfinis “Les plus mal partagées”.

Colette envisage ensuite la description de manière individuelle avec le déterminant indéfini “chaque façade" : chaque signifie “tous”, mais comme un élément individuel dans lequel on trouve, au choix, une “cour”, “ces jardins-de-derrière”,“hangar”, "enclos". Ces jardins entrent aussi dans un ensemble uniformisé. 


b) un ensemble uniformisé

Colette considère le jardin comme la norme à la fois dans sa composition mais également dans le mode de vie commun avant de signifier que c’est un lieu de récréation.


-un“jardin-de-derrière” 

L’auteure y décrit un même urbanisme “ autres jardins-de-derrière »: ce néologisme décrit en une image l’emplacement du lieu, loin des regards avec le verbe “cachait”. Elle en précise la grande surface avec l’adjectif “profond” et l’importance par le fait que cela donne un effet pittoresque “le ton au village”. C’est le particulier qui définit le général dans l’esprit de Colette qui envisage aussi la destination commune de ces lieux.


- une destination commune

Après avoir décrit l’uniformité du lieu, c’est maintenant sa commune utilisation. Pour cela, l’auteure recourt aux oppositions entre les saisons “été”/”hiver” avant de considérer son usage durant toute l’année “en toute saison”. Qu’y fait on ? 

Dans la première partie du texte, on y “jouissait” sens repris avec le verbe “vivait”, c’est-à-dire qu’on en profitait. Le champ lexical de la verdure appuie cette passivité avec “plantée”/”treille”/”bois”/”foin”. 

Mais en réalité, on s’active dans ce jardin devenu un adverbe ‘y” : on note la gradation des verbes particuliers ”lessivait”(le linge)/ ”fendait” (le bois de chauffage) et finalement  “besognait” (toute activité) : on passe là encore du particulier au général. 


- un lieu de récréation

C’est enfin un lieu de récréation et de jeux avec la présence “d’enfants” : on relève que les habitants ne sont pas définis, alors que les enfants émergent de cette indifférenciation. Pourquoi ? 

Ils sont décrits, minutieusement, dans un lieu “sous les hangars” et dans le choix, précis, d’un jeu : “perchaient sur les ridelles des chars à foin dételés”. C’est une évocation illustrative de la candeur de l’enfance comme on peut le voir avec le fait d’utiliser des choses usuelles “char à foin dételé” pour jeu. On est dans le domaine du naturel et non de l’artifice. Ce cadre posé permet de centrer la description sur la particularité du jardin natal.

Ce deuxième paragraphe précise les contours du jardin de l’auteure. On assiste aussi à une description fondée sur le sens de la vue, de l'ouïe et du toucher qui instillent une dimension à la fois joyeuse, mais aussi tragique. On voit enfin que le jardin occupe une place centrale.


2.2 La place centrale du jardin


a) les contours du jardin 

Colette entre dans le cœur de sa description. On arrive au caractère particulier du jardin. Elle brosse le portrait d’un lieu contrasté ; il comporte a priori des défauts : il est coincé entre deux jardins “jouxtaient”, il est en pente “déclivité” et enfin il est cintré par de “vieux murs”. 

Mais sous la plume de l’auteure, cela donne un aspect bénéfique exprimé, toujours chez elle, par la négation en forme de litote “ne réclamaient pas de mystère” : c’est donc une donnée de la nature qui est bonne en soi à la manière rousseauiste.  

Ce jardin est curieusement découpé en deux parties opposées : “jardin d’en haut »/«jardin d’en bas » : cette périphrase topographique avec des éléments simples, “haut” et “bas”, aboutit à la création de noms distinctifs formant ensemble ce jardin de l’enfance. 

Colette utilise enfin la métaphore “rideaux d’arbres” pour signifier le côté intime et son aspect chaleureux avec “protégeaient”. C’est le moment où l’auteure décide d’utiliser la large palette de sens pour frapper l’imagination.


b) l’utilisation des sens

Chez Colette, les sens jouent toujours un rôle important : ils permettent de donner une vision concrète des choses entrant dans le domaine de l’enfance. Jusqu’à présent, la description reposait sur la vue “vingt maisons” “jouxtaient”, “en haut/en bas”, elle utilise désormais l'ouïe “sonore”/”bruits”. 

