Analyse-Livres & Culture pour tous
9 Mai 2013
Repères : thème de la finance : présentation
Le Musée des combines financières
Dans l'article précédent, il a été question de l'importance de la spéculation, voyons aujourd'hui ce qu'en disait, à l'époque, Maupassant. Ce dernier n'a pas de mots assez durs pour condamner les dérives boursières. Il propose à cet effet de révéler les dessous de basses manœuvres. Il propose de créer un musée dédié à l'histoire des petites et grandes combines financières !
Ce projet ne déparerait pas de nos jours...
Qui le financerait ? moi...
***
"Depuis des années, des valeurs fantastiques montent et descendent d’une invraisemblable façon. Des milliers d’êtres, confiants et naïfs, sont ruinés par quelques aventuriers. Un coup de bourse, préparé, combiné, organisé comme un truc de théâtre, engloutit plus de petites aisances, fait couler plus de larmes, se tordre plus de bras que Waterloo et que Sedan. Et vous trouvez cela tout simple et naturel !
On parle de pots-de-vin ! Mais qui de nous ne pourrait raconter des histoires plus scandaleuses que la plus révoltante aventure révélée en ce procès ? Pots-de-vin pour lancer des spéculations véreuses ; pots-de-vin pour faire accepter des affaires honorables ; pots-de-vin pour parler ; pots-de-vin pour se taire ; pots-de-vin pour tout, à propos de tout. Nous vivons sous le règne du pot-de-vin, dans le royaume de la conscience facile, à genoux devant le veau d’or.
Oh ! crédules jurés, braves chercheurs d’honorabilité pure ; quittez Paris, messieurs ; allez, allez plus loin : vous n’avez que faire ici.
Mais s’il fallait expectorer des révélations sur tout ce qu’on sait, sur tout ce qu’on devine, sur tout ce qu’on entrevoit : toutes les heures du jour ne suffiraient pas.
Qu’y faire ? Rien. C’est le courant de l’époque. Les mœurs américaines sont venues chez nous, voilà tout.
Oh ! ce que je voudrais, par exemple, c’est qu’un financier foncièrement sceptique et spirituel écrivît ses mémoires, racontât tout, mais là tout, pour servir à l’histoire de notre génération. Quel invraisemblable musée on ferait sous ce titre : « les Hommes de Bourse », ou, si l’on préfère : « les Hommes de sac », ou encore : « les Hommes de proie ».
Pourquoi pas ? Pourquoi la finance d’aujourd’hui (une certaine finance, du moins) n’aurait-elle pas son historien ?
Ces galeries de contemporains, quand elles sont bien faites, intéressent d’une façon-particulière, et elles ont, de plus, l’avantage de laisser des documents à l’avenir.
Un exemple vient d’être donné qui serait à suivre. Juste au moment où cette antique et surannée coutume du duel reprend une vigueur nouvelle, une vigueur de mode, périodique, violente et passagère, le baron de Vaux, avec un rare à-propos, fait paraître une intéressante série de portraits : « les Hommes d’épée », qui nous font passer sous les yeux les curieuses physionomies de tous les escrimeurs du jour, maîtres d’armes, hommes du monde, artistes, journalistes.
Il détaille le jeu de chaque tireur, ses ruses, ses habitudes, les juge en connaisseur expert.
Se figure-t-on les coulisses de la finance dévoilées ainsi, avec les trucs, les ficelles et les trappes, où se laisse prendre le pauvre monde ?"
Les chroniques de Maupassant, choses du jour, le Gaulois 28/12/1881
http://fr.wikisource.org/wiki/Choses_du_jour
repères à suivre : présentation : délit d'initié (Zola)