Portée du "Menteur"(Corneille)
- Marie-Noëlle Parisot-Schmitt
- il y a 6 jours
- 14 min de lecture
Bac : quelle est la portée de la pièce ? Quelle est sa morale ? Quelle est la fonction de la comédie cornélienne ? Quel rôle joue le mensonge ? Enfin comment décrire le héros cornélien ?

Portée du "Menteur"(Corneille)
Nous allons chercher à comprendre la portée du "Menteur"(Corneille), c'est-à-dire l'enjeu de la pièce au regard des aspects suivants :
La morale de la pièce
Le sujet de la pièce invite à se questionner sur la morale posée par la pièce. On rappelle le propos de la comédie de Corneille tourne autour du mensonge qui est vu, du point de vue de la morale, comme un vice. Le Menteur serait-il donc une comédie immorale ?
Contexte
Dans le contexte du XVIIe siècle, il faut rappeler l'influence morale de deux courants : les jansénistes et les jésuites.
Les jansénistes condamnent le genre théâtral considéré comme un divertissement frivole au sens pascalien du terme : la littérature, en général, et le théâtre, en particulier, ne créent que du mensonge en croyant imiter le vrai. Cette circonstance détourne ainsi l'homme de sa quête personnelle de la vérité.
Le courant jésuite, réputé trop laxiste, est critiqué par les jansénistes avant que ce dernier mouvement ne soit condamné par Louis XIV.
Il a fallu pour les théoriciens de la morale justifier du bien-fondé de la littérature théâtrale. Aubignac a ainsi cherché à promouvoir l’idée que la littérature a pour mission noble d’enseigner de grandes vérités aux hommes.
On a ainsi conçu le théâtre comme un moyen d'expression destiné à corriger l'homme. Castigat ridendo mores, le rire corrige les mœurs, ce qui est le propre du théâtre de Molière.
La comédie, de ce point de vue, est censée inviter l'homme à s’amender, à corriger ses défauts par le rire.
On voit donc l'enjeu moral qui sous-tend le théâtre au 17e siècle.
Qu'en est-il chez Corneille ?
Comédie cornélienne
Intéressons-nous, si vous le voulez bien, à la dernière tirade de l’acte V mise dans la bouche du valet, Cliton : analysons-la selon la méthode des 6 GROSSES CLEFS © :
Gr : grammaire C : Conjugaison
OS : oppositions le : champ lexical
SE : les 5 sens FS : figures de style
CLITON, seul.
Comme en sa propre fourbe un menteur s’embarrasse !Peu sauraient comme lui s’en tirer avec grâce.Vous autres qui doutiez s’il en pourrait sortir,Par un si rare exemple apprenez à mentir.
Le dernier vers surprend sur le plan de la morale. Le Menteur serait-il donc une comédie immorale ? On souligne l’habileté de la tirade reposant sur une maxime morale (a), sur une double interpellation (b) et enfin sur la dispensation d’un conseil apparemment immoral ©.
a) une maxime
Le premier vers est amené par le résumé de la comédie.
“Comme en sa propre fourbe un menteur s’embarrasse !“.
Avec cette phrase exclamative, Corneille évoque les pièges du mensonge ou, pour le dire autrement, le risque du menteur d’être pris à ses propres mensonges. Il s'agit pour lui de poser une maxime ayant une valeur de vérité générale dite au mode indicatif présent.
On est donc dans une posture morale, dissuasive en somme.
Mais la suite de la tirade sort de ce champ avec une double interpellation.
b) une double interpellation
Dans les deux vers suivants, Corneille interpelle à la fois le genre humain “peu”, mais également les spectateurs “vous autres” dans un face à face avec le valet dont la didascalie nous dit qu’il est “seul” : on a donc une gradation descendante. Par ailleurs, il recourt au mode conditionnel, celui de l’hypothèse.