Le quartier donne vraiment l’impression d’être une caisse de résonance avec un élément encore non évoqué “colline”, associée au terme “répercutait” : les bruits perçus de la nature, “atoll maraîcher”, métaphore pleine de fraîcheur, deviennent alors des “nouvelles” de la société, ”parc d’agrément”, groupe nominal présentant un aspect superficiel. On est sur un rythme binaire nature/culture qui est repris par la suite.

L’auteure se fonde également sur les habitudes prises, fournies par une autre valeur de l’imparfait. Elle s’emploie alors à détailler ce qu’elle entend habituellement, “éternuer”, “chantait”, "annonçait" : la gradation produit un effet crescendo, du naturel, “éternuer”, “chanter”, au social avec "annonçait". Rythme binaire.

Donnant un aspect plus vivant, en mouvement, Colette ajoute le sens du toucher à l'ouïe. Les voisins sont, cette fois, nommés “Miton”, “la mère Adolphe”, “le notaire” : leur action laisse à comprendre ce qu’ils font puisque les murs empêchent de voir. Le jardinier “éternue” et “bêche”, la voisine “chante” en faisant un bouquet “bottelant” et un quidam présenté par l’adjectif défini “le client” appuie sur la sonnette. 

Pour donner davantage de relief, l’auteur ajoute de nombreux détails visuels réinterprétés a posteriori : le chien blanc en version tricolore : “la tête en bleu et l’arrière-train en rouge. “ pour la fête nationale ; le bouquet de “violettes” : l’auteure puise dans la gamme des couleurs primaires opposant la couleur chaude “rouge” à la couleur froide “bleu” ; les deux couleurs associées formant le violet, couleur secondaire. L’auteure brosse avec ses mots un portrait coloré. Mais on perçoit un changement de registre.


c. un registre tragique

Colette joue aussi sur les registres pour donner de l’ampleur à son texte. Ainsi le registre lyrique est rappelé par la mention de la fête nationale “14 juillet” ; mais s’ouvre alors un autre registre, tragique cette fois. 

On le voit avec le champ lexical de la mort avec “petit cantique”/ “autel foudroyé” /“église qui n’a plus de clocher” avec la personnification de la “sonnette triste” et les points de suspension pour évoquer l’annonce d’un deuil.

Dans l’esprit de Colette, la joie est toujours mêlée à la mort. Son écriture vise à fixer de manière littéraire le caractère binaire de l’existence. Il reste que la focalisation est poussée d’un cran, car le jardin de son enfance occupe désormais une place centrale.


d. la place centrale du jardin

La ligne de fuite converge vers le jardin de son enfance même si c’est encore un pur travail de réécriture littéraire. 

Pour souligner le rôle central, il faut comprendre que la délimitation du jardin se fait par rapport aux autres fonds, définis, eux, par les points cardinaux “nord””sud”est”. 

On sait, en outre, que c’est sa place centrale qui en fait le réceptacle des secrets du voisinage. C’est une redondance avec la fin du paragraphe précédent, mais l’effet est accentué : on passe des “nouvelles” à “nos jardins se disaient tout” : on note la personnification du jardin voulue par l’auteure. 


2.3 Un jardin d’Eden


L’auteure entend faire du jardin de son enfance un abri loin du monde qui est porteur d’une puissance délétère avant d’en faire le siège de sa famille. 


a) un abri hors du monde

Elle se fonde sur une opposition entre deux côtés, entre le “jardin “et la “rue”, et sur l’opposition des registres lyrique/tragique.


-le jardin aux accents lyriques 

Dans le jardin, véritable paradis, tout y est bien ordonné : “policée”/”courtoisie” ; l’existence y est décrite comme douce avec l’adjectif “aimable” et le nom “aménité”. On vit loin du monde et en autarcie avec les fruits et légumes “potager” satisfaisant les besoins alimentaires (primaires) ; on y trouve même une basse cour. Mais le jardin n’a pas qu’une fonction utilitaire, il permet également de satisfaire le goût pour l'esthétique (besoin secondaire) avec la vision de la beauté “fleuriste” et “bosquet”. L’emploi des phrases exclamatives, donnant un rythme ternaire, forment un cri du cœur. On est dans le registre lyrique C’est pour mieux souligner le contraste avec la deuxième branche de l’opposition, la rue.

