Analyse-Livres & Culture pour tous
20 Décembre 2009
Le thème du temps dans la littérature nous conduit à l'étude du dernier tome de la Recherche, Le Temps retrouvé, de Marcel Proust, où il est question du rapport de l'homme au temps, source de vertiges.
Repères : thème du temps : l'étude
Le temps est une représentation mentale de la durée qui est appréhendée de manière classique par la notion d'instants se succédant pour donner le passé, le présent et le futur.
Il va de soi que tous ces éléments sont évidemment primordiaux dans la construction d'une œuvre de l'esprit. Mais le temps façonne profondément la littérature selon le genre littéraire choisi.
Dépassant les contraintes purement grammaticales, certains auteurs associent à ce thème des problématiques originales.
Deux livres importants vous seront proposés ce mois-ci :
Ces ouvrages traitent de manière distincte du rapport de l'homme au temps, source de vertiges pour le premier et d'impatience pour le second.
Nous débuterons par la première œuvre, si vous le voulez bien.
La recherche du temps perdu plonge le lecteur dans le récit fait par le narrateur, dénommé Marcel, de différentes époques et de lieux, avec des allers-retours permanents entre le passé révolu et le présent en demi-teinte.
La Gazette a publié des extraits de cette œuvre :
Ce roman dénué d'intrigue au sens strict retrace de manière non chronologique l'enfance de Marcel, ses premiers émois d'adolescents, ses amours adultes, ses relations sociales entretenues à la campagne et à Paris, l'ambition du narrateur d'accéder à une forme de reconnaissance sociale et littéraire.
L'œuvre s'achève avec le tome intitulé le Temps retrouvé dans lequel on assiste aux évènements rapportés par Marcel, loin du front lors de la Première Guerre Mondiale puis, dans sa période immédiatement postérieure.
La mémoire est toujours actionnée par le narrateur qui découvre à cette occasion que son corps porte les marques de la présence des personnes aimées :
« Ma mémoire avait, la mémoire involontaire elle-même, perdu l'amour d'Albertine. Mais il semble qu'il y ait une mémoire involontaire des membres, pâle et stérile imitation de l'autre qui vive plus longtemps, comme certains animaux ou végétaux inintelligents vivent plus longtemps que les hommes. (...) ».(page 5)
Marcel se perd dans le temps pour nous livrer sa critique implacable des mœurs des salons parisiens recevant de nombreux « embusqués », pour attirer notre attention sur la médiocrité des personnalités célèbres qu'il a côtoyées lorsqu'il était jeune et sur lesquelles il mesure -impuissant- les ravages du temps.
Tout ceci n'est que prétexte à évoquer le thème de l'écoulement du temps.
Les outrages des ans lui cause un vertige indéniable surtout lorsqu'il constate l'apathie de Monsieur de Charlus, esthète dépravé, totalement diminué à la suite d'une attaque cérébrale.
Le temps qui passe est indéniablement un temps « perdu ».
Lui-même n'est plus un jeune homme et il souffre d'une affection grave nécessitant des soins dans plusieurs maisons de santé...
Tout serait donc vain ? Nullement !
Chez la princesse de Guermantes, Marcel va faire l'objet d'une expérience insolite qui va transformer le regard qu'il porte sur son propre passé.
L'ouïe, l'odorat et la vue vont déclencher des souvenirs enfouis devenus immédiats pour un instant.
Une parenthèse va ainsi naître, mêlant le passé et le présent, forcément vertigineuse :
« De sorte que ce que l'être par trois et quatre fois ressuscité en moi venait de goûter, c'était peut-être bien des fragments d'existence soustraits au temps, mais cette contemplation, quoique d'éternité, était fugitive. Et pourtant je sentais que le plaisir qu'elle m'avait, à de rares intervalles, donné dans ma vie, était le seul qui fût fécond et véritable. » (page 182)
Le narrateur se sent enfin appelé à une création littéraire fondée sur la perception du temps.
Il comprend que seul l'art permet en effet de fixer le temps ainsi « retrouvé ».
Marcel s'employant à écrire son livre dans cette perspective fait débuter son ouvrage par le passage au cours duquel il entend au temps de son enfance le bruit de la sonnette du jardin de Combray. (cf premier tome, Du côté de chez Swann)
« J'avais le vertige de voir au-dessous de moi, en moi pourtant, comme si j'avais des lieues de hauteur, tant d'années... » (page 352)
Repères à suivre (suite de l'étude): Le temps de l'impatience (Morand)