Analyse-Livres & Culture pour tous
19 Avril 2010
Le thème de l'Autre dans la littérature ne serait pas complet sans parler du dédoublement de personnalité comme dans le roman de Stevenson, Dr Jekyll et Mr Hyde.
repères : thème de l'Autre : L'un et l'Autre (VIII)
Dans l'article précédent, il a été question de la vision que l'on se fait d'autrui, nous verrons aujourd'hui le cas du dédoublement de personnalité avec un auteur anglais, Stevenson.
La Gazette vous propose de vous interroger sur la notion de l'autre comprise comme un être différent de soi. Cette définition peut sembler simple ; mais prenez le cas d'un personnage de la littérature pour qui la distinction ne va pas précisément de soi...
Publié en 1887, ce court roman fantastique choisit comme ligne d'horizon, non plus l'horizon de l'île au trésor, mais le tréfonds de l'âme d'un médecin.
Monsieur Jekyll explique son étrange parcours qui l'a conduit à une fin tragique. Il détaille pour nous le récit d'une prise de conscience aiguë liée à la réalité de son dédoublement de personnalité.
« De jour en jour, et par les deux côtés de mon intelligence, le moral et l’intellectuel, je me rapprochai donc peu à peu de cette vérité, dont la découverte partielle a entraîné pour moi un si terrible naufrage : à savoir, que l’homme n’est en réalité pas un, mais bien deux. Je dis deux, parce que l’état de mes connaissances propres ne s’étend pas au-delà. D’autres viendront après moi, qui me dépasseront dans cette voie, et j’ose avancer l’hypothèse que l’on découvrira finalement que l’homme est formé d’une véritable confédération de citoyens multiformes, hétérogènes et indépendants.
Pour ma part, suivant la nature de ma vie, je progressai infailliblement dans une direction, et dans celle-là seule. Ce fut par le côté moral, et sur mon propre individu, que j’appris à discerner l’essentielle et primitive dualité de l’homme ; je vis que, des deux personnalités qui se disputaient le champ de ma conscience, si je pouvais à aussi juste titre passer pour l’un ou l’autre, cela venait de ce que j’étais foncièrement toutes les deux ; et à partir d’une date reculée, bien avant que la suite de mes investigations scientifiques m’eût fait même entrevoir la plus lointaine possibilité de pareil miracle, j’avais appris à caresser amoureusement, tel un beau rêve, le projet de séparer ces éléments constitutifs. Il suffirait, me disais-je, de pouvoir caser chacun d’eux dans une individualité distincte, pour alléger la vie de tout ce qu’elle a d’insupportable : l’injuste alors suivrait sa voie, libéré des aspirations et des remords de son jumeau supérieur ; et le juste s’avancerait d’un pas ferme et assuré sur son chemin sublime, accomplissant les bonnes actions dans lesquelles il trouve son plaisir, sans plus se voir exposé au déshonneur et au repentir causés par ce mal étranger. C’est pour le châtiment de l’humanité que cet incohérent faisceau a été réuni de la sorte – que dans le sein déchiré de la conscience, ces jumeaux antipodiques sont ainsi en lutte continuelle. N’y aurait-il pas un moyen de les dissocier ? »
Dr Jekyll et Mister Hyde, Stevenson, traduction Théo Varlet, Wikisource.
repère à suivre : la critique de Napoléon le Petit