Analyse-Livres & Culture pour tous
1 Novembre 2022
Le miroir dans les vrilles de la vigne met en présence la narratrice, sous les traits de Colette, et son personnage de fiction, Claudine. Elles échangent, se questionnent, l’une étant le double de l’autre. Colette recourt à de nombreuses antithèses et joue sur les registres littéraires afin de montrer que le pouvoir de la création est soumis au aléa du temps et à la finitude humaine.
repère : bac : analyse
Dans le cadre de notre dossier consacré à Colette, nous vous proposons une présentation et une analyse de l'œuvre selon la progression suivante :
1.présentation des œuvres :
2.analyse linéaire des passages suivants :
Ce troisième passage illustre le travail de l’écrivain qui interprète ses souvenirs pour en donner une vision littéraire entièrement repensée, comme dans cet extrait mettant en présence la narratrice, sous les traits de Colette, et son personnage de fiction, Claudine. Les deux personnages en miroir échangent, se questionnent, l’une étant le double de l’autre ; nous sommes à la fin de ce texte et c’est Claudine qui interpelle Colette sur son enfance.
Ce texte se fonde sur un triple mouvement :
1. être et avoir été toujours la même personne,
2. la perte d’une partie essentielle de soi,
3. la communion entre les deux âmes
Nous l’analyserons en utilisant la méthode des 6 GROSSES CLEFS ©. Découvrons-la dans le détail, si vous le voulez bien.
Il s’agit de prendre le texte sous six angles à l'aide du moyen mnémotechnique suivant :
6 GROSSES CLEFS
Gr : grammaire C : Conjugaison
OS : oppositions le : champ lexical
SE : les 5 sens FS : figures de style
“/– Quoi ! Vous prétendez n’avoir jamais été petite ?
– Jamais. J’ai grandi, mais je n’ai pas été petite. Je n’ai jamais changé. Je me souviensde moi avec une netteté, une mélancolie qui ne m’abusent point. Le même cœur obscur et pudique, le même goût passionné pour tout ce qui respire à l’air libre et loin de l’homme – arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles, – la même gravité vite muée en exaltation sans cause… Tout cela, c’est moi enfant et moi à présent… /Mais ce quej’ai perdu, Claudine, c’est mon bel orgueil, la secrète certitude d’être une enfant précieuse, de sentir en moi une âme extraordinaire d’homme intelligent, de femme amoureuse, une âme à faire éclater mon petit corps… Hélas, Claudine, j’ai perdu presque tout cela, à ne devenir après tout qu’une femme… Vous vous souvenez du mot magnifique de notre amie Calliope, à l’homme qui la suppliait : « Qu’avez-vous fait de grand pour que je vous appartienne ? » Ce mot-là, je n’oserais plus le penser à présent, mais je l’aurais dit, quand j’avais douze ans.Oui, je l’aurais dit ! Vous n’imaginez pas quelle reine de la terre j’étais à douze ans ! Solide, la voix rude, deux tresses trop serrées qui sifflaient autour de moi comme des mèches de fouet ; les mains roussies, griffées, marquées de cicatrices, un front carré de garçon que je cache à présent jusqu’aux sourcils… Ah ! que vous m’auriez aimée, quand j’avais douze ans, et commeje me regrette !/
/Mon Sosie sourit, d’un sourire sans gaîté, qui creuse ses joues sèches, ses joues de chatoù il y a si peu de chair entre les tempes larges et les mâchoires étroites :
– Ne regrettez-vous que cela ? dit-elle. Alors je vous envierais entre toutes les femmes…
Je me tais, et Claudine ne semble pas attendre de réponse. Une fois encore, je sens que la pensée de mon cher Sosie a rejoint ma pensée, qu’elle l’épouse avec passion, en silence…Jointes, ailées, vertigineuses, elles s’élèvent comme les doux hiboux veloutés de ce crépuscule verdissant. Jusqu’à quelle heure suspendront-elles leur vol sans se disjoindre, au-dessus de ces deux corps immobiles et pareils, dont la nuit lentement dévore les visages ?…
Ce texte se fonde sur un premier mouvement qui soutient le paradoxe pour Colette d’avoir toujours été la même personne ; nous verrons la forme choisie par Colette, avec le dialogue et la mise en abyme avant le fond du sujet.
