22 Décembre 2010
La Gazette vous propose de lire un extrait bien campé de deux mondes qui cohabitent dans une indifférence manifeste sous la plume d'un auteur anarchiste au regard aiguisé, Albert Libertad (1875-1908).
repères : thème de la fête : présentation
Dans l'article précédent, nous avons vu l'atmosphère particulière qui règne en cette période de fin d'année, nous penserons aujourd'hui aux exclus de la fête.
Comment réveillonner sans penser aux exclus de la fête ? La Gazette vous propose de lire un extrait bien campé de deux mondes qui cohabitent dans une indifférence manifeste.
Les loqueteux face aux bourgeois, telle est la description faite par cet auteur anarchiste. Une description qui appartient au passé ? Certainement pas...
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"Ce jour-là, l’année se terminait ; c’était fête par cette ville, mais la nature paraissait bouder et la neige tombait à gros flocons. Malgré cela, tout le long des rues, les magasins jetaient des flots de lumière et les yeux étaient attirés par des amas de victuailles bizarrement achalandés.
Les promeneurs, les acheteurs étaient nombreux : les uns, recouverts de chaudes fourrures, allaient riant béats, se moquant de la froidure ; les autres, au contraire, marchaient craintivement, ils étaient recouverts de loques, au travers desquelles se dessinaient leurs os ou se montraient leur chair.
De temps en temps, les seconds prenaient devers les premiers des attitudes suppliantes, que vous ne connaissez pas, chers enfants, mais qui consistaient à tendre la main en prononçant des paroles sans suite, d’un ton dolent. Ils demandaient l’aumône, c’est-à-dire qu’ils priaient les heureux de leur donner une part de leur superflu afin de pouvoir acquérir du nécessaire pour eux et leurs enfants. Les trois quarts des bien-vêtus passaient indifférents ; d’autres, parcimonieusement, cherchaient en leur poche la plus petite offrande pour leur donner.
Quand les loqueteux se montraient trop entreprenants, des hommes habillés tous de même sorte, bien chaudement, les rudoyaient et les chassaient des larges voies ; quelquefois même ils les emmenaient après leur avoir mis des chaînes aux mains. Et il y avait, en même temps, si peu d’humanité, si peu de respect de la dignité humaine, que les gens bien vêtus faisaient cercle et jetaient des lazzis aux pauvres hères ainsi traités, et que les mal-vêtus courbaient la tête, effaçaient leurs épaules, tâchant de faire oublier leur crime d’être pauvres en acquiesçant aux actes des hommes en uniforme.
Ces derniers s’appelaient des agents de la force publique, on les entretenait gros et gras ; ils avaient mission de défendre les bien-vêtus, les bien-nourris, contre les loqueteux, les miséreux. Ils étaient, ce qui vous étonnera, de cette classe si malheureuse."
La légende de Noël dédiée aux petits-enfants de l’an 3000 (ou plus), Albert Libertad
repère à suivre : un mauvais convive (Dickens)