16 Mai 2011
La Gazette vous propose de lire les Bijoux, poème sulfureux, tiré du recueil des Fleurs du Mal de Baudelaire : son auteur ainsi que son éditeur ont été condamnés à des amendes pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs...
Repère: le thème de la femme : présentation
Nous clôturons cette modeste rétrospective sur le traitement du thème de la femme dans la littérature, par l'archétype de la femme, celle qui est pleinement aimée.
La Gazette vous propose de lire un poème sulfureux qui a été condamné par la justice et retiré des premières éditions des Fleurs du Mal de Baudelaire.
On rappelle que ce poème a été censuré (avec d'autres du même recueil) par le tribunal de la Seine le 20 août 1857 : son auteur ainsi que son éditeur ont été condamnés à des amendes pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs avant la révision de ce procès en 1949.
Voici donc le poème d'une sensualité extrême : un bijou !
La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores.
Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j’aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.
Elle était donc couchée et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d’aise
À mon amour profond et doux comme la mer,
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.
Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,
D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;
Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,
S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal
Où, calme et solitaire, elle s’était assise.
Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe !
— Et la lampe s’étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !
Les Bijoux, les Fleurs du Mal, Baudelaire
http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Bijoux