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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Analyse linéaire « l’écorce » dans le recueil « Mes Forêts » (H.Dorion) 

On voit dans ce poème de sept vers que l’auteure a choisi « l’écorce » pour faire écho à la première partie du recueil ; elle convoque ainsi l’ouïe et le toucher, place l’homme dans la nature avant de montrer le pouvoir des forêts sur la nature humaine : on assiste ainsi à un triple mouvement poétique : extérieur/intérieur/extérieur.

analyse linéaire l'écorce hélène dorion
litteratus

 

repères : Hélène Dorion : analyse

Etude

Nous vous proposons un dossier comprenant une présentation générale, suivie de l’analyse linéaire de trois poèmes significatifs :

Structure formelle

Débutons notre analyse par un premier texte du recueil situé dans la première partie, elle-même intitulée l’écorce incertaine, le poème consacré à l’écorce.

Nous utiliserons un outil basé sur la méthode des 6 GROSSES CLEFS de la Gazette. Il s’agit de colorier le texte sous six angles à l’aide du moyen mnémotechnique suivant : 

    6           GROSSES                                      CLEFS

Gr : grammaire                               C : Conjugaison

OS : oppositions                            le : champ lexical 

SE : les 5 sens                            FS : figures de style

 

L’écorce 

un bruit de scie 

brouille le silenc

perce le mur 

de nos frêles illusions 

les forêts grincent 

et ce gémissement 

secoue nos solitudes

Il est composé de sept vers qui sont libres, ce qui n’exclut pas des procédés classiques tels que les enjambements et le jeu de sonorités, les figures de style tout en présentant une originalité liée à un triple mouvement :  extérieur/intérieur/extérieur.  

Il se décompose en deux parties inégales : 

  • l’activité forestière : les 4 premiers vers,
  • le pouvoir de la forêt : les 3 derniers vers

La problématique choisie s’articule autour de la question de savoir comment le dérèglement du monde extérieur produit un effet sur l’intime. 

La  première partie de ce poème permet de mettre au jour une évocation complexe de la vie au travers d’une triple action extérieur/intérieur/extérieur. La seconde reprend ce schéma de manière plus concise.

 Analyse linéaire 
  1. l’activité forestière

On voit que l’auteure a choisi un titre faisant écho à la première partie du recueil, elle convoque deux sens particuliers avant de placer l’homme au cœur de la nature.

a) Le titre

On notera l’emploi de l’article défini « l’écorce » renvoyant à l’enveloppe du tronc ou des branches. Ce choix donne à ce poème un aspect universel. 

La lecture de ce texte tranche avec le titre. Il traite davantage de l’abattage de l’arbre et moins de la destruction de son écorce. On est en présence d’une synecdoque qui évoque une partie pour parler d’un tout.

L’auteure a voulu présenter l’écorce comme une barrière de protection. Elle reprend cette idée avec la métaphore du « mur » qui va dans le même sens comme nous le verrons ci-après. Mais comment cette écorce est-elle fragilisée ?

b) Les deux sens

La poétesse utilise un nom « un bruit » et deux verbes « brouille » et « perce » pour évoquer l’ouïe qui décrit donc une atmosphère désagréable. 

On note l’allitération en b, qui est brutale et qui oppose la douceur du s de « silence »/ » perce »/« scie » avec l’aspect dérangeant du z « frêles illusions » : il y a un travail poétique sur les sonorités.  

Elle emploie, en outre, la valeur du présent comme une vérité générale. L’action humaine joue ainsi un rôle dévastateur sur la nature. 

Le sens de l’ouïe est utilisé avec « brouille » et « perce » selon un procédé d’enjambement avec un contre-rejet : l’idée est d’accentuer le poids des deux verbes. 

Notons le double sens du terme « perce » qui fait surgir le toucher. 

Ces deux sens sont donc convoqués comme des opérations extérieures et violentes.

Notons que le premier verbe fait entrer de la confusion là où il y avait une unité verticale avec l’emploi du nom « le silence », le second suggère un acte de destruction qui est horizontal. 

La nature est donc cernée de toute part par l’activité humaine. Elle est ainsi empêchée par la main de l’homme. 

c) la présence de l’homme

On note deux représentations opposées de l’homme, le forestier et le genre humain. Si l’un n’est pas nommé pour contester sa force, l’autre l’est pour en souligner paradoxalement sa fragilité.

Dans le vers 1, la poétesse évoque l’action du forestier sans jamais le nommer expressément. En effet, c’est l’outil qu’il tient dans sa main qui est le sujet de l’action « une scie ». Avec l’emploi du déterminant indéfini, c’est un objet de force menant à la destruction. Le procédé choisi est donc allusif, péjoratif en l’espèce, car il est destiné à critiquer.

À l’opposé, on note le genre humain qui est nommé avec l’emploi de « nos frêles illusions « . C’est une volonté de l’auteure de le valoriser avec la répétition du déterminant possessif « nos ». Cet emploi de la première personne du pluriel permet d’établir une intimité entre la poétesse et les hommes en soulignant leur proximité. 