Ainsi on a une opposition dans la quantité avec l’adverbe “peu” signifiant une quantité moindre et “vous autres” avec le pronom personnel 2e personne du pluriel, indiquant, à l’inverse, une grande quantité. C’est dans les deux cas l’évocation d'une impossibilité avec l’utilisation du mode conditionnel, celui de l’hypothèse avec “sauraient/pourrait”.
Les deux propositions subordonnées successives, l’une relative “qui doutiez” à l'imparfait de l'indicatif marquant la suspicion du public et, l'autre, interrogative indirecte au conditionnel “ s’il en pourrait sortir,” sont destinées à montrer l’imbroglio des mensonges et le talent du personnage principal.
Cette double interpellation du genre humain et du public laisse la victoire au héros cornélien avec la comparaison avec l’adverbe “comme lui”. On aurait pu en rester là, mais Corneille va plus loin…
c) Immoralité ?
On aboutit enfin à un changement de ton, l’impératif “apprenez à mentir” qui est mis en fin de vers.
Notons l'insistance sur l’exemplarité mise en avant : quelle est donc la valeur de ce mode ?
Comme vous le savez, l’impératif renvoie à l’ordre ou au conseil. Il s'agit de déterminer ce point pour voir la valeur morale ou immorale de cette comédie en particulier et de la comédie en général.
Il existe une nuance de taille :
Si c’est un ordre, c’est nécessairement immoral ;
Si c’est un conseil, on entre alors dans un domaine qui dépasse la morale.
Qu’en est-il ?
À la lecture fine de ce dernier vers, on note une ambiguïté :
“Par un si rare exemple apprenez à mentir.”,
Deux sens sont, en effet, à relever :
soit si vous voulez mentir, mentez bien sinon abstenez-vous : conseil pratique plutôt immoral,
soit si vous voulez mentir compris comme une volonté de créer une œuvre de fiction, soyez crédible : c’est évidemment un conseil, non immoral, mais d’ordre esthétique.
C’est évident le second sens qui prévaut et renvoie à la fonction de la comédie dévolue par Corneille
La fonction de la comédie cornélienne
Plaisir
Au XXe siècle, on a estimé que Corneille a dispensé des idées morales et politiques, mais c'est sans compter sur ses nombreuses dénégations formulées de son temps. Tout au long de sa carrière, il n'a cessé, en effet, de dire que la fin ultime de son théâtre n'avait rien à voir avec l'instruction morale ou civique du spectateur.
Il se sert des travers humains pour nourrir sa comédie : il fait donc de la comédie à partir des mœurs de la société de son temps. Mais ce n'est que son matériau et non une fin en soi.
Pour Corneille, le théâtre doit ainsi obéir à un seul impératif : le plaisir. Il considère qu'une œuvre doit procurer au spectateur un divertissement. Il faut aussi rappeler qu’au moment du Menteur triomphe alors, depuis la Fronde, la comédie burlesque espagnole, au rire plus fin, plus délicat que celui de la commedia dell’arte italienne.
Epître
Pour s’en convaincre, relevons ses propos dans l’épître précédant sa pièce en coloriant les points les plus importants selon la méthode des 6 GROSSES CLEFS © :
Gr : grammaire C : Conjugaison
OS : oppositions le : champ lexical
SE : les 5 sens FS : figures de style
“J’ai fait Pompée pour satisfaire à ceux qui ne trouvaient pas les vers de Polyeucte si puissants que ceux de Cinna, et leur montrer que j’en saurais bien retrouver la pompe quand le sujet le pourrait souffrir ; j’ai fait le Menteur pour contenter les souhaits de beaucoup d’autres qui, suivant l’humeur des Français, aiment le changement, et après tant de poèmes graves dont nos meilleures plumes ont enrichi la scène, m’ont demandé quelque chose de plus enjoué qui ne servît qu’à les divertir. “
https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Menteur_(Corneille,_Marty-Laveaux,_1862)/%C3%89p%C3%AEtreLe Menteur (Corneille, Marty-Laveaux, 1862)/Épître - Wikisource
La problématique qui se pose est celle de savoir sur quoi se fonde la singularité de la comédie singulière. Nous verrons qu’elle repose sur l’opposition entre les deux genres littéraires (a), sur le public de la comédie (b) et l’objectif poursuivi ©.
a) tragédie/comédie
On voit une argumentation reposant sur une volonté de convaincre par une construction en miroir, avec deux phrases juxtaposées reposant sur la répétition du verbe de création “j’ai fait” au passé composé, temps proche du présent.
