Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Qu'est-ce qu'une Banque ? (Voltaire)

Qu'est-ce qu'une Banque ? (Voltaire)

Repères : thème de la finance : présentation

La définition d'une Banque

En ces temps de crise, il est bon de se rappeler ce qu'est véritablement une Banque. La Gazette Littéraire a convoqué pour vous un éminent spécialiste : Voltaire. Ce dernier est aussi connu pour son sens des affaires aussi aiguisé que son ironie mordante.

Dans son dictionnaire philosophique, cet illustre auteur nous précise la distinction entre la banque de dépôt et la banque d'état ;

Nous voici entrés de plain-pied dans la complexité d'un système déjà opaque au 18ème siècle...

Dans cet extrait nous verrons un personnage important dans l'histoire de la Finance, John Law, qui sera à nouveau longuement évoqué dans un prochain article.

 

****

BANQUE. 

 

"La banque est un trafic d’espèces contre du papier, etc. Il y a des banques particulières et des banques publiques. Les banques particulières consistent en lettres de change qu’un particulier vous donne pour recevoir votre argent au lieu indiqué. Le premier prend 1/2 pour 100, et son correspondant chez qui vous allez prend aussi 1/2 pour 100 quand il vous paye. Ce premier gain est convenu entre eux sans en avertir le porteur.

Le second gain, beaucoup plus considérable, se fait sur la valeur des espèces. Ce gain dépend de l’intelligence du banquier et de l’ignorance du remetteur d’argent. Les banquiers ont entre eux une langue particulière, comme les chimistes ; et le passant qui n’est pas initié à ces mystères en est toujours la dupe. Ils vous disent, par exemple : Nous remettons de Berlin à Amsterdam ; l’incertain pour le certain ; le change est haut ; il est à trente-quatre, trente-cinq ; et avec ce jargon, il se trouve qu’un homme qui croit les entendre perd six ou sept pour cent ; de sorte que s’il fait environ quinze voyages à Amsterdam, en remettant toujours son argent par lettres de change, il se trouvera que ses deux banquiers auront eu à la fin tout son bien. C’est ce qui produit d’ordinaire à tous les banquiers une grande fortune. Si on demande ce que c’est que l’incertain pour le certain, le voici :

Les écus d’Amsterdam ont un prix fixe en Hollande, et leur prix varie en Allemagne. Cent écus ou patagons de Hollande, argent de banque, sont cent écus de soixante sous chacun : il faut partir de là et voir ce que les Allemands leur donnent pour ces cent écus.

Vous donnez au banquier d’Allemagne, ou 130, ou 131, ou 132 rixdales, etc., et c’est là l’incertain : pourquoi 131 rixdales, ou 132 ? Parce que l’argent d’Allemagne passe pour être plus faible de titre que celui de Hollande.

Vous êtes censé recevoir poids pour poids et titre pour titre : il faut donc que vous donniez en Allemagne un plus grand nombre d’écus, puisque vous les donnez d’un titre inférieur.

Pourquoi tantôt 132, ou 133 écus, ou quelquefois 136 ? C’est que l’Allemagne a plus tiré de marchandises qu’à l’ordinaire de la Hollande : l’Allemagne est débitrice, et alors les banquiers d’Amsterdam exigent un plus grand profit ; ils abusent de la nécessité où l’on est, et, quand on tire sur eux, ils ne veulent donner leur argent qu’à un prix fort haut. Les banquiers d’Amsterdam disent aux banquiers de Francfort ou de Berlin : Vous nous devez, et vous tirez encore de l’argent sur nous ; donnez-nous donc cent trente-six écus pour cent patagons.

Ce n’est là encore que la moitié du mystère. J’ai donné à Berlin treize cent soixante écus, et je vais à Amsterdam avec une lettre de change de mille écus, ou patagons. Le banquier d’Amsterdam me dit : Voulez-vous de l’argent courant, ou de l’argent de banque ? Je lui réponds que je n’entends rien à ce langage, et que je le prie de faire pour le mieux. Croyez-moi, me dit-il, prenez de l’argent courant. Je n’ai pas de peine à le croire.

