Analyse-Livres & Culture pour tous
28 Septembre 2009
Thème extrêmement riche dans la littérature, la passion a inspiré de nombreux écrivains qui en ont des récits intemporels en évoquant le caractère impossible de l'amour poussé à son paroxysme comme dans la princesse de Clèves de madame de La Fayette.
Repères : thème de la passion : l'étude
Thème extrêmement riche dans la littérature, la passion a inspiré de nombreux écrivains qui ont pu puiser dans leur propre vie pour nourrir le fond de leur œuvre, lorsqu'ils n'ont pas imaginé purement et simplement des récits sublimes, des mythes.
Qu'est-ce qui différencie une jolie romance d'un récit intemporel ? Cela tient le plus souvent au caractère impossible de l'amour poussé à son paroxysme : tel est le cas lorsque les sentiments sont contrariés par des personnes ou par des circonstances en empêchant le libre cours.
On pense aux interdits de toutes sortes comprenant les nombreuses difficultés d'ordre social (mésalliances..) qui ont foisonné dans la littérature.
Curieusement, les obstacles peuvent aussi résulter des barrières qu'un protagoniste agissant alors à l'encontre de ses propres sentiments peut opposer à l'autre. Cette attitude s'analyse clairement en une fuite devant la passion.
C'est ainsi que deux livres célèbres traitant précisément de ce sujet seront à l'honneur dans la présente étude :
Ces deux chefs-d'œuvres illustrent la problématique de la fuite devant l'idéal.
Nous débuterons aujourd'hui par la première des deux.
En France, sous le règne principalement d'Henri II, une passion brûlante va naître entre deux jeunes personnes issues de la haute noblesse : la Princesse de Clèves et Monsieur de Nemours.
La première, d'une beauté rare et éblouissante, élevée à bonne distance des mœurs dissolues de la Cour, respectueuse de la vertu, n'a jamais connu la moindre inclinaison de cœur, même à l'égard de son mari pourtant honnête homme.
Le second, Monsieur de Nemours, gentilhomme investi d'un grand prestige sur le plan diplomatique apparaît inversement comme un séducteur impénitent.
Leur rencontre aura lieu au cours d'un bal somptueux où leur mise en présence fortuite fera forte impression sur l'auditoire mais également sur eux-mêmes :
«M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges. » (1ère partie, page 152)
Dès lors, va s'installer entre eux une savante mise en scène destinée pour Monsieur de Nemours, à faire savoir à son aimée la passion dévorante qui l'anime et, inversement pour la Princesse de Clèves, à porter à l'attention de ce dernier qu'elle ne veut pas céder à l'appel de la déraison et de l'inconvenance.
Elle cherchera ainsi toutes les occasions pour se soustraire aux ardeurs de Monsieur de Nemours. La Princesse de Clèves dispose de ressources qui vont se révéler infinies pour mettre de la distance entre cette passion et elle-même : les leçons de morale de sa mère décédée, les égards dus à son propre époux...
Mais les échappatoires ne sont qu'un leurre, elle sent qu'elle est dépassée par la force de ce sentiment et dans le secret de son âme, elle s'y abandonne avec volupté.
« Mme de Clèves prit un flambeau et s'en alla, proche d'une grande table, vis à vis du tableau du siège de Metz, où était le portrait de M.de Nemours ; elle s'assit et se mit à regarder ce portrait avec une attention et une rêverie que la passion seule peut donner. » (quatrième partie, page 281).
Ce sentiment vécu à distance occasionnera néanmoins beaucoup de tourments dans le cœur de la jeune femme : elle sera amenée à souffrir des affres de la jalousie et de l'absence.
Devant cette passion dévorante, la Princesse de Clèves sera amenée à faire une confidence à son époux ; mais loin de la protéger, cette révélation aura des conséquences funestes avec son cortège de regrets ...
La Princesse de Clèves devenue veuve est enfin libre de décider de son destin. Elle voit Monsieur de Nemours saisir l'occasion de faire de celle qu'il adore son épouse.
Tout semble enfin s'aplanir : la passion pourra-t-elle enfin être vécue pleinement et au grand jour ?
La Princesse de Clèves détient seule la réponse. Elle considère que les passions n'existent que parce qu'elles sont contrariées.
Adoptant ce point de vue résolument pessimiste, elle choisira une mise à distance définitive qui lui permettra de se protéger de toutes formes de souffrance.
Pour éclairer Monsieur de Nemours, elle lui dessine l'avenir commun qui s'offrirait à eux : « Vous avez déjà eu plusieurs passions, vous en auriez encore ; je ne ferai plus votre bonheur ; je vous verrais pour une autre comme vous auriez été pour moi. J'en aurais une douleur mortelle et je ne serais pas même assurée de n'avoir point le malheur de la jalousie. (…) on fait des reproches à un amant ; mais en fait-on à un mari quand on n'a qu'à lui reprocher de n'avoir plus d'amour?» (quatrième partie, page 307).
Est-ce pour autant la fin de cette passion ? Un renoncement est-ce une forme de courage ou lâcheté ?
Dans l'article à venir nous verrons le second roman, objet de notre étude.
Repère à suivre : Le Grand Meaulnes, Alain-Fournier