Corneille dresse, en effet, un parallèle entre deux genres littéraires, ses tragédies et sa dernière comédie, reposant sur une même volonté de plaire comme le suggère les deux propositions infinitives “pour satisfaire/pour contenter”.
On relève aussi une critique ironique en ce qui concerne la réception de ses œuvres tragiques par ses pairs qui ne le ménagent pas “à ceux qui ne trouvaient pas“ : il s’en moque en recourant à une tournure négative et des pronoms produisant un effet impersonnel ; par ailleurs il utilise trois propositions relatives et conjonctives complétives et circonstancielles pour donner un effet de fausse justification reposant sur l’utilisation du conditionnel produisant un effet de litote “que j’en saurais bien retrouver la pompe quand le sujet le pourrait souffrir “.
Notons enfin l’opposition entre “à ceux” pour les tragédies et “beaucoup d’autres” en faveur de la comédie.
Corneille cherche désormais à se justifier positivement et à donner un sens à la comédie.
b) le public de la comédie
Sa première idée consiste à privilégier les bénéficiaires de ses pièces : pour cela, on retrouve la même construction avec les propositions subordonnées destinées, cette fois, après une gradation montante entre ceux/beaucoup d’autres et enfin le peuple, à mettre en valeur le public “des Français”. C’est donc non pour plaire aux critiques, mais aux hommes que la comédie cornélienne est destinée.
Et après sa destination, il y voit une fonction singulière : “quelque chose de plus enjoué qui ne servît qu’à les divertir. On avait vu dans un autre article l’emploi de périphrase qu’il reprend ici pour parler du genre de la comédie “quelque chose”.
Et cette manière de nommer est méliorative, car elle est associée à un superlatif “de plus enjoué” qui s’oppose de manière péjorative aux “tant de poèmes graves (...) nos meilleures plumes” avec de l’ironie en prime à l'adresse de ses contemporains. Dans l’esprit de Corneille, le champ lexical de la réjouissance est à relever : “contenter”/”souhaits”/”humeur”/”changement”/”enjoué”/”divertir”.
Pour que son argumentation soit claire, il emploie la tournure restrictive avec le mode subjonctif, celui du jugement de valeur : “ne servît qu’à les divertir.
Il ne voit donc qu’une seule et unique fonction à la comédie, celle d’être simplement plaisante. pour le dire autrement, la comédie cornélienne n’entre pas dans le champ de l’édification des consciences ; elles ne visent pas à instruire.
Elle a sa propre esthétique dépassant la fonction morale, ce qui est novateur à l’époque.
Il ne déviera jamais de cet objet dans l'épître de la Suite du Menteur (sa dernière pièce comique) :
“ Je voudrais que le peuple y eût trouvé autant d’agréable, afin que je vous pusse présenter quelque chose qui eût mieux atteint le but de l’art. Telle qu’elle est, je vous la donne, aussi bien que la première, et demeure de tout mon cœur,”
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Suite_du_Menteur/%C3%89p%C3%AEtre
Les différentes formes d'altération de la vérité
Il résulte de la lecture de cette pièce que nous ne sommes pas en présence d'un seul menteur mais de plusieurs. En effet, tous à différents niveaux entrent dans une stratégie de la dissimulation de la vérité pour obtenir un objectif déterminé.
Vous pourrez retrouver dans cette synthèse les trois procédés à l'œuvre dans cette comédie : les mensonges, les feintes et les quiproquos.
