7 Août 2013
Repères : Tour d'Angleterre : Oxford
Un étudiant atypique
Après Lewis Carroll, découvrons ensemble le portrait d'un autre écrivain issu des rangs d'Oxford. Il s'agit d'un irlandais et d'un protestant : Oscar Wilde.
Étudiant atypique au sein de Magdalene Collège dont il choqua le personnel par son allure et sa mise de dandy, il finit par être diplômé avec les honneurs.Ses talents de poète furent récompensés.
Un roman sulfureux
Son succès littéraire aura toujours un parfum de soufre : le Portrait de Dorian Gray, son seul roman, a reçu les foudres de la critique. Le malaise des échotiers concernait particulièrement les moeurs du héros...
La Gazette choisit à dessein de vous présenter aujourd'hui un passage relatif à la mauvaise réputation de Dorian Gray provenant de ses relations avec les hommes. Il sera évoqué dans l'article à venir l'affaire fameuse qui conduira l'écrivain dans la prison de Reading où nous ferons une étape...
***
"– Ce n’est pas trop pour vous questionner, Dorian, et c’est absolument dans votre propre intérêt que je parle. Je pense qu’il est bon que vous sachiez les choses horribles que l’on dit dans Londres sur votre compte.
– Je ne désire pas les connaître. J’aime les scandales sur les autres, mais ceux qui me concernent ne m’intéressent point. Ils n’ont pas le mérite de la nouveauté.
– Ils doivent vous intéresser, Dorian. Tout gentleman est intéressé à son bon renom. Vous ne voulez pas qu’on parle de vous comme de quelqu’un de vil et de dégradé. Certes, vous avez votre situation, votre fortune et le reste. Mais la position et la fortune ne sont pas tout. Vous pensez bien que je ne crois pas à ces rumeurs. Et puis, je ne puis y croire lorsque je vous vois. Le vice s’inscrit lui-même sur la figure d’un homme. Il ne peut être caché. On parle quelquefois de vices secrets ; il n’y a pas de vices secrets. Si un homme corrompu a un vice, il se montre de lui-même dans les lignes de sa bouche, l’abaissement de ses paupières, ou même dans la forme de ses mains. Quelqu’un – je ne dirai pas son nom, mais vous le connaissez – vint l’année dernière me demander de faire son portrait. Je ne l’avais jamais vu et je n’avais rien entendu dire encore sur lui ; j’en ai entendu parler depuis. Il m’offrit un prix extravagant, je refusai. Il y avait quelque chose dans le dessin de ses doigts que je haïssais. Je sais maintenant que j’avais parfaitement raison dans mes suppositions : sa vie est une horreur. Mais vous, Dorian, avec votre visage pur, éclatant, innocent, avec votre merveilleuse et inaltérée jeunesse, je ne puis rien croire contre vous. Et cependant je vous vois très rarement ; vous ne venez plus jamais à mon atelier et quand je suis loin de vous, que j’entends ces hideux propos qu’on se murmure sur votre compte, je ne sais plus que dire. Comment se fait-il Dorian, qu’un homme comme le duc de Berwick quitte le salon du club dès que vous y entrez ? Pourquoi tant de personnes dans Londres ne veulent ni aller chez vous ni vous inviter chez elles ? Vous étiez un ami de lord Staveley. Je l’ai rencontré à dîner la semaine dernière. Votre nom fut prononcé au cours de la conversation à propos de ces miniatures que vous avez prêtées à l’exposition du Dudley. Staveley eût une moue dédaigneuse et dit que vous pouviez peut-être avoir beaucoup de goût artistique, mais que vous étiez un homme qu’on ne pouvait permettre à aucune jeune fille pure de connaître et qu’on ne pouvait mettre en présence d’aucune femme chaste. Je lui rappelais que j’étais un de vos amis et lui demandai ce qu’il voulait dire. Il me le dit. Il me le dit en face devant tout le monde. C’était horrible ! Pourquoi votre amitié est-elle si fatale aux jeunes gens ? Tenez... Ce pauvre garçon qui servait dans les Gardes et qui se suicida, vous étiez son grand ami. Et sir Henry Ashton qui dût quitter l’Angleterre avec un nom terni ; vous et lui étiez inséparables. Que dire d’Adrien Singleton et de sa triste fin ? Que dire du fils unique de lord Kent et de sa carrière compromise ? J’ai rencontré son père hier dans St-James Street. Il me parut brisé de honte et de chagrin. Que dire encore du jeune duc de Porth ? Quelle existence mène-t-il à présent ? Quel gentleman en voudrait pour ami ?