C’est par une phrase interrogative que Colette pose les contours hostiles du monde extérieur : “Quel mal jamais fût venu pardessus un espaliermitoyen, le long des faîtières en dalles plates cimentées de lichen et d’orpin brûlant, boulevard des chats et des chattes ?”. Elle dresse une frontière entre le bien non expressément nommé et “le mal”. Le bien est implicitement décrit dans l’union du minéral “dalles plates”, du végétal “espalier” et de l’animal dans ses deux genres complémentaires “chat/chattes”. On est là encore dans le registre lyrique. On assiste donc à une description idéalisée d’un jardin d’Eden : cette description prend tout son sens avec son exact opposé, le monde extérieur.


-la rue aux accents tragiques

Le monde extérieur hostile se fait proche, car il s’agit “de l’autre côté”, mention elliptique omettant volontairement le terme mur, contrastant avec la description fourmillante du jardin. On adjoint le terme défini, “la rue”, produisant un effet redondant et inutile. Ce monde est en tous points désaccordé, sans harmonie. On y entre crescendo avec les enfants, pour arriver aux voisins et enfin aux hommes. Ce sont des groupes hostiles. 

À la différence des enfants jouant paisiblement dans le jardin, les enfants de la rue sont décrits avec les détails péjoratifs “insolents” et le verbe “musaient” signifiant perdre son temps. L’énumération des verbes d’inaction et d’action montrent l'ennui profond qui les atteint. Même les jeux “jouaient aux billes”,/sauter au-dessus de l'eau “troussaient leurs jupons” n’ont pas de cohérence avec le milieu bucolique qui les entoure. Ils y sont indifférents. L’emploi de l’adverbe “au-dessus du ruisseau” montre le détachement vis à vis de la nature que l’on franchit allègrement.

Les adultes ne sont pas épargnés : on notera que l’auteure utilise le terme “les voisins” qui englobent le masculin et le féminin. On note une distinction dans les comportements des deux sexes, si on analyse bien les choses. Colette commence par les femmes sans les nommer justement ; on le comprend a contrario lorsque l’auteure évoque expressément, cette fois, leurs maris : “les hommes fumaient sur les seuils et crachaient”. On note ainsi une opposition entre les femmes situées à l’intérieur, en train de vaquer à leur travail, et les hommes, placés devant la porte, et donc paresseux. L’activité des femmes est tournée, non sur ce qu’elles font, mais sur ce qui se passe en dehors de chez elles. 

Comme leurs enfants, elles perdent leur temps, mais cette fois non à jouer, mais à se jalouser entre elles “dévisageaient“. Ce n’est qu’un préalable avant d’en venir aux méchancetés avec le verbe “jetaient”. Le sens de ce verbe est très fort même s’il doit être pris dans le sens figuré. On assiste alors à une énumération de marques d’hostilités allant crescendo avec l’emploi d’un article indéfini, un/une marquant ainsi un large éventail dans la bassesse ordinaire. Ainsi on débute par “une petite malédiction" avec l’adjectif “petite” qui laisse à penser qu’elle est dite de manière peu audible et donc sournoise. Cette invective se transforme ensuite en moquerie, “un rire”, que l’on sent cette fois audible et donc cruel puisque l’auteure n’a pas jugé nécessaire de lui adjoindre un quelconque qualificatif. Et l’on finit par la pure malveillance avec le jet de légume “épluchure” sur toute personne avec “chaque passant” suggérant le caractère répétitif du méfait.

Les hommes ne sont pas en reste avec le fait de cracher par terre, constituant en lui-même une marque d’hostilité. On retrouve le procédé des points de suspension indiquant que la liste des avanies ordinaires n’est pas close.

Le monde de la rue est donc décrit sous un jour particulièrement violent :“insolent”/“jetaient”/”malédiction”/”fumaient”/“crachaient”. Le registre est volontiers tragique puisque la mort rôde eu dehors du jardin.


b) le siège de la famille

On comprend mieux pourquoi la famille de l’auteure s’est mise volontairement en retrait de ce monde avec l’emploi de la tournure restrictive “ne… que” associé au verbe “s’entrouvrir”, c'est-à-dire ouvrir faiblement les portes.

On peut noter que c’est la façade qui est évoquée puisqu’elle donne sur la rue et non le jardin qui, lui, est étanche au mal.

L’univers familial est clos : rien ne s’y échappe, si ce n’est la musique qui a l’art d’adoucir les mœurs avec “mes gammes malhabiles”. On est passé du nous au possessif de la première personne du singulier. 