Les mensonges
Voici le premier procédé dans les cinq actes de la pièce :
Procédés | Temporalité | Caractère | Effets |
Mensonges
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N°1 : Dorante : Soldat et amour secret | Acte 1, scène 3 : Durée variable : -4 ans/ 1 an | Exotisme et la vaillance
| Intérêt suscité
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N°2 : Dorante : Organisateur de la fête | Acte 1, scène 5 1 mois Acte 3 scène 1 | Féérie, illusion | Jalousie d’Alcippe Réconciliation avec Alceste |
N°3 : Géronte
Mariage forcé | Deux actes : Acte 2, Scène 1 (projet) scène 5 (concrétisation) | Manipulation | Identification de Dorante |
N°4 : Dorante Mariage secret | Un acte : Acte 2, scène 5 | Défensif et offensif avec le récit épique du mariage secret mettant fin au déshonneur | Contentement du père |
N°5 : Dorante : la femme mariée | Acte 3, scène 2 : | Amitié | Réconciliation avec Alcippe |
N°6 Clarice qui joue l’indifférente | Acte 4, Sc9 | Rivalité : dissimulation de sa jalousie | Laisse le champ libre à Lucrèce. |
N°7 Lucrèce joue l’indifférente | Acte 4, Sc9 | Rivalité : dissimulation de son amour | Lucrèce manœuvre pour gagner Dorante. |
N° 8 : Dorante : duel sanglant et magique | Acte 4, scène 3 | Illusion, conte | Mise en scène démasquée par Cliton |
N°9 : Dorante et sa femme enceinte/nom du beau-père | Acte 4, scène 4 Acte V, scène 1 | Défensif | Contentement du père, Colère du père |
N°10 : Sabine lettre de Dorante déchirée sans avoir été lue par Lucrèce | Acte 5 scène 5
| Offensif | Mensonge à peine dit qu’il est démenti par Sabine |
N°11 : Dorante qui aime la vraie Lucrèce tout en flirtant avec Lucrèce | Acte 5, scène 6 | Défensif et spirituel | Cette version est confortée par l’annonce de Géronte du mariage organisé entre Dorante et Lucrèce |
Mensonge n°12 obéissance au père | Acte 5, scène 7 | Défensif | Défaite de Clarice |
Mensonge n°13 Obéissance au père | Acte 5, scène 7 | Offensif | Victoire de Lucrèce |
Les feintes
Feintes |
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N°1 : Clarice Faux-pas | Acte 1, scène 2, instantanée | Maniérée | Déclenchement de l’action |
N°2 Isabelle Projet de rendez-vous galant | Acte 2 scène 4 | Manipulation | poursuite du quiproquo sur les identités amoureuses |
N°3 Clarice qui va chez Lucrèce | Acte 3 scène 3 | Manipulation | Clarice alimente le premier quiproquo |
N°4 Lucrèce qui cherche à ravir Dorante (lettre) à son amie et acceptation de la méprise qui l’arrange | Acte 3 scène 3 | manipulation | Rivalité avec Clarice |
N°5 Lucrèce qui donne des consignes à Sabine | Acte 3 , scène 8 | Impératif | Obtention des informations sur l’amour de Dorante pour elle. |
N°6 Sabine fait semblant d’être là par hasard | Acte 4, scène 6, | intuitive | Elle rapproche Lucrèce et Dorante |
N° 7 Dorante : soudoie Sabine | Acte 4, scène 1 | Corruption | Information sur le demi amour de Lucrèce.