– Arrêtez, Basil, vous parlez de choses auxquelles vous ne connaissez rien, dit Dorian Gray se mordant les lèvres.
– Ce n’est pas trop pour vous questionner, Dorian, et c’est absolument dans votre propre intérêt que je parle. Je pense qu’il est bon que vous sachiez les choses horribles que l’on dit dans Londres sur votre compte.
– Je ne désire pas les connaître. J’aime les scandales sur les autres, mais ceux qui me concernent ne m’intéressent point. Ils n’ont pas le mérite de la nouveauté.
– Ils doivent vous intéresser, Dorian. Tout gentleman est intéressé à son bon renom. Vous ne voulez pas qu’on parle de vous comme de quelqu’un de vil et de dégradé. Certes, vous avez votre situation, votre fortune et le reste. Mais la position et la fortune ne sont pas tout. Vous pensez bien que je ne crois pas à ces rumeurs. Et puis, je ne puis y croire lorsque je vous vois. Le vice s’inscrit lui-même sur la figure d’un homme. Il ne peut être caché. On parle quelquefois de vices secrets ; il n’y a pas de vices secrets. Si un homme corrompu a un vice, il se montre de lui-même dans les lignes de sa bouche, l’abaissement de ses paupières, ou même dans la forme de ses mains. Quelqu’un – je ne dirai pas son nom, mais vous le connaissez – vint l’année dernière me demander de faire son portrait. Je ne l’avais jamais vu et je n’avais rien entendu dire encore sur lui ; j’en ai entendu parler depuis. Il m’offrit un prix extravagant, je refusai. Il y avait quelque chose dans le dessin de ses doigts que je haïssais. Je sais maintenant que j’avais parfaitement raison dans mes suppositions : sa vie est une horreur. Mais vous, Dorian, avec votre visage pur, éclatant, innocent, avec votre merveilleuse et inaltérée jeunesse, je ne puis rien croire contre vous. Et cependant je vous vois très rarement ; vous ne venez plus jamais à mon atelier et quand je suis loin de vous, que j’entends ces hideux propos qu’on se murmure sur votre compte, je ne sais plus que dire. Comment se fait-il Dorian, qu’un homme comme le duc de Berwick quitte le salon du club dès que vous y entrez ? Pourquoi tant de personnes dans Londres ne veulent ni aller chez vous ni vous inviter chez elles ? Vous étiez un ami de lord Staveley. Je l’ai rencontré à dîner la semaine dernière. Votre nom fut prononcé au cours de la conversation à propos de ces miniatures que vous avez prêtées à l’exposition du Dudley. Staveley eût une moue dédaigneuse et dit que vous pouviez peut-être avoir beaucoup de goût artistique, mais que vous étiez un homme qu’on ne pouvait permettre à aucune jeune fille pure de connaître et qu’on ne pouvait mettre en présence d’aucune femme chaste. Je lui rappelais que j’étais un de vos amis et lui demandai ce qu’il voulait dire. Il me le dit. Il me le dit en face devant tout le monde. C’était horrible ! Pourquoi votre amitié est-elle si fatale aux jeunes gens ? Tenez... Ce pauvre garçon qui servait dans les Gardes et qui se suicida, vous étiez son grand ami. Et sir Henry Ashton qui dût quitter l’Angleterre avec un nom terni ; vous et lui étiez inséparables. Que dire d’Adrien Singleton et de sa triste fin ? Que dire du fils unique de lord Kent et de sa carrière compromise ? J’ai rencontré son père hier dans St-James Street. Il me parut brisé de honte et de chagrin. Que dire encore du jeune duc de Porth ? Quelle existence mène-t-il à présent ? Quel gentleman en voudrait pour ami ?
-Arrêtez, Basil, vous parlez de choses auxquelles vous ne connaissez rien, dit Dorian Gray se mordant les lèvres."
Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde (ch 12)
http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Portrait_de_Dorian_Gray/XII
repères à suivre : Oscar Wilde à Reading