15 Janvier 2025
Bac : Le Menteur de Corneille (1643) s'inscrit dans un contexte bien précis et se présente comme une adaptation d'une comédie espagnole remise au goût français. Retour sur l'origine et la nature de cette pièce...
repère : le bac : Corneille
Il vous sera proposé un dossier sur le Menteur de Corneille qui suit la progression suivante :
1. l'introduction à l'œuvre : contexte, origine et nature de la pièce
La pièce a été jouée en 1643, date de sa première représentation (ou possiblement dès la saison précédente).
Elle est imprimée par la suite en 1644 comme toute pièce dont le texte est fixé après coup, selon le "rodage " effectué devant le public : cela donne lieu souvent à des amendements par rapport à la pièce initiale notamment dans le jeu de scène.
Le Menteur connaît un succès retentissant.
À cette date, la France est dirigée par Anne d'Autriche, régente du futur Louis XIV, et par Mazarin, Premier ministre.
L'auteur est avant tout un auteur de comédies, avant de passer à la postérité pour la seule qualité de ses tragédies : c'est oublier qu'il doit sa célébrité à la création de cinq comédies à succès jouées entre 1625 et 1634. C'est paradoxalement le triomphe de ses tragédies et surtout de sa tragi-comédie du Cid (1637) qui va éclipser cette réputation de grand auteur de comédies, place occupée depuis par Molière...
Le Menteur constitue l’avant-dernière pièce comique baroque de Corneille qui, devant l'engouement du public, crée immédiatement une suite qui sera jouée en 1645 reprenant quasiment la figure de son héros dont la particularité est de ...ne plus mentir. Il lui choisit un titre simple : la Suite du Menteur.
Mais le succès du menteur finalement assagi n'est pas au rendez-vous.
C'est ainsi que son œuvre se poursuit désormais avec les seules tragédies.
Il est intéressant de relever qu'il s'agit d'une adaptation (a) qui a donné lieu à une erreur d'attribution (b). Nous verrons aussi les deux courants de comédie en Europe au XVIIe siècle (c).
a) Adaptation
L’argument de cette pièce est expressément tiré du répertoire espagnol. Corneille ne l’a donc pas inventé. Corneille ne le cache donc pas, il le revendique même.
Il faut se replacer dans le contexte : depuis la Renaissance avec la redécouverte du patrimoine littéraire grec et latin dont la qualité est jugée par certains indépassable (cf querelle des Anciens et des Modernes), s’inspirer d’autres œuvres est une pratique courante de l'époque. Ce serait un contresens de parler de plagiat qui ne se conçoit pas.
Le travail de création puisqu'il en existe un consiste à adapter des pièces étrangères au goût français.
Par le passé, Corneille a déjà puisé dans le même répertoire pour son chef-d'œuvre le Cid.
b) Erreur d’attribution
Dans l'épître et l’avis au lecteur de 1648, il attribue la pièce d’origine à Lope de Vega.
Mais il s’agit d’une erreur, car Alarcón, le véritable dramaturge, se fait connaître après la représentation et l’impression de sa pièce soit en 1634.
Curieusement, cette information n’est pas parvenue aux oreilles de Corneille : il faut, en effet, attendre l'Examen de 1660 pour qu’il accorde au véritable auteur la paternité de la pièce d'origine : Juan Ruiz de Alarcón, la Vérité suspecte, sous-titrée, le Menteur.
c) Espagne vs Italie
Avec cette pièce, nous devons évoquer l’influence de deux pays européens dans la comédie française au XVIIe siècle ; on évoque le théâtre italien et le théâtre espagnol avant de les opposer : précisons que la question du mariage est le thème central de toute comédie quelle que soit son origine. Il existe pourtant des différences notables :
Il faut s'intéresser au genre de la pièce voulu par l'auteur (a), considérer l’appartenance de la pièce à un courant littéraire (b) avant d’envisager enfin les règles applicables à la comédie (c).
a) Comédie
L'auteur dans son épître rédigée au printemps 1644 indique :
“Je vous présente une pièce de théâtre d'un style si éloigné de ma dernière qu'on aura de la peine à croire qu'elle soit partie toutes deux de la même main dans le même hiver.” (cf. édition GF p 50 et suiv.)
Cette œuvre est, pour l'heure, qualifiée de manière vague avec la périphrase “une pièce de théâtre”.
Le terme « comédie » est employé dans la suite de son épître à partir de son genre littéraire : “Et d'ailleurs, étant obligé au genre comique de ma première réputation, je ne pouvais l'abandonner tout à fait sans quelle espèce d'ingratitude.” (cf.édition GF p 50 et suiv)
Cependant il faut noter l'originalité du comique selon la propre conception de Corneille ; il s'agit pour lui de détacher le rire de la comédie pour en faire une œuvre «toute spirituelle et ses incidents si justes et si gracieux ». (Au lecteur, GF, p 54).
La comédie n'est donc plus associée au seul rire.
Pour lui, c’est avant tout le plaisir apporté aux spectateurs qui forme la comédie.
b) Courant littéraire
Le théâtre de Corneille appartient au théâtre baroque.
Le terme « baroque» vient du portugais barroco qui signifie « perle irrégulière ».
A posteriori, il sert à qualifier le courant artistique des XVIe et XVIIe siècles qui s'écarte de la régularité et promeut le mouvement.
c) Respect des règles
Quelles sont les règles applicables en matière de comédie ?
On rappelle la règle des trois unités et la vraisemblance.
Rappelons que la querelle du Cid (1637) a porté notamment sur le non-respect des règles d'unité de temps : un de ses détracteurs, Scudéry, pointant le trop grand nombre d’actions dans la pièce déclare : « ce qui loin d’être bon dans les vingt-quatre heures, ne serait pas supportable dans les vingt-quatre ans ». De son point de vue, la vraisemblance par rapport à la réalité fait défaut.
Vérifions leur respect par l’auteur dans sa pièce écrite postérieurement :
- unité de lieu : une seule ville, en l’occurrence Paris et deux lieux déterminés, les Tuileries et la place Royale (la place des Vosges actuelle) : respect.
- unité de temps : 24 heures : on note que l’action se déroule dans l’après-midi et s’achève le lendemain en fin de matinée : respect.
- unité d’action figurant dans la scène d’exposition : à la différence du théâtre italien, il ne s’agit pas d’un projet de mariage forcée imaginé par le père, l’action réside dans la personnalité du héros et non sur le sujet de son mariage qui n’est évoqué qu’à partir de l'acte II.
- la vraisemblance : l’action doit être rendue plausible.
sources :
Marc Escola, présentation, Le Menteur, Corneille GF, p.12, p.14, dossier p202
repère à suivre : le mensonge comme moyen d'action : définitions