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N°8 : Dorante avoue son amour pour Lucrèce | Acte 5, scène 3 | Défensif | Chantage au mariage du père |
N°9 Dorante prévoit une ruse finale pour | Acte 5 scène 6 | ingénieux | Ne pas perdre la face |
les quiproquos
Quiproquos |
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N°1 : Dorante confond les deux amies, Clarice et Lucrèce | Acte 1, Scène 4 Qui va durer jusqu’à l’acte 5, scène 6 | jugement fondé sur la beauté
| Confusion et rivalité des amies |
N°2 Clarice ne sait pas que Dorante les confond | Acte 3, scène 5 Il n’est jamais levé… | Symétrique | Confusion de Dorante, éclaircissement pour les amies : colère de Clarice et contentement de Lucrèce |
Silences : |
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Lucrèce | Long durant les scènes 2 et 3 de l’acte I | Passive | Mise en place du quiproquo |
Lucrèce | Acte 3 scène 5 | Active | Elle écoute les déclarations d’amour qu’elle prend pour elle |
Clarice | Acte 5, scène 7 | Passive | Son orgueil est blessé |
Lucrèce | Acte 5, scène 7 | Active | La situation l’enchante |
Analyse de la portée des " mensonges"
des effets paradoxalement positifs
Le mensonge, au sens large dans la pièce de Corneille, c'est-à-dire l’altération volontaire de la vérité (duperie par des mots, manipulation), le quiproquo et la feinte présentent un caractère actif ou passif avec des effets paradoxalement positifs.
L’esthétique de la pièce, le schéma actanciel, l’effet comique, le caractère plaisant de la comédie recherchée reposent sur le caractère des procédés et leurs effets.
Caractère
Si l'on regarde le tableau, on peut considérer l'imbrication des deux caractères actif/attaquant ou défensif/passif : on ment donc de sa propre initiative ou l’on ment pour se sortir de l'embarras. C’est l’alternance entre les deux qui donne la dynamique de la comédie.
Rappelons que l'intrigue démarre à partir d'une action positive, c'est-à-dire d'une feinte voulue délibérément par Clarice, qui fait naître le mensonge tout aussi volontaire de Dorante. Le ressort comique résulte de l'utilisation du mensonge lorsqu'il est employé à titre purement défensif comme une réaction impulsive destinée à éviter la colère du père ou l’aveu d'un orgueil blessé (Clarice) ou un triomphe modeste (Lucrèce) etc…
Par ailleurs, ces mensonges présentent des caractéristiques positives, ce qui est paradoxal s'agissant d'un vice de l'homme. Ainsi le mensonge de Dorante conduit à susciter de l'illusion, les exagérations, un imaginaire fantasmagorique. Lorsqu’il suscite de la jalousie avec Alcippe, un nouveau mensonge permet de conforter la réconciliation.
Chez les autres personnages, les mensonges ou les feintes ont pour objectif de faire révéler une vérité sous-jacente. Si nous reprenons les différents personnages, nous pouvons relever les différents objectifs poursuivis.
Ainsi, il s'agit pour Clarice, qui souhaite ne pas être dupée, de mettre à l'épreuve son galant et cette mise à l'épreuve consiste à jouer de la feinte pour forcer Dorante à se trahir, à montrer ses vrais sentiments.
Chez Lucrèce, la question consiste à ne pas se dévoiler dans cette rivalité entretenue avec Clarice. Pour les deux jeunes filles, il s’agit, en toute hypothèse, de faire éclore l’amour.
À l’inverse, on a vu la pure manipulation de Géronte vis-à-vis de Dorante consistant à l'amener sous la fenêtre de celle qu'il escompte marier à son fils. Il s’agit pour lui d’un acte égoïste puisqu’il veut avoir une descendance ; par ailleurs, il fait preuve d’autoritarisme en désavouant son fils par un odieux chantage. Cette situation se fait jour lorsque le faux mariage inventé de toute pièce est enfin révélé.
Effets
La comédie cornélienne s'appuie sur le mensonge au sens large pour produire des effets sur le schéma actanciel de la pièce.
Le mensonge produit paradoxalement des résultats positifs pour celui qui s'y emploie : cette absence d'échec dans le mensonge des uns et des autres personnages contribue à en susciter d’autres et donc à faire avancer l'action qui devient ainsi périlleuse.