À chaque sollicitation des hommes, hostiles avec le sens du toucher “coups” de sonnette, on rétorque par la douceur animale “aboiement du chien” “chant des serins”. 

Le bonheur, côté jardin, est caractérisé par l’union du genre humain “les gens” et du règne animal “les bêtes”. Tous vivent en harmonie comprise comme “la paix” et “la douceur”. C’est l’antithèse du monde extérieur avec la violence qui n’a plus cours : “ les enfants ne se battaient point”. 

Le jardin est ce lieu clos où l’auteure glorifie non plus une famille ; le possessif de la première personne du pluriel s’efface “notre jardin “ pour mettre en lumière deux personnes prises ensemble :  “un homme et une femme”. Il s’agit de deux êtres issus de la nature, au même titre que les chats et les chattes ou les bêtes mentionnées ci-avant. Avec cette tournure indéfinie, on peut voir une métaphore d’Adam et Eve, placés dans ce jardin d’Eden.

Mais le lien conjugal, lien social par excellence, est ensuite souligné avec “un mari et une femme”. On a vu précédemment que tout ce qui venait de la culture n’était pas valorisé dans ce texte. Mais là, on peut voir son aspect mélioratif avec la longévité mentionnée “trente années durant”, mais surtout l’harmonie exceptionnelle “sans élever la voix l’un contre l’autre…”


Les points de suspension soulignent l’admiration de l’auteure devant ce fait remarquable.

La conscience de soi

Ce troisième passage illustre le travail de l’écrivain qui interprète ses souvenirs pour en donner une vision littéraire entièrement repensée, comme dans cet extrait mettant en présence la narratrice, sous les traits de Colette, et son personnage de fiction, Claudine. Les deux personnages en miroir échangent, se questionnent, l’une étant le double de l’autre ; nous sommes à la fin de ce texte et c’est Claudine qui interpelle Colette sur son enfance.


“/– Quoi ! Vous prétendez n’avoir jamais été petite ? 

Jamais. Jai grandi, mais je nai pas été petite. Je n’ai jamais changé. Je me souviensde moi avec une netteté, une mélancolie qui ne m’abusent point. Le même cœur obscur et pudique, le même goût passionné pour tout ce qui respire à l’air libre et loin de l’hommearbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles, – la même gravité vite muée en exaltation sans cause… Tout cela, c’est moi enfant et moi à présent /Mais ce quej’ai perdu, Claudine, c’est mon bel orgueil, la secrète certitude d’être une enfant précieuse, de sentir en moi une âme extraordinaire d’homme intelligent, de femme amoureuse, une âme à faire éclater mon petit corps… Hélas, Claudine, j’ai perdu presque tout cela, à ne devenir après tout quune femmeVous vous souvenez du mot magnifique de notre amie Calliope, à l’homme qui la suppliait : « Qu’avez-vous fait de grand pour que je vous appartienne ? » Ce mot-là, je n’oserais plus le penser à présent, mais je l’aurais dit, quand j’avais douze ans.Oui, je l’aurais dit ! Vous n’imaginez pas quelle reine de la terre j’étais à douze ans ! Solide, la voix rude, deux tresses trop serrées qui sifflaient autour de moi comme des mèches de fouet ; les mains roussies, griffées, marquées de cicatrices, un front carré de garçon que je cache à présent jusqu’aux sourcilsAh ! que vous m’auriez aimée, quand j’avais douze ans, et comme je me regrette !/

/Mon Sosie sourit, d’un sourire sans gaîté, qui creuse ses joues sèches, ses joues de chat il y a si peu de chair entre les tempes larges et les mâchoires étroites : 

Ne regrettez-vous que cela ? dit-elle. Alors je vous envierais entre toutes les femmes… 

Je me tais, et Claudine ne semble pas attendre de réponse. Une fois encore, je sens que la pensée de mon cher Sosie a rejoint ma pensée, qu’elle l’épouse avec passion, en silence…Jointes, ailées, vertigineuses, elles s’élèvent comme les doux hiboux veloutés de ce crépuscule verdissant. Jusqu’à quelle heure suspendront-elles leur vol sans se disjoindre, au-dessus de ces deux corps immobiles et pareils, dont la nuit lentement dévore les visages ?…

 

1.être et avoir été toujours la même personne


Ce texte se fonde sur un premier mouvement qui soutient le paradoxe pour Colette d’avoir toujours été la même personne ; nous verrons la forme choisie par Colette, avec le dialogue et la mise en abyme avant le fond du sujet.


