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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Le sentiment de l’inutilité dans la vieillesse (Renard)

 

 Le sentiment de l’inutilité dans la vieillesse (Renard)

 

L’ « inutilité » des vieux ! (Renard)

Repères : thème de la vieillesse : présentation

Un terrible jugement

Dans l’article précédent, il a été montré que la vieillesse n’exclut pas la rancune et la haine, mais voyons aujourd’hui la principale critique formée à l’égard de nos anciens : leur inutilité.

Dans l’extrait qui vous est proposé, vous pourrez découvrir toute la morgue de la jeunesse qui ne trouve pas de mots assez durs pour critiquer les vieillards.  Le caractère acerbe provient de la plume acérée de Jules Renard

 ***

LE VIEUX ET LE JEUNE

À Maurice Talmeyr. 

SCÈNE I

LE JEUNE

Oui, je sais, de ton temps on avalait les noyaux de cerises et des charrettes ferrées. Vieillard, je finirai par t’étrangler. On était naïf, sincère et croyant, en ce temps-là. Il faut y retourner et y rester. J’ai plein les oreilles de tes gémissements. Est-ce parce que la mort, sûre de ta peau, prélève un acompte, et te tripote, te creuse déjà les yeux, que tu les as si grands, plus grands que le ventre ?

Sois prudent. C’est lourd, la célébrité. Quelque matin on te trouvera étouffé. Si j’étais toi, je me mettrais au régime, et, craignant de devenir sourd absolu, je remplacerais ma grosse caisse par un de ces petits tambours en peau de papier qu’on voit entre les pattes des lapins mécaniques.

Toujours le vieux partout, à toutes les bornes. Est-ce que ton image glacée ne va pas bientôt fondre ?

Tu chevrotes qu’on était respectueux de ton temps. Mais les trains allaient moins vite.

Des gens qui dévorent l’espace peuvent bien brûler la politesse. Résigne-toi, vieux (je t’appelle par tes titres, remarque-le, je te traite en camarade), ôte-toi de là et donne-moi les clefs.

Entends-tu ? je te dis de quitter la scène, de sortir du livre, de t’en aller du journal.

Il y a des années, des années d’horloge que tu encombres. Regarde à tes pieds : c’est du propre ; ton art délayé coule de tous côtés. Tu n’a pas honte ?

Comment ! des hommes d’honneur, des colonels, des employés de chemin de fer, des ouvriers du peuple qui n’ont plus rien à suer, réclament leur retraite et tu t’obstines à faire du service.

Sais-tu, qu’une nuit, las d’attendre, nous recommencerons le massacre des Innocents.

Si tu te dépêches de mourir, tu éviteras une fin violente.

La place libre, je m’installe. Ah ! j’ai du travail pour une éternité et je vois tant de choses que mon œil éclate. D’abord tout est à refaire.

Premièrement, il convient de nettoyer les narines d’Augias du public.

Ensuite je peindrai mon enseigne, ce qui me prendra beaucoup de temps. Après, je bâtirai un art définitif. Il montera jusqu’au ciel sans toucher à la terre, puisque le naturalisme est mort, et mes enfants passeront gaîment leur vie, la pomme d’Adam en l’air à le contempler.

Allons, l’ancien, vide les lieux, qu’on aère et qu’on retourne ce que tu as souillé.(...)

Coquecigrues, Renard (1893)

 

http://fr.wikisource.org/wiki/Coquecigrues#LE_VIEUX_ET_LE_JEUNE

repères à suivre : le refus de vieillir (Maupassant)

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