Analyse-Livres & Culture pour tous
25 Juillet 2010
Le Tour de France littéraire nous pousse dans les Ardennes avec un illustre poète, Rimbaud, qui s'ennuie dans cette ville alors qu'il rêve de liberté à Paris comme on peut le lire dans la lettre à son maître Paul Demeny
Repères: Tour de France : Rimbaud et les Ardennes
Dans l'article précédent, nous étions à Nancy avec Young, nous faisons aujourd'hui une étape dans les Ardennes.
La Gazette marque une pause dans les Ardennes, terre natale de Rimbaud.
Fort ingrat pour cette terre nourricière, ce dernier n'a eu de cesse de la quitter pour Paris.
Relisons la lettre qu'il adressa à son maître, marquant son souhait de... fuir.
Une complainte des Ardennes...
Épris de liberté, le jeune Rimbaud écrit au poète Paul Demeny son souhait de quitter cette région honnie pour venir à Paris et se lancer dans ce qu'il aime faire : la poésie.
Lettre touchante d'un jeune homme qui attend de se lancer...
"Charleville (Ardennes), 28 août 1871.
Monsieur,
Vous me faites recommencer ma prière: soit. Voici la complainte complète. Je cherche des paroles calmes: mais ma science de l'art n'est pas bien profonde. Enfin, voici. Situation du prévenu: J'ai quitté depuis plus d'un an la vie ordinaire pour ce que vous savez. Enfermé sans cesse dans cette inqualifiable contrée ardennaise, ne fréquentant pas un homme, recueilli dans un travail infâme, inepte, obstiné, mystérieux, ne répondant que par le silence aux questions, aux apostrophes grossières et méchantes, me montrant digne dans ma position extra-légale, j'ai fini par provoquer d'atroces résolutions d'une mère aussi inflexible que soixante-treize administrations à casquettes de plomb. Elle a voulu m'imposer le travail, perpétuel, à Charleville (Ardennes)! Une place pour tel jour, disait-elle, ou la porte. Je refusai cette vie; sans donner mes raisons: c'eût été pitoyable. Jusqu'aujourd'hui, j'ai pu tourner ces échéances. Elle, en est venue à ceci: souhaiter sans cesse mon départ inconsidéré, ma fuite! Indigent, inexpérimenté, je finirais par entrer aux établissements de correction. Et, dès ce moment, silence sur moi! Voilà le mouchoir de dégoût qu'on m'a enfoncé dans la bouche. C'est bien simple. Je ne demande rien, je demande un renseignement. Je veux travailler libre: mais à Paris que j'aime. Tenez: je suis un piéton, rien de plus; j'arrive dans la ville immense sans aucune ressource matérielle: mais vous m'avez dit: Celui qui désire être ouvrier à quinze sous par jour s'adresse là, fait cela, vit comme cela. Je m'adresse là, je fais cela, je vis comme cela. Je vous ai prié d'indiquer des occupations peu absorbantes, parce que la pensée réclame de larges tranches de temps. Absolvant le poëte, ces balançoires matérielles se font aimer. Je suis à Paris: il me faut une économie positive! Vous ne trouvez pas cela sincère? Moi, ça me semble si étrange, qu'il me faille vous protester de mon sérieux! J'avais eu l'idée ci-dessus: la seule qui me parût raisonnable: je vous la rends sous d'autres termes. J'ai bonne volonté, je fais ce que je puis, je parle aussi compréhensiblement qu'un malheureux! Pourquoi tancer l'enfant qui, non doué de principes zoologiques, désirerait un oiseau à cinq ailes? On le ferait croire aux oiseaux à six queues, ou à trois becs! On lui prêterait un Buffon des familles: ça le déleurrerait. Donc, ignorant de quoi vous pourriez m'écrire, je coupe les explications et continue à me fier à vos expériences, à votre obligeance que j'ai bien bénie, en recevant votre lettre, et je vous engage un peu à partir de mes idées, s'il vous plaît. Recevriez-vous sans trop d'ennui des échantillons de mon travail?
Lettre à Paul Demeny, 28 août 1870
Rimbaud
Wikisource: http://fr.wikisource.org/wiki/Lettre_de_Rimbaud_%C3%A0_Paul_Demeny_-_28_ao%C3%BBt_1871
repère à suivre : Bernanos et le Pas-de-Calais
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