  1. la forme

Sur la forme, cette affirmation est rendue particulièrement vivante par le jeu du miroir et le recours aux dialogues. 

-un jeu de miroir

Dans ce passage, Colette évoque librement son enfance en mettant en présence le double en miroir :  la narratrice qui s’exprime avec le pronom personnel “je” et sa créature, Claudine, copie de celle qu’elle a été. Il s’agit d’un récit qui évoque une enfance revisitée : il s’agit d’une réinterprétation de l’enfance à des fins littéraires. 

C’est aussi un moment d’introspection en miroir avec l’opposition entre “je” pronom personnel sujet et “moi” pronom personnel complément : “je me souviens de moi” : celle qui est maintenant regarde celle de l’enfance.

-le recours aux dialogues

On assiste à un échange entre l’auteure et son personnage, Claudine. On relève la distance voulue entre la créatrice et sa créature avec le vouvoiement “vous”. Cette dernière n’est pas servile, elle fait preuve d'autonomie puisqu’elle prend l’initiative de la questionner. 

Elle fait preuve également de liberté de ton en mettant en doute ce que dit la narratrice avec le verbe “prétendre”. La question est précédée d’une exclamation “Quoi !” qui montre son parfait étonnement et sa spontanéité. Avec la longueur de sa réponse, l’auteure reprend l’initiative en monopolisant la parole : il s’agit de comprendre qu’en parlant à sa créature, à son double, appelé aussi “mon Sosie”, elle se parle à elle-même sous le contrôle de sa créature littéraire.


  1. le fond

La réponse de la narratrice est fondée sur des antithèses, véritables paradoxes et sur le registre nostalgique.

- les paradoxes 

Ce passage porte en germe l’antithèse exprimée par deux propositions indépendantes coordonnées, l’une évoquant le fait de prendre de l’âge à la voix affirmative “j’ai grandi” et l’autre évoquant l’enfance, rappelée par la voix négative, “je nai pas été petite”. C’est une technique usuelle chez Colette d’affirmer une chose par la voix négative. Elle expose un paradoxe insoutenable : grandir sans jamais avoir été une enfant, ce qui suscite évidemment de la curiosité. 

L’auteur répète l'adverbe “jamais” en indiquant dans une seule proposition, encore une fois négative, : “Je n’ai jamais changé.” Cette proposition se veut conclusive alors que rien n’a été jusque-là démontré.

Pour persuader son double, la narratrice fait alors appel aux souvenirs qu’elle fait remonter cette fois au présent de l’indicatif “je me souviens”.   Elle puise aussi dans les sentiments avec le sens de la vue “avec une netteté”.  Elle évoque le siège des émotions “le cœur” et “le goût” : on est sur une perception sensorielle des choses.

Mais l’argumentation semble bancale, car on tombe sur une opposition dans son caractère changeant pris entre “gravité” et “exaltation” : deux attitudes différentes, exclusives l’une de l’autre. Les points de suspension en disent long. Le champ lexical de la nostalgique s’incarne dans ses mots.

-le champ lexical de la nostalgie

La narratrice abolit la distance entre le passé “c’est moi enfant”  et le présent “moi à présent” : on note la répétition du pronom personnel “moi” qui serait donc un trait commun. 

Notons néanmoins qu’elle ne se qualifie pas en tant qu’adulte, elle le suggère seulement de manière indéfinie avec les points de suspension. 

Le champ lexical de la nostalgie résulte des termes “mélancolie”, de la répétition du pronom personnel “moi”, de l’adverbe “même”, pour le caractère indéfini de ce qu’elle évoque “tout ce qui respire”/”tout cela”. On note la pudeur de l’auteure dans cette difficulté à dire.