Sur la forme, cette affirmation est rendue particulièrement vivante par le jeu du miroir et le recours aux dialogues.
-un jeu de miroir
Dans ce passage, Colette évoque librement son enfance en mettant en présence le double en miroir : la narratrice qui s’exprime avec le pronom personnel “je” et sa créature, Claudine, copie de celle qu’elle a été. Il s’agit d’un récit qui évoque une enfance revisitée : il s’agit d’une réinterprétation de l’enfance à des fins littéraires.
C’est aussi un moment d’introspection en miroir avec l’opposition entre “je” pronom personnel sujet et “moi” pronom personnel complément : “je me souviens de moi” : celle qui est maintenant regarde celle de l’enfance.
-le recours aux dialogues
On assiste à un échange entre l’auteure et son personnage, Claudine. On relève la distance voulue entre la créatrice et sa créature avec le vouvoiement “vous”. Cette dernière n’est pas servile, elle fait preuve d'autonomie puisqu’elle prend l’initiative de la questionner.
Elle fait preuve également de liberté de ton en mettant en doute ce que dit la narratrice avec le verbe “prétendre”. La question est précédée d’une exclamation “Quoi !” qui montre son parfait étonnement et sa spontanéité. Avec la longueur de sa réponse, l’auteure reprend l’initiative en monopolisant la parole : il s’agit de comprendre qu’en parlant à sa créature, à son double, appelé aussi “mon Sosie”, elle se parle à elle-même sous le contrôle de sa créature littéraire.
La réponse de la narratrice est fondée sur des antithèses, véritables paradoxes et sur le registre nostalgique.
- les paradoxes
Ce passage porte en germe l’antithèse exprimée par deux propositions indépendantes coordonnées, l’une évoquant le fait de prendre de l’âge à la voix affirmative “j’ai grandi” et l’autre évoquant l’enfance, rappelée par la voix négative, “je n’ai pas été petite”. C’est une technique usuelle chez Colette d’affirmer une chose par la voix négative. Elle expose un paradoxe insoutenable : grandir sans jamais avoir été une enfant, ce qui suscite évidemment de la curiosité.
L’auteur répète l'adverbe “jamais” en indiquant dans une seule proposition, encore une fois négative, : “Je n’ai jamais changé.” Cette proposition se veut conclusive alors que rien n’a été jusque-là démontré.
Pour persuader son double, la narratrice fait alors appel aux souvenirs qu’elle fait remonter cette fois au présent de l’indicatif “je me souviens”. Elle puise aussi dans les sentiments avec le sens de la vue “avec une netteté”. Elle évoque le siège des émotions “le cœur” et “le goût” : on est sur une perception sensorielle des choses.
Mais l’argumentation semble bancale, car on tombe sur une opposition dans son caractère changeant pris entre “gravité” et “exaltation” : deux attitudes différentes, exclusives l’une de l’autre. Les points de suspension en disent long. Le champ lexical de la nostalgique s’incarne dans ses mots.
-le champ lexical de la nostalgie
La narratrice abolit la distance entre le passé “c’est moi enfant” et le présent “moi à présent” : on note la répétition du pronom personnel “moi” qui serait donc un trait commun.
Notons néanmoins qu’elle ne se qualifie pas en tant qu’adulte, elle le suggère seulement de manière indéfinie avec les points de suspension.
Le champ lexical de la nostalgie résulte des termes “mélancolie”, de la répétition du pronom personnel “moi”, de l’adverbe “même”, pour le caractère indéfini de ce qu’elle évoque “tout ce qui respire”/”tout cela”. On note la pudeur de l’auteure dans cette difficulté à dire.
Mais la nostalgie transparaît par le refus de s’exprimer au passé : l’auteure débute en recourant du bout des lèvres au passé composé, le temps le plus proche du présent, qui permet l’introspection, “J’ai grandi”/ “Je n’ai jamais changé.” Ensuite, elle parvient au présent “je me souviens”. Colette emploie à la fin une longue phrase non verbale : “Le même cœur obscur et pudique, le même goût passionné/ la même gravité vite muée en exaltation sans cause… “ : on note donc le refus de se positionner sur une échelle de temps. Elle préfère utiliser le participe passé “vite muée” ou la proposition infinitive “pour tout ce qui respire “. L’effet obtenu est de donner un aspect extrêmement lyrique à ces souvenirs avec le champ lexical de la nature et l’énumération “ arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles”. : association du végétal, de l’animal et les éléments. On retrouve cette soif de liberté qui la rend si proche de la nature “pour tout ce qui respire” et éloignée de la société “loin des hommes” : on retrouve l’opposition entre la nature et la culture. Cette position tranchée connaît une rupture.
