14 Mai 2011
Dans Mademoiselle de Maupin, Théophile Gautier bouscule le monde corseté du XIXe siècle en créant le personnage du chevalier Théodore de Maupin, alias Mademoiselle de Maupin, qui vit en compagnie d'hommes pour mieux les connaître. La situation proposée par Gautier s'avère donc rare et parfaitement scandaleuse au XIXème siècle.
Repère: le thème de la femme : présentation
Après avoir évoqué le sort des femmes publiques, intéressons-nous aux femmes qui cherchaient à sortir de leur condition féminine qui les assignait à vivre dans l'incapacité et dans l'ennui. Retrouvons un auteur du XIXe siècle qui a bousculé, à sa manière, les conventions de son temps : il s'agit de Théophile Gautier.
Théophile Gautier
Découvrons le cas du chevalier Théodore de Maupin, alias Mademoiselle de Maupin, qui vit en compagnie d'hommes pour mieux les connaître. Rappelons que les jeunes filles sont soigneusement tenues éloignées de la gent masculine avant leur mariage. La situation proposée par Gautier s'avère donc rare et parfaitement scandaleuse au XIXème siècle.
Mais dans ce roman, cette transgression n'est pas sans causer quelques embarras ; elle fait naître, en effet, de la confusion dans les rapports entre amis.
Pour preuve, la lettre qui suit évoque le trouble manifeste d'un des compagnons dudit chevalier avant qu'il ne découvre la réalité de la situation...
« Ce que je sens pour ce jeune homme est vraiment incroyable : jamais aucune femme ne m’a troublé aussi singulièrement. Le son de sa voix si argentin et si clair me donne sur les nerfs et m’agite d’une manière étrange ; mon âme se suspend à ses lèvres, comme une abeille à une fleur, pour y boire le miel de ses paroles. — Je ne puis l’effleurer en passant sans frissonner de la tête aux pieds, et le soir, quand au moment de nous quitter il me tend son adorable main si douce et si satinée, toute ma vie se porte à la place qu’il a touchée, et une heure après je sens encore la pression de ses doigts.
Ce matin, je l’ai regardé très longtemps sans qu’il me vît. — J’étais caché derrière mon rideau. — Lui était à sa fenêtre, qui est précisément en face de la mienne. — Cette partie du château a été bâtie, à la fin du règne de Henri IV ; elle est moitié briques, moitié moellons, selon l’usage du temps ; la fenêtre est longue, étroite, avec un linteau et un balcon de pierre, — Théodore, — car tu as déjà sans doute deviné que c’est lui dont il s’agit, — était accoudé mélancoliquement sur la rampe et paraissait rêver profondément. — Une draperie de damas rouge à grandes fleurs, à demi relevée, tombait à larges plis derrière lui et lui servait de fond. — Qu’il était beau, et que sa tête brune et pâle ressortait merveilleusement sur cette teinte pourpre ! Deux grosses touffes de cheveux, noires, lustrées, pareilles aux grappes de raisin de l’Érigone antique, lui pendaient gracieusement le long des joues et encadraient d’une manière charmante l’ovale fin et correct de sa belle figure. Son cou rond et potelé était entièrement nu, et il avait une espèce de robe de chambre à larges manches qui ressemblait assez à une robe de femme. — Il tenait en main une tulipe jaune qu’il déchiquetait impitoyablement dans sa rêverie, et dont il jetait les morceaux au vent.
Un des angles lumineux que le soleil dessinait sur le mur se vint projeter contre la fenêtre, et le tableau se dora d’un ton chaud et transparent à faire envie à la toile la plus chatoyante du Giorgione.
Avec ces longs cheveux que la brise remuait doucement, ce cou de marbre ainsi découvert, cette grande robe serrée autour de la taille, ces belles mains sortant de leurs manchettes comme les pistils d’une fleur du milieu de leurs pétales, — il avait l’air non du plus beau des hommes, mais de la plus belle des femmes, — et je me disais dans mon cœur : — C’est une femme, oh ! c’est une femme ! — Puis je me souvins tout à coup d’une folie que je t’ai écrite il y a longtemps, — tu sais, — à l’endroit de mon idéal et de la manière dont je le devais assurément rencontrer : la belle dame du parc de Louis XIII, le château rouge et blanc, la grande terrasse, les allées de vieux marronniers et l’entrevue à la fenêtre ; je t’ai fait autrefois tout ce détail. — C’était bien cela, — ce que je voyais était la réalisation précise de mon rêve. — C’était bien le style d’architecture, l’effet de lumière, le genre de beauté, la couleur et le caractère que j’avais souhaités ; — il n’y manquait rien, seulement la dame était un homme ; — mais je t’avoue qu’en ce moment-là je l’avais entièrement oublié.
Il faut que Théodore soit une femme déguisée ; la chose est impossible autrement.()
Mademoiselle de Maupin, Théophile Gautier,
http://fr.wikisource.org/wiki/Mademoiselle_de_Maupin:Chapitre_9
Repères à suivre: la femme au travail