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Analyse-Livres & Culture pour tous

Gazette littéraire

Le pouvoir de nommer dans la thématique de l’île (Marivaux/Tournier)

Dans L’île des esclaves, comédie de Marivaux et Vendredi ou les limbes du Pacifique, roman de Michel Tournier, Il nous appartient d’examiner la particularité offerte à l’homme de nommer les choses ou les hommes. Pour Marivaux, l'inversion des noms permet de mesurer la critique sociale sous-jacente. Pour Tournier, Nommer une chose, c’est en quelque sorte se l’approprier.

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Repères : thème de l’île : l’étude

Résumé : il a été indiqué dans l’article précédent que la Gazette vous propose une étude comparative de deux œuvres que le thème de l’insularité rattache :

  • L’île des esclaves, comédie de Marivaux, jouée pour la première fois en 1725.
  • Vendredi ou les limbes du Pacifique, roman de Michel Tournier, publié en 1967.

La question qui se pose de part en part dans ces deux livres est celle de savoir ce qui fait de chacun d’entre nous un être humain.

Nous avons évoqué :

Il nous appartient aujourd’hui d’examiner la particularité offerte à l’homme de nommer les choses ou les hommes…

Des sobriquets

Chez Marivaux, cette faculté de l’homme à nommer ce qui vit autour de lui apparaît dès le début de la comédie où elle est tournée en dérision. Mais derrière cette facétie théâtrale, on découvre en réalité le ressort principal de l’intrigue. Précisons les choses.

Un insulaire demande à Arlequin son nom avant que ce dernier ne déclare n’en avoir aucun. L’effet comique surgit dès que l’ancien esclave énonce les sobriquets que son maître a l’habitude d’employer pour l’appeler (scène II).

Le même procédé plus accentué est utilisé avec le duo de femmes Cléanthis, l’esclave, et Euphrosine, la maîtresse. La première révèle les « surnoms » dont elle est affublée par la seconde : « J’en ai une liste : Sotte, Ridicule, Bête, Butorde, Imbécile, et cætera. » (Scène III).

Marivaux n’a plus qu’à procéder à une inversion des noms pour que l’on mesure la critique sociale sous-jacente. En effet, sur cette île décidément très particulière, on voit ainsi le maître endosser une nouvelle identité, celle de son ancien esclave lequel prend le nom de son maître. Cette mise en scène est donc censée permettre aux anciens maîtres de se corriger :

« Souvenez-vous en prenant son nom, mon cher ami, qu’on vous le donne bien moins pour réjouir votre vanité que pour corriger de son orgueil » (scène II)

C’est ainsi que débutera le « procès » sans complaisance d’une aristocratie du XVIIIème siècle, indolente et inutile, mise en mots par Marivaux. Mais nous verrons dans l’article suivant qu’une nouvelle mise en scène, nécessitant le changement de vêtements sera nécessaire pour l’inversion total des rôles.

La question du nom revêt une importance toute différente dans le roman de Michel Tournier.

Nommer, s’approprier…

Cet art de nommer revêt une importance cruciale pour notre héros solitaire. En désignant une chose, on la fait entrer sous son propre contrôle. Nommer une chose, c’est en quelque sorte se l’approprier. Cette question est majeure pour Robinson. Il éprouve le premier besoin de nommer le lieu de son désespoir ; il a pris soin de « baptiser » son île  de la Désolation. Il appelle l’embarcation qu’il fait de ses mains, l’Evasion. Deux termes d’une connotation péjorative qui vont conduire notre personnage à adopter une attitude plus positive. Réalisant qu’il ne peut s’échapper de l’île, il doit se donner les moyens de survivre par le biais de l’agriculture et de l’élevage.

Il domestique dès lors la nature hostile et les bêtes sauvages en les nommant. Comme dans la pièce de Marivaux, on rebaptise aussi les choses.

Le changement de perspective l’oblige en effet à renommer son île devenue Speranza, l’espérance :

« Ayant été frappé en lisant la Bible de l’admirable paradoxe par lequel la religion fait du désespoir le péché sans merci et de l’espérance l’une des trois vertus théologales, il décida que l’île s’appellerait désormais Speranza, nom mélodieux et ensoleillé qui évoquait en outre le très profane souvenir d’une Italienne qu’il avait connue à jadis quand il était étudiant à l’université de York. » (page 45)

En nommant son île, il la personnifie : Speranza passe du statut de chose à l’incarnation d’une femme, celle avec laquelle il s’unit. (Chapitre V)

Ce pouvoir de nommer et de s’approprier se poursuit également lors de sa rencontre avec l’indien métis, arriéré de son point de vue, qui échappe au massacre de sa tribu grâce à l’intervention de Robinson. Cette rencontre oblige notre héros à le nommer pour pouvoir l’appeler. Il réfléchit à ce nom qu’il se veut le plus juste possible.

« Je crois avoir résolu assez élégamment ce dilemme en lui donnant le nom du jour de la semaine où je l’ai trouvé : Vendredi. Ce n’est ni un nom de personne, ni un nom commun, c’est à mi-chemin entre les deux, celui d’une entité à demi vivante, à demi abstraite fortement marquée par son caractère temporel, fortuit et comme épisodique. » (page 148)

Cette relation avec Vendredi constitue un véritable bouleversement dans l’ordonnancement de la vie sur Speranza, mais aussi dans sa perception de l’autre et de lui-même. Nous verrons à cet égard l’importance de la tenue vestimentaire dans le prochain article.

 Repères à suivre : l’étude : le rôle de la tenue vestimentaire.

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