Je pense recevoir la valeur de ce que j’ai donné à Berlin ; je crois, par exemple, que si je rapportais sur-le-champ à Berlin l’argent qu’il me compte, je ne perdrais rien ; point du tout, je perds encore sur cet article, et voici comment. Ce qu’on appelle argent de banque en Hollande est supposé l’argent déposé en 1600 à la caisse publique, à la Banque générale. Les patagons déposés y furent reçus pour soixante sous de Hollande, et en valaient soixante-trois. Tous les gros payements se font en billets sur la banque d’Amsterdam ; mais je devais recevoir soixante-trois sous à cette banque pour un billet d’un écu ; j’y vais, ou bien je négocie mon billet, et je ne reçois que soixante-deux sous et demi, ou soixante-deux sous, pour mon patagon de banque ; c’est pour la peine de ces messieurs, ou pour ceux qui m’escomptent mon billet : cela s’appelle l’agio, du mot italien aider ; on m’aide donc à perdre un sou par écu, et mon banquier m’aide encore davantage en m’épargnant la peine d’aller aux changeurs ; il me fait perdre deux sous, en me disant que l’agioest fort haut, que l’argent est fort cher : il me vole, et je le remercie.

Voilà comme se fait la banque des négociants, d’un bout de l’Europe à l’autre.

La banque d’un État est d’un autre genre : ou c’est un argent que les particuliers déposent pour leur seule sûreté, sans en tirer de profit, comme on fit à Amsterdam en 1609, et à Rotterdam en 1636 ; ou c’est une compagnie autorisée qui reçoit l’argent des particuliers pour l’employer à son avantage, et qui paye aux déposants un intérêt : c’est ce qui se pratique en Angleterre, où la banque autorisée par le parlement donne 4 pour 100 aux propriétaires.

En France, on voulut établir une banque de l’État sur ce modèle en 1717. L’objet était de payer avec les billets de cette banque toutes les dépenses courantes de l’État, de recevoir les impositions en même payement et d’acquitter tous les billets, de donner sans aucun décompte tout l’argent qui serait tiré sur la banque, soit par les régnicoles, soit par l’étranger, et par là de lui assurer le plus grand crédit. Cette opération doublait réellement les espèces en ne fabriquant de billets de banque qu’autant qu’il y avait d’argent courant dans le royaume, et les triplait si, en faisant deux fois autant de billets qu’il y avait de monnaie, on avait soin de faire les payements à point nommé : car la caisse ayant pris faveur, chacun y eût laissé son argent, et non-seulement on eût porté le crédit au triple, mais on l’eût poussé encore plus loin, comme en Angleterre. Plusieurs gens de finance, plusieurs gros banquiers, jaloux du sieur Law, inventeur de cette banque, voulurent l’anéantir dans sa naissance ; ils s’unirent avec des négociants hollandais, et tirèrent sur elle tout son fonds en huit jours. Le gouvernement, au lieu de fournir de nouveaux fonds pour les payements, ce qui était le seul moyen de soutenir la banque, imagina de punir la mauvaise volonté de ses ennemis, en portant par un édit la monnaie un tiers au delà de sa valeur ; de sorte que quand les agents hollandais vinrent pour recevoir les derniers payements, on ne leur paya en argent que les deux tiers réels de leurs lettres de change. Mais ils n’avaient plus que peu de chose à retirer ; leurs grands coups avaient été frappés ; la banque était épuisée ; ce haussement de la valeur numéraire des espèces acheva de la décrier. Ce fut la première époque du bouleversement du fameux système de Law. Depuis ce temps, il n’y eut plus en France de banque publique ; et ce qui n’était pas arrivé à la Suède, à Venise, à l’Angleterre, à la Hollande, dans les temps les plus désastreux, arriva à la France au milieu de la paix et de l’abondance.

Tous les bons gouvernements sentent les avantages d’une banque d’État : cependant la France et l’Espagne n’en ont point ; c’est à ceux qui sont à la tête de ces royaumes d’en pénétrer la raison."

 

Dictionnaire philosophique, Voltaire, Banque

http://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_philosophique/Garnier_%281878%29/Banque

 

repères à suivre : le mécanisme de la confiance

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
<br /> Quelle belle leçon de politique monétaire et d'inflation<br /> <br /> <br /> Quant à la Banque publique, qu'on appelera Banque Centrale plus tard, elle commença par être une banque purement privée en France, à la faveur de Napoléon elle deviendra Banque de France (société<br /> privée) avant de subir quelques évolutions, la dernière en date majeure étant celle de 1993, pour le reste elle évolue chaque jour un peu...<br /> <br /> <br /> Bravo Litteratus pour traiter ce sujet.<br /> <br /> <br /> Bardi<br />
Répondre
L
<br /> <br /> Merci pour toutes ces précisions, amie Bardi ! à bientôt !<br /> <br /> <br /> <br />