Mais la nostalgie transparaît par le refus de s’exprimer au passé : l’auteure débute en recourant du bout des lèvres au passé composé, le temps le plus proche du présent, qui permet l’introspection, “Jai grandi”/ “Je n’ai jamais changé.” Ensuite, elle parvient au présent “je me souviens”. Colette emploie à la fin une longue phrase non verbale :  “Le même cœur obscur et pudique, le même goût passionné/ la même gravité vite muée en exaltation sans cause… “ :  on note donc le refus de se positionner sur une échelle de temps. Elle préfère utiliser le participe passé “vite muée” ou la proposition infinitive “pour tout ce qui respire “. L’effet obtenu est de donner un aspect extrêmement lyrique à ces souvenirs avec le champ lexical de la nature et l’énumération “  arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles”. : association du végétal, de l’animal et les éléments. On retrouve cette soif de liberté qui la rend si proche de la nature “pour tout ce qui respire” et éloignée de la société “loin des hommes” : on retrouve l’opposition entre la nature et la culture. Cette position tranchée connaît une rupture. 


2. La perte de soi

On assiste dans ce paragraphe à une antithèse avec la thèse développée précédemment : la narratrice soutient qu’elle n’est plus vraiment la même par un effet de rupture. Elle fait état des modifications qui touchent son caractère, avant d’évoquer par opposition le bouleversement physique. Enfin nous verrons les registres opposés.


  1. un effet de rupture 

Colette se fonde sur la conjonction de coordination “mais” qui se veut tranchante alors que rien ne le justifie en réalité. Cela produit un effet de contraste marquant la perte irrémédiable qui suggère des sanglots.

-une perte irrémédiable

Elle allègue d’une perte “j’ai perdu” s’exprimant à la voix affirmative, en décalage avec le procédé précédent, tout en conservant le passé composé, temps de l’introspection. 

On note une gradation au fil du paragraphe avec “j’ai perdu presque tout” : l’adjonction de l’adverbe produit un effet de litote. En fait, elle signifie que ce passage de l’enfance à l'âge adulte est irréparable.

Notons que l’auteure choisit le pronom démonstratif “ce que” en apposition, avant de procéder à l’énumération des différences entre les deux âges de la narratrice. L’accentuation est mise sur la perte elle-même, comme phénomène marquant, et non sur l’objet de la perte.

-des sanglots

On relève la présence d’une longue phrase complexe, sinueuse, avec ces nombreuses propositions en apposition : “c’est mon bel orgueil, la secrète certitude d’être une enfant précieuse, de sentir en moi une âme extraordinaire d’homme intelligent, de femme amoureuse, une âme à faire éclater mon petit corps…” : cela produit un effet haché, comme un sanglot. 

La narratrice prend enfin deux fois à témoin sa créature, avec le vocatif “Claudine,” et “Hélas, Claudine” en l’interpellant “Vous n’imaginez pas” “Ah ! que vous m’auriez aimé”. Elle l’associe à son introspection. Voyons maintenant les transformations qu’elle a subis. Elle fait état des changements de caractère et de son corps.


  1. les modifications de son être

La narratrice fait état du changement dans son caractère qu’elle ramène paradoxalement à son seul corps. On a vu que le paradoxe joue sur le refus de se laisser enfermer par une logique. Examinons d’abord le premier point  

-une perte immatérielle

L’auteure débute par une perte immatérielle : changement de caractère et de son âme. 

Le caractère est vu de manière méliorative “bel orgueil” , précisé par l’apposition “secrète certitude”. Elle évoque “l’âme” deux fois ; es adjectifs sont mélioratifs “précieuse”/“extraordinaire”/”amoureuse”. On est dans le champ de ce qui ne se voit pas, de ce qui constitue un être. C’est une vision spiritualiste, idéale. Mais cette vision ne dure pas. 

On relève l’opposition majeure dans ce paragraphe entre les deux auxiliaires, avoir : “j’ai perdu”/ “de sentir en moi” / “que je vous appartienne”/ “j’avais douze ans” et être “d’être une enfant”/ “ à ne devenir”/ “j’étais à douze ans !”: c’est bien le paradoxe du changement, le manque (avoir) qui transforme (être)

Cette opposition en sous-tend de nombreuses autres disséminées. D’abord, L’auteure souligne son appartenance naturelle à l’espèce humaine avec un âge d’or qu’elle fixe à ses douze ans répétés deux fois : il s’agit de marquer cette période d’avant l’adolescence. On peut ainsi opposer “une enfant précieuse,” et l’être humain, pris dans son sens universel “d’homme intelligent”. 

On note ensuite une lente gradation qui concerne, cette fois, le genre masculin : “à l’homme qui la suppliait”/”de garçon”  et le genre féminin : ”femme”/ “une enfant précieuse”/ “reine” : là encore, c’est une différence  dans l’ordre de la nature.