2. La perte de soi
On assiste dans ce paragraphe à une antithèse avec la thèse développée précédemment : la narratrice soutient qu’elle n’est plus vraiment la même par un effet de rupture. Elle fait état des modifications qui touchent son caractère, avant d’évoquer par opposition le bouleversement physique. Enfin nous verrons les registres opposés.
Colette se fonde sur la conjonction de coordination “mais” qui se veut tranchante alors que rien ne le justifie en réalité. Cela produit un effet de contraste marquant la perte irrémédiable qui suggère des sanglots.
-une perte irrémédiable
Elle allègue d’une perte “j’ai perdu” s’exprimant à la voix affirmative, en décalage avec le procédé précédent, tout en conservant le passé composé, temps de l’introspection.
On note une gradation au fil du paragraphe avec “j’ai perdu presque tout” : l’adjonction de l’adverbe produit un effet de litote. En fait, elle signifie que ce passage de l’enfance à l'âge adulte est irréparable.
Notons que l’auteure choisit le pronom démonstratif “ce que” en apposition, avant de procéder à l’énumération des différences entre les deux âges de la narratrice. L’accentuation est mise sur la perte elle-même, comme phénomène marquant, et non sur l’objet de la perte.
-des sanglots
On relève la présence d’une longue phrase complexe, sinueuse, avec ces nombreuses propositions en apposition : “c’est mon bel orgueil, la secrète certitude d’être une enfant précieuse, de sentir en moi une âme extraordinaire d’homme intelligent, de femme amoureuse, une âme à faire éclater mon petit corps…” : cela produit un effet haché, comme un sanglot.
La narratrice prend enfin deux fois à témoin sa créature, avec le vocatif “Claudine,” et “Hélas, Claudine” en l’interpellant “Vous n’imaginez pas” “Ah ! que vous m’auriez aimé”. Elle l’associe à son introspection. Voyons maintenant les transformations qu’elle a subis. Elle fait état des changements de caractère et de son corps.
La narratrice fait état du changement dans son caractère qu’elle ramène paradoxalement à son seul corps. On a vu que le paradoxe joue sur le refus de se laisser enfermer par une logique. Examinons d’abord le premier point
-une perte immatérielle
L’auteure débute par une perte immatérielle : changement de caractère et de son âme.
Le caractère est vu de manière méliorative “bel orgueil” , précisé par l’apposition “secrète certitude”. Elle évoque “l’âme” deux fois ; es adjectifs sont mélioratifs “précieuse”/“extraordinaire”/”amoureuse”. On est dans le champ de ce qui ne se voit pas, de ce qui constitue un être. C’est une vision spiritualiste, idéale. Mais cette vision ne dure pas.
On relève l’opposition majeure dans ce paragraphe entre les deux auxiliaires, avoir : “j’ai perdu”/ “de sentir en moi” / “que je vous appartienne”/ “j’avais douze ans” et être “d’être une enfant”/ “ à ne devenir”/ “j’étais à douze ans !”: c’est bien le paradoxe du changement, le manque (avoir) qui transforme (être)
Cette opposition en sous-tend de nombreuses autres disséminées. D’abord, L’auteure souligne son appartenance naturelle à l’espèce humaine avec un âge d’or qu’elle fixe à ses douze ans répétés deux fois : il s’agit de marquer cette période d’avant l’adolescence. On peut ainsi opposer “une enfant précieuse,” et l’être humain, pris dans son sens universel “d’homme intelligent”.
On note ensuite une lente gradation qui concerne, cette fois, le genre masculin : “à l’homme qui la suppliait”/”de garçon” et le genre féminin : ”femme”/ “une enfant précieuse”/ “reine” : là encore, c’est une différence dans l’ordre de la nature.
