Analyse-Livres & Culture pour tous
11 Avril 2010
Rimbaud a eu le sens de la formule avec cette idée que "je est un autre " . Prenons le temps de nous étonner du paradoxe posé entre le moi et son contraire, l'autre, l'étranger. Comment peut-on être soi et un autre ?
repères : thème de l'Autre : L'un et l'autre (IV)
Dans l'article précédent, il a été question du complot des hommes sous la plume de Rousseau, il sera question aujourd'hui d'examiner le paradoxe de la formule "je est un autre " de Rimbaud, poète à la brève destinée poétique né en 1854 et mort en 1891.
La Gazette a publié des extraits des recueils de Rimbaud, jeune poète de génie, désireux de quitter ses Ardennes pour venir à Paris tenter sa chance. Il a écrit notamment Le Bateau ivre (1871), un été en enfer (1873), les Illuminations (1886).
Nous avons également évoqué la violente dispute entre Verlaine et Rimbaud le 10 juillet 1873 qui entraîna malgré la volonté du jeune poète une poursuite judiciaire et l'emprisonnement de son aîné en Belgique.
La Gazette vous offre la lecture d'une lettre célèbre par la formule laissée à la postérité : « je est un autre ».
Prenons le temps de nous étonner du paradoxe posé entre le moi et son contraire, l'autre, l'étranger.
Comment peut-on être soi et un autre ?
Lisez la correspondance de Rimbaud qui décrit le processus finalement la distance qui s'impose dans le processus de création poétique.
« Car Je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident : j'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène.
Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini ! ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs ! (…)
La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il doit la cultiver, cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse : à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage.(...)
Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant ! — Car il arrive à l'inconnu ! Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d'autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé ! (..) »
Lettre du Voyant à Paul Demeny, 15 mai 1871, Arthur Rimbaud, correspondance. Wikisource.link
repère à suivre : la confidence (Catulle Mendès)