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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Une île redoutable : l'île des esclaves (Marivaux)

Dans l'île des esclaves, Marivaux prend le prétexte d'une île et de l'Antiquité pour aborder un sujet hautement sensible, la critique des hommes dans la société tout en cherchant les moyens pour remédier aux problèmes.

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Repères : thème de l’île : vers et prose

 Une comédie fondée sur la création d'une île atypique

Il a été indiqué dans l’article précédent que Thomas More a inventé le terme utopie en créant une île idéale, voyons aujourd’hui le cas de Marivaux qui a choisi lui aussi l’insularité et le registre de la comédie pour critiquer le comportement des hommes dans la société et proposer leur réformation.

L’auteur donne un cadre à sa satire, l’île des esclaves, située dans les îles grecques en prenant soin de replacer l’action dans l’Antiquité pour éviter de choquer ses contemporains. Cette île atypique, comme son nom l’indique, est constituée d’anciens esclaves qui ont pris le pouvoir contre les citoyens d’Athènes.

L'inversion des rôles sur l'île

Découvrons ensemble le projet réformiste qui les anime sur l’île. Précisons que la Gazette vous proposera une étude approfondie de cette comédie dans la deuxième partie de ce numéro.

Pour l’heure, Trivelin, représentant de la République des esclaves, justifie le mauvais traitement imposé aux anciens maîtres. Cela passera par une inversion des rôles, les esclaves devenant les maîtres et ces derniers devenant à leur tour des esclaves.

***

"Trivelin 

Ne m'interrompez point, mes enfants.

Je pense donc que vous savez qui nous sommes. Quand nos pères, irrités de la cruauté de leurs maîtres, quittèrent la Grèce et vinrent s'établir ici, dans le ressentiment des outrages qu'ils avaient reçus de leurs patrons, la première loi qu'ils y firent fut d'ôter la vie à tous les maîtres que le hasard ou le naufrage conduirait dans leur île, et conséquemment de rendre la liberté à tous les esclaves : la vengeance avait dicté cette loi ; vingt ans après, la raison l'abolit, et en dicta une plus douce. Nous ne nous vengeons plus de vous, nous vous corrigeons ; ce n'est plus votre vie que nous poursuivons, c'est la barbarie de vos cœurs que nous voulons détruire ; nous vous jetons dans l'esclavage pour vous rendre sensibles aux maux qu'on y éprouve ; nous vous humilions, afin que, nous trouvant superbes, vous vous reprochiez de l'avoir été. Votre esclavage, ou plutôt votre cours d'humanité, dure trois ans, au bout desquels on vous renvoie, si vos maîtres sont contents de vos progrès ; et si vous ne devenez pas meilleurs, nous vous retenons par charité pour les nouveaux malheureux que vous iriez faire encore ailleurs, et par bonté pour vous, nous vous marions avec une de nos citoyennes. Ce sont là nos lois à cet égard ; mettez à profit leur rigueur salutaire, remerciez le sort qui vous conduit ici, il vous remet en nos mains, durs, injustes et superbes ; vous voilà en mauvais état, nous entreprenons de vous guérir ; vous êtes moins nos esclaves que nos malades, et nous ne prenons que trois ans pour vous rendre sains, c'est-à-dire humains, raisonnables et généreux pour toute votre vie.

Arlequin

Et le tout gratis, sans purgation ni saignée. Peut-on de la santé à meilleur compte ?

Trivelin 

Au reste, ne cherchez point à vous sauver de ces lieux, vous le tenteriez sans succès, et vous feriez votre fortune plus mauvaise : commencez votre nouveau régime de vie par la patience.

Arlequin 

Dès que c'est pour son bien, qu'y a-t-il à dire ?

Trivelin, aux esclaves.

Quant à vous, mes enfants, qui devenez libres et citoyens, Iphicrate habitera cette case avec le nouvel Arlequin, et cette belle fille demeurera dans l'autre ; vous aurez soin de changer d'habit ensemble, c'est l'ordre.(À Arlequin.) Passez maintenant dans une maison qui est à côté, où l'on vous donnera à manger si vous en avez besoin. Je vous apprends, au reste, que vous avez huit jours à vous réjouir du changement de votre état ; après quoi l'on vous donnera, comme à tout le monde, une occupation convenable. Allez, je vous attends ici.(Aux insulaires.) Qu'on les conduise.(Aux femmes.) Et vous autres, restez.(Arlequin, en s'en allant, fait de grandes révérences à Cléantis.)"

L’île des esclaves, Marivaux, (scène 2)

http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99%C3%8Ele_des_esclaves#Sc.C3.A8ne_II

Repères à suivre : L'île de Lilliput (Swift)

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