Analyse-Livres & Culture pour tous
28 Janvier 2013
repères : thème de la guerre : le feuilleton : Théodore de Lauzun
L'enfance de Théodore de Lauzun
En ce 3 août 1914, Théodore de Lauzun sentit son âme se dilater à l'annonce de la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France. « Les casques à pointe allaient voir ce qu'ils allaient voir ! » Aux Ormes, il faisait des sauts de cabri. De son Périgord blanc, il se sentait concerné par le conflit mondial qui poignait à l'horizon. Il voulait participer à la page de l'Histoire en cours d'écriture. Le jeune homme de dix-sept ans et demi avait toujours été ardent. Il s'embrasait comme un fétu de paille. Ses désirs l'avaient conduit à se sentir homme alors qu'il n'était encore qu'un adolescent bien entêté.
Enfant unique, Théodore avait réalisé, par sa seule naissance, toute l'espérance d'un père, Martial de Lauzun, attaché à la seule poursuite d'un patronyme nobiliaire de l'Ancien Régime. Ce dernier se sentait fier d'un nouveau mâle issu de sa lignée, elle-même digne représentante d'un passé immémorial, d'une époque féodale où la fleur de lys aurait pu se fondre, ainsi qu'on le disait sans modestie, avec les armoiries familiales. Il était tenu pour acquis que l'on descendait de Saint-Louis par les femmes. Une assertion qui restait bien entendu à vérifier. La parenté en ligne indirecte prête à toutes les spéculations. Une vérité non établie n'exclut pas une croyance familiale... Si on n'affichait pas cette parenté prestigieuse, privilège des parvenus, on en était très tôt instruit. Le père ne dérogea pas à la tradition tout en confiant les premières années de l'enfant aux bons soins de la gent féminine.
Marthe de Lauzun voyait dans son fils la seule consolation d'une mère longtemps désespérée par une stérilité inexpliquée. Après sept ans d'attente, une grossesse advint miraculeusement. Elle insista pour qu'on l'appelât, Théodore, signifiant don de Dieu. Son mari trop heureux de lui faire plaisir trouva de l'agrément à ce prénom en ce qu'il était le « juste » pendant de Louis Dieudonné, connu sous le nom de Louis XIV. Le père avait ses petites vanités....
On comprend alors combien Marthe de Lauzun choya littéralement son fils, son sujet d'adoration sur terre lorsque les scrupules religieux la tenaient plutôt près du Ciel. Rien n'était assez beau pour cet enfant livré aux mains cajolantes des femmes de la maisonnée. L'enfant prospéra dans ce milieu d'adoration. Mais ce temps béni ne dura que jusqu'aux sept ans du petit garçon, âge auquel il était convenu de faire débuter son apprentissage d'homme. Le chantier s'avéra non dénué d'embûches.
Martial de Lauzun trouva en effet son fils abominablement gâté. Il s'étonnait surtout de ce caractère enflammé et capricieux. L'enfant de sept ans ne supportait pas la moindre frustration. Il s'abandonnait couramment à des colères terribles. Il fallait trouver une solution pour venir à bout de cet authentique tyran domestique. Le père considéra dès lors qu'il devait être confié à des pédagogues reconnus, à même de le reprendre en main, par une discipline de fer. C'est ainsi que le jeune garçon quitta la maison et fut confié au pensionnat privé Theilhard de Chardin, tenu par les bons pères Jésuites de Bordeaux. On considéra que la culture humaniste devait conduire à former les cerveaux impétueux et à transformer les enfants en hommes courageux et conscients de leurs devoirs envers Dieu et les hommes.
Un pensionnaire plein de fougue
Loin de calmer ses ardeurs, la vie au pensionnat lui permit de développer cette fougue, ce sens de l'absolu, qu'il portait en germe. Son ardeur fut alimentée notamment par l'étude du grec qui ouvrit à Théodore les portes de la poésie, l'infinie contemplation du monde en mouvement dans lequel il aima toute sa vie s'abîmer ; il dévora Homère, y revenant sans cesse. "Du combat, seuls les lâches s'écartent." La peur de ne pas y être fut la grande angoisse de l'adolescent qui désirait vivre là où il se passait quelque chose. Il voulait en être, comme on disait à l'époque.
La connaissance du latin lui fournit en outre le loisir de découvrir l'Enéide de Virgile ; "Déploie ton jeune courage, enfant ; c'est ainsi qu'on s'élève jusqu'aux astres." Les astres constituaient l'horizon le plus ultime pour cet être ardent qui ne demandait qu'à arpenter les champs de bataille. En bon élève des jésuites, il avait une connaissance intime de la Bible. Il savoura tout particulièrement cette citation d'Isaï : "ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit en faisant la moisson, comme on exulte en partageant les dépouilles des vaincus"(chapitre 9). Les "dépouilles des vaincus", Théodore de Lauzun n'en avait encore jamais vues mais il s'imaginait assister à la scène ultime en revêtant les habits du héros romantique. Théodore de Lauzun ou l'incarnation d'un Fabrice Del Dongo qui s'ignore. Il grandissait à l'ombre de son rêve, celui de combattre avec vaillance pour Dieu et pour la France.
L'enfant de douze ans trouva dans son éducation la nourriture nécessaire à l'épanouissement de son imagination prompte à concevoir des batailles, des combats, des coups de grâce... Arrivé à la fin de ses études secondaires, il rêva tout naturellement d'embrasser la carrière militaire. Il s'en ouvrit auprès de son père, qui parut très flatté de voir son unique rejeton pénétrer dans la célèbre école de Saint-Cyr : il en ferait ainsi un digne officier comme bon nombre de ses illustres ancêtres. Le respect de la tradition s'accomplissait dans son fils. L'arbre donnait du fruit, mais il en donna trop tôt en ce mois d'août 1914...
repères à suivre : le feuilleton : L'enrôlement volontaire de Théodore de Lauzun