L’opposition que la narratrice n’admet pas, c’est celle qui concerne son corps : “être une enfant” “reine de la terre” et “à ne devenir … qu’une femme” : le verbe être se transforme avec le verbe d’état “devenir” impliquant un changement corporel, celui qui fait horreur la narratrice.
- un changement corporel
La narratrice fait état du changement dans son caractère qu’elle ramène paradoxalement à son seul physique. C’est en fait une manière de souligner ce qui la chagrine le plus. C’est pourquoi, on trouve le champ lexical de l’apparence physique convoquant le sens de la vue et l'ouïe : ”petit corps”/”voix”/”solide”/”deux tresses”/”mèches”/”mains”/”front”.
On voit que les aspects positifs sont évoqués dans l’âge d’or. D’ailleurs elle fait le lien entre l’enfant de douze ans et “Calliope”, la déesse de la poésie. On entre dans le domaine de la toute puissance de l’enfance avec les adjectifs “solide”/ “extraordinaire” avec des noms “fouet”, avec les groupes nominaux “reine de la terre”.
Le passage à l’état d’adulte n’est décrit qu’une seule fois et de manière péjorative avec la tournure restrictive : “à ne devenir après tout qu’une femme… “ les points de suspension soulignent une amertume profonde. On note aussi le changement de registres.
L’auteure combine deux registres, l’un lyrique et l’autre tragique pour donner du relief à son texte. On a vu que c’est un procédé courant chez Colette qui manie ainsi le paradoxe.
-Le lyrisme
Il se mesure aux exclamations “Oui, je l’aurais dit !”/ “Vous n’imaginez pas quelle reine de la terre j’étais à douze ans ! Cela donne une fraîcheur au ton, une spontanéité également avec l’interjection “Ah ! “.
On relève aussi des propos rapportés de la déesse de l’antiquité Calliope, au style direct, donnant un effet emphatique : “Qu’avez-vous fait de grand pour que je vous appartienne ? “ : on est dans le champ du lyrisme absolu avec la référence à la déesse de la poésie. Mais c’est sa combinaison paradoxale avec le registre tragique qui est intéressant.
- le registre tragique
Le registre tragique transparaît avec le verbe “perdu” deux fois répétés, avec la tournure “à ne devenir qu’une femme” comme on l’a vu.
Mais on peut ajouter l’apostrophe “hélas” tout comme le regret exprimé par la conjonction de subordination “et comme je me regrette !” : l’effet réflexif je/moi donne toute sa force à cette opposition tragique.
On note aussi le champ lexical de la mort avec la présence du verbe “éclater” ou “supplier” , ou le participe passé “trop serrées”. Ces verbes trouvent un écho avec le nom commun “fouet” et les adjectifs “roussies, griffées, marquées de cicatrices,”. L'enfance disparue est un deuil, une petite mort dans l’esprit de Colette.
Enfin l’emploi du mode du conditionnel marque clairement le regret d’une action qui aurait pu être possible : “ Ce mot-là, je n’oserais plus le penser à présent, mais je l’aurais dit,quandj’avais douze ans. “ : cela souligne l’opposition présent/passé qui est insurmontable. Pour s’en convaincre, la narratrice le répète une fois “Oui, je l’aurais dit !”.
Enfin, c’est à destination de son double qu’elle lance cette exclamation : “ Ah ! que vous m’auriez aimée” : c’est aussi la marque d’un regret.
On pourrait en rester sur cette impression triste, mais la vie reprend ses droits et le texte prend alors une nouvelle trajectoire avec la suite du dialogue entre la narratrice et son double.
3. La communion entre les deux âmes
Dans la dernière partie de ce passage, on reste sur la note tragique avant une brusque invitation poétique.
On revient au temps du présent et la parole est rendue à Claudine ; le discours direct redonne un nouvel élan au texte avec pourtant la reprise du registre tragique qui précède la métamorphose rendue possible.
-la reprise du registre tragique
Mais il reste empreint du registre tragique, car le Sosie, double de la narratrice, éprouve une profonde empathie à l'égard des sentiments évoqués : “Mon Sosie sourit, d’un sourire sans gaîté” : on note la répétition sourire/sourit avec l’effet d'atténuation introduit par l’adverbe de manque “sans”. On reste, en effet, dans le champ lexical de la mort : “sans gaîté”/”creuse””joues sèches"/”si peu de chair”, avec le verbe “regrettez”.
