Analyse-Livres & Culture pour tous
9 Mars 2014
L’expérience de la solitude sur une île
Le thème de l’aventure
Nous voici entrés dans la deuxième sous-partie de notre présentation du thème au travers de l’histoire de la littérature. Après la conception de l’île sous sa forme symbolique, attachons-nous à la découverte de ce thème sous un autre angle : l’aventure.
Pensons à tous ces récits exotiques qui ont marqué des générations de lecteurs. La narration qui vient le plus communément à l’esprit concerne les aventures de Robinson Crusoé de Daniel Defoe (1660-1731) publié en 1719.
Ce personnage mythique a donné lieu à diverses réinterprétations. La Gazette a choisi dans le cadre de son étude de vous proposer de retrouver Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier. Mais pour l’heure, intéressons-nous à la genèse de ce roman magnifique. Sait-on que Robinson Crusoé doit tout à un personnage bien réel, Alexandre Selkirk (1860 -1721), qui lui a expérimenté la solitude sur une île ?
L’aventure réelle d’Alexandre Selkirk
Alexandre Selkirk est un matelot écossais, bagarreur et forte tête, qui passa plus de quatre ans (52 mois) sur une île d’Amérique du sud perdue dans l’Océan Pacifique au large du Chili près des îles Juan Fernandez. Ce n’est pas à la faveur d’un naufrage que le héros se vit contraint de vivre dans la solitude, mais à un débarquement forcé d’un trublion par le capitaine du bateau. Le malheureux marin à la différence du héros de Defoe restera seul sur son île sans voir le moindre indigène ; il réussira à domestiquer des animaux en vivant du produit de ses récoltes. De retour dans sa patrie, Selkirk racontera son incroyable histoire qui viendra aux oreilles de l’écrivain : ce dernier en tirera le noyau de son récit.
Dans l’extrait qui vous est proposé aujourd’hui, découvrons Robinson qui raconte dans le détail les conditions de son arrivée sur l’île :
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"La dernière de ces deux fois avait été bien près de m’être fatale ; car la mer m’ayant emporté ainsi qu’auparavant, elle me mit à terre ou plutôt elle me jeta contre un quartier de roc, et avec une telle force, qu’elle me laissa évanoui, dans l’impossibilité de travailler à ma délivrance. Le coup, ayant porté sur mon flanc et sur ma poitrine, avait pour ainsi dire chassé entièrement le souffle de mon corps ; et, si je l’avais recouvré immédiatement, j’aurais étouffé dans l’eau ; mais il me revint un peu avant le retour des vagues, et voyant qu’elles allaient encore m’envelopper, je résolus de me cramponner au rocher et de retenir mon haleine, jusqu’à ce qu’elles fussent retirées. Comme la terre était proche, les lames ne s’élevaient plus aussi haut, et je ne quittai point prise qu’elles ne se fussent abattues. Alors je repris ma course, et je m’approchai tellement de la terre, que la nouvelle vague, quoiqu’elle me traversât, ne m’engloutit point assez pour m’entraîner. Enfin, après un dernier effort, je parvins à la terre ferme, où, à ma grande satisfaction, je gravis sur les rochers escarpés du rivage, et m’assis sur l’herbe, délivré de tous périls et à l’abri de toute atteinte de l’Océan.
J’étais alors à terre et en sûreté sur la rive ; je commençai à regarder le ciel et à remercier Dieu de ce que ma vie était sauvée, dans un cas où, quelques minutes auparavant, il y avait à peine lieu d’espérer. Je crois qu’il serait impossible d’exprimer au vif ce que sont les extases et les transports d’une âme arrachée, pour ainsi dire, du plus profond de la tombe. Aussi ne suis-je pas étonné de la coutume d’amener un chirurgien pour tirer du sang au criminel à qui on apporte des lettres de surséance juste au moment où, la corde serrée au cou, il est près de recevoir la mort, afin que la surprise ne chasse point les esprits vitaux de son cœur, et ne le tue point.
Car le premier effet des joies et des afflictions soudaines est d’anéantir.
Absorbé dans la contemplation de ma délivrance, je me promenais çà et là sur le rivage, levant les mains vers le ciel, faisant mille gestes et mille mouvements que je ne saurais décrire ; songeant à tous mes compagnons qui étaient noyés, et que pas une âme n’avait dû être sauvée excepté moi ; car je ne les revis jamais, ni eux, ni aucun vestige d’eux, si ce n’est trois chapeaux, un bonnet et deux souliers dépareillés."
Robinson Crusoé, Defoe (chapitre 9) traduction Petrus-Borel
http://fr.wikisource.org/wiki/Robinson_Cruso%C3%A9/9
Repères à suivre : les îles introuvables (Poe)