Analyse-Livres & Auteurs-Culture
(La marquise de Sévigné, peinte par Claude Lefebvre, Musée Carnavalet, Paris)
Repères : thème de la femme dans la littérature
Après la femme incapable, voyons le rapport entre la femme et la maternité : la notion de mère pouvait résumer à elle seule la définition de la féminité, reflet d'une conception qui a perduré pendant des siècles.
Retrouvons l'exemplarité d'une mère dont le souci pour sa fille (Madame de Grignan) mis en mots a traversé le temps pour sublimer une relation intime hors du commun.
***
"23. À Madame de Grignan - À Moret, lundi au soir 30 octobre 1673.
Me voici bien près de Paris, ma très chère bonne. Je ne sais comme je me sens ; je n’ai aucune joie d’y arriver, que pour recevoir toutes vos lettres que je crois y trouver. Je ne sais quelle raison aura eue M. de Coulanges pour ne me les pas envoyer à Bourbilly, comme je l’en avais prié.
Je me représente l’occupation que je pourrai avoir pour vous, tout ce que j’aurai à dire à MM. de Brancas, La Garde, l’abbé de Grignan, d’Hacqueville, M. de Pomponne, M. Le Camus. Hors cela, où je vous trouve, je ne prévois aucun plaisir. Je mériterais que mes amies me battissent et me renvoyassent sur mes pas : plût à Dieu ! Peut-être que cette humeur me passera, et que mon cœur, qui est toujours pressé et qui me fait pleurer tous les jours sans que je m’en puisse empêcher, se mettra un peu plus au large ; mais il ne peut jamais arriver que je ne souhaite uniquement et passionnément de vous revoir, que je ne désire avec ardeur tout ce qui peut y contribuer et que je ne craigne, plus que toutes choses, ce qui pourrait m’empêcher cette satisfaction. Toutes vos affaires et le moindre de vos intérêts sont au premier rang de tout ce qui me touche. Je penserai continuellement à vous, sans que je puisse jamais rien oublier de ce qui vous regarde. Parler de vous sera mon sensible plaisir. Mais je choisirai mes gens et mes discours. Je sais un peu vivre, et ce qui est bon aux uns et mauvais aux autres. Je n’ai pas tout à fait oublié le monde ; je connais ses tendresses et ses bontés pour entrer dans les sentiments des autres. Je vous demande la grâce de vous fier à moi et de ne rien craindre de l’excès de ma tendresse. Ma seule consolation, en attendant que je vous voie, sera de recevoir de vos lettres, vous écrire et vous servir, si je le puis. Voilà mon application, et voilà comme je me trouve, sans compter mille autres sentiments dont le récit vous serait ennuyeux. Si vous croyez, ma bonne, que j’exagère d’un seul mot et que je dise ceci pour remplir ma onzième lettre, vous n’êtes pas juste, et c’est dommage que je dise si vrai. Mais je suis persuadée que vous me connaissez assez pour croire que c’est mon cœur qui me fait écrire ceci. Et même si mes délicatesses et les mesures injustes que je prends sur moi ont donné quelquefois du désagrément à mon amitié, je vous conjure de tout mon cœur, ma bonne, de les excuser en faveur de leur cause. Je la conserverai toute ma vie, cette cause, très précieusement, et j’espère que, sans lui faire aucun tort, je pourrai me rendre moins imparfaite que je ne suis. Je tâche tous les jours à profiter de mes réflexions ; et si je pouvais, comme je vous ai dit quelquefois, vivre seulement deux cents ans, il me semble que je serais une personne bien admirable.(...)
Lettres choisies, Madame de Sévigné
http://fr.wikisource.org/wiki/Lettres_choisies/1673
Repères à suivre : la femme coupable
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lizagrèce 05/05/2011 10:36
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