“Ne regrettez-vous que cela ? dit-elle.”
On sent pourtant que les choses ne vont pas en rester là : on va assister à une métamorphose au sens poétique du terme.
-la métamorphose
Colette fait alors intervenir le règne animal, celui qui est en mouvement, qui, dit-on, a plusieurs vies : “ses joues de chat”. Elle animalise ainsi Claudine avec un chat qui est l’animal préféré de Colette : cette métamorphose donne un aspect naturel et donc poétique : il prépare la communion entre la créatrice et sa créature qui se confirme par le témoignage de préférence lancé au conditionnel à la narratrice : “Alors je vous envierais entre toutes les femmes…” : c’est une valeur de certitude qui est donnée.
Puis la proclamation s’arrête net avec les points de suspension qui entraînent un réenchantement du monde.
Un élément capital joue en rôle primordial pour l’éclosion d’un instant poétique, le silence qui voit surgir un ressort dynamique avant la mise en place de la comparaison ailée convoquant deux registres littéraires.
-le silence
La narratrice et son sosie respectent le silence dans une symétrie propre au miroir : “Je me tais,”/” Claudine ne semble pas attendre de réponse”. On note la tournure négative qui, par un effet de litote, affirme donc quelque chose et le recours au verbe d’état “semble” qui induit une certaine distance entre elles. Ce silence s’installe avec ses redondances “pensée”/ “en silence”/”immobile”.
On est sur un temps où l’émotion prend toute sa place “je sens”. Cette manière d’éprouver les choses est manifestement habituelle comme l’indique la locution d’habitude “Une fois encore”.
Loin de tomber dans une profonde léthargie, c’est au contraire un moment dynamique qui se met en place.
-le ressort dynamisme
On relève qu’il s’agit d’une expérience spirituelle avec les noms “pensée”/”au-dessus de ces deux corps immobiles” : on a ainsi une opposition entre le corps qui reste vissé au sol et l’esprit qui se déploie. Et c’est, en effet, l’esprit qui joue désormais un rôle central.
Colette, comme toujours, utilise un paradoxe en employant des verbes de mouvement : “a rejoint”/“épouse”/“s’élève”/”suspendre” /“disjoindre”. Il s’agit de montrer dans un instant apparemment statique entre deux êtres vus par l’adjectif qualificatif “pareils” une union spirituelle,“la pensée de mon cher Sosie”/”ma pensée”. La comparaison peut se mettre en place.
-la comparaison avec un hibou
C’est à un oiseau que Colette fait référence expressément “comme les doux hiboux” : on note le choix de la nuit pour illustrer cet instant poétique qui est long avec le terme “crépuscule”/“nuit”/ “lentement”. C’est le temps du rêve, de l’imaginaire.
Pour donner une impression saisissante, l’auteure met les trois adjectifs qualificatifs en apposition donnant un rythme ternaire : “Jointes, ailées, vertigineuses” : elle convoque ainsi des sens qui sont si importants dans la description colettienne.
En premier lieu la vue : “jointes” signifiant l’union, ”vertigineuses” la hauteur est nommée de manière hyperbolique et “verdissant”, la couleur embrasse le ton général de la végétation.
L’adjectif “ailées” rappelle l'ouïe, le bruissement des ailes.
Elle ajoute le toucher qui joue un rôle hyperbolique” doux hiboux veloutés”, faisant référence au plumage que l’on pourrait caresser. C’est donc un instant de communion où un sentiment fort “la passion” s’exprime.
-la combinaison des registres
Le registre est d’abord lyrique avec la référence à peine voilée à Lamartine "'ô, temps suspends ton vol". Mais reformulée de manière interrogative : “Jusqu’à quelle heure suspendront-elles leur vol”.
C’est déjà rompre le charme avec le verbe “disjoindre” soit la rupture et “dévore” c’est-à-dire la mort : ces verbes appartiennent donc au registre tragique accentué par les points de suspension qui crée un effet de malaise.
Le pouvoir de la création est donc soumis au aléa du temps et à la finitude humaine.
Dans l’article suivant, nous verrons l’enjeu proprement poétique de Colette dans les Vrilles de la vigne.
repère à suivre : l’enjeu du rossignol dans les vrilles de la vigne