Analyse-Livres & Culture pour tous
15 Mars 2010
Travailler au sein d'un bureau nécessite un code vestimentaire commun. Au XIXe siècle, un employé de bureau se devait de porter une redingote, un chapeau et d'avoir un parapluie digne de ce nom. Maupassant a croqué les travers de ce pauvre monsieur Oreille et de tous les hommes dans cette nouvelle, Parapluie, tirée du recueil les sœurs Rondoli.
Repères: thème du travail : les tourments et les joies du métier (6)
Le travail au sein des bureaux n'est pas une sinécure.
L'environnement professionnel peut être un sujet de tracas.
Prenez Monsieur Oreille qui est employé au Ministère de la Guerre et qui endure les quolibets de ses collègues à cause de l'avarice de sa femme.
Découvrez un extrait du conte de Maupassant où l'on comprend que les hommes qui se flattent d'appartenir à la classe bourgeoise se doivent de porter redingote, chapeau haut de forme (gibus) et détenir un parapluie de bonne qualité...
***
« Mme Oreille était économe. Elle savait la valeur d’un sou et possédait un arsenal de principes sévères sur la multiplication de l’argent. Sa bonne, assurément, avait grand mal à faire danser l’anse du panier ; et M. Oreille n’obtenait sa monnaie de poche qu’avec une extrême difficulté. Ils étaient à leur aise, pourtant, et sans enfants ; mais Mme Oreille éprouvait une vraie douleur à voir les pièces blanches sortir de chez elle. C’était comme une déchirure pour son coeur ; et, chaque fois qu’il lui avait fallu faire une dépense de quelque importance, bien qu’indispensable, elle dormait fort mal la nuit suivante.
Oreille répétait sans cesse à sa femme :
– Tu devrais avoir la main plus large, puisque nous ne mangeons jamais nos revenus.
Elle répondait :
– On ne sait jamais ce qui peut arriver. Il vaut mieux avoir plus que moins.
C’était une petite femme de quarante ans, vive, ridée, propre et souvent irritée.
Son mari, à tout moment, se plaignait des privations qu’elle lui faisait endurer. Il en était certaines qui lui devenaient particulièrement pénibles, parce qu’elles atteignaient sa vanité.
Il était commis principal au Ministère de la guerre, demeuré là uniquement pour obéir à sa femme, pour augmenter les rentes inutilisées de la maison.
Or, pendant deux ans, il vint au bureau avec le même parapluie rapiécé qui donnait à rire à ses collègues. Las enfin de leurs quolibets, il exigea que Mme Oreille lui achetât un nouveau parapluie. Elle en prit un de huit francs cinquante, article de réclame d’un grand magasin. Des employés, en apercevant cet objet jeté dans Paris par milliers, recommencèrent leurs plaisanteries, et Oreille en souffrit horriblement. Le parapluie ne valait rien. En trois mois, il fut hors de service, et la gaieté devint générale dans le Ministère. On fit même une chanson qu’on entendait du matin au soir, du haut en bas de l’immense bâtiment.
Oreille, exaspéré, ordonna à sa femme de lui choisir un nouveau riflard, en soie fine, de vingt francs, et d’apporter une facture justificative. » (...)
Guy de Maupassant (1850-1893), le parapluie, extrait des Sœurs Rondoli publié en 1884. Wikisource.
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