Analyse-Livres & Culture pour tous
5 Novembre 2010
Le thème de l'esprit dans la littérature nous conduits à l'examen d'une ressource intellectuelle, la ruse qui n'est pas seulement offerte à l'homme, mais aussi au règne animal par l'intermédiaire de la bête la plus rusée du monde dans la littérature du Moyen-Âge, Renart, qui donnera lieu à l'entrée dans le dictionnaire du nom commun renard, en remplacement du terme goupil.
Repère : thème de l'esprit : présentation
Dans l'article précédent, il été question de la charité qui est une tournure d'esprit chrétienne, découvrons aujourd'hui une autre forme d'esprit : la ruse.
Qui a dit qu'un système de pensée devait être automatiquement généreux ?
Il existe des êtres qui adoptent des attitudes qui leur sont propres, souvent égoïstes.
Prenez le cas de Renart qui recourt à la ruse pour vivre.
Qui est donc Renart avec un t ? C'est un personnage populaire qui figure dans les récits animaliers du Moyen-Âge, tirés d'Esope, auteur latin.
Renart est un héros complexe, diablotin ou justicier, malhonnête ou honnête selon les circonstances qui joue des tours au travers d'aventures rocambolesques.
Son intelligence est vive et sa ruse proverbiale.
La mise est scène d'un tel animal aux traits si humains entre dans le registre satirique : il est donné à voir une critique sociale ou religieuse.
Renart est un personnage transgressif comme il en existe peu à l'époque sous l'apparence humaine.
On note que ce personnage, Renart entre dans le dictionnaire en tant que nom commun, un renard pour désigner le goupil qui, lui, disparaît.
Découvrons une aventure de Renart : mourant de faim, notre goupil voit au loin une carriole « providentielle » remplie de poissons...
Une occasion à ne pas laisser échapper, à saisir par tous les moyens !
"À la distance d’une portée d’arc, Renart reconnut aisément les lamproies et les anguilles. Son plan est bientôt fait : il rampe sans être aperçu jusqu’au milieu du chemin il s’étend et se vautre, jambes écartées, dents rechignées, la langue pantelante, sans mouvement et sans haleine. La voiture avance ; un des marchands regarde, voit un corps immobile, et appelant son compagnon : « Je ne me trompe pas, c’est un goupil ou un blaireau. — C’est un goupil, » dit l’autre ; « descendons emparons-nous-en, et surtout qu’il ne nous échappe. » Alors ils arrêtent le cheval, vont à Renart, le poussent du pied, le pincent et le tirent ; et comme ils le voient immobile, ils ne doutent pas qu’il ne soit mort. « Nous n’avions pas besoin d’user de grande adresse ; mais que peut valoir sa pelisse ? — Quatre livres, » dit l’un. « — Dites cinq » reprend l’autre, « et pour le moins ; voyez sa gorge, comme elle est blanche et fournie ! C’est la bonne saison. Jetons-le sur la charrette. »
Ainsi dit, ainsi fait. On le saisit par les pieds, on le lance entre les paniers, et la voiture se remet en mouvement. Pendant qu’ils se félicitent de l’aventure et qu’ils se promettent de découdre, en arrivant, la robe de Renart, celui-ci ne s’en inquiète guères ; il sait qu’entre faire et dire il y a souvent un long trajet. Sans perdre de temps, il étend la patte sur le bord d’un panier, se dresse doucement, dérange la couverture, et tire à lui deux douzaines des plus beaux harengs. Ce fut pour aviser avant tout à la grosse faim qui le travaillait. D’ailleurs il ne se pressa pas, peut-être même eut-il le loisir de regretter l’absence de sel ; mais il n’avait pas intention de se contenter de si peu. Dans le panier voisin frétillaient les anguilles : il en attira vers lui cinq à six des plus belles ; la difficulté était de les emporter, car il n’avait plus faim. Que fait-il ? Il aperçoit dans la charrette une botte de ces ardillons d’osier qui servent à embrocher les poissons : il en prend deux ou trois, les passe dans la tête des anguilles, puis se roule de façon à former de ces ardillons une triple ceinture, dont il rapproche les extrémités en tresse. Il s’agissait maintenant de quitter la voiture ; ce fut un jeu pour lui : seulement il attendit que l’ornière vînt trancher sur le vert gazon, pour se couler sans bruit et sans risque de laisser après lui les anguilles.
Et cela fait, il aurait eu regret d’épargner un brocart aux voituriers. « Dieu vous maintienne en joie, beaux vendeurs de poisson !, » leur cria-t-il. « J’ai fait avec vous un partage de frère : j’ai mangé vos plus gros harengs et j’emporte vos meilleures anguilles ; mais je laisse le plus grand nombre. » (...)
Roman de Renart, Anonyme : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Roman_de_Renart#7
source :
repère à suivre : l'épicurisme