L’opposition que la narratrice n’admet pas, c’est celle qui concerne son corps :  “être une enfant” “reine de la terre” et “à ne devenir … qu’une femme” :  le verbe être se transforme avec le verbe d’état “devenir” impliquant un changement corporel, celui qui fait horreur la narratrice.

- un changement corporel

La narratrice fait état du changement dans son caractère qu’elle ramène paradoxalement à son seul physique. C’est en fait une manière de souligner ce qui la chagrine le plus. C’est pourquoi, on trouve le champ lexical de l’apparence physique convoquant le sens de la vue et l'ouïe : ”petit corps”/”voix”/”solide”/”deux tresses”/”mèches”/”mains”/”front”. 

On voit que les aspects positifs sont évoqués dans l’âge d’or. D’ailleurs elle fait le lien entre l’enfant de douze ans et “Calliope”, la déesse de la poésie. On entre dans le domaine de la toute puissance de l’enfance avec les adjectifs “solide”/ “extraordinaire” avec des noms “fouet”, avec les groupes nominaux “reine de la terre”.

Le passage à l’état d’adulte n’est décrit qu’une seule fois et de manière péjorative avec la tournure restrictive : “à ne devenir après tout qu’une femme… “ les points de suspension soulignent une amertume profonde. On note aussi le changement de registres.


  1. le changement de registre

L’auteure combine deux registres, l’un lyrique et l’autre tragique pour donner du relief à son texte. On a vu que c’est un procédé courant chez Colette qui manie ainsi le paradoxe.

-Le lyrisme 

Il se mesure aux exclamations “Oui, je l’aurais dit !”/ “Vous n’imaginez pas quelle reine de la terre j’étais à douze ans ! Cela donne une fraîcheur  au ton, une spontanéité également avec l’interjection “Ah ! “. 

On relève aussi des propos rapportés de la déesse de l’antiquité Calliope, au style direct, donnant un effet emphatique : “Qu’avez-vous fait de grand pour que je vous appartienne ? “ : on est dans le champ du lyrisme absolu avec la référence à la déesse de la poésie. Mais c’est sa combinaison paradoxale avec le registre tragique qui est intéressant.

- le registre tragique

Le registre tragique transparaît avec le verbe “perdu” deux fois répétés, avec la tournure “à ne devenir qu’une femme” comme on l’a vu. 

Mais on peut ajouter l’apostrophe “hélas” tout comme le regret exprimé par la conjonction de subordination  “et comme je me regrette !” : l’effet réflexif je/moi donne toute sa force à cette opposition tragique. 

On note aussi le champ lexical de la mort avec la présence du verbe “éclater” ou “supplier” , ou le participe passé “trop serrées”. Ces verbes trouvent un écho avec le nom commun “fouet” et les adjectifs “roussies, griffées, marquées de cicatrices,”. L'enfance disparue est un deuil, une petite mort dans l’esprit de Colette.

Enfin l’emploi du mode du conditionnel marque clairement le regret d’une action qui aurait pu être possible : “ Ce mot-là, je n’oserais plus le penser à présent, mais je l’aurais dit,quandj’avais douze ans. “ : cela souligne l’opposition présent/passé qui est insurmontable. Pour s’en convaincre, la narratrice le répète une fois “Oui, je l’aurais dit !”.

Enfin, c’est à destination de son double qu’elle lance cette exclamation : “ Ah ! que vous m’auriez aimée” : c’est aussi la marque d’un regret.  

On pourrait en rester sur cette impression triste, mais la vie reprend ses droits et le texte prend alors une nouvelle trajectoire avec la suite du dialogue entre la narratrice et son double. 


3. La communion entre les deux âmes

Dans la dernière partie de ce passage, on reste sur la note tragique avant une brusque invitation poétique.

  1. la réponse de Claudine 

On revient au temps du présent et la parole est rendue à Claudine ; le discours direct redonne un nouvel élan au texte avec pourtant la reprise du registre tragique qui précède la métamorphose rendue possible. 

-la reprise du registre tragique

Mais il reste empreint du registre tragique, car le Sosie, double de la narratrice, éprouve une profonde empathie à l'égard des sentiments évoqués : “Mon Sosie sourit, d’un sourire sans gaîté” : on note la répétition sourire/sourit avec l’effet d'atténuation introduit par l’adverbe de manque “sans”. On reste, en effet, dans le champ lexical de la mort : “sans gaîté”/”creuse””joues sèches"/”si peu de chair”, avec le verbe “regrettez”.

