4 Mai 2011
Au XVIIe siècle, une femme témoigne de l'amour d'une mère : il s'agit de la marquise de Sévigné, grande plume du Grand Siècle et qui plaisait tant à Louis XIV. Dans une de ses lettres, elle témoigne du rapport privilégié qu'elle entretient avec sa fille, madame de Grignan.
Repères : thème de la femme dans la littérature : présentation
Après la femme incapable, voyons le rapport entre la femme et la maternité : la notion de mère.
La maternité pouvait résumer, à elle seule, la définition de la féminité, reflet d'une conception conservatrice qui a perduré pendant des siècles. Mais on en avait une vision lointaine, purement sociale avec l'importance de la mortalité infantile. Sous cet aspect, la littérature compte de multiples passages sur le lien mère/enfants, mais il existe peu de textes sur l'amour d'une mère. Il fallait être une femme de lettres pour pouvoir décrire la force d'un tel sentiment.
Madame de Sévigné
Au XVIIe siècle, une femme témoigne de ce lien : il s'agit de la marquise de Sévigné, grande plume qui correspondait avec plusieurs grands noms du royaume. Ses lettres au départ privées devinrent publique devant la qualité du style et la profondeur de ses vues. Louis XIV s'en fit lire un certain nombre, ce qui fit d'elle une éminente femmes de lettres jamais démentie depuis lors.
Retrouvons-la dans son meilleur rôle : celui de mère.
C'est en effet la première fois que l'on peut lire avec émotion le déchirement d'une mère. La marquise dit en effet la tristesse qui l'étreint d'avoir laissé sa fille, Madame de Grignan, à sa propre vie.
On mesure toute l'intimité de cette relation vraiment hors du commun, vécue sous la forme d'une fusion.
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"23. À Madame de Grignan - À Moret, lundi au soir 30 octobre 1673.
Me voici bien près de Paris, ma très chère bonne. Je ne sais comme je me sens ; je n’ai aucune joie d’y arriver, que pour recevoir toutes vos lettres que je crois y trouver. Je ne sais quelle raison aura eue M. de Coulanges pour ne me les pas envoyer à Bourbilly, comme je l’en avais prié.
Je me représente l’occupation que je pourrai avoir pour vous, tout ce que j’aurai à dire à MM. de Brancas, La Garde, l’abbé de Grignan, d’Hacqueville, M. de Pomponne, M. Le Camus. Hors cela, où je vous trouve, je ne prévois aucun plaisir. Je mériterais que mes amies me battissent et me renvoyassent sur mes pas : plût à Dieu ! Peut-être que cette humeur me passera, et que mon cœur, qui est toujours pressé et qui me fait pleurer tous les jours sans que je m’en puisse empêcher, se mettra un peu plus au large ; mais il ne peut jamais arriver que je ne souhaite uniquement et passionnément de vous revoir, que je ne désire avec ardeur tout ce qui peut y contribuer et que je ne craigne, plus que toutes choses, ce qui pourrait m’empêcher cette satisfaction. Toutes vos affaires et le moindre de vos intérêts sont au premier rang de tout ce qui me touche. Je penserai continuellement à vous, sans que je puisse jamais rien oublier de ce qui vous regarde. Parler de vous sera mon sensible plaisir. Mais je choisirai mes gens et mes discours. Je sais un peu vivre, et ce qui est bon aux uns et mauvais aux autres. Je n’ai pas tout à fait oublié le monde ; je connais ses tendresses et ses bontés pour entrer dans les sentiments des autres. Je vous demande la grâce de vous fier à moi et de ne rien craindre de l’excès de ma tendresse. Ma seule consolation, en attendant que je vous voie, sera de recevoir de vos lettres, vous écrire et vous servir, si je le puis. Voilà mon application, et voilà comme je me trouve, sans compter mille autres sentiments dont le récit vous serait ennuyeux. Si vous croyez, ma bonne, que j’exagère d’un seul mot et que je dise ceci pour remplir ma onzième lettre, vous n’êtes pas juste, et c’est dommage que je dise si vrai. Mais je suis persuadée que vous me connaissez assez pour croire que c’est mon cœur qui me fait écrire ceci. Et même si mes délicatesses et les mesures injustes que je prends sur moi ont donné quelquefois du désagrément à mon amitié, je vous conjure de tout mon cœur, ma bonne, de les excuser en faveur de leur cause. Je la conserverai toute ma vie, cette cause, très précieusement, et j’espère que, sans lui faire aucun tort, je pourrai me rendre moins imparfaite que je ne suis. Je tâche tous les jours à profiter de mes réflexions ; et si je pouvais, comme je vous ai dit quelquefois, vivre seulement deux cents ans, il me semble que je serais une personne bien admirable.(...)
Lettres choisies, Madame de Sévigné
https://fr.wikisource.org/wiki/Lettres_choisies/1673
Repères à suivre : la femme coupable