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Analyse-Livres & Auteurs-Culture

Grandes Familles : entre déclin et ascension (T. Mann)

Le thème de la famille dans la littérature a inspiré de nombreux romans. Il vous est proposé aujourd'hui de découvrir l'étude consacrée aux Buddenbrook de Thomas Mann, oeuvre  retraçant le lent déclin d'une dynastie de négociants dans l'Allemagne du 19ème siècle  

 

  Repères : thème de la famille : l'étude

Famille

La famille, berceau de l'enfance et de l'adolescence, a inspiré de nombreuses œuvres romanesques. Les rapports entre les générations forment la matière vive du récit. Dépassant le seul registre intimiste, certains auteurs exploitent ce thème pour donner naissance à de grandes fresques historiques. L'étude portera précisément sur l'examen croisé de deux ouvrages aux univers distincts :

  •  Les Buddenbrook de Thomas Mann publié en 1901,
  •  Le Clan des Pasquier (Chronique des Pasquier) de Georges Duhamel publié par tranches entre 1933 et 1944 ;

Le premier retrace le lent déclin d'une dynastie de négociants dans l'Allemagne du 19e siècle ; le second décrit à l'inverse l'ascension sociale de bourgeois français de la fin du 19e siècle à 1930. Ces deux livres méritent  d'être confrontés dans la mesure où il existe entre eux une similitude liée à l'interdépendance des membres de la famille.

Débutons par la première œuvre, si vous le voulez bien.

LES BUDDENBROOK

Un adage populaire énonce que :

"la première génération crée la fortune, la seconde la fait fructifier, la troisième la dilapide".

Thomas Mann reprend ce schéma en plaçant son livre sous le thème de la décadence. 

Demeurant à Lübeck, les Buddenbrook doivent leur fortune à un aïeul qui s'est enrichi en approvisionnant les armées napoléoniennes. Instruits de l'épopée familiale, ils se trouvent ainsi au service des intérêts de la seule Entreprise Buddenbrook. La transmission de la société de père en fils implique un investissement personnel mais aussi moral suivant en cela l'exemple de la tradition protestante.

Cependant, le monde des affaires que connaît la firme est sans pitié. Le Consul Jean Buddenbrook ne craint pas de faire la part des choses entre ses obligations de chrétien et son devoir de gestionnaire. Aucune affection ne doit entraver la continuité de l'entreprise familiale :

«Comme frère, je t'ai tendu la main dans ce moment pénible et grave ; mais pour ce qui est des affaires, tu ne trouveras en moi que le chef de l'honorable maison dont je suis devenu aujourd'hui l'unique propriétaire. Tu n'as rien à attendre de moi qui soit contraire aux obligations que m'impose cette qualité ; il faut que tous mes autres sentiments fassent silence.» (IIème partie, chapitre 4).


Dynastie

Dans ce contexte, les enfants naissent pour remplir une destinée conforme aux intérêts économiques de la dynastie. Un certain nombre d'obligations pèse sur les descendants dès leur plus âge. Antonie analyse lucidement le poids de la tradition reposant sur ses jeunes épaules. Cet impératif fidèlement intériorisé ne l'empêchera pas de rejeter de toute son âme un mariage qui lui fait horreur et dont la perspective la conduit à un inquiétant dépérissement. La pression constante de ses parents réussira à lui faire accepter cette union conforme aux intérêts de la firme. Son père ne cache d'ailleurs pas la solidarité entre les membres de la famille dans l'exercice de leur commerce :

«Nous ne sommes pas nés, ma chère fille, pour réaliser ce que notre courte vue considère comme notre petit bonheur personnel, car nous ne sommes pas des individus libres, indépendants, doués d'une existence propre ; nous sommes pour ainsi dire les anneaux d'une chaîne et, comme tels, nous ne saurions être imaginés sans la série de ceux qui nous ont précédés et nous ont frayé le chemin en suivant eux-mêmes avec rigueur et sans détourner leur regard du but, une tradition éprouvée et vénérable.» ( IIIème partie, chapitre 10)
 

Les fils, préparés très tôt aux affaires, sont aussi appelés à prendre la relève du père en recevant une éducation soignée. Cependant à toutes les générations, on assiste à l'émergence de rebelles incapables de supporter la pesanteur de la tradition. Ils seront alors systématiquement ignorés et méprisés. Thomas appartenant à la troisième génération semble au début du livre entrer dans le schéma familial à la différence de son frère Christian :


«En apparence, on pouvait fonder sur Thomas Buddenbrook de plus grands espoirs que sur son frère. Ses manières étaient posées et d'une vivacité tempérée de raison. Christian, par contre, paraissait fantasque, tantôt il était porté vers un comique assez inepte, tantôt, il causait à sa famille les terreurs les plus étranges». (IIème partie, chapitre 3).

Mais l'auteur prépare déjà le lecteur à un retournement de situation en évoquant tout au long de son œuvre la cause tragique de la décadence des Buddenbrook : la dégénérescence de la famille.

Déclin

Il existe en outre une très forte interaction entre la famille et la société commerciale qui s'explique par le fait que le patrimoine des Buddenbrook et celui de la firme se confondent totalement. Ainsi, la situation comptable de l'entreprise s'améliore-t-elle immanquablement au décès d'un de ses membres : «On supporta avec résignation la perte de la vieille dame. Elle avait atteint un grand âge et avait vécu très solitaire, les dernières années. Elle retourna vers Dieu et les Buddenbrook recueillirent beaucoup d'argent, la somme rondelette de 100.000 thalers, qui renforcèrent de la manière la plus désirable le fonds de roulement de la maison de commerce.» (IVème partie, chapitre 10). A l'inverse, les dots et les héritages viennent évidemment grever les finances de la firme et compromettent la solidité financière de l'entreprise.

Cette interdépendance de la famille et du négoce explique le lent déclin inexorable des Buddenbrook. La décadence débute avec l'apparition des premiers signes de la dépression de Thomas consécutive à un état de surmenage mais aussi à une crise intérieure profonde. L'auteur décrit avec finesse le complet délabrement moral du patriarche de la famille :
«En effet, la vie de Thomas Buddenbrook n'était plus que celle d'un acteur, mais d'un acteur dont l'existence entière jusque dans les menus actes quotidiens, se passerait à jouer un même rôle, un rôle qui, à l'exception de rares et brefs instants de solitude et de détente, requiert sans cesse et dévore toutes ses forces. » (Xème partie, chapitre 1er)

Le testament de Thomas mettra fin à l'histoire dynastique...

Ce livre fait preuve d'une maîtrise parfaite des personnages et des situations dans un registre classique parfaitement et injustement oublié. Dans un autre genre, Georges Duhamel puisant dans son propre passé présente ses Pasquier avec une légèreté et un brio sans faille.

Repères à suivre: Le Clan des Pasquier (Duhamel) 

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