Ne regrettez-vous que cela ? dit-elle.”  

On sent pourtant que les choses ne vont pas en rester là : on va assister à une métamorphose au sens poétique du terme.

-la métamorphose

Colette fait alors intervenir le règne animal, celui qui est en mouvement, qui, dit-on, a plusieurs vies : “ses joues de chat”. Elle animalise ainsi Claudine avec un chat qui est l’animal préféré de Colette : cette métamorphose donne un aspect naturel et donc poétique : il prépare la communion entre la créatrice et sa créature qui se confirme par le témoignage de préférence lancé au conditionnel à la narratrice : “Alors je vous envierais entre toutes les femmes…” : c’est une valeur de certitude qui est donnée. 

Puis la proclamation s’arrête net avec les points de suspension qui entraînent un réenchantement du monde.


  1. une invitation poétique

Un élément capital joue en rôle primordial pour l’éclosion d’un instant poétique, le silence qui voit surgir un ressort dynamique avant la mise en place de la comparaison ailée convoquant deux registres littéraires. 

-le silence

La narratrice et son sosie respectent le silence dans une symétrie propre au miroir : “Je me tais,”/” Claudine ne semble pas attendre de réponse”. On note la tournure négative qui, par un effet de litote, affirme donc quelque chose et le recours au verbe d’état “semble” qui induit une certaine distance entre elles. Ce silence s’installe avec ses redondances “pensée”/ “en silence”/”immobile”. 

On est sur un temps où l’émotion prend toute sa place “je sens”. Cette manière d’éprouver les choses est manifestement habituelle comme l’indique la locution d’habitude “Une fois encore”. 

Loin de tomber dans une profonde léthargie, c’est au contraire un moment dynamique qui se met en place.

-le ressort dynamisme 

On relève qu’il s’agit d’une expérience spirituelle avec les noms “pensée”/”au-dessus de ces deux corps immobiles” : on a ainsi une opposition entre le corps qui reste vissé au sol et l’esprit qui se déploie. Et c’est, en effet, l’esprit qui joue désormais un rôle central.

Colette, comme toujours, utilise un paradoxe en employant des verbes de mouvement :  “a rejoint”/“épouse”/“s’élève”/”suspendre” /“disjoindre”. Il s’agit de montrer dans un instant apparemment statique entre deux êtres vus par l’adjectif qualificatif “pareils” une union spirituelle,“la pensée de mon cher Sosie”/”ma pensée”. La comparaison peut se mettre en place.

-la comparaison avec un hibou

C’est à un oiseau que Colette fait référence expressément “comme les doux hiboux” : on note le choix de la nuit pour illustrer cet instant poétique qui est long avec le terme “crépuscule”/“nuit”/ “lentement”. C’est le temps du rêve, de l’imaginaire.

Pour donner une impression saisissante, l’auteure met les trois adjectifs qualificatifs en apposition donnant un rythme ternaire : “Jointes, ailées, vertigineuses” : elle convoque ainsi des sens qui sont si importants dans la description colettienne. 

En premier lieu la vue : “jointes” signifiant l’union, ”vertigineuses” la hauteur est nommée de manière hyperbolique et “verdissant”, la couleur embrasse le ton général de la végétation. 

L’adjectif “ailées” rappelle l'ouïe, le bruissement des ailes.  

Elle ajoute le toucher qui joue un rôle hyperbolique” doux hiboux veloutés”, faisant référence au plumage que l’on pourrait caresser. C’est donc un instant de communion où un sentiment fort “la passion” s’exprime.

-la combinaison des registres

Le registre est d’abord lyrique avec la référence à peine voilée à Lamartine "'ô, temps suspends ton vol". Mais reformulée de manière interrogative : “Jusqu’à quelle heure suspendront-elles leur vol”.

C’est déjà rompre le charme avec le verbe “disjoindre” soit la rupture et “dévore” c’est-à-dire la mort : ces verbes appartiennent donc au registre tragique accentué par les points de suspension qui crée un effet de malaise. 

Le pouvoir de la création est donc soumis au aléa du temps et à la finitude humaine.

 

L'enjeu poétique : le rossignol


 
 
 

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