L’essentiel des mensonges aux actes 1 et 2 produisent du charme : ainsi le père est content du pseudo mariage de son fils et Clarice tout comme Lucrèce sont charmées devant le nouveau galant. Le mensonge de Dorante le rend finalement agréable aux yeux de tous avant la découverte de son caractère affabulateur (par Philiste dès l’acte I) et Clarice (à l'acte III), ce qui n’empêche pas Lucrèce de l’aimer malgré le doute. C'est dans ces conditions qu’elle va s’employer à clarifier la situation avec l’aide de Sabine.
Mais à ce jeu extrêmement fin, il n’y a pas que des gagnants : on a vu l’échec du duo Clarice/Isabelle. Géronte et Lucrèce sont en revanche clairement gagnants dans l'opération.
Reste le sort de Dorante qui se trouve marié pour échapper à la colère de son père. On sait que dans la suite de la pièce, il s’enfuira avant sa noce. (CF la suite du Menteur).
Il reste que le mensonge contribue à forger le héros cornélien comme nous le verrons.
Le héros cornélien
Un menteur, admirable héros ?
Il sera question de se demander comment le menteur peut devenir un héros admirable. Cette problématique trouve sa réponse dans le statut de l’honneur et dans sa volonté de devenir ce qu’il s’imagine.
1.Honneur
Le héros cornélien du Menteur ne fait pas injure à la notion d’honneur. S'il ment, ce n'est pas du fait d’une intention malicieuse, pour obtenir indûment un bénéfice. Dorante sait se montrer brave lorsqu'il se bat en duel avec Alcippe : il respecte les codes de l'honneur.
Il peut même être un homme de parole dans les moments où il n'affabule pas. Avec élégance, il dédouane ainsi Clarice de la fête galante pour rassurer son amant.
Par ailleurs, il respecte son père, selon l'usage de l'époque, où il est nécessaire que le fils soit soumis à son géniteur pour préserver l’honneur familial qui dépasse tout. (cf le Cid)
Il est en fait totalement dans son rôle lorsqu'il entreprend des manœuvres de galanterie propre à son rang.
Et pour autant Dorante entretient un rapport tronqué avec la vérité. Pourquoi ment-il donc ? Il faut chercher la réponse dans l'enjeu du mensonge qui réside dans une quête d'identité entreprise par notre héros.
Identité
Dorante se présente comme un personnage en quête de lui-même. Le mensonge constitue une conquête non du monde, mais d’un autre lui-même. Il a hâte d'être un héros et non plus un simple étudiant arrivé à Paris en provenance de Poitiers.
Comme l'indique Starobinski, le théâtre cornélien comprend deux personnages clés : Matamore ( dans l'Illusion comique) et Dorante. La ressemblance entre les deux est frappante puisqu'ils ont un rapport tronqué avec la réalité. Comment comprendre le positionnement du menteur cornélien ?
Le héros cornélien s'invente perpétuellement : il cherche un modèle qui le satisferait : les exagérations et les affabulations entrent dans cette stratégie de devenir ce qu'il voudrait être.
Dorante ne se montre pas tel qu'il est, mais tel qu'il voudrait être : on est sur une construction d'une identité imaginaire. Il cherche avant tout à se plaire à lui-même, à dépasser une réalité ennuyeuse.
Il est épris de rêve de conquête, non du monde, mais de lui-même ; pour ce faire, il a recourt à une imagination folle.
Ce débordement d'esprit, de création chimérique, fait de lui un menteur, mais également un héros par rapport à une réalité sublimée.
Il croit ses mensonges en dépit de sa lucidité comme on l'a vu avec son valet : ce qui l'intéresse, c'est ce qu'il peut être le temps d'un instant volé à un présent en devenir.
Sa parole finalement le projette bien en amont de ce qu'il est, et surtout de ce qu'il pourra être.
Son mensonge n'est que temporaire face à la conquête de lui-même qu'il cherche à entreprendre.
Il est l'inventeur de lui-même grâce au pouvoir du langage qui joue parallèlement le même rôle que l’exploit héroïque.
On voit la richesse d’un personnage qui s’invente sur scène sous nos yeux.
Source : Starobinski, l’oeil vivant, Gallimard