Cette vision suggère non la force comme dans le vers 1, mais au contraire la fragilité au vers 4 avec l’emploi de "frêles" qui constitue un enjambement avec un contre-rejet, ayant une valeur de mise en valeur. Ce groupe nominal comporte une opposition : l’épithète « frêle » renvoie à une apparence physique alors que les « illusions » évoquent, à l’inverse, l’esprit. Hélène Dorion montre ainsi la confusion de la nature humaine et donc sa faiblesse. Mais cette faiblesse est cachée à l’homme lui-même qui s’est créé une protection avec le mot « mur » qu’il faut prendre au sens métaphorique. 

« Le mur » suggère une structure dure et rigide faite pour se protéger. De quoi se protège-t-on ? L’auteure joue sur les termes « silence/illusions » : on note l’opposition entre le singulier qui est défini « le silence », c’est-à-dire l’unité et le pluriel, « nos illusions » pour signifier la confusion.  On comprend ainsi que l’homme se fuit lui-même, se coupe de son intériorité avec « le silence » pour vivre à l’extérieur de lui-même dans le mensonge « illusions ». On a une référence pascalienne dans ce passage (cf. le divertissement). On voit que c’est le vers le plus long du poème à l’image du rapport faussé que la nature humaine entretient avec la vérité. 

Mais chez Hélène Dorion, tout est dualité : là où l’activité nous éloigne de nous-mêmes, «brouille le silence “, elle nous permet aussi d’y revenir comme le dit "perce le mur/de nos frêles illusions" : on obtient un mouvement extérieur/intérieur/extérieur. Le registre se fait lyrique.

On note ainsi la singularité poétique de l’auteure qui se fonde sur un équilibre impossible : cela figure la complexité de la vie. 

Voyons le pouvoir de la forêt.

2. Le pouvoir de la forêt

La suite du poème donne un effet de concision. Le centre de gravité quitte l’arbre pour englober, cette fois, les forêts. 

Le schéma extérieur/intérieur/extérieur est repris. 

a) la concision

Ce qui frappe dans ces trois derniers vers, c’est la recherche de simplicité : si on relève deux propositions simples comme dans la première partie, l’absence d’adjectif permet d’obtenir un effet de concision. Pourquoi ?

Hélène Dorion évoque, cette fois, la nature qui s’oppose aux faux-semblants des hommes. Cette nature nous est donnée à voir sans artifice.

Qu’est-ce qu’elle a donc à nous apporter ?

b) les forêts

On est ainsi passé de l’écorce d’un arbre (une partie) à l’ensemble des arbres (le tout) : c’est encore une synecdoque. Cela donne au poème un angle plus large d’autant plus large qu’il ne s’agit pas de la forêt au singulier, mais du pluriel, "les forêts". Le déterminant défini nous situe donc sur une vaste échelle, le monde.

Alors que dans la première partie, la nature était l’objet de l’action humaine, l’auteure en fait désormais le premier sujet de l’action "les forêts grincent’"au vers 4. Au vers suivant, on passe au singulier avec "ce gémissement" : l’auteure joue sur la dualité de la vie. Il s’agit de considérer le pouvoir des arbres sans l’homme, de redonner à la nature sa place. Quelle est donc sa place ?

Loin de proposer une vision classique, contemplative, Hélène Dorion insiste sur un aspect désagréable de la nature : elle  reprend le sens de l’ouïe avec le verbe "grincent" et le nom "ce gémissement" qui est une personnification. 

Notons la gradation entre le premier qui évoque du bruit indistinct et le second qui indique, cette fois, un bruit précis, une plainte : on est en effet passé d’un bruit de la nature à une récrimination comme le ferait un homme. 

Les forêts ont ainsi un message triste et douloureux à délivrer. Cette note négative est contrebalancée par la reprise de l’allitération en s : la douce sonorité en s est amplifiée au dernier vers où il apparaît à deux reprises : 

"grincent/gémissement/secoue/solitudes". 

Cela donne au texte un effet lyrique.

Par ailleurs, le toucher avec le verbe "secoue", verbe qui fait l’objet d’un enjambement avec contre-rejet pour exprimer une certaine violence, est encore présent : on est sur une continuité poétique comme l’indique la repétition du triple mouvement.

c) reprise du mouvement

 Le schéma extérieur/intérieur/extérieur est repris de manière condensée. 

C’est l’extérieur, par l’intermédiaire de deux bruits, celui désagréable des arbres "grincent" et celui plaintif "ce gémissement", qui entre en résonance avec notre intériorité. Celle-ci est exprimée par le groupe nominal "nos solitudes" : là encore, le déterminant possessif renvoie au commun destin de l’humanité. 

C’est alors que le dernier vers "secoue nos solitudes" prend la forme d’une invitation positive à sortir de nous-mêmes pour être en harmonie avec  l’extérieur. 

Le rôle des forêts est donc d’offrir le meilleur rapport de soi au monde. 

repère à suivre : analyse linéaire : Il fait un temps de bourrasques